Nicolas Sarkozy rend visite pour deux jours au président Ben Ali, dont le régime est vivement critiqué pour ses atteintes aux droits de l’homme.
«Aujourd’hui, l’espace des libertés progresse. Ce sont des signaux encourageants que je veux saluer», a déclaré Nicolas Sarkozy rendant hommage aux efforts du régime de Ben Ali. Au même moment et c’est devenu un rituel à chaque visite d’un chef d’Etat français, des opposants tunisiens déclenchaient une grève de la faim.
Lors du dernier voyage de Jacques Chirac, en 2003, l’avocate Radhia Nasraoui avait eu recours à ce mode d’action très en vogue dans un pays ultra-verrouillé. Interpellé, Chirac avait répondu : «Le premier droit de l’homme c’est celui de se nourrir.» Une formule restée à ce jour en travers de la gorge des militants tunisiens des droits de l’homme. Que répondra Nicolas Sarkozy lorsqu’il sera interrogé sur le sort de Rachid Khechana et Mongi Ellouze, respectivement rédacteur en chef et directeur de la publication d’Al-Mawqif, l’hebdomadaire du Parti démocratique progressiste (PDP) ?
Harcèlement.
Les deux hommes sont en grève de la faim depuis samedi pour protester contre le «blocus» visant leur titre. Au deuxième étage d’un modeste immeuble du centre de Tunis, Rachid Khechana détaille le harcèlement dont son titre fait l’objet : «Depuis le début de l’année, cinq de nos numéros ont été saisis. Notre diffuseur, dont les NMPP françaises sont actionnaires, subit des pressions pour cesser de nous distribuer. Nos comptes sont bloqués sous des prétextes fallacieux. Le pouvoir pousse des sociétés à nous intenter des procès en dommages et intérêts. Enfin, nous n’avons pas accès à la publicité, privée comme publique, ni à aucune aide à la presse.»
Al-Mawqif, qui diffuse à 10 000 exemplaires, est le dernier titre indépendant d’une presse paralysée par l’autocensure et la peur. «Nous sommes le premier journal à avoir raconté ce qui s’est passé dans la région de Gafsa», se félicite le rédacteur en chef. Ce bassin minier est en quasi-insurrection depuis janvier à cause du népotisme à l’embauche régnant dans cette région miséreuse (Libération d’hier). L’hebdomadaire paye aussi son scoop révélant le déclassement de terrains archéologiques protégés par l’Unesco afin de les vendre au profit de proches du président Ben Ali. Enfin, le PDP est dans le collimateur du régime depuis la désignation de Najib Chebbi comme candidat à la présidentielle de l’année prochaine.
Ce monsieur âgé n’est pourtant pas un dangereux révolutionnaire, mais un notable de centre gauche. Dans les semaines qui ont suivi, Ben Ali a annoncé lui-même une réforme de la Constitution limitant les candidatures aux secrétaires généraux des partis légalement reconnus, ce qui n’est pas le cas de Chebbi. «C’est la troisième fois que j’annonce mon intention de me présenter et la troisième fois que le régime change les règles du jeu pour m’en empêcher», nous expliquait-il hier alors que des foules de lycéens et de chômeurs convergeaient vers l’avenue Bourguiba pour faire la claque sur le passage de Ben Ali et de son hôte français.
D’autres exemples ? A l’heure où Nicolas Sarkozy débarquait à l’aéroport de Tunis, Radhia Nasraoui et Mohamed Ennouri étaient convoqués au ministère de l’Intérieur pour «diffusion de fausses nouvelles». Ces militants des droits de l’homme avaient annoncé la mort d’un écolier dans la violente répression de manifestations à Chebba, il y a trois mois. Cette convocation intervient au dernier jour du délai légal : tant pis pour la concomitance.
Après avoir cassé les islamistes du parti Ennahda au début des années 90, Ben Ali a muselé la société civile. La Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) est empêchée de fonctionner depuis 2005. L’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) est constamment harcelée dans un pays dont le régime met en avant le statut de la femme, adopté sous Bourguiba. Les opposants et les esprits libres de ce pays passent leur temps à réparer leurs voitures saccagées par les sbires du régime, à essayer d’obtenir un passeport, rétablir une connexion Internet, trouver un emploi, une école pour leurs enfants… Leur vie quotidienne est devenue un enfer et leurs proches les adjurent de laisser tomber pour s’éviter les ennuis.
Prisonniers.
Mais leur sort n’est que la partie émergée des droits de l’homme en Tunisie. Aujourd’hui quelque 1 500 jeunes hommes croupissent en prison, arrêtés ou condamnés en vertu de la loi antiterroriste entrée en vigueur en 2004. Un chiffre qui fait de la Tunisie l’un des pays arabes comptant le plus de prisonniers politiques par rapport à sa population totale. La plupart d’entre eux sont des lycéens ou étudiants qui ont eu le malheur de fréquenter la mauvaise mosquée ou le mauvais site Internet.
La plupart n’ont commis aucun délit autre que s’intéresser de trop près à la guerre en Irak ou en Afghanistan. Les cas de torture, de détention secrète ou arbitraire, d’isolement total, voire de disparitions, sont courants. «Ces jeunes n’avaient pas d’idéologie précise en entrant en prison, ils en sortiront aguerris et farouchement djihadistes», s’inquiète un universitaire. Et le régime pourra donner un nouveau tour de vis. CQFD.
Libération
«Aujourd’hui, l’espace des libertés progresse. Ce sont des signaux encourageants que je veux saluer», a déclaré Nicolas Sarkozy rendant hommage aux efforts du régime de Ben Ali. Au même moment et c’est devenu un rituel à chaque visite d’un chef d’Etat français, des opposants tunisiens déclenchaient une grève de la faim.
Lors du dernier voyage de Jacques Chirac, en 2003, l’avocate Radhia Nasraoui avait eu recours à ce mode d’action très en vogue dans un pays ultra-verrouillé. Interpellé, Chirac avait répondu : «Le premier droit de l’homme c’est celui de se nourrir.» Une formule restée à ce jour en travers de la gorge des militants tunisiens des droits de l’homme. Que répondra Nicolas Sarkozy lorsqu’il sera interrogé sur le sort de Rachid Khechana et Mongi Ellouze, respectivement rédacteur en chef et directeur de la publication d’Al-Mawqif, l’hebdomadaire du Parti démocratique progressiste (PDP) ?
Harcèlement.
Les deux hommes sont en grève de la faim depuis samedi pour protester contre le «blocus» visant leur titre. Au deuxième étage d’un modeste immeuble du centre de Tunis, Rachid Khechana détaille le harcèlement dont son titre fait l’objet : «Depuis le début de l’année, cinq de nos numéros ont été saisis. Notre diffuseur, dont les NMPP françaises sont actionnaires, subit des pressions pour cesser de nous distribuer. Nos comptes sont bloqués sous des prétextes fallacieux. Le pouvoir pousse des sociétés à nous intenter des procès en dommages et intérêts. Enfin, nous n’avons pas accès à la publicité, privée comme publique, ni à aucune aide à la presse.»
Al-Mawqif, qui diffuse à 10 000 exemplaires, est le dernier titre indépendant d’une presse paralysée par l’autocensure et la peur. «Nous sommes le premier journal à avoir raconté ce qui s’est passé dans la région de Gafsa», se félicite le rédacteur en chef. Ce bassin minier est en quasi-insurrection depuis janvier à cause du népotisme à l’embauche régnant dans cette région miséreuse (Libération d’hier). L’hebdomadaire paye aussi son scoop révélant le déclassement de terrains archéologiques protégés par l’Unesco afin de les vendre au profit de proches du président Ben Ali. Enfin, le PDP est dans le collimateur du régime depuis la désignation de Najib Chebbi comme candidat à la présidentielle de l’année prochaine.
Ce monsieur âgé n’est pourtant pas un dangereux révolutionnaire, mais un notable de centre gauche. Dans les semaines qui ont suivi, Ben Ali a annoncé lui-même une réforme de la Constitution limitant les candidatures aux secrétaires généraux des partis légalement reconnus, ce qui n’est pas le cas de Chebbi. «C’est la troisième fois que j’annonce mon intention de me présenter et la troisième fois que le régime change les règles du jeu pour m’en empêcher», nous expliquait-il hier alors que des foules de lycéens et de chômeurs convergeaient vers l’avenue Bourguiba pour faire la claque sur le passage de Ben Ali et de son hôte français.
D’autres exemples ? A l’heure où Nicolas Sarkozy débarquait à l’aéroport de Tunis, Radhia Nasraoui et Mohamed Ennouri étaient convoqués au ministère de l’Intérieur pour «diffusion de fausses nouvelles». Ces militants des droits de l’homme avaient annoncé la mort d’un écolier dans la violente répression de manifestations à Chebba, il y a trois mois. Cette convocation intervient au dernier jour du délai légal : tant pis pour la concomitance.
Après avoir cassé les islamistes du parti Ennahda au début des années 90, Ben Ali a muselé la société civile. La Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) est empêchée de fonctionner depuis 2005. L’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) est constamment harcelée dans un pays dont le régime met en avant le statut de la femme, adopté sous Bourguiba. Les opposants et les esprits libres de ce pays passent leur temps à réparer leurs voitures saccagées par les sbires du régime, à essayer d’obtenir un passeport, rétablir une connexion Internet, trouver un emploi, une école pour leurs enfants… Leur vie quotidienne est devenue un enfer et leurs proches les adjurent de laisser tomber pour s’éviter les ennuis.
Prisonniers.
Mais leur sort n’est que la partie émergée des droits de l’homme en Tunisie. Aujourd’hui quelque 1 500 jeunes hommes croupissent en prison, arrêtés ou condamnés en vertu de la loi antiterroriste entrée en vigueur en 2004. Un chiffre qui fait de la Tunisie l’un des pays arabes comptant le plus de prisonniers politiques par rapport à sa population totale. La plupart d’entre eux sont des lycéens ou étudiants qui ont eu le malheur de fréquenter la mauvaise mosquée ou le mauvais site Internet.
La plupart n’ont commis aucun délit autre que s’intéresser de trop près à la guerre en Irak ou en Afghanistan. Les cas de torture, de détention secrète ou arbitraire, d’isolement total, voire de disparitions, sont courants. «Ces jeunes n’avaient pas d’idéologie précise en entrant en prison, ils en sortiront aguerris et farouchement djihadistes», s’inquiète un universitaire. Et le régime pourra donner un nouveau tour de vis. CQFD.
Libération
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