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Histoire : Le Bou-Maza des Beni Zoug-Zoug.

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  • Histoire : Le Bou-Maza des Beni Zoug-Zoug.

    Le Bou-Maza des Beni Zoug-Zoug, qu'un conseil de guerre avait condamné à mort, éprouva lui-même les effets de la clémence royale.
    L'assurance de ce jeune homme devant ses juges, la netteté et la distinction de ses réponses intéressèrent assez vivement le public en sa faveur. Nous croyons devoir consigner ici son interrogatoire, quoiqu'on puisse le trouver dans presque tous les journaux politiques du mois de décembre 1845.

    D. Comment vous nommez-vous?—
    R. Je me nomme Mohammed-ben-Abdallah .
    D. Ne vous donne-t-on pas le surnom de Bou-Maza ? —
    R. Non ; c'est mon frère que les Arabes ont ainsi nommé.
    D. Pourquoi les Arabes Font-ils ainsi nommé ? —
    R. Mon frère porte le même nom que moi, Mohammed- ben-AbdalIah, et les Arabes l'ont surnommé Bou-iïlaza, parce qu'ils l'ont vu souvent suivi d'une gazelle qui lui a été envoyée par Dieu pour l'accompagner dans ses courses.
    D. Il y a encore beaucoup d'autres Bou-Maza qui en diverses contrées cherchent à soulever les populations, les connaissez-vous ? —
    R. Il n'y a pas d'autres Bou-Maza que mon frère. Quant à ceux qui prennent ce nom, je ne les connais pas et n'en ai jamais entendu parler.
    D. Quel est votre âge? —
    R. Je l'ignore; nous autres Musulmans, nous vivons jusqu'à notre mort, sans nous inquiéter de notre âge.
    D. De quel pays êtes-vous? —
    R. Je suis de Taroudente, village de trois cents maisons, empire du Maroc, province de Sous.
    D. Depuis quand êtes-vous en Algérie? —
    R. Depuis sept ans à peu près. J'y suis venu envoyé par notre seigneur Moulay-Thayeb , pour y visiter les Zaouïa, les saints marabouts, et faire des œuvres pieuses.
    D. Depuis quand votre frère est-il en Algérie? —
    R. Depuis la même époque ; il s'est marié chez les Oulad-Younès , où il s'est acquis une grande réputation de sainteté; les tribus du Dahra venaient le visiter, lui parler du désir de faire la guerre sainte; il s'est mis à leur tête et vous savez ce qu'il est arrivé.
    D. Par qui a-t-il été encouragé ou poussé? Par Abd- el-Kader sans doute, par celui que vous appelez le Sultan. —
    R. Il a commencé la guerre seul; sa réputation s'est bientôt étendue au loin, chez les Flitta, les Sbebia, les Beni-Tigrin, les Keraiche, et puis seulement alors il a reçu des lettres de M uley-Abd-er-Rhaman, d'El-Hadj-Abd- el-Kader, et des sultans de Constantinople et de Tunis. Ces lettres lui disaient de continuer, qu'il était bien le Maître de l'heure annoncée par les livres saints, et que s'il parvenait à chasser les Chrétiens, ils le proclameraient leur Sultan, se contentant du titre de ses khalifas.
    D. Avez-vous vu ces lettres, leurs cachets? —
    R. Je ne sais pas lire, mais je les ai vues et tenues dans mes mains.
    D. Quelles sont les tribus qui ont donné leur parole à votre frère ? —
    R. (Ici Mohammed-ben-Abdallah cite un grand nombre de tribus.)
    D. Sont-elles venues avec leurs anciens chefs ou bien avec ceux que nous leur avons donnés ? —
    R. Les tribus ne sont pas venues en masse; elles envoyaient des dépu- tations commandées le plus souvent par leurs anciens chefs, quelquefois par les vôtres.
    D. Qu'avaient -elles à reprocher aux Français? Des vols, des exactions, des injustices, des crimes ? Dites sans crainte la vérité. —
    R. Rien de tout cela. Les Arabes vous détestent parce que vous n'avez pas la même religion qu'eux, parce que vous êtes étrangers, que vous venez vous emparer de leur pays aujourd'hui, et que demain vous leur demanderez leurs vierges et leurs enfants. Ils disaient à mon frère : « Guidez-nous, recommençons la guerre; chaque jour qui s' écoule consolide les Chrétiens; finissons-en de suite. »
    D. Nous avons, quoi que vous en puissiez dire, beaucoup d'Arabes qui savent nous apprécier et nous sont dévoués. —
    R. 11 n'y a qu'un seul Dieu, ma vie est dans sa main et non dans la vôtre ; je vais donc vous parler franchement. Tous les jours vous voyez des Musulmans vous dire qu'ils vous aiment et sont vos serviteurs fidèles;
    ne les croyez pas : ils vous mentent par peur ou par intérêt. Quand vous donneriez à chaque Arabe et chaque jour l'une de ces petites brochettes qu'ils aiment tant, faites avec votre propre chair, ils ne vous en détesteraient pas moins, et toutes les fois qu'il viendra un chérif qu'ils
    croiront capable de vous vaincre, ils le suivront tous, fût-ce pour vous attaquer dans Alger.
    D. Comment les Arabes peuvent-ils espérer nous vaincre, ccnduits par des gens qui n'ont ni armée, ni canons, ni trésors ? —
    R. La victoire vient de Dieu ; il fait, quand il le veut, triompher le faible et abat le fort.
    D. Votre frère prend le titre de sultan; les Arabes doivent en rire? —
    R. Non, ils n'en rient pas: ils l'aiment au contraire, à cause de son courage et de sa générosité; car il ne songe pas, comme Abd-el-Kader, à bâtir des forts pour y enfouir son argent et ses ressources ; il a mieux compris que lui la guerre qu'il faut tous faire ; il ne possède qu'une tente et trois bons chevaux ; aujourd'hui il est ici, demain matin à vingt lieues plus loin ; sa tente est pleine de butin, un instant après elle est vide ; il donne tout, absolument tout, et reste léger pour aller où l'appellent les Musulmans en danger.
    D. Que dira-t-il quand il saura que vous êtes en notre pouvoir ? —
    R. Que voulez-voUs qu'il dise ! son cœur saignera d'avoir perdu son frère, et puis il se résignera à la volonté de Dieu. Quant à moi, je sais que la mort est une contribution frappée sur nos têtes par le Maître du monde; il la demande quand il lui plaît; nous devons tous l'acquitter, mais ne l'acquitter qu'Une seule fois.
    D. Votre frère a-t-il reçu des lettres des tribus de l'est, des Kbaïles du Hamza? —
    R. Il en a reçu beaucoup, et toutes l'encourageaient, lui souhaitaient le triomphe ou l'appelaient dans leur pays.
    D. Je vais vous poser une question à laquelle je vous engage à répondre avec sincérité. Voiis êtes en notre pouvoir, le metisonge ne vous servirait à rien, tandis que des £tveux francs peuvent intéresser en votre faveur notre roi, qui est humain et généreux. —
    R. Je vous répondrai avec d' aUtant plus de franchise que, quoique chargé de fers, je sais que ma vie n'est pas en vôtre pouvoir; elle ne dépend que de Dieu.
    D. Eh bien ! pouvez-vous me dire quelles sont lés relations qui existent entre Mu!ey-Abd-er-Rhaman et Abd-el-Kader ? -
    R. Muley-Abd-er-Rhaman est au plus mal avec Abd-el-Kader ; plusieurs fois il lui a dit : « Sors de mon pays ! » Mais Abd-el-Kader a toujours répondu : « Je ne suis pas dans ta main, et je n'ai peur « ni de toi ni des Français ; si tu viens me trouver,je te rassasierai de poudre, et si les Français viennent aussi me trouver, je les rassasierai aussi de poudre. »
    1). Savez-vous pourquoi Muley-Abd-er-Rhaman et Abd-el-Kader sont brouillés ? —
    R. C'est parce que le sultan du Maroc craint de voir les Français entrer chez lui pour y poursuivre Abd-el-Kader.
    D. Comment se fait-il qu'El-Hadj-Abd-el-Kader puisse se moquer d'un souverain aussi puissant que Muley-Abd- er-Rhaman? —
    R. Depuis que les Marocains ont appris que Muley-Abd-er-Rhaman avait fait la paix avec les Chrétiens, ils se sont presque tous tournés du côté de l'Émir, qiii a longtemps fait la guerre sainte et qui la fait encore. Depuis cette paix, tout le pays compris entre Souze et Rabat s'est insurgé ; il en est de même de toutes les tribus, et il ne commande plus, à bien dire, que dans les villes. Les Oulad-Mouley-Thaïeb mêmes, qui ont un si grand
    ascendant religieux dans tout l'empire, ne veulent plus l'exercer pour lui, et le sultan a tellement compris la gravité de sa position qu'il s'occupe de faire petit à petit transporter tous ses trésors et tous ses magasins au Tafilet, il a ordonné depuis deux ans déjà des constructions considérables. D. Ces Mouley-Thaïeb sont donc bien puissants ? —
    R. Aucun sultan ne peut être nommé sans leur assentiment. C'est Sidi-el-Hadj-el-Arbi qui est leur chef maintenant, et c'est lui qui envoie dans l'Algérie les sultans qui s'y promènent, après avoir lu sur eux le fattah.
    D. S'il y a sept ans que vous êtes en Algérie, comment pouvez-vous savoir ce qui se passe dans le Maroc ? —
    jR. Je l'ai entendu dire souvent dans le camp de mon frère.
    D. Avez-vous entendu parler du retour de M. le maréchal ? —
    R. Oui ! les uns étaient contents et les autres mécontents ; ceux qui voulaient les chérifs s'en chagrinaient, et ceux qui ne les voulaient pas s'en réjouissaient.
    D. Que faisiez-vous chez les Beni-Zoug-Zoug ? —
    R. J'avais été appelé par eux pour les guider dans une attaque sur Miliana.
    D. Cela ne se peut pas; ils vous ont livré aux Français. —
    R, Ils ont entendu parler du retour d'une colonne et de l'arrivée d'une autre, ils ont eu peur de s'être compromis, et pour faire leur paix avec vous ils m'ont arrêté. Que Dieu les maudisse dans ce monde et dans l'autre !
    D. Avez- vous pris part aux différentes insurrections ? —
    R. A presque toutes. .
    D. Jeune et étranger, quels pouvaient être vos désirs, votre but ? —
    R. Je n'avais pas d'autre désir, pas d'autre but que ceux de faire triompher notre sainte religion.
    D. Croyez-vous que les Arabes ne se lasseront pas de mourir pour des entreprises qui n'ont aucune chance de succès? —
    R. Je suis très fatigué, je vous prie de me laisser tranquille. Vous m'accablez de questions ; on me les posera sans doute dans un autre moment; je ne me souviendrai pas de ce que je vous ai répondu, et puis
    vous direz que j'ai menti.

    Extrait de
    "Annales algériennes" par Henri Jean F. Edmond Pellissier de Reynaud.
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