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L’affaire Aristote, chronique d’un scandale annoncé

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  • L’affaire Aristote, chronique d’un scandale annoncé

    Contrairement à une vulgate largement répandue, l’Occident chrétien ne doit pas la découverte et la transmission de la pensée grecque ancienne aux Arabes musulmans mais aux chrétiens d’Orient. Telle est, à gros traits, la conviction que l’on retire après avoir lu Aristote au Mont Saint-Michel. Les racines grecques de l’Europe chrétienne (282 pages, 21 euros, Seuil). La thèse n’est pas nouvelle, elle est même archaïque puisqu’à la fin du XIXème et au début du XXème, elle rencontrait un certain succès. Sauf que depuis, la recherche savante a fait des progrès. Paru au début du mois dernier, le livre a aussitôt suscité colère et indignation du côté des médiévistes. Le ton est vite monté. Une “affaire” est en train de naître dans les milieux universitaire, intellectuel et éditorial car, on le devine, cette révision de l’Histoire a bien une dimension politique. L’homme par qui le scandale est arrivé s’appelle Sylvain Gouguenheim. Professeur d’histoire médiévale à l’Ecole Normale supérieure de Lyon, il est un spécialiste des chevaliers teutoniques, de la mystique rhénane ainsi que des croisades sur l’histoire desquelles il travaille actuellement. L’affaire a pris véritablement son envol le 3 avril lorsque lui fut consacré un important article le légitimant dans Le Monde des livres.Dès lors, les médiévistes se donnèrent le mot pour faire un tir de barrage contre ce qu’ils tiennent pour un méchant pamphlet moins innocent qu’il n’y paraît. Ils ont fait circuler tribunes libres, droits de réponse et pétition. Evidemment pas pour le faire interdire mais pour marquer le coup, appeler le lecteur à la vigilance et dénoncer l’opération.
    Ce qui lui est reproché ? De présenter comme inconnu ce qui était déjà bien connu : à savoir le rôle joué par Jacques de Venise et les moines de l’abbaye du Mont-Saint-Michel dans la traduction des textes grecs en latin. De monter en épingle une prétendue vulgate (L’Europe doit ses savoirs à l’Islam) pour mieux la réfuter alors que nul historien sérieux ne prétend rien de tel. D’être aussi systématiquement bienveillant avec ses sources latines qu’il est méfiant avec ses sources arabes. De faire du miracle grec le soleil de la raison et l’absolu critère de la hiérarchie des civilisations. De surévaluer le rôle du monde byzantin. De prétendre révéler le rôle de Hunayn ibn Ishaq, traducteur du grec au IXème siècle, alors que l’importance de cet Arabe chrétien a maintes fois été étudiée. De se tromper en affirmant que Jean de Salisbury a fait oeuvre de commentateur, ou que les Syriaques ont traduit l’Organon dans son intégralité. D’emprunter son titre à un article de C. Viola paru en 1967. De dévaluer la production savante des arabo-musulmans, en mathématiques et en astronomie notamment, entre le IX et le XIIIème siècle. De mêler fondamentalisme musulman et civilisation de l’Islam. De postuler que par principe la pensée arabo-musulmane était incapable de rationaliser tant elle était bloquée par la Parole révélée du Coran. D’ignorer (ou de le feindre) qu’au Moyen-Age “Aristote” désignait tant le texte du philosophe que celui de son commentateur Averroès (ainsi qu’Avicenne et Algazel) absolument liés. De ne pas voir que les Arabo-musulmans n’ont pas simplement transmis mais réinventé Aristote. De ne pas voir que sans Cordoue, les Lumières à Paris et Berlin n’auraient pu recevoir l’héritage grec et romain comme elles l’ont reçu. D’être aussi péremptoire dans ses conclusions alors qu’il ignore tant le grec que l’arabe. D’ignorer tant dans sa bibliographie que dans ses remerciements d’éminents spécialistes de la philosophie médiévale qui contredisent ses thèses. D’en inclure d’autres en revanche bien en cour sur les sites islamophobes. De confondre à dessein ”musulman” et “islamique”, autrement dit religion et civilisation. De dévoyer sa fonction d’historien et d’être au fond un idéologue gouverné par la peur et l’esprit de repli.
    Voilà condensés les reproches et accusations, vivement énoncés, que l’on trouve sous la plume de ses collègues Gabriel Martinez-Gros et Julien Loiseau, du philosophe Alain de Libera, de l’historienne Hélène Bellosta et de dizaines de chercheurs français (la France compte plus de 600 médiévistes en activité !) et étrangers (c’est assez exceptionnel pour être remarqué, l’affaire Toaff n’ayant pas été aussi immédiatement internationale) qui ont signé une “pétition” à sa suite. Certaines de ces réactions ont été partiellement publiées, d’autres me sont parvenues directement dans leur intégralité, de même que d’autres encore qui devraient paraître dans les jours prochains du côté de Libération notamment. Un hourvari qui n’aurait pas lieu d’être si ce livre ne jouissait pas de deux instances de validation enviables pour un travail aussi contestable : l’Ecole Normale supérieure de Lyon et la non moins prestigieuse collection “L’Univers historique” au Seuil. Il n’y a pas d’autre “clé” à chercher (comme le croit la responsable éditoriale du livre) dans l’unanime virulence des réactions à cette publication. Ni jalousie, ni complot. Ni même corporatisme puisque l’intéressé appartient à la corporation, même s’il a mené cette recherche en dehors d’elle (séminaires, colloques etc) à l’égal d’un franc-tireur.

  • #2
    Seconde et dernière partie.

    Dans un long texte particulièrement mordant, Alain de Libera, spécialiste de philosophie médiévale et directeur de collection au Seuil, écrit notamment :”Vue dans la perspective de la translatio studiorum, l’hypothèse du Mont-Saint-Michel, “chaînon manquant dans l’histoire du passage de la philosophie aristotélicienne du monde grec au monde latin” hâtivement célébrée par l’islamophobie ordinaire, a autant d’importance que la réévaluation du rôle de l’authentique Mère Poulard dans l’histoire de l’omelette”. D’autres universitaires, collègues de Sylvain Gouguenheim, préfèrent relever dans le dernier chapitre de son livre ce qui y flatte un tendance bien actuelle : une certaine jubilation dans sa manière de conclure sur l’impossibilité ontologique de tout échange culturel entre les civilisations. On n’est même pas dans leur affrontement, comme chez Samuel Huntington. Car si celui-ci offre un choix politique entre deux camps, Gouguenheim n’en offre aucun : nous sommes européens, donc chrétiens, donc grecs. Partant, notre histoire est donc inconciliable avec quatorze siècles d’Islam qui n’ont mené à rien. CQFD.
    Les reproches dont on l’accable, l’intéressé s’en défend naturellement. Il se dit “bouleversé” par la violence de la campagne dont il est l’objet, dénonçant le procès d’intention à son endroit et excipant de sa naïveté lorsque sont mis à jour les relais idéologiques dont son travail a bénéficié. Car la polémique a atteint une telle ampleur que certains de ses détracteurs ont fouillé la Toile pour y trouver les preuves de collusion qu’ils soupçonnaient. Non seulement le site Occidentalis a publié les “bonnes feuilles” de ce livre neuf mois avant sa parution, alors qu’il était encore à l’état de manuscrit, mais Sylvain Gouguenheim a semble-t-il posté des commentaires, nettement plus vifs et directs que dans son livre, pour défendre la même thèse (le rôle de l’Islam dans la transmission du savoir gréco-latin à l’Occident est un mythe) sur le blog d’Occidentalis, site d’”islamovigilance”, et sur Amazon.fr, commentaires signés “Sylvain G.”… Encore reste-t-il à établir s’il s’agit bien de lui et non d’un provocateur ayant parfaitement épousé sa rhétorique. La critique triomphaliste du Figaro littéraire ne fut certainement pas pour lui déplaire même si elle peut être embarrassante tant elle dévoile clairement le véritable enjeu de son ouvrage :“Félicitons M.Gouguenheim de n’avoir pas craint de rappeler qu’il y eut bien un creuset chrétien médiéval, fruit des héritages d’Athènes et de Jérusalem. Alors que l’islam ne devait guère proposer son savoir aux Occidentaux, c’est bien cette rencontre, à laquelle on doit ajouter le legs romain, qui “a créé, nous dit Benoît XVI, l’Europe et reste le fondement de ce que, à juste titre, on appelle l’Europe”. S’il y a un homme dont on aimerait connaître la réaction à toutes les facettes de cette affaire, c’est bien Michel Chodkiewicz, traducteur des écrits spirituels de l’Emir Abd-el-Kader, commentateur inspiré de Ibn ‘Arabi et ancien président des éditions du Seuil. Lui n’aurait certainement jamais publié Aristote au Mont-Saint-Michel, non plus que l’historien Michel Winock qui dirigeait alors “L’univers historique” fondé avec Jacques Julliard. Le comble, c’est que rien n’atteste que Jacques de Venise ait jamais mis les pieds dans cette abbaye ! Il eut peut-être fallu commencer par là.
    P.S. Hommage soit rendu à Losfeld et Pseudofurgole, deux commentateurs de la “République des livres” qui, très tôt, m’ont enjoint de lire ce livre, mais peut-être pas pour parvenir à de telles conclusions…

    Source: La république des Livres, blog de Pierre Assouline.

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    • #3
      C'est incroyablement éffarant!

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      • #4
        Bonsoir Andaloussia.

        N'est-ce pas?

        As tu aussi cliqué sur les liens dans le texte?

        En tout cas, on aura beau nier, les faits historiques ne peuvent pas être effacés.

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        • #5
          Ce qui fait le plus de peine, c'est que ce sont des sois-disant Universitaires!
          Purée de purée de purée ( *********************) ça m'énerve!

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          • #6
            Effectivement, on peut aisément penser que de nos jours les gens qui font des études à l'Université ne sont pas tous des gens rigoureux et objectifs, avançant avec un esprit distant et critique.

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            • #7
              On peut très bien être distant et critique quand on est raciste mais pas dans le sens de la recherche, malheureusement.

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              • #8
                Malheureusement, si tu le vois bien et d'ailleurs, normalement en France, cela est puni par la loi, mais ici, ça passe comme une lettre à la poste.

                D'ailleurs, cela existe depuis bien longtemps, cf à ce sujet l'Affaire Dreyfuss, penses-tu que tous ceux qui étaient contre Dreyfuss étaient des gens sans éducation? Figure toi que parmi les plus grands "virulateurs" (excuse moi pour ce néologisme de mon cru) il y avait d'éminents universitaires qui savaient manier verbe, éloquence, rhétorique à son encontre et surtout à l'aide de thèses racistes antisémites. Cela fait froid dans le dos...

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                • #9
                  verbe, éloquence, rhétorique à
                  Pour moi Etre universitaire coincide plus avec: savoir, rigueur et conscience intellectuelle!

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                  • #10
                    A star is born !
                    Vive la polémique !
                    ?

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                    • #11
                      Tu es une idéaliste alors que ces gens là sont affairistes, opportunistes, carriéristes. Malheureusement, l'Université en regorge, il faudrait sans doute aller sous d'autres cieux, anglo-saxons par exemple, pour retrouver comme tu dis rigueur scientifique, distance critique, conscience intellectuelle ou éthique...

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                      • #12
                        Décidément, Vous en pouvez plus de me dire que je suis idéaliste!!!
                        Sissouh, tu crois que je ne connais pas le monde Universitaire? Ne réduis pas l'Université à cette exemple de pure racisme !

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                        • #13
                          Ma chère, être idéaliste n'est pas une tare, bien au contraire. Moi aussi j'en suis une et qui est donc ce vous?

                          Je suis une déçue de l'Université.

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                          • #14
                            Je suis assez d'accord avec Sissouh...

                            Les profs les plus ouverts à la cause des étudiants de toutes origines sociales et "ethniques" et d'idéologie "égalitaristes" (plus ou moins, pour ne citer qu'eux), ne sont pas les mieux vus, pour ne pas dire qu'ils sont parfois placardisés. A l'exception de quelques "têtes" (prof et étudiants), parfois ramenées de loin, pour simuler l'ouverture et la tolérance et bénéficier des aptitudes des intelligences les plus efficientes qui soient, parfois à frais moindre et sans avoir payé leur formation initiale. Double voir triple bénéf. Et système d'hypocrites.

                            (Je pensais la même chose à 20 ans mais je la fermais pour laisser les "pressés" passer devant... je n'y espère plus rien, j'ai passé mon tour, alors que ceux qui pensent qu'il y a là discours d'aigri ou de jalouse qui pinaille pour son bout de gras aillent voir ailleurs si j'y suis. Sans projet ni but, je n'y avais rien à faire et c'est tout. Sinon j'avais la ressource pour m'en sortir. Pas pour faire n'importe quoi sous pretexte que j'y trouve mon compte.)

                            Souvent, les idées tendancieuses sont amenées de manière moins voyante, donc plus pernicieuses et plus durablement dangeureuses... Ceci dit, on peut tout de même se demander qu'est-ce qui peut bien arriver à ce prof pour que l'expression de ces idées soit à ce point "décompléxée" à l'heure où tout le monde s'auto-censure ?

                            Je trouve appréciable qu'Assouline ait eu cette lucidité... J'ai peur que face aux déferlantes de ce type (ce n'est ni la première, ni la dernière) et à tout ce qu'elles vont toucher dans l'opinion, terreau déjà fertile de la mésinformation, ça ne soit un peu léger...
                            Dernière modification par Virginie, 29 avril 2008, 14h30.

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                            • #15
                              Virginie, je suis tout à fait d'accord avec toi et je signale aussi qu'en parlant de racisme, j'ai connu des étudiants brillants qui venaient des cités qui ont été cassés par certains professeurs racistes. J'ai assisté une fois à une scène violente entre une étudiante et un prof, il a eu gain de cause, elle a laissé tombé les études...
                              Et il a pleins de cas comme ça... malheureusement.

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