Annonce

Réduire
Aucune annonce.

La comptabilité peut-elle sauver les banques?

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • La comptabilité peut-elle sauver les banques?

    La critique a été tant répétée ces derniers temps qu'on pourrait croire qu'elle fait consensus. La comptabilité en juste valeur, c'est-à-dire en référence à la valeur de marché si celle-ci est observable directement ou indirectement, et à un modèle d'évaluation financière dans les autres cas, aurait une responsabilité essentielle dans la crise financière.

    Son effet serait procyclique, accentuant les bulles à la hausse et les paniques à la baisse. Pour des actifs peu liquides, la référence au prix coté serait antiéconomique, obligeant les banques à présenter des bilans plus noirs que la réalité, et à vendre des actifs à des prix artificiellement déprimés.

    L'argument général de la procyclicité relève d'une logique prudentielle plutôt que comptable : lorsqu'un instrument financier est coté sur un marché liquide et profond, son cours reste la meilleure indication de valeur pour l'inscription au bilan. Si l'action Total cote 50 euros aujourd'hui contre 55 il y a six mois, il n'y a pas lieu de la comptabiliser pour 55. Les méthodes alternatives rempliraient moins bien la mission qu'un large consensus assigne à la normalisation comptable: donner aux investisseurs une information pertinente, fiable, comparable et compréhensible pour informer leurs décisions d'investissement.

    L'autre aspect de la critique porte spécifiquement sur les instruments financiers peu liquides, et traduit, lui, un problème bien réel. Quelle que soit la méthode retenue, la valeur comptable sur des marchés asséchés est forcément sujette à caution. Mais la juste valeur ne fait que constater la défiance actuelle vis-à-vis de ces actifs, et rien n'indique à ce stade qu'elle y ajoute des effets pervers spécifiques. Parmi les épisodes de "spirale négative" depuis le début de la crise, y compris celui qui a emporté Bear Stearns à la mi-mars, aucun n'est directement lié à une annonce de données comptables. C'est le marché lui-même qui est déréglé, plutôt que sa mesure par la comptabilité.

    Du reste, les pertes comptables sont bien acceptées lorsqu'elles sont assumées et expliquées: en témoigne l'augmentation étonnante de 15 % du cours d'UBS à l'annonce d'une dépréciation d'actifs de 19 milliards de dollars, le 1er avril dernier. À l'inverse, réduire la transparence, en revenant au coût historique ou en autorisant les banques à ne pas répercuter dans leurs comptes les évolutions du marché, serait à coup sûr dommageable, comme l'a illustré la crise japonaise des années 1990 lors de laquelle l'opacité comptable des banques a nourri la défiance. Bref, la comptabilité en juste valeur n'est pas complètement satisfaisante, mais les alternatives sont pires. En attendant que la liquidité revienne, les investisseurs préfèrent observer à travers le prisme flou qu'offre la juste valeur, plutôt que dépendre d'une information qui serait laissée à la discrétion des entreprises ou refléterait des conditions passées devenues obsolètes.

    Pour autant, plusieurs aspects du système d'information financière devront être revus. À la différence des normes comptables, les normes prudentielles telles que l'accord de Bâle II, qui régissent le calcul du capital minimal des banques, devraient être amendées pour mieux tenir compte des effets de cycle, et éviter que les banques se retrouvent sous-capitalisées en cas de retournement du marché. Les normes comptables elles-mêmes méritent d'être précisées sur certains points et surtout doivent être appliquées de façon rigoureuse et cohérente, ce qui n'est pas encore le cas en Europe, avec une doctrine d'interprétation claire, comme l'a rappelé le forum de stabilité financière dans son rapport remis au G7 début avril. Cela concerne particulièrement les informations annexes, cruciales pour bien juger les états financiers et leurs éventuels biais de mesure. Au-delà, l'information sur les risques financiers doit être fortement améliorée, dans un contexte où les notes de crédit ont perdu une partie de leur utilité.

    Les débats comptables actuels ne traduisent pas un débat manichéen entre théoriciens et praticiens, ou Anglo-Saxons et Continentaux, mais plutôt une incapacité générale à produire, contrôler et traiter une information appropriée sur les risques financiers. Dans ce contexte difficile, et à la lumière de l'expérience des crises passées, l'intérêt du système financier dans son ensemble est que les investisseurs disposent d'une information la plus complète possible en dépit des imperfections de la mesure, et même si cela fait souffrir les banques. De ce point de vue, et à condition d'être appliquées avec rigueur, les normes actuelles sur la juste valeur ne remplissent pas si mal leur rôle.

    Par Nicolas Véron, La Tribune
Chargement...
X