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La Dolce Vitae algérienne.

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  • La Dolce Vitae algérienne.

    Cinquième partie.

    L'échec des Etats, la Dolce Vitae algérienne.

    Cet héritage n'a pas été perdu pour tout le monde !
    Au sixième étage d'une luxueuse résidence de l'avenue Montaigne, à deux pas de l'immeuble de l'ancien Premier ministre libanais Amine Gemayel, se trouve le superbe loft de Djillali Mehri, ce milliardaire algérien grand intermédiaire entre Paris et Alger. Sur les murs de son appartement, des photos encadrées le montrent en compagnie des grands de ce monde, Djillali Mehri pose aussi bien avec le président de la République François Mitterrand, qu'avec le maire de Paris, Jacque Chirac, ou le rois du Maroc, Hassan II. On le surprend en compagnie de Cheikh Abbas, l'ancien recteur algérien de la Mosqué de Paris, à laquelle, grand seigneur, notre homme offrait en 1985 de superbes fontaines.

    Vieille famille marchande de Metlili, une bourgade toute proche d'El Oued dans le Sud algérien, les Mehri faisaient commerce de thé, de sucre et de tissus avec les nomades. Le clan fut toujours au mieu avec les puissants, comme le montre une autre photos accrochées avenue Montaigne : on y voit le propre père de l'homme d'affaire en grande discussion avec Max Lejeune, alors ministre SFIO du Sahara sous la IVe République. Chaque jour, en milieu d'après-midi, les Mehri prenaient le thé. "Jobéissais à son regard", se plaît à raconter le fils, des années plus tard. En France, où il réside depuis vingt ans, Djillali Mehri est surtout connu pour le rachat de Chaffoteaux et Maury en février 1985. Leader européen du chauffe-eau à gaz, l'entreprise présentait un lourd passif de 325 millions de francs. La légende a été savamment cultivée : Mehri aurait appris sur le chemin de La Mecque que Chaffoteaux était en vente. La grâce est pourtant de courte durée. En 1989, Mehri revend l'affaire, après un plan de licenciements et avec une forte plus-value : "A l'impossible, déclare-t-il alors, nul n'est tenu." Entre temps, cet Algérien s'est construit une image de milliardaire au grand coeur, dénonçant toutes les formes de racisme et plaidant pour l'intégration de ses compatriotes moins nantis.

    Plus qu'un industriel Mehri est un de ces intermédiaires qui constituent la partie visible de cet iceberg qu'est le monde obscur des affaires se traitant entre la nomenklatura algérienne et ses interlocuteurs français. "Un négociant international", corrige-t-il. Tout l'intéresse. Au point qu'en 1986 cet homme d'affaires tente, sans succès, de prendre une participation de 20% dans les chaînes de télévisions française, TF1 ou la Cinq. Ses intérêts sont regroupés au sein du GIMMO (Groupe d'investisseurs du Maghreb et du Moyen-Orient), qui passa longtemps pour être le faux nez de la famille du président Chadli. Pour plus de sécurité, les fonds transiteraient, d'après le journal Jeune Afrique, par l'intermédiaire de Gem Petroleum et de Spiralstream, des sociétés financières du groupe basées au Luxembourg.

    Comme beaucoup de dignitaires de son pays, Djillali Mehri a surtout investi dans l'immobilier. Mehri vit sur un grand pied. On se bouscule aux receptions qu'il donne dans sa superbe propriété de la région parisienne : deux villas de maître, des dépendances, cent dix hectares, une piscine olympique, des tennis, un héliport. Une vingtaine d'employés participent à l'entretien de cette somptueuse résidence. Le majordome de cette belle demeure fut longtemps Bernhardt Brinkmann, ancien officier de la Wehrmacht. La propriété est bien gardée. Djillali Mehri y reçoit aussi bien le roi Fayçal d'Arabie que Valéry Giscard d'Estaing. Homme de bonne compagnie, Mehri est propriétaire d'une galerie de peinture, rue de Lisbonne. L'orientaliste Etienne Dinet, qui a donné son nom à ce haut lieu de l'art parisien, fut le peintre officiel sous l'ère du président Chadli. Mehri lui consacre une rétrospective et un livre. D'où vient son joli patrimoine ? A l'entendre, sa force de travail aurait suffi à construire sa coquette fortune : "Je ne suis pas un intermédiaire mais un homme d'affaires international : nous sommes commerçants de père en fils, je n'ai jamais cessé de travailler depuis l'âge de seize ans." L'affaire est pourtant plus complexe.

    Débutant à El Oued qui fut une région de contrebande avec la Tunisie, Mehri voit déjà grand, vendant des Renaults Dauphine, des réfrigérateurs et des primes d'assurance. Montant à Alger dès 1960 sans même le certificat d'études, Djillali Mehri rachète des pneus à l'armée française pour les revendre à la Libye, partenaire fidèle et constant de ses réseaux d'affaires. Avant l'indépendance, Mehri traite avec les Juifs algériens de la rue de la Lyre qui contrôlent traditionnellement une partie des exportations vers Paris. Depuis toujours, ces familles séfarades jouent un rôle considérable dans le commerce extérieur algérien. A la fin du XVIIIe siècle, les familles Bacri et Bouchenak se spécialisèrent déjà dans l'import-export de grains, ravitallèrent les armées françaises pour les campagnes d'Egypte et d'Italie et devinrent une vraie puissance économique.

    Les chambres de commerces françaises eurent souvent à se plaindre de cette concurrence féroce. A l'époque, le grand Joseph Bacri eut le plus grand mal à se faire rembourser par l'Etat français. Talleyrand lui-même fut son soutien le plus fidèle. Installés en France après l'indépendance, les Juifs d'Alger continuent leurs affaires avec l'Algérie, notamment la Compagnie algérienne de minoterie (CAM) dirigée par Prosper Amouyal qui continue à exporter vers l'Algérie beaucoup de blé et de semoule importés. Mehri servit d'intermédiaires à ces anciens grossistes séfarades et à quelques autres. Aux premières années de l'indépendance, cet homme entreprenant travaille avec Slimane Offman, un cacique du FLN, et avec Draya, le redoutable chef de la police sous Boumediene, et rachète les magasins du Bon Marché à Alger. Grâce à ses nouvelles relations, Mehri obtient de l'Etat algérien deux ateliers de bateaux en gérance, lance les premiers réfrigérateurs à pétrole "Kelvinator", monte une industrie de jute en Oranie, rénove le Royal Hôtel d'Oran, puis acquiert une librairie en plein centre d'Alger, La Croix du Sud, où l'on trouvera des livres pro-islamistes après les élections municipales de 1990 lorsque les fous d'Allah ont le vent en poupe. Avec ces premiers succès, Mehri révèle un vrai talent de commerçant.

    L'horizon algérien ne suffit plus à Djillali Mehri qui "monte" à Paris au début des années 70. C'est là que se négocient en effet beaucoup des gros marchés d'import-export qui approvisionnent l'Algérie sur la plupart des marchés vitaux. Longtemps, la France fut le seul vrai interlocuteur du commerce extérieur algérien. Avec la signature du contrat sur le gazoduc Transmed entre l'Algérie et l'Italie, via le cap Bar en Tunisie, Rome entre en force, à la fin des années 80, sur ce marché algérien. Le montant de ces contrats est considérable. L'Algérie d'aujourd'hui ne produit pas plus sur le plan agricole qu'au moment de l'indépendance et importe plus de 70% de sa consommation alimentaire. Or, de rapides et solides fortunes se bâtissent grâce aux commissions obtenues sur ces contrats d'importations. La dénonciation à Alger de "la maffia politico-financière" ne relève pas de la seule rhétorique. Au coeur de l'impasse algérienne, la corruption discrédite tout sens de l'effort.

    L'Algérie est loin d'être le seul pays à être touché par cette gangrène. Mais l'affaire a pris des proportions plus grandes qu'ailleurs : l'importance de la manne pétrolière a augmenté les tentations. Le monopole étatique du commerce extérieur a facilité la mainmise sur les marchés par une poignée de dignitaires algériens. La dépendance vis-à-vis de l'ancienne métropole a simplifié les contacts avec les fournisseurs français qui ont, autant que les Algériens, trempé dans ces arrangements. La distribution des commissions a toujours été réglée au plus haut niveau. Déjà, pendant la guerre d'Algérie, Abdelhafidh Boussouf, le chef omnipotent du MALG (ministère de l'Armement et des Liaisons générales) régnait sur cette manne. Son contrôle se poursuit officiellement après l'indépendance. Les fonctionnaires de la toute-puissante Sécurité militaire algérienne participent bel et bien, au titre "de la prévention et de la sécurité préventive" (PSP), aux commissions gouvernementales qui désignent les bénéficiaires étrangers de ces gros marchés d'importation. Simple courtier en assurances, mais en fait homme de confiance de Boumediene et fondateur de ce qui est devenu la Sécurité militaire, Boussouf possède des fiches sur les principaux dignitaires du régime et surveille la distribution des prébendes

    La suite...
    Dernière modification par zek, 11 avril 2008, 17h09.
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin

  • #2
    D'autres hommes du MALG, en Suisse ou à Paris, se reconvertissent dans les affaires. "On ne peut récolter le miel sans y avoir trempé le doigt", avait même l'habitude de dire le très austère colonel Boumediene qui exerçait une vraie régulation politique sur l'attribution de ces commissions. A sa mort, en 1979, commence l'ère Chadli qui autorise la généralisation de ces rentes. Avec un baril à 40 dollars jusqu'en 1985-1986, époque de la chute brutale des cours, les marchés d'importation sont particulièrement juteux. Les années 80 sont celles des Programmes antipénurie (PAP) et de la multiplication des marchés. Encore faut-il, à Paris, des intermédiaires pour négocier les commissions avec les fournisseurs français pour le compte de l'Algérie. Pour Djillali Mehri, au mieux avec Abdellaziz Khellaf, successivement ministre du Commerce puis ministre de l'Economie et des Finances, originaire lui aussi d'El Oued, le cahier des charges est simple : inspirer confiance, séduire les Occidentaux et négocier les contrats à Paris. Inimitable, le numéro de Djillali Mehri sur l'ouverture de l'Algérie vers l'extérieur, l'économie de marché, le code d'investissement. Apparemment ça marche : "Mehri a une vraie capacité d'accès, il est bien introduit en Arabie Saoudite, connaît bien Kadhafi, il connaît tout le monde." Le compliment vient d'un connaisseur, Gille Ménage, l'ancien directeur de cabinet de François Mitterrand, devenu le président d'EDF.

    En Algérie, l'habile marchand sait rester au mieux avec les régimes successifs : dès l'indépendance, Mehri répare le bateau offert par l'Egyptien Nasser à Ahmed Ben Bella, le premier président algérien. Ses liens ont toujours été très forts avec Bouteflika, le ministre des Affaires étrangères de Boumediene qui fut pressenti, fin janvier 1994, pour la présidence algérienne. La montée des islamistes ne le laisse pas plus désemparé : candidat à El Oued comme indépendant, appuyé par le mouvement Hamas, le second parti islamiste algérien dirigé par le cheikh Nahnah, Mehri, cet ami de la Grande Mosquée de Paris, offre trois cents pèlerinages à La Mecque à ses électeurs et mène une vraie campagne à l'américaine : posters, auto-collants...Toujours suspicieux, l'ancien président Boumediene s'était posé des questions sur la fortune de Mehri, lorqu'il visita son domaine d'El Oued. De quoi en effet s'interroger : ce véritable palais des mille et une nuits est construit sur des dunes aplanies ; la bâtisse blanche est surmontée d'une coupole centrale et d'une quinzaine d'autres argentées ; des palmiers innombrables cernent les bâtiments pour les chasses géantes au sanglier qui y sont organisées. Quand les jets d'eau marchent chez Djillali Mehri, dit-on en Algérie, la ville d'El Oued, toute proche, n'a plus d'eau.

    Pour le mariage d'une de ses filles avec Djanan Hoceini, fils d'un conseiller financier du roi Fahd, la cérémonie à El Oued fut même filmée par hélicoptère. Les cassettes ont été distribuées à Alger. Une vraie légende court sur Mehri, seigneur du désert qui finança longtemps l'équipe algérienne de football.

    A suivre...

    Nicolas Beau
    source extraits "Paris, Capitale, Arabe"
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin

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