La société et l’université algériennes face au défi de l’économie mondialisée axée sur le savoir
Le système algérien captif de l’étatisme et de la logique rentière
La relégation des élites intellectuelles et professionnelles
La capacité d’action de l’Etat et de ses institutions ainsi que la compétitivité des entreprises économiques sont conditionnées par leur aptitude à mobiliser des connaissances complexes, variées et donc à faire collaborer de manière créative des compétences plus nombreuse et diverses. La transition vers une économie et une société de la connaissance passe, notamment, par la valorisation et la reconnaissance par l’Etat des groupes porteurs de savoir et de savoir-faire. Elle implique une coopération et un partage de responsabilité du groupe au pouvoir avec les élites professionnelles dans les domaines d’intervention où celles-ci sont compétentes. Or, les tentatives de réforme dans cette perspective se sont heurtées à la résistance des groupes d’intérêt, hostiles à toute ouverture et toute redistribution des pouvoirs au profit de nouveaux acteurs qui toucheraient à leur gestion privative des institutions de l’Etat. Les diverses élites professionnelles (universitaires, enseignants, médecins, ingénieurs, cadres techniques et de gestion) ne sont pas parvenues à s’émanciper de la dépendance du politico-administratif et faire reconnaître, chacune dans son domaine spécifique d’intervention, une autonomie relative de décision, un pouvoir social fondé sur la compétence technique. Elles ont été empêchées de s’ériger en acteurs collectifs autonomes, médiateurs entre l’Etat et la société, capables de déployer une stratégie collective de rationalisation des pratiques sociales dans leur champ respectif d’activité. La subordination directe, dans les institutions publiques, de la fonction technique à la fonction de contrôle politico-bureaucratique maintient les membres de chacune des catégories de l’élite professionnelle dans la dispersion et l’isolement. Marginalisés en tant que collectifs dans la prise de décision, ceux-ci ne peuvent, dans le domaine de leur spécialité, partager leurs savoirs et leur savoir-faire et favoriser ainsi l’éclosion d’une intelligence collective. Mis dans l’incapacité d’accumuler collectivement de la connaissance et d’assimiler les progrès des savoirs et des savoir-faire qui avancent à un rythme accéléré dans le monde, les professionnels sont guettés dans leur spécialité respective par l’obsolescence et la déqualification technique. De par la logique de domination sociale qui la définit, la société est ainsi portée à mésestimer le savoir et les porteurs de savoir. Les élites intellectuelles et professionnelles pâtissent d’un statut social et économique déprécié. Elles ne jouissent en compensation ni des conditions ni du pouvoir de décision qui leur permettent de déployer dans l’exercice de leur métier leurs compétences et de les valoriser. Il semble qu’elles n’aient le plus souvent d’autre choix qu’entre l’exil extérieur dans les pays étrangers et l’exil intérieur dans leur propre pays.
Une comparaison avec les pays voisins
Dans une société façonnée depuis quatre décennies dans son organisation, son fonctionnement et sa culture par une logique rentière, qui consomme plus qu’elle ne produit et compte sur les revenus des hydrocarbures pour couvrir la quasi-totalité de ses importations, on ne ressent pas l’obligation d’être compétitif, de rationaliser l’organisation et la gestion de l’économie et de la société ; nul besoin de promouvoir des élites professionnelles compétentes, de construire une université performante pour les former, de valoriser le savoir et les porteurs de savoir. Tant que le pays a encore assez de pétrole, on peut se dispenser d’avoir des idées. La comparaison avec les deux pays limitrophes du Maghreb est éclairante. Ceux-ci étaient loin d’avoir nos atouts de départ et présentaient un potentiel scientifique et technologique bien moindre que le nôtre pendant les années 60 et 70. Faute de rente pétrolière, ces deux pays étaient obligés de vivre de leur travail, de n’importer que les produits et services qu’ils sont susceptibles de faire couvrir par leurs exportations. Leurs entreprises ne sont viables que si elles sont compétitives au niveau international et donc dirigées par les cadres les plus compétents. L’université est soumise à une obligation de performance pour former des élites professionnelles de qualité qui sont vitales pour le pays. Les hommes au pouvoir sont dans l’obligation de s’appuyer sur les hommes de compétence pour organiser et gérer le plus rationnellement possible les institutions du pays, accompagner et soutenir son économie. A défaut de pétrole ou de richesses naturelles abondantes, ces sociétés ne pouvaient compter que sur la valorisation de leurs richesses humaines. Les différentes élites professionnelles jouissent d’un statut économique et social privilégié, même s’il ne s’accompagne pas actuellement dans le cas du régime autoritaire tunisien de la liberté d’expression politique. Il n’est donc pas surprenant, par exemple, que l’instituteur et l’universitaire tunisiens soient rémunérés trois fois plus (en équivalent dollars) que l’instituteur ou l’universitaire algérien ; que la « fuite des cerveaux » y soit bien moins dramatique que chez nous et que la majorité des cadres hautement qualifiés, formés à l’étranger, retournent au pays ; que ce pays, qui a un population trois fois moindre, a une production scientifique une fois et demie plus importante et que ses universités sont classées avant les nôtres dans les diverses évaluations internationales. Le Centre de recherche de l’organisation de la conférence islamique (SESRTCIC), situé à Ankara, a mesuré dans une étude assez récente(1), publiée sur son site web le 11 juillet 2007, un certain nombre d’indicateurs de la production scientifique dans les pays musulmans. Selon cette étude, sur une période de dix années (1996-2005), l’Algérie aurait publié un total de 4984 articles scientifiques et techniques, le Maroc 10 035 et la Tunisie 70 453. Rapporté à un million d’habitants, la production s’élèverait pour l’Algérie à 156,5 articles, pour le Maroc à 333,6 (soit deux fois plus environ que l’Algérie) et pour la Tunisie à 758,2 (soit presque cinq fois plus). Un second indicateur, aussi significatif, porte sur l’effort des dépenses en science et technologie : L’Algérie dépenserait par rapport à son PIB trois fois moins (0,20%)(2) que le Maroc (0,62%) et la Tunisie (0,63%).
Une société et une université en rupture avec le savoir
(A suivre)
Ghalamallah Mohamed
suite:
http://www.elwatan.com/spip.php?page..._article=92358
Le système algérien captif de l’étatisme et de la logique rentière
La relégation des élites intellectuelles et professionnelles
La capacité d’action de l’Etat et de ses institutions ainsi que la compétitivité des entreprises économiques sont conditionnées par leur aptitude à mobiliser des connaissances complexes, variées et donc à faire collaborer de manière créative des compétences plus nombreuse et diverses. La transition vers une économie et une société de la connaissance passe, notamment, par la valorisation et la reconnaissance par l’Etat des groupes porteurs de savoir et de savoir-faire. Elle implique une coopération et un partage de responsabilité du groupe au pouvoir avec les élites professionnelles dans les domaines d’intervention où celles-ci sont compétentes. Or, les tentatives de réforme dans cette perspective se sont heurtées à la résistance des groupes d’intérêt, hostiles à toute ouverture et toute redistribution des pouvoirs au profit de nouveaux acteurs qui toucheraient à leur gestion privative des institutions de l’Etat. Les diverses élites professionnelles (universitaires, enseignants, médecins, ingénieurs, cadres techniques et de gestion) ne sont pas parvenues à s’émanciper de la dépendance du politico-administratif et faire reconnaître, chacune dans son domaine spécifique d’intervention, une autonomie relative de décision, un pouvoir social fondé sur la compétence technique. Elles ont été empêchées de s’ériger en acteurs collectifs autonomes, médiateurs entre l’Etat et la société, capables de déployer une stratégie collective de rationalisation des pratiques sociales dans leur champ respectif d’activité. La subordination directe, dans les institutions publiques, de la fonction technique à la fonction de contrôle politico-bureaucratique maintient les membres de chacune des catégories de l’élite professionnelle dans la dispersion et l’isolement. Marginalisés en tant que collectifs dans la prise de décision, ceux-ci ne peuvent, dans le domaine de leur spécialité, partager leurs savoirs et leur savoir-faire et favoriser ainsi l’éclosion d’une intelligence collective. Mis dans l’incapacité d’accumuler collectivement de la connaissance et d’assimiler les progrès des savoirs et des savoir-faire qui avancent à un rythme accéléré dans le monde, les professionnels sont guettés dans leur spécialité respective par l’obsolescence et la déqualification technique. De par la logique de domination sociale qui la définit, la société est ainsi portée à mésestimer le savoir et les porteurs de savoir. Les élites intellectuelles et professionnelles pâtissent d’un statut social et économique déprécié. Elles ne jouissent en compensation ni des conditions ni du pouvoir de décision qui leur permettent de déployer dans l’exercice de leur métier leurs compétences et de les valoriser. Il semble qu’elles n’aient le plus souvent d’autre choix qu’entre l’exil extérieur dans les pays étrangers et l’exil intérieur dans leur propre pays.
Une comparaison avec les pays voisins
Dans une société façonnée depuis quatre décennies dans son organisation, son fonctionnement et sa culture par une logique rentière, qui consomme plus qu’elle ne produit et compte sur les revenus des hydrocarbures pour couvrir la quasi-totalité de ses importations, on ne ressent pas l’obligation d’être compétitif, de rationaliser l’organisation et la gestion de l’économie et de la société ; nul besoin de promouvoir des élites professionnelles compétentes, de construire une université performante pour les former, de valoriser le savoir et les porteurs de savoir. Tant que le pays a encore assez de pétrole, on peut se dispenser d’avoir des idées. La comparaison avec les deux pays limitrophes du Maghreb est éclairante. Ceux-ci étaient loin d’avoir nos atouts de départ et présentaient un potentiel scientifique et technologique bien moindre que le nôtre pendant les années 60 et 70. Faute de rente pétrolière, ces deux pays étaient obligés de vivre de leur travail, de n’importer que les produits et services qu’ils sont susceptibles de faire couvrir par leurs exportations. Leurs entreprises ne sont viables que si elles sont compétitives au niveau international et donc dirigées par les cadres les plus compétents. L’université est soumise à une obligation de performance pour former des élites professionnelles de qualité qui sont vitales pour le pays. Les hommes au pouvoir sont dans l’obligation de s’appuyer sur les hommes de compétence pour organiser et gérer le plus rationnellement possible les institutions du pays, accompagner et soutenir son économie. A défaut de pétrole ou de richesses naturelles abondantes, ces sociétés ne pouvaient compter que sur la valorisation de leurs richesses humaines. Les différentes élites professionnelles jouissent d’un statut économique et social privilégié, même s’il ne s’accompagne pas actuellement dans le cas du régime autoritaire tunisien de la liberté d’expression politique. Il n’est donc pas surprenant, par exemple, que l’instituteur et l’universitaire tunisiens soient rémunérés trois fois plus (en équivalent dollars) que l’instituteur ou l’universitaire algérien ; que la « fuite des cerveaux » y soit bien moins dramatique que chez nous et que la majorité des cadres hautement qualifiés, formés à l’étranger, retournent au pays ; que ce pays, qui a un population trois fois moindre, a une production scientifique une fois et demie plus importante et que ses universités sont classées avant les nôtres dans les diverses évaluations internationales. Le Centre de recherche de l’organisation de la conférence islamique (SESRTCIC), situé à Ankara, a mesuré dans une étude assez récente(1), publiée sur son site web le 11 juillet 2007, un certain nombre d’indicateurs de la production scientifique dans les pays musulmans. Selon cette étude, sur une période de dix années (1996-2005), l’Algérie aurait publié un total de 4984 articles scientifiques et techniques, le Maroc 10 035 et la Tunisie 70 453. Rapporté à un million d’habitants, la production s’élèverait pour l’Algérie à 156,5 articles, pour le Maroc à 333,6 (soit deux fois plus environ que l’Algérie) et pour la Tunisie à 758,2 (soit presque cinq fois plus). Un second indicateur, aussi significatif, porte sur l’effort des dépenses en science et technologie : L’Algérie dépenserait par rapport à son PIB trois fois moins (0,20%)(2) que le Maroc (0,62%) et la Tunisie (0,63%).
Une société et une université en rupture avec le savoir
(A suivre)
Ghalamallah Mohamed
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http://www.elwatan.com/spip.php?page..._article=92358
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