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Tlemcen L’art musical : l’odyssée andalouse

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  • Tlemcen L’art musical : l’odyssée andalouse

    Tlemcen L’art musical: l’odyssée andalouse
    par El Hassar Bénali

    1ère partie



    L’histoire de la musique à Tlemcen est une belle aventure, une odyssée incomparable car très symbolique de l’union des poètes, des musiciens mais aussi des faqihs qui ont exprimé leurs nobles sentiments pour l’art musical andalou et les arts en général et pour qui la recherche et la création dans ce domaine furent un progrès.

    L’influence de l’Andalousie et surtout de Grenade est là, présente pendant des siècles, et cela en raison de facteurs historiques qui ont fait que le destin de ces deux villes jumelles s’est croisé à plusieurs moments de l’histoire. Tlemcen rivalisait aussi de près avec ses autres consoeurs, les autres vieilles capitales: Fès, Tunis, avec lesquelles elle entretenait aussi des relations étroites aux plans social, culturel et économique. Si une bonne partie des «Ahl Fès» est originaire de Tlemcen, l’histoire a fait aussi que de nombreux Fassis habitaient Tlemcen, connus surtout parmi les commerçants établis à la Qaïssariya. Avec les Hafsides de Tunis, les Zianides ont cultivé l’amitié et l’entente basée sur les alliances.

    Avec l’Andalousie, les relations de Tlemcen étaient encore plus étroites de par les liens de parenté et surtout de par l’histoire. Tlemcen fut certes pendant longtemps, et jusqu’au début du 10ème siècle, inféodée à l’empire omeyyade de Cordoue, ce qui explique la nature des liens sociaux, politiques et défensifs que les Zianides ont longtemps entretenu avec leurs lointains cousins zénètes, les Nasrides de Grenade. Du fait de ces liens et de son site naturel, Tlemcen sera souvent comparée à sa soeur jumelle Grenade, et cela pour lui reconnaître également son âme andalouse. Cette âme est le reflet aussi de traditions partagées de langage, d’art, d’habillement, de cuisine... Honaïne était distant de deux journées seulement de traversée par la mer de Murcie, le pays du grand soufi Mahieddine Ibn al-Arabi, dont l’oncle Yahia Ibn Yaghan gouvernait Tlemcen sous les Almohades, écrivait-il. Peu après, c’est le grand cadi et soufi sévillan Abou Abdellah ech-Choudy, dit al-Halloui, de s’y établir au 13ème siècle, ayant mérité l’honneur d’une belle mosquée construite sous les Mérinides.

    La cité des Djidars qui accueillit al-Khidr, selon Abderrahmane Ibn Khaldoun, exerçait certes un attrait particulier non seulement pour les savants, les soufis, mais également les poètes andalous comme Ibn Khafadja, le vizir Lissan Eddine Ibn al-Khatib et bien d’autres attirés par la beauté de son site. C’est à Fès que le poète et grand vizir nasride Ibn al-Khatib fut tué, alors qu’il venait de quitter Tlemcen en compagnie de Yahia Ibn Khaldoun, l’historiographe attaché à la cour des Zianides. C’est auprès des Nasrides, à l’Alhambra, que les rois zianides les plus distingués, Abou Tachfine ou encore al-Moutawakil, firent leur apprentissage du pouvoir. Le destin fit aussi que le grand poète tlemcénien Ibn al-Khamis fut assassiné à Grenade, ville qui verra naître un peu plus tard le médecin et poète zianide Abi Djamaa Talalissi, auteur de nombreux mouwachahs.




    L’histoire de la musique
    andalouse à Tlemcen : une belle aventure




    Dans l’art de l’habillement, l’influence de Grenade est sensible et vice-versa concernant des créations originales locales. Le caftan en tant que costume d’apparat était une vieille tradition partagée des deux villes. Au plan culinaire, elles possédaient en commun de vieilles traditions des plats sucrés, celles par exemple du charbat (sorbet) et aussi de nombreux mets dont al-b’raniya, resté à ce jour plat de cérémonie à Tlemcen. Au plan militaire, les troupes zianides vinrent souvent à la rescousse des Nasrides de Grenade qui subissaient la menace constante des Mérinides et des rois de Castille.

    Voilà qu’en 1492, date de la reconquista, le dernier roi de Grenade, Boabdil, choisit de se réfugier jusqu’à sa mort à Tlemcen, où il fut enterré dans la nécropole royale zianide de Sidi Brahim. La découverte en 1848 de sa pierre tombale, présentée pour la première fois à l’Exposition universelle de Paris en 1889, fut un évènement scientifique important. Au 13ème siècle, Tlemcen et Grenade refusèrent l’hégémonie des Mérinides qui tentaient de renouer l’idée chère à Abdelmoumen Benali, un enfant de Honaïne, fondateur des ports de Murcie et de Mahdia, de réunifier le Maghreb. L’histoire retiendra que les deux soeurs jumelles Grenade et Tlemcen ont énormément apporté à l’art d’une manière générale. Sur le plan architectural, les mosquées et beaux restes de palais et d’autres édifices aujourd’hui disparus (les palais Sourour, Abou-l-Fihr, les médersas Tachfiniya et El-Yacoubiya, les innombrables bassins...) témoignent de la splendeur atteinte par la capitale des Zianides.

    Pendant cette période, les traditions d’art et de raffinement avaient rendu cette ville très attractive. Si en matière d’art musical, elle s’impose comme étant un des plus grands réservoirs de la musique citadine traditionnelle dans le Maghreb, ce n’est pas un simple hasard. Les historiens relèvent la grande contribution des poètes et des musiciens de cette vieille cité maghrébine à l’enrichissement de la musique maghrébine dite andalouse. C’est sur le terreau de la sanaa, avec ses formes musicales classiques rigides et de sa poésie inspirée des mouwachahs, née à Cordoue sous les Omeyyades venus d’Orient, qu’au fur et à mesure des siècles se sont greffés d’autres genres du terroir, tels le haoufi, le haouzi, le medh, le zedjal soufi dit «samaa». Ce n’est pas par hasard si la musique à Tlemcen fut depuis au moins le moyen-âge arabe au centre de préoccupations intellectuelles profondes de la part d’hommes de lettres et de l’art, mais aussi de jurisconsultes (faqih). L’exemple est fourni par les auteurs de la vieille mémoire culturelle tlemcénienne, oeuvres léguées par le faqih Abdelouahid al-Wancharissi (15ème siècle), l’encyclopédiste Ahmed al-Maqqari (17ème siècle), ce savant issu d’une ancienne et riche famille de Tlemcen, professeur à la Qaraouyine de Fès, cadi à Jérusalem puis au Caire, où il mourut en 1632; et d’autres qui, jusqu’au 20ème siècle, vont également laisser des oeuvres originales et que les musicologues jugent incontournables pour nos connaissances aujourd’hui sur la musique andalouse. Nous noterons que l’art musical a été toujours à Tlemcen une affaire de faqih ou de cadi, ce qui témoigne de la place qui lui a toujours été accordée par l’Islam à son projet de civilisation. Dans cette vieille cité des arts, il y eut au 20ème siècle d’autres faqihs renommés qui ont également laissé des ouvrages traitant de la musique, et ceci en dehors d’oeuvres de compilation d’auteurs tlemcéniens publiés jusqu’au 20ème siècle: il s’agit du célèbre cadi Choaïb ibn Adeldjelil et de Ghouti Bouali, auteurs respectivement de «Zahratou rihane fi ilmi alane» (la fleur de myrte dans la science des sons), et de «Qachf el-kinaa» (ôter le voile sur les instruments), cités au chapitre de la musique arabe dans les encyclopédies spécialisées du baron d’Erlanger ou de Farmer.




    L’influence des foqaha (jurisconsultes)
    en faveur de la civilisation du goût et des arts agréables




    La forte concentration poético-musicale a donné lieu, dès le moyen-âge à Tlemcen, à une production intellectuelle très riche sur à la fois la poésie mais également l’art musical. C’est ainsi qu’Abdelwahid al-Wancharissi (mort en 955 de l’hégire), qui succéda à son père dans les fonctions d’imam et de muphti à Fès, traitera dans une oeuvre originale consacrée aux modes intitulés «Fi al-taba’i wal-tubu’ wal-uçul» (Les natures, les modes et les principes), qui offre des matériaux encourageants pour les investigations dans le domaine particulier de l’art. Dans cette épître, il donne certes une lecture musico-thérapeutique des modes et il cite: Dhil et ses dérivés, al-Arâq et Raml ad-dhil, le Raçd, Isbahan, al-Hidjaz, al-Haççar, Zurkand, al-Uschâq, al-Maya, ar-Raçd, ar-Raml, al-Husayn, Ghariba al-Husayn, enfin Gheriba al-Muhara.

    Abdelwahid est descendant d’une famille de savants, dont son père Ahmed et son grand-père Ali al-Wancharissi ont vécu sous le règne du roi zianide Abou-l-Abbès. Ahmed al-Wancharissi, qui était disciple à Tlemcen de maîtres renommés tels le jurisconsulte l’imam Qassim al-Oqbani et de l’imam-prédicateur al-Kafif Ibn Marzouq, est célèbre pour son oeuvre encyclopédique intitulée «Mi’yar», d’une grande portée juridique et sociologique, regroupant sur plusieurs tomes de fatwas ou consultations juridiques des savants de Tlemcen, de Fès et de l’Andalousie. Trois siècles plus tard, l’encyclopédiste Ahmed al-Maqqari, dans son «Nafh ettib min ghusni al-Andalous arratib» (Exhalaisons), nous donne une idée sur l’exécution des modes: «On avait coutume dans al-Andalous de commencer un concert par le «Naschîd» en mouvement lent, suivi du «Basît», auquel succédaient un rapide «Muharrikât» et un léger «Hazajât»’ dans l’ordre établi par Zyriab. Cette forme est-ce celle qui est employée aujourd’hui dans notre musique ?

    Les spécialistes sont par contre plus sûrs à démontrer que cette musique qui fait référence à Zyriab et à son berceau, l’Andalousie, a fini plus tard, en se perpétuant, par puiser dans la littérature d’auteurs du terroir. L’apport des poètes qui ont fait le prestige littéraire de l’ancienne capitale est établi pour aussi bien la catégorie des oeuvres principales que celles adaptées (qiaçate), dont les auteurs restent encore anonymes.

  • #2
    Les recherches allant au coeur de cette musique montrent alors que celle-ci n’est pas le produit d’un moment resté figé attaché à Zyriab ou à l’histoire de l’ancienne capitale omeyyade, Cordoue, qu’elle est un produit culturel et artistique qui a évolué au gré des évènements stratifiant l’histoire du Maghreb. Les spécialistes y lisent, comme en archéologie, les plis de l’histoire culturelle du Maghreb et ses principaux centres de rayonnement culturel et artistique au moyen-âge arabe: Tlemcen, Grenade, Fès, Tunis. La tradition littéraire omeyyade subsista jusqu’au 10ème siècle, marquant un recul avec la chute de leur trône et la prise du pouvoir en Espagne par les dynasties berbères: les Almoravides, les Almohades, les Zianides au Maghreb central. Cet évènement modifia l’esprit poétique et artistique qui avait jusque-là prévalu, d’où également la naissance du zadjel et son influence nouvelle dans la musique en tant que produit du cru, indiquent les historiens, par le musicien et philosophe maghrébin Ibn Bâdja, né à Saragosse à la fin du 11ème siècle, mort à Fès en 1138, dont le mérite fut d’avoir donné un souffle nouveau à cette musique de cour à l’origine, et qui allait de ce fait s’enrichir, puisant de nouvelles ressources de chants au contact des traditions populaires berbéro-arabes de goût. C’est un peu, au 20ème siècle, le compositeur hongrois Bela Bartock qui enrichit le répertoire de la musique classique, puisant des mélodies dans la musique populaire authentique.




    L’apport des poètes-musiciens des 16ème et 17ème siècles
    à l’enrichissement de la musique andalouse




    L’art musical dans le Maghreb subira sans nul doute aussi l’influence des courants doctrinaires à l’origine de pouvoirs dynastiques d’essence politico-religieuse dans cette région. Ces courants de militantisme malékite, dont Tlemcen fut un bastion fort au Maghreb sous les Almoravides ou unitaires Almohades, et qui se sont essayés au pouvoir du 11ème au 13ème siècle, vont affirmer l’identité du Maghreb. Sous l’influence de ces courants de l’orthodoxie, l’art d’une manière générale devait subir leur formalisme. C’est pour obéir à leurs exigences qu’une grande partie des poèmes profanes de l’héritage ancien vont ainsi céder la place à des textes d’inspiration mystique puisés dans le répertoire des grands poètes soufis, dont celui qui deviendra le saint-patron de Tlemcen, Sidi Abou Madyan Choaïb (12ème siècle): «Tabat oukati bi mahboubin lana», «Lama bada’a minka al-kouboul», «Al-kalbou li yahouakoum», «Ya khalika -l- arch al a’dim», «Idou ilaya -l- wissal», «Ida daka sadri», et de son disciple andalou Shuchturi: «Hal littalaki min sabil», «Chouhil al-ayn kahl al-hidka», mais également d’autres poètes connus dont Abi Djamaa Talalissi Tilimsani, auteur de «Ya laylati djaat bin chirah», ou d’auteurs d’oeuvres apocryphes. Grâce à la musique andalouse, une bonne partie de la mémoire poétique est ainsi conservée sous la forme de chants.

    Le patrimoine de cette musique n’était pas sans subir plus tard aussi des additions poético-musicales postérieures de goût et de forme nouvelles. Des poètes vont perpétuer dans la même veine la tradition du zedjal andalou, alors que d’autres seront reconnus en même temps aussi pour leur grand talent musical. Ce n’est qu’au 20ème que commencera la recension de leurs oeuvres. C’est pour dire les pertes irrémédiables enregistrées par le patrimoine, qui a également subi des altérations volontaires dues aux scrupules religieux des exégètes ou des raouis, transmetteurs de la tradition.

    Le quinzième siècle marquera la période de l’éclosion du genre poético-musical connu en Algérie sous le nom de «haouzi» désignant un genre périphérique à la poésie littéraire authentique royale et souveraine encore dans la cité. Dans ce genre vont s’identifier, et pendant plusieurs siècles, une pléiade de producteurs tlemcéniens de grand talent, tels Saïd al-Mandassi, M’barek Bouletbag, Bentriqui, Benmsaïb, Fqih Bensahla, Boumédiène Bensahla, Mohamed Ben Abi Amer, Aïssa Laghouati, Mohamed Bendebbah... A cette pléiade d’auteurs compositeurs et d’interprètes emblématiques de la chanson citadine en Algérie du 16ème au 20ème, il n’a jamais été rendu le moindre hommage. Dans cette ville où le grand poète Lakhdar Benkhlouf al-Maghraoui reçut l’illumination poétique, ils seront jusqu’au 20ème une soixantaine de poètes continuateurs de cet art et dans d’autres genres, types parmi lesquels nous citerons Ahmed Belhadj, Bellahcène Benachenhou, Bensaïd, Benmasaoud, Ben Amer, Mohamed Settouti, Mostéfa Bendimered, Kaddour Benachour et Mohamed Remaoun de Nédroma. Il y eut également de nombreux poètes-musiciens juifs du haouzi qui passaient pour des spécialistes des compositions mixtes sanaa/haouzi, dont Saadouni Ben Ichou, Ichoua Benhamou, Dray Makhlouf..., léguant à cette musique de nombreuses chansons avec de belles mélodies populaires. Il fut un temps où Tlemcen envoyait partout au Maghreb ses musiciens.

    Une histoire de l’art frappée d’amnésie




    Ahmed Bentriqui (17ème) dans sa fantaisie, Mohamed Benmsaïb (18ème) dans son ardeur mystique, Boumédiène Bensahla (19ème) dans sa grâce furent parmi les compositeurs les plus populaires du pays et dans le Maghreb. Il est à noter que Mohamed Bendebbah, ce poète admirable et musicien de talent du 19ème siècle, auteur de jolis poèmes chantés tels «Al-houb ma aatani fatra» et d’autres consacrés à sa ville natale, est mort enterré à Constantine.

    Le répertoire du haouzi est commun aujourd’hui à toutes les grandes villes musicales d’Algérie et du Maghreb, où il s’est frayé le chemin au fur et à mesure des siècles. Il a fait le bonheur de musiciens auréolés du titre de grands maîtres: Ménouar Benattou, Mohamed Benchaabane, Makchiche, Larbi Bensari, Lazaar Bendali Yahia à Tlemcen; les frères Mohamed et Abderrahmane M’némèche, Mohamed Sfindja, Maalma Yamna, Mohamed Saïdi, Mohamed Benteffahi, Mahieddine Lakhal, Ahmed Serri et d’autres à Alger; Cheikh Raymond Lyris, Alice Fitoussi, Omar Chekleb, Kadour Darsouni, Tahar Fergani à Constantine; Zohra Fassia, Samy al-Maghribi, Ahmed Pirou au Maroc.

    Ils y ont mis beaucoup de délicatesse, de finesse et de goût à interpréter ses belles productions telles, entres autres, «Mal habibi malou», «Al-hourm ya rassoul Allah», «Nari oua korhti», «Sidi ou men sal», «Ya-l-wahdani», «Ahlaft la nsitek ya lilt el barah», «Ah ya-l-hadi»...

    Ce répertoire riche et original est devenu un hymne de la citadinité dans le Maghreb et partout en Algérie dans les villes qui se situent dans la gravité de l’ancienne capitale des Zianides.

    Certaines grandes oeuvres des poètes du haouzi ont été même insérées dans la sanaa: «Hark dhana mouhdjati» (btaïhi raml al-achiya, inséraf ghérib) de Ahmed Bentriqui (17ème siècle); «Ya farid al-wasf al-akmal» (medh) (inséraf sika ), «Ana ouchkati fi-l-soltan» (mçedar mezmoum, inséraf rasd dil), «Ya houmiyet al’loum» de Saïd al-Mandassi; «Açabani mard el-hawa» (zadjel), «Ya aachikin nar al-hoummiya laha oukoud» (inséraf maya-raml al-achiya ) de Ibn Nachit Et-tilimsani... Ces poètes-musiciens n’ont point mérité à ce jour d’un hommage posthume. Pourtant que de belles oeuvres ils ont laissé, alors que leurs interprètes modernes entreront dans la légende et seront continuellement honorés.

    La mémoire amnésique fait qu’aucune rue ne porte les noms du grand théologien al-Wancharissi, de l’historien Al-Maqqari, de l’astrolabiste al-Habbak, du poète Affif-Eddine Tilimsani, Saïd al-Mandassi... C’est un vide dans la permanence de l’histoire et un état de rupture avec la civilisation.

    Le recueil du haouzi est composé d’un peu plus de trois cents chansons avec une mosaïque d’airs variés. Le haouzi est une source documentaire intarissable qui nous renseigne sur la mentalité du temps, l’histoire vécue mais également sur les genres musicaux très variés: haoufi, mahdjouz..., les modes, enfin les instruments comme le rebab, al-kamandja, l’ancêtre du violon, ce bel instrument entré dans l’usage des orchestres dès le 15ème siècle. Ces genres tirent leur principal caractère dans le goût tlemcénien de l’époque et dans la langue du parler commun qui leur est propre. La sève de production du haouzi s’épanouira dans des chefs-d’oeuvre d’interprétation.

    Le haouzi, le gherbi, le aroubi drainaient, en raison du lyrisme simple, clair et facile des poésies, plus d’amateurs. Il faut souligner aussi que ces genres dérivés disposent de ressources poétiques inépuisables contenues dans des kounach particuliers que les musiciens chevronnés hésitent encore à mettre en musique. En gagnant d’autres cités, le haouzi tlemcénien apparaîtra aussi sous diverses estampilles ou timbres à caractère local: dziri, quasantini, moghrabi... Faute d’une histoire frappée globalement d’amnésie, une grande majorité du public n’observe guère encore de distinction entre les genres sanaa, haouzi, medh...

    La société tlemcénienne n’avait certes d’autres modèles que les moeurs andalouses pour innover et enrichir d’autres styles dont le haoufi, un autre type de grâce, d’élégance, de chant aimable, de galanterie dont Tlemcen partageait avec Grenade la tradition de la création et du goût. Le haoufi appartient à une vieille habitude des familles de Tlemcen de se réunir pour chanter à plusieurs parties, et aussi pour improviser soit sur un thème donné, soit sur un quolibet instantané. Un genre poético-littéraire tout proche de la sensuelle et romanesque imagination tlemcénienne. A Tlemcen, où la passion de la musique semblait inséparable du mode de vie de la société, d’autres traditions sont venues enrichir le patrimoine musical de genres voisins: le gherb, le medh, le aroubi, le samaa, des chants spirituels des zaouïas, entrés récemment dans la chanson, avec également de nombreux genres hybrides difficiles à classer, à l’exemple de «Yallah ya b’na el ouarchan»...

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    • #3
      L’influence de l’école occidentale




      Le chant musical dit andalou est frappé du sceau de son classicisme et les changements opérés au début du 20ème sous l’influence de l’école occidentale n’ont pas été sans altérer certaines de ses caractéristiques principales. Pour enrichir ses ressources d’éloquence, il y eut recours alors à des chromatismes et à une exécution tout à fait modernes, qui n’ont pas été sans cependant rétrécir et en même temps assouplir sa composition du point de vue de ses structures, mais également ses rythmes. Les dépositaires de la tradition de la sanaa classique, qui avaient une autre conception de l’art musical andalou, restaient visiblement choqués par cette tendance esthétique. En 1926, Cheikh Larbi Bensari, l’auteur de la belle synthèse des mélodies rescapées appelée «touchia kébira», qui assistait à un concert animé pour la première fois par l’orchestre de l’association «Moutribiya» d’Alger, dirigé par Edmond Yafil, et cela à l’occasion de l’inauguration de l’hôtel Transatlantique à Tlemcen, ne cacha pas son amertume face à ce changement, à ce style nouveau de tonalité moderne porté par une exécution simple, allégée et assouplie, loin des metchalias, des touchias et du casse-tête imposé par la difficulté du rythme. La grâce de cette musique résulte de la synthèse entre la mélodie, la poésie et le rythme.

      La combinaison de ces trois éléments constituent la toile de fond «arabesque» de cette musique que le musicologue Fayçal Benkalfate compare souvent à l’harmonie des décors en stuc parant les murs du palais de l’Alhambra.

      Dans la fresque musicale de la nouba, les mouvements (m’ceddar, darj, btaïhi...) ont chacun leurs rythmes appropriés. La perte du rythme est souvent fatale pour la mélodie. L’un ne va pas sans l’autre. Il y va de la nature même du morceau chanté. A Tlemcen, le rythme est à la base de l’éducation musicale. Il constitue un élément de l’originalité rythmique de la musique andalouse, dont l’école de Tlemcen continue à préserver tant bien que mal dans la sanaa.

      C’est la belle synthèse des trois éléments: poésie, mélodie et rythme, qui caractérise cette musique et en fait un art expressif et formel, à la fois conditionné aussi par la nature de certains instruments traditionnels comme le r’bab et la kouitra. Le rebab est resté longtemps synonyme de la sanaa, terme qui dérive du mot sana’a, ou maître d’oeuvre employé dans le corps des métiers d’art. Cheikh Rédouane, évoquant la question concernant la perte de goût de la nouba, disait: «Mon père (Cheikh Larbi Bensari), à peine s’il tenait du rebab à partir des années trente au cours des soirées».

      Dégager les règles de cette musique, voilà ce qui constitue en soi un travail audacieux qui attend encore les spécialistes. Des musiciens et mélomanes, les maîtres de la musique andalouse, le professeur Yahia Ghoul, Salah Boukli Hacène, Nasreddine Baghdadi et le musicologue Fayçal Benkalfate font montre aujourd’hui d’une véritable hardiesse archéologique à explorer les codes en matière de rythmes et de mélodies de cette musique savante, et cela en attendant impatiemment le résultat de leurs recherches. Les derniers maîtres pour avoir accumulé l’art andalou dans son génie et sa passion furent incontestablement, au 20ème siècle, Abdelkrim Dali et Rédouane Bensari. Ces deux chanteurs de grand talent, que les mélomanes venaient de loin écouter, symbolisaient en quelque sorte la renaissance musicale andalouse à leur époque à Tlemcen. Leur génie à la fois prodigieux et héréditaire, étant tous les deux descendants de familles de mélomanes, c’est à la fois l’éclat et l’intérêt musical classique de leurs productions mais aussi cette capacité musicale et artistique à enrichir de figures et d’ornements brillants cet art. Prodiges, ils étaient très jeunes réputés pour leur voix et leur précoce habileté à jouer d’un grand nombre d’instruments comme la plupart des grands maîtres.

      Peu édités, ils ont cependant légué des enregistrements précieux réalisés au cours de rencontres intimes, totalisant en cela des dizaines d’heures de noubas, haouzi, haoufi, gherbi, touchia...

      Un patrimoine parfois inédit d’où puisent les associations et d’où puiseront encore les talents d’aujourd’hui et de demain. Le passé musical de Tlemcen, partagé en commun dans ses nombreuses traditions par les principales villes musicales, est exceptionnellement riche. Son rayonnement est le reflet de la sensibilité et de sa valeur artistique et littéraire intrinsèque dans cette vieille cité d’élite.

      C’est ce que nous avons essayé de faire dans cet article en contribution à un travail qui a besoin d’exister sur l’histoire de l’art musical en Algérie. Méconnaître l’héritage façonné par des siècles de création, d’imagination et de goût, c’est oublier l’épopée culturelle et artistique de ses poètes, musiciens, compositeurs, interprètes, voire leur impact dans l’enrichissement du patrimoine et l’évolution du goût artistique en Algérie et dans le Maghreb. Leur patrimoine est connu comme étant celui de leurs interprètes érigés en maîtres pour des oeuvres qui ne leur appartiennent pas et combien de fois honorés, sans un mot sur l’auteur, le compositeur originel de l’oeuvre.

      Un tel rappel historique nous oblige à rendre un hommage posthume à Amine Mesli et à la nouvelle génération de musiciens et de chercheurs qui s’emploie aujourd’hui, et au-delà des difficultés, dans le mécénat, à prendre le relais pour sauver cette mémoire musicale: Belkacem Ghoul, Salim Mesli, Anouar Bénabadji, Salim El Hassar, Rifal Kalfat, Abderrahim Sekkal, Réda Belhamidat, Bénali Benmansour, Zakaria Chiali, Abderrahim Benzemra, Abdelkrim Bensid et d’autres encore.

      L’annulation, depuis voilà trois années, du Festival national de la musique traditionnelle, qui a échu à Tlemcen d’abriter pendant plus de trente ans, est ressenti avec un sentiment de grande injustice, comme une manière de l’écarter de sa propre culture dans le milieu des connaisseurs et des esthètes.

      Tlemcen, avec sa vocation créatrice, cette ancienne capitale de l’art et de la culture, est une vraie école, une école antérieure qui a légué à l’art andalou des trésors de chansons que les principales cités musicales partagent en commun aujourd’hui. Mérite-t-elle vraiment une telle décision ?

      Commentaire


      • #4
        Tlemcen Une nouba pour Cheikh Boukli
        par Belbachir Djelloul

        Cheikh Boukli Hacène Salah, figure emblématique de la musique arabo-andalouse, symbole de l'érudition musicale traditionnelle, virtuose du Rbab reconnu, lui qui, à l'âge de trois ans jouait de la flûte, vient de faire sa révérence à la maison de la culture après plus de 40 ans de mis en exergue des musiques savantes algériennes.




        «Une retraite de la maison, mais pas de la culture»




        Né en 1945, il sera musicien en 1958. Mais ce qui l'a toujours enchanté, n'est point le fait de chanter, car «à l'époque, dira-t-il, il existait des maîtres avec qui l'on ne pouvait rivaliser et que l'on respectait». Sa vie durant n'est que recherche, recherche de cette note magique «qui sonne comme sur les doigts de Zeryab», ses études ont surtout portées sur des thèmes spécifiques à la musique sur le plan historique, ethnologique, linguistique et musicologique; M. Boukli Hacène Salah, qui est président de l'association El-Kortobia, a eu le privilège durant toute sa vie artistique d'animer plusieurs conférences par une communication ayant pour thème «Introduction aux origines de la nouba et au répertoire de la musique à Tlemcen, (1ère partie)» qu'il a de tout temps réactualisée au gré des résultats de ses recherches jusqu'à la partie. Cheikh, comme on aime à l'appeler dans les remparts de Tlemcen, reste toujours attaché à la recherche et à plusieurs associations culturelles musicales rendant ainsi hommage à tous ceux qui ont veillé sur la préservation et la sauvegarde du patrimoine musical ainsi qu'à ceux qui l'ont enseigné et transmis. Abordant le vif du sujet, lors de notre entretien, cet ancien directeur de la maison de la culture de Tlemcen et maître de la musique andalouse et du Hawzi possédant le patrimoine musical et poétique nous expliquera qu'il a toujours été fasciné par les origines de la «Nouba» sur le plan linguistique, historique et pratique. «C'est ma manière à moi de combattre la culture de l'oubli dans un pays où la culture est la cinquième roue du carrosse». Il a mis l'accent sur la «Nouba orientale» du VIIIème siècle qui se composait de deux mouvements et qui au fil des temps a subi des influences persanes pour avoir d'autres appellations au XIème siècle pour atteindre, au XIIIème siècle, quatre mouvements et, au XIVème siècle cinq mouvements. Quant à la «Nouba» de Zeryab elle se composait de quatre mouvements au IXème siècle a conservé deux mouvements de l'Ecole Ancienne appelée Ecole des Oudistes. Notre Cheikh, chef du grand orchestre de Tlemcen, nous abordera la Nouba de Ibn Baja (Aven Pace) du XIIème siècle et qui se composait de quatre mouvements en ajoutant El Mouwachahat et Azjal. «La Nouba actuelle se compose de cinq mouvements dont les noms diffèrent totalement de celles de Zeryab ou Ibn Baja. Pour en connaître l'appellation, il est nécessaire de recourir à la Qacida de Ahmed Ben Triki du XVIIème siècle «El Id El Kebir Oua El Ferdja Fi Bab El Djiad», dans laquelle le poète cite le Haouzi, le Bedoui et Gharnata qui désigne «la musique savante». Cheikh Salah, dépoussiérera pour nous un manuscrit sortit des boîtes qui s'amoncellent dans son bureau en désordre et qu'il doit quitter à la fin de la semaine «Le deuxième livre de référence d'Edmond Yafil», maître d'Alger qui dit dans sa préface: «Il est consacré aux poésies qui nous ont été transmises par la tradition sous le titre général de Gharnata et qui constitue le répertoire des Anciens Maures des VIIIème et XIème siècles». Le terme de Gharnata est cité plusieurs fois. Toutefois, le livre de 1904 ne cite en aucun moment le terme Sanaâ. Tandis qu'à la même époque un autre livre est édité sous le titre «Kechf El Qinaâ» de Ghoutsi Bouali utilisant le terme de «sanaâ» et «sanaî» pour désigner le genre et surtout le «Tabaâ» (tempérament). Ce même terme est repris dans un manuscrit de Cheikh Larbi Ben Sari de 1930 pour désigner le corpus de chaque mode.

        Cela explique que le terme Gharnata et le terme Sanaâ est propre à la musique savante qui se chantait de Tlemcen jusqu'à Béjaïa en passant par Alger et Blida et de Béjaïa à Tlemcen. Cela explique pourquoi les maîtres s'enrichissaient mutuellement sans aucun complexe.

        Ce qui est le plus à retenir, c'est cet engouement qu'a eu Cheikh Salah disciple de feu maître Si Mohammed Bouali, à s'enfermer des heures durant, voire des jours, dans ce bureau à vouloir faire renaître cette musique du terroir qui si elle n'est pas transmise, risque de disparaître de la mémoire collective. Des journées, en présence de grands maîtres tels Redouane, Larbi Ben Sari, Dali, la redynamiser;

        Il réussira, en 1991, à composer une Nouba sur le mode majeur déposée à ONDA. Et depuis, ce sont plus d'une cinquantaine de Noubas qui ont été enregistrées. Son parcours professionnel est long et c'est le vague à l'âme qu'il tentera de nous restituer les plus grands moments qui ont marqué sa vie artistique et culturelle: Cheikh Salah a été l'auteur et le compositeur de chant patriotique intitulé «l'Unité de l'Algérie» enregistré par la télévision nationale à l'occasion de la commémoration du 43ème anniversaire de la Révolution en 1997. Il a aussi composé les Dix Sonates des Dix Portes de Tlemcen. Homme de théâtre, de 1962 à 1967, il a aussi joué dans deux films culturels réalisés par Hadj Mansouri de la Télévision algérienne. Il s'est très bien investi dans les rôles de Bensahla Boumédiène et du frère de Cheikh Ben Triqui. C'est aussi un chercheur en lutherie et maître luthier depuis 1971. Ses oeuvres de Rbab se trouvent exposés à l'UNESCO, en Inde, en Amérique, en Corée du Sud, en Belgique, en France, en Italie, au Maroc. Il a crée un instrument de musique typique appelé ILKOUB (anagramme de son nom), déposé au CNRC du ministère de la Justice. Il sera membre de la commission nationale de l'Artisanat au ministère du Tourisme et de l'Artisanat pendant plusieurs années et Président de l'association pour la sauvegarde et la promotion de l'artisanat de la wilaya de Tlemcen depuis 1991. Son art s'étend à la peinture où il s'est spécialisé dans le symbolisme et où ses oeuvres ont longtemps été exposées à la maison de la culture et au «Palais de la culture d'Alger». Conseiller en source bibliographique et en culture populaire, il anime plusieurs émissions culture à la télévision et à la radio locale et les chaînes 1 et 3. Ses conférences et ses études ont été publiées sur le bulletin du festival de Tlemcen, sur le bulletin du festival d'Oujda.

        Mais c'est avec humilié et la timidité d'un grand poète qu'il nous dépoussière son répertoire de poèmes. Il a été parmi les premiers qui ont chanté le patrimoine des grands cheikhs. Ce sont des qacidates avec lesquelles Cheikh Salah Boukli éveille dans les soirées, les veillées des sentiments de nostalgie et qui sont une belle réactualisation des histoires du présent, de son vécu aussi: «Si je pouvais disposer des ailes de l'aigle» ou encore celle qui fait se lever toute une assistante charmée déjà par sa douce voix et les sons des cordes que font surgir de la caisse d'un luth de sa conception, ses doigts magiques: «Oh hôte de Tlemcen, rend visite à mon amour et embrasse sa tombe». Tous ses poèmes, en conservateur des traditions qu'il est, dénotent d'un regret du temps d'autrefois, les altérations physique et morale de la ville des Remparts aux Dix Portes. Avec lui, l'andalou retrouve son verbe, ses subtilités et sa chaude ambiance. Et ses amis sentent, sans qu'il ne le raconte, que les mots se sont imposés à lui dans une conjoncture précise et c'est tant mieux, car, qu'il s'en afflige ou s'en réjouisse, le poème ne lui appartient plus. Il nous rappelle, lui qui a été distingué en Espagne, au Maroc et en Algérie, ses maîtres qu'il a honoré à chaque fois qu'il a posé un Rbab, un luth sur ses genoux, lui qui a su harmoniser ses désirs et ses renoncements, lui qui a su cacher ses amours dans ses vers, lui qui a su s'exiler dans des poèmes. Fera-t-il un recueil de ses poèmes, lui qui est en train d'écrire ses mémoires, ses quarante années au profit de la culture. Il a rendu plusieurs hommages aux hommes de culture: Abdelkader Alloula, Rachid Baba Ahmed, El Hamch Abdelkrim, Maârouf Sid Ahmed, Maâlem Benkalfat Mohammed, Cheikh Mustapha, Skandrani, Le Professeur Ahmed Wahbi, Cheikh Mohammed Bouali et Driss Rahal.

        Pour tout ce qu'il a fait pour la culture à Tlemcen, pour la musique, on se devait bien de lui écrire une Nouba.

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