Etudier pour se… libérer
Ils sont des centaines, garçons et filles, à poursuivre leurs études en Algérie, dans les établissements scolaires de quelques wilayas du sud-ouest du pays, loin de leurs parents. Même s’ils sont hébergés dans de bonnes conditions, ces Sahraouis de 14, 15 ans vivent des situations psychologiques très difficiles. Leur objectif : étudier pour participer à l’indépendance de leur pays…
lundi 14 Avril 2008
Reportage réalisé à Naama par
Abdelghani Aïchoun
«Il n’y a que les études qui nous permettront d’arracher notre indépendance», nous lance Khadidja, une jeune fille sahraouie, inscrite en internat au CEM Emir Abdelkader de la ville de Naama. Comme beaucoup de ses camarades que l’Algérie prend en charge, elle est ici depuis la rentrée scolaire, au mois de septembre dernier. Vers 20h en ce 17 du mois de mars, des dizaines de filles du Sahara occidental sont regroupées au milieu de la cour de l’établissement scolaire. Une récréation instaurée par le responsable de l’école après chaque dîner. A la vue de quelques étrangers venus participer à la troisième édition des championnats nationaux du sport scolaire, ces filles, vêtues de leurs habits traditionnels, se ruent vers eux, histoire d’échanger quelques mots. «Vous faites quoi ?» demanda l’une d’entre elles.
«Nous sommes journalistes», répond-on. «Vous êtes chanceux. J’aimerais bien devenir journaliste pour raconter ce que mon peuple endure», répliqua-t-elle. Une autre veut être médecin. Un espoir que le colonialisme marocain n’a pu briser malgré les longues années de répression. L’innocence de ces jeunes filles se lit sur les traits de leur visage. Mais la conscience politique est omniprésente chez eux. Toutes, sans exception, ne parlent que de l’indépendance de leur pays, des souffrances que les Sahraouis endurent. Des fillettes que le royaume chérifien a poussées à l’exil loin de leur pays. Enthousiastes et spontanées, elles n’arrêtent pas d’évoquer en même temps leur pays et l’Algérie : la dure vie qu’elles mènent loin de leurs proches et l’espoir que leur font miroiter les études.
9 à 10 mois de séparation des parents
Naama, comme les quelques autres wilayas du sud-ouest de l’Algérie, accueille beaucoup de ces adolescents dans l’objectif de les aider à poursuivre leur scolarité. «Il y a des écoles primaires dans les camps de réfugiés à Tindouf, mais au-delà de la sixième, les élèves doivent poursuivre leurs études ici en Algérie», explique un responsable local. C’est le gouvernement de la République arabe sahraouie et démocratique (RASD) qui établit les listes des élèves qui seront scolarisés dans les CEM et lycées algériens. «A chaque rentrée scolaire, il nous envoie les noms des inscrits», ajoute-t-il. Du fait de leur très jeune âge et de leur éloignement de leurs familles, ces élèves vivent des situations psychologiques très difficiles, avoue-t-il encore. Comment peut-il en être autrement alors qu’ils sont séparés de leurs parents près de dix mois par an à l’âge critique de 14 ou 15 ans. «Ils ne repartent chez eux qu’à la fin de l’année scolaire, au mois de juin, pour revenir au mois de septembre», indique le directeur de l’établissement, qui ajoute fièrement que «l’Algérie prend en charge tous les frais de leur scolarité, études, internat et nourriture». «Lors de notre guerre de libération, des pays amis et voisins nous ont pris en charge, on ne peut que faire pareil pour les Sahraouis», déclare, de son côté, un habitant de la ville de Naama. Pour atténuer un tant soit peu la pression qui pèse sur lui, l’encadrement, dont souvent un représentant du gouvernement sahraoui, organise des excursions les week-ends pour ces élèves.
Au CEM Cheikh Bouamama, à Aïn Sefra, des jeunes filles, gênées par leurs habits traditionnels avec le visage voilé pour quelques-unes d’entre elles, s’efforcent, durant l’après-midi, au moment où se joue, à côté, un match de basket-ball entrant dans le cadre du championnat scolaire, d’improviser une partie de volley-ball. «On les laisse faire ce qu’il leur plaît pour se distraire», signale un enseignant. Bien évidemment, en dehors des «sorties» organisées, les autorités algériennes ne laissent pas ces garçons et filles se balader en ville sans être accompagnés. «L’Algérie est responsable de ces enfants. On ne prend aucun risque. Ils sont très jeunes. S’ils sortent, ils doivent être accompagnés. S’ils veulent acheter quelque chose, il y a toujours quelqu’un qui se charge de le faire à leur place», nous indique-t-on du côté des autorités locales.
Un taux de réussite au bac de 65%
Côté étude, les Sahraouis ne se déplacent pas, apparemment, pour rien. «L’année dernière, si je me souviens bien, il y a eu à Naama un taux de réussite au baccalauréat qui avoisine les 65% chez les élèves du Sahara occidental. Meilleur que le chiffre enregistré par les Algériens», déclare un responsable d’un établissement scolaire. Il est vrai que le gouvernement sahraoui envoie les élèves les plus assidus poursuivre leurs études, mais il y a également une volonté de fer chez ces jeunes de réussir leur cursus scolaire. Une volonté animée surtout par la dure vie qu’ils mènent chez eux. Le Front Polisario, tout comme leurs parents d’ailleurs, fait tout pour que ces filles et garçons puissent réussir leurs études. D’un côté, ce sera forcément des «armes» de plus pour le peuple sahraoui dans sa quête de liberté qui a toujours besoin d’esprits éveillés pour continuer la lutte, de l’autre, il faut se préparer à faire face à la gestion de la cité après l’indépendance, avec une armada de cadres assez bien formés. C’est pour cela d’ailleurs que le gouvernement sahraoui se félicite vivement de cette précieuse aide algérienne. Les élèves du Sahara occidental suivent les mêmes cours que les Algériens. Dans certaines écoles, ils sont en classe spéciale (des classes réservées seulement aux Sahraouis), dans d’autres, les responsables des établissements scolaires ont préféré les mêler aux Algériens.
En dernier lieu, il faut dire qu’il n’y a pas que l’Algérie qui prend en charge la scolarité de quelques enfants sahraouis.
A Naama, on nous a informés que le plus gros de ces élèves est à Cuba. Plusieurs autres communes de cette même wilaya accueille des élèves, à l’image du CEM Slimane Slimani de Mecheria où il y a quelques dizaines d’inscrits. Tout en étant très jeunes, certains de ces élèves sahraouis ont suivi de très près le quatrième round des négociations entre la RASD et le Maroc qui s’est tenu à Manhasset aux Etats-Unis entre le 16 et le 18 mars dernier. Même sceptiques, ils ne peuvent s’empêcher de rêver d’une probable fin de conflit qui leur permettra de terminer leurs études près de leurs parents. Dans leur pays, enfin libre…
Ils sont des centaines, garçons et filles, à poursuivre leurs études en Algérie, dans les établissements scolaires de quelques wilayas du sud-ouest du pays, loin de leurs parents. Même s’ils sont hébergés dans de bonnes conditions, ces Sahraouis de 14, 15 ans vivent des situations psychologiques très difficiles. Leur objectif : étudier pour participer à l’indépendance de leur pays…
lundi 14 Avril 2008
Reportage réalisé à Naama par
Abdelghani Aïchoun
«Il n’y a que les études qui nous permettront d’arracher notre indépendance», nous lance Khadidja, une jeune fille sahraouie, inscrite en internat au CEM Emir Abdelkader de la ville de Naama. Comme beaucoup de ses camarades que l’Algérie prend en charge, elle est ici depuis la rentrée scolaire, au mois de septembre dernier. Vers 20h en ce 17 du mois de mars, des dizaines de filles du Sahara occidental sont regroupées au milieu de la cour de l’établissement scolaire. Une récréation instaurée par le responsable de l’école après chaque dîner. A la vue de quelques étrangers venus participer à la troisième édition des championnats nationaux du sport scolaire, ces filles, vêtues de leurs habits traditionnels, se ruent vers eux, histoire d’échanger quelques mots. «Vous faites quoi ?» demanda l’une d’entre elles.
«Nous sommes journalistes», répond-on. «Vous êtes chanceux. J’aimerais bien devenir journaliste pour raconter ce que mon peuple endure», répliqua-t-elle. Une autre veut être médecin. Un espoir que le colonialisme marocain n’a pu briser malgré les longues années de répression. L’innocence de ces jeunes filles se lit sur les traits de leur visage. Mais la conscience politique est omniprésente chez eux. Toutes, sans exception, ne parlent que de l’indépendance de leur pays, des souffrances que les Sahraouis endurent. Des fillettes que le royaume chérifien a poussées à l’exil loin de leur pays. Enthousiastes et spontanées, elles n’arrêtent pas d’évoquer en même temps leur pays et l’Algérie : la dure vie qu’elles mènent loin de leurs proches et l’espoir que leur font miroiter les études.
9 à 10 mois de séparation des parents
Naama, comme les quelques autres wilayas du sud-ouest de l’Algérie, accueille beaucoup de ces adolescents dans l’objectif de les aider à poursuivre leur scolarité. «Il y a des écoles primaires dans les camps de réfugiés à Tindouf, mais au-delà de la sixième, les élèves doivent poursuivre leurs études ici en Algérie», explique un responsable local. C’est le gouvernement de la République arabe sahraouie et démocratique (RASD) qui établit les listes des élèves qui seront scolarisés dans les CEM et lycées algériens. «A chaque rentrée scolaire, il nous envoie les noms des inscrits», ajoute-t-il. Du fait de leur très jeune âge et de leur éloignement de leurs familles, ces élèves vivent des situations psychologiques très difficiles, avoue-t-il encore. Comment peut-il en être autrement alors qu’ils sont séparés de leurs parents près de dix mois par an à l’âge critique de 14 ou 15 ans. «Ils ne repartent chez eux qu’à la fin de l’année scolaire, au mois de juin, pour revenir au mois de septembre», indique le directeur de l’établissement, qui ajoute fièrement que «l’Algérie prend en charge tous les frais de leur scolarité, études, internat et nourriture». «Lors de notre guerre de libération, des pays amis et voisins nous ont pris en charge, on ne peut que faire pareil pour les Sahraouis», déclare, de son côté, un habitant de la ville de Naama. Pour atténuer un tant soit peu la pression qui pèse sur lui, l’encadrement, dont souvent un représentant du gouvernement sahraoui, organise des excursions les week-ends pour ces élèves.
Au CEM Cheikh Bouamama, à Aïn Sefra, des jeunes filles, gênées par leurs habits traditionnels avec le visage voilé pour quelques-unes d’entre elles, s’efforcent, durant l’après-midi, au moment où se joue, à côté, un match de basket-ball entrant dans le cadre du championnat scolaire, d’improviser une partie de volley-ball. «On les laisse faire ce qu’il leur plaît pour se distraire», signale un enseignant. Bien évidemment, en dehors des «sorties» organisées, les autorités algériennes ne laissent pas ces garçons et filles se balader en ville sans être accompagnés. «L’Algérie est responsable de ces enfants. On ne prend aucun risque. Ils sont très jeunes. S’ils sortent, ils doivent être accompagnés. S’ils veulent acheter quelque chose, il y a toujours quelqu’un qui se charge de le faire à leur place», nous indique-t-on du côté des autorités locales.
Un taux de réussite au bac de 65%
Côté étude, les Sahraouis ne se déplacent pas, apparemment, pour rien. «L’année dernière, si je me souviens bien, il y a eu à Naama un taux de réussite au baccalauréat qui avoisine les 65% chez les élèves du Sahara occidental. Meilleur que le chiffre enregistré par les Algériens», déclare un responsable d’un établissement scolaire. Il est vrai que le gouvernement sahraoui envoie les élèves les plus assidus poursuivre leurs études, mais il y a également une volonté de fer chez ces jeunes de réussir leur cursus scolaire. Une volonté animée surtout par la dure vie qu’ils mènent chez eux. Le Front Polisario, tout comme leurs parents d’ailleurs, fait tout pour que ces filles et garçons puissent réussir leurs études. D’un côté, ce sera forcément des «armes» de plus pour le peuple sahraoui dans sa quête de liberté qui a toujours besoin d’esprits éveillés pour continuer la lutte, de l’autre, il faut se préparer à faire face à la gestion de la cité après l’indépendance, avec une armada de cadres assez bien formés. C’est pour cela d’ailleurs que le gouvernement sahraoui se félicite vivement de cette précieuse aide algérienne. Les élèves du Sahara occidental suivent les mêmes cours que les Algériens. Dans certaines écoles, ils sont en classe spéciale (des classes réservées seulement aux Sahraouis), dans d’autres, les responsables des établissements scolaires ont préféré les mêler aux Algériens.
En dernier lieu, il faut dire qu’il n’y a pas que l’Algérie qui prend en charge la scolarité de quelques enfants sahraouis.
A Naama, on nous a informés que le plus gros de ces élèves est à Cuba. Plusieurs autres communes de cette même wilaya accueille des élèves, à l’image du CEM Slimane Slimani de Mecheria où il y a quelques dizaines d’inscrits. Tout en étant très jeunes, certains de ces élèves sahraouis ont suivi de très près le quatrième round des négociations entre la RASD et le Maroc qui s’est tenu à Manhasset aux Etats-Unis entre le 16 et le 18 mars dernier. Même sceptiques, ils ne peuvent s’empêcher de rêver d’une probable fin de conflit qui leur permettra de terminer leurs études près de leurs parents. Dans leur pays, enfin libre…
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