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Téhéran ne peut plus contrôler l'essor de la société civile

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  • Téhéran ne peut plus contrôler l'essor de la société civile

    Le premier tour des élections législatives en Iran a confirmé, le 14 mars, l'emprise des conservateurs sur la politique iranienne, mais aussi leurs divisions. Le second tour, explique au Monde Karim Lahiji, avocat des droits de l'homme et proche du prix Nobel de la paix Shirin Ebadi, ne devrait pas modifier la donne mais montrer que, derrière la bataille électorale, se profilent des lignes de fracture plus profondes au sein d'un pouvoir qui ne parvient plus à réprimer les revendications de la société.

    Quel est l'enjeu de ces élections législatives ?

    Le mot "élection" paraît presque abusif : je parlerais plutôt de sélection. Le Conseil des gardiens contrôlé par les conservateurs a éliminé préventivement des listes les opposants. Aux législatives d'il y a quatre ans, 30 % des candidats du mouvement réformateur de l'ancien président Mohammad Khatami avaient été autorisés à se présenter : cette fois, il y en a 5 %.

    Au premier tour, comme prévu, les conservateurs ont raflé la mise. Il ne reste que 81 sièges à pourvoir. On va voir si les réformateurs marquent quelques points, mais l'enjeu réel , c'est la préparation de la présidentielle de 2009 au sein du camp conservateur. D'un côté, il y a les ultrafondamentalistes du président Mahmoud Ahmadinejad ; de l'autre, une coalition qui s'esquisse en coulisse entre les futurs prétendants à la présidence : Mohammad Qhalibaf, maire de Téhéran, plus ouvert envers l'Occident, qui veut se présenter comme une troisième voie entre réformateurs et ultras ; Ali Larijani, ex-négociateur nucléaire ou Mohsen Rezaï ancien chef des Gardiens de la révolution. Il est évident que le futur Parlement donnera du fil à retordre à M. Ahmadinejad. Des alliances ponctuelles entre réformateurs, pragmatistes proches de l'ex-président Rafsandajni et conservateurs "classiques" sont à prévoir. L'opposition parle de fraudes au premier tour, l'ensemble de la classe politique et certains grands ayatollahs critiquent l'état catastrophique de l'économie et l'inflation galopante (20 %). On sent M. Ahmadinejad sur la défensive : il en est arrivé à remercier son ministre de l'économie et celui de l'intérieur.

    La structure du pouvoir n'est-elle pas en train de changer ?

    Nous, Iraniens, avons un art consommé pour garder la façade des choses en les vidant de leur contenu. Les acteurs du début de la révolution de 1979 sont en perte de vitesse. Il y a quelques semaines, la famille même de l'ayatollah Khomeiny, fondateur de la République islamique, a été mise en cause. Les mollahs sont écartés du pouvoir exécutif, sauf en ce qui concerne le pouvoir judiciaire et le ministère des renseignements. Mais au sein du Parlement, 60 % des élus sont d'anciens gardiens de la révolution, l'armée idéologique du régime. Ces derniers sont entrés en politique ou dans les affaires à la façon du complexe militaro-industriel de l'Union soviétique. L'Iran est passé d'une oligarchie cléricale à une oligarchie paramilitaire. Quant au Guide, Ali Khamenei, il se doit de maintenir l'équilibre mais a besoin de cette classe montante pour conforter son pouvoir.

    La répression accrue , traduit-elle cette incertitude politique ?

    On assiste à une tentative d'étouffement de toute forme d'opposition de la société civile. En 2007 il y a eu 357 exécutions - presque une par jour - soit 40 % de plus qu'en 2006. Le régime veut faire des exemples. Il s'en prend aux minorités ethniques et religieuses comme les bahaïs, religion interdite. Cinq de leurs membres sont en prison depuis deux ans. Il y a dix jours, deux religieux sunnites - du jamais vu - ont été pendus à Zahedan, au Baloutchistan, où opèrent des "bandits", comme dit Téhéran, mais aussi des insurgés. Deux autres ont été arrêtés au Kurdistan à Sanandaj. Deux journalistes kurdes ont été condamnés à mort. Deux femmes kurdes, Hana Abdi et Rouak Safardzadeh, des militantes de la campagne "Un million de signatures pour changer le sort des femmes", sont en prison depuis quatre mois. Trois autres féministes viennent d'être condamnées, à Téhéran, à des peines de six mois à deux ans de prison avec sursis et dix coups de fouet pour "troubles à l'ordre public". En un an, 50 femmes ont été traduites devant les tribunaux pour avoir revendiqué leurs droits, et 600 étudiants ont été expulsés de l'Université.

    C''est cette régression permanente. Sous la pression internationale, les lapidations avaient été suspendues mais, en 2007, un homme a quand même été lapidé pour adultère près de Ghazvin. De même, l'Iran a signé la convention qui fait qu'aucun mineur de moins de 18 ans au moment des faits ne peut être exécuté. Mais (les autorités) font attendre en prison les condamnés pour les exécuter dès qu'ils ont atteint l'âge de 18 ans. Cent jeunes sont dans cette situation. En 207, un garçon de 22 ans a été exécuté. Il s'appelait Makvan Moloudzadeh. Son crime (un viol), il l'avait commis à l'âge de 14 ans.

    La répression est un échec. Le régime ne parvient plus à contrôler l'essor de la société civile, qui va de l'avant malgré tout : les femmes sont aujourd'hui majoritaires à l'Université.

    Par Le Monde
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