Les mères... Elles sont indignes, absentes, défaillantes ou dénaturées. Bref, elles ont souvent le mauvais rôle en littérature. En retour, il est rare qu'elles aient voix au chapitre. Qu'elles puissent dire publiquement quoi que ce soit pour leur défense. C'est dommage. On adorerait lire la réponse de Madame Mauriac au Genitrix de son petit François ou celle de Madame Bazin après la publication, par son fils Hervé, de Vipère au poing...
Michel Houellebecq, lui non plus, n'a jamais été tendre avec sa mère. Une hippie dégénérée, une incurable égocentrique préférant se consacrer à ses amants plutôt qu'à ses enfants : c'est ainsi qu'il la décrit dans Les Particules élémentaires (Flammarion, 1998). Dans Mourir, un journal écrit en 2005, après La Possibilité d'une île (Fayard, 2005) et disponible sur Internet, il explique "la faille psychique fondamentale" qui en a résulté pour lui : sa mère avait saccagé sa vie mais aussi, probablement, sa relation aux autres.
Quant à la rupture définitive intervenue avec elle - c'était après une violente dispute à propos de la première guerre du Golfe -, il la commente ainsi : "Je savais que je ne reverrais jamais ma mère ; et j'en tressaillais de joie. (...) J'ai vraiment senti que j'étais en train de vivre un grand moment - lumineux, libératoire, paisible." Cette mère, il ne l'a en effet jamais revue depuis 1991. Dans une interview aux Inrockuptibles, il l'a même déclarée morte, tout simplement.
Or voilà que cette maman bien vivante vient de prendre la plume pour mettre en quelque sorte les pendules à l'heure. Lucie Ceccaldi, une femme de 83 ans qui habite un petit cabanon sur les hauteurs de l'île de La Réunion, publie le 7 mai, aux éditions Scali, un récit dont le titre, L'Innocente (416 p., 19,90 euros), indique la teneur.
Tel fils, telle mère ? Elle a la langue verte et bien pendue, elle ne mâche pas ses mots la vieille dame. Dans un avertissement à "l'ami lecteur", elle écrit : "Si une renommée non préméditée par moi-même a porté mon nom dans tes neurones du commérage et que tu cherches un règlement de comptes dans la famille Houellebecq, referme ce livre (...). Ne t'attends pas non plus à voir des tripes sur la table, les tripes c'est fait pour digérer et ***** et c'est déjà pas mal. Si en plus, on leur demande d'écrire, ça peut faire que de la *****."
Non, ce qu'elle veut, dit-elle, c'est d'abord raconter sa vie à elle. La vie d'une femme qui a grandi dans la campagne algérienne dans les années 1920 puis à Alger pendant la seconde guerre mondiale, qui a vécu l'engagement communiste et la lutte pour la décolonisation. Une femme qui aurait passionnément voulu devenir danseuse mais que ses parents ont obligée à faire des études - et qui finalement terminera major de la faculté de médecine d'Alger. Une femme intelligente, farouchement indépendante, qui aura passé beaucoup d'années sur les routes de l'Inde et de l'Afrique... et qui raconte sa traversée du siècle.
Mais aux alentours de la page 130, il y a sa rencontre avec un guide de haute montagne - qu'elle appelle son Frison-Roche ou l'Epoux - et avec qui elle aura un enfant, Michel. Michel, ainsi prénommé en raison d'une balade au Mont-Saint-Michel, ne naît pas avant la page 166, mais dès lors les ennuis commencent. Il a un problème d'"évacuation" : "Au lieu du petit jaune d'oeuf guetté avec attendrissement par toute mère attentive, il ne parvenait à émettre, après des hurlements, qu'une petite crotte de bique." Rien n'y fait, ni huile d'olive ni huile de ricin - le livre, ne l'oublions pas, est écrit par un médecin. Et surtout, les jeunes époux, passionnés de mer et de montagne, ont de grands projets en tête. Ils veulent traverser l'Afrique, gravir le mont Kenya, le Kilimandjaro. Pas question de renoncer pour cause de nourrisson sur les bras.
C'est ainsi que Michel prendra son premier avion dans "son moïse capitonné". Et qu'il sera finalement confié à sa grand-mère paternelle, "madame veuve Thomas Henriette, née Houellebecq", la seule qui, dit-il, lui prodiguera un peu de tendresse et dont il prendra plus tard le nom par reconnaissance.
Absence de logis stable, activité professionnelle d'une mère médecin bientôt séparée, amants nombreux, besoin de liberté : "le môme était mieux chez l'Henriette", conclut tranquillement Lucie Ceccaldi pour expliquer pourquoi son fils a grandi loin d'elle. Evidemment, cette mise à l'écart sera le ferment du conflit inextinguible entre mère et fils. Mais Lucie Ceccaldi s'en étonne presque. Dans la postface du livre, elle écrit : "Je ne m'explique pas sa hargne autrement que par la haine distillée goutte à goutte par la grand-mère Houellebecq, sur le cerveau fragile d'un enfant." Elle dit aussi : "Avec Michel, on pourra commencer à se reparler le jour où il ira sur la place publique, ses Particules élémentaires dans la main, et qu'il dira : "Je suis un menteur, je suis un imposteur, j'ai été un parasite, je n'ai jamais rien fait de ma vie, que du mal à tous ceux qui m'ont entouré. Et je demande pardon.""
Le plus étonnant dans cette histoire, c'est l'impunité dont bénéficie le père - qui semble pourtant s'être désintéressé tout autant que sa femme du petit Michel. C'est aussi la symétrie des griefs. Tandis que Houellebecq, dans Mourir, accuse sa mère de ne pas l'avoir suffisamment "bercé, caressé, cajolé" quand il était enfant, Lucie Ceccaldi écrit que son fils a toujours été incapable d'aimer. "Il a peut-être fait des progrès en aimant son chien Clément. Mais maintenant je voudrais qu'il aime un chat, dit-elle. Parce qu'un chat c'est plus difficile à aimer qu'un chien. (...) Autrement, je ne veux plus entendre parler de lui." Plus explicite encore : "Mon fils, qu'il aille se faire foutre par qui il veut avec qui il veut, qu'il refasse un bouquin, j'en ai rien à cirer. Mais si par malheur, il remet mon nom sur un truc, il va se prendre un coup de canne dans la tronche, ça lui coupera toutes les dents, ça, c'est sûr ! Et ce n'est pas Flammarion ni Fayard qui m'arrêteront."
Voilà, qu'on se le dise. Encore une petite louche sur l'"arrogance de se prendre toujours pour l'être supérieur", sur l'arriviste cupide "prêt à faire n'importe quoi pour parvenir à la fortune et à la renommée" et la messe est dite. Une petite fessée à cinquante ans de distance. Un sombre lavage de linge sale en famille par livres interposés. Une belle étude de cas pour étudiants en psychologie ("En vous appuyant sur une lecture comparée des Particules élémentaires et de L'Innocente, vous montrerez les racines d'une haine maternelle et filiale indéracinable").
Et Michel Houellebecq lui-même, qu'en dit-il ? Il serait actuellement à l'étranger, "entre l'Irlande et l'Espagne" et, indiquent les éditions Fayard, éditrices de son dernier roman, il "ne souhaite pas s'exprimer sur ce sujet". De toute façon, cela fait belle lurette qu'il n'ouvre plus le courrier de sa mère. Quant à lire ses livres...
Florence Noiville
Article paru dans l'édition du 02.05.08
Michel Houellebecq, lui non plus, n'a jamais été tendre avec sa mère. Une hippie dégénérée, une incurable égocentrique préférant se consacrer à ses amants plutôt qu'à ses enfants : c'est ainsi qu'il la décrit dans Les Particules élémentaires (Flammarion, 1998). Dans Mourir, un journal écrit en 2005, après La Possibilité d'une île (Fayard, 2005) et disponible sur Internet, il explique "la faille psychique fondamentale" qui en a résulté pour lui : sa mère avait saccagé sa vie mais aussi, probablement, sa relation aux autres.
Quant à la rupture définitive intervenue avec elle - c'était après une violente dispute à propos de la première guerre du Golfe -, il la commente ainsi : "Je savais que je ne reverrais jamais ma mère ; et j'en tressaillais de joie. (...) J'ai vraiment senti que j'étais en train de vivre un grand moment - lumineux, libératoire, paisible." Cette mère, il ne l'a en effet jamais revue depuis 1991. Dans une interview aux Inrockuptibles, il l'a même déclarée morte, tout simplement.
Or voilà que cette maman bien vivante vient de prendre la plume pour mettre en quelque sorte les pendules à l'heure. Lucie Ceccaldi, une femme de 83 ans qui habite un petit cabanon sur les hauteurs de l'île de La Réunion, publie le 7 mai, aux éditions Scali, un récit dont le titre, L'Innocente (416 p., 19,90 euros), indique la teneur.
Tel fils, telle mère ? Elle a la langue verte et bien pendue, elle ne mâche pas ses mots la vieille dame. Dans un avertissement à "l'ami lecteur", elle écrit : "Si une renommée non préméditée par moi-même a porté mon nom dans tes neurones du commérage et que tu cherches un règlement de comptes dans la famille Houellebecq, referme ce livre (...). Ne t'attends pas non plus à voir des tripes sur la table, les tripes c'est fait pour digérer et ***** et c'est déjà pas mal. Si en plus, on leur demande d'écrire, ça peut faire que de la *****."
Non, ce qu'elle veut, dit-elle, c'est d'abord raconter sa vie à elle. La vie d'une femme qui a grandi dans la campagne algérienne dans les années 1920 puis à Alger pendant la seconde guerre mondiale, qui a vécu l'engagement communiste et la lutte pour la décolonisation. Une femme qui aurait passionnément voulu devenir danseuse mais que ses parents ont obligée à faire des études - et qui finalement terminera major de la faculté de médecine d'Alger. Une femme intelligente, farouchement indépendante, qui aura passé beaucoup d'années sur les routes de l'Inde et de l'Afrique... et qui raconte sa traversée du siècle.
Mais aux alentours de la page 130, il y a sa rencontre avec un guide de haute montagne - qu'elle appelle son Frison-Roche ou l'Epoux - et avec qui elle aura un enfant, Michel. Michel, ainsi prénommé en raison d'une balade au Mont-Saint-Michel, ne naît pas avant la page 166, mais dès lors les ennuis commencent. Il a un problème d'"évacuation" : "Au lieu du petit jaune d'oeuf guetté avec attendrissement par toute mère attentive, il ne parvenait à émettre, après des hurlements, qu'une petite crotte de bique." Rien n'y fait, ni huile d'olive ni huile de ricin - le livre, ne l'oublions pas, est écrit par un médecin. Et surtout, les jeunes époux, passionnés de mer et de montagne, ont de grands projets en tête. Ils veulent traverser l'Afrique, gravir le mont Kenya, le Kilimandjaro. Pas question de renoncer pour cause de nourrisson sur les bras.
C'est ainsi que Michel prendra son premier avion dans "son moïse capitonné". Et qu'il sera finalement confié à sa grand-mère paternelle, "madame veuve Thomas Henriette, née Houellebecq", la seule qui, dit-il, lui prodiguera un peu de tendresse et dont il prendra plus tard le nom par reconnaissance.
Absence de logis stable, activité professionnelle d'une mère médecin bientôt séparée, amants nombreux, besoin de liberté : "le môme était mieux chez l'Henriette", conclut tranquillement Lucie Ceccaldi pour expliquer pourquoi son fils a grandi loin d'elle. Evidemment, cette mise à l'écart sera le ferment du conflit inextinguible entre mère et fils. Mais Lucie Ceccaldi s'en étonne presque. Dans la postface du livre, elle écrit : "Je ne m'explique pas sa hargne autrement que par la haine distillée goutte à goutte par la grand-mère Houellebecq, sur le cerveau fragile d'un enfant." Elle dit aussi : "Avec Michel, on pourra commencer à se reparler le jour où il ira sur la place publique, ses Particules élémentaires dans la main, et qu'il dira : "Je suis un menteur, je suis un imposteur, j'ai été un parasite, je n'ai jamais rien fait de ma vie, que du mal à tous ceux qui m'ont entouré. Et je demande pardon.""
Le plus étonnant dans cette histoire, c'est l'impunité dont bénéficie le père - qui semble pourtant s'être désintéressé tout autant que sa femme du petit Michel. C'est aussi la symétrie des griefs. Tandis que Houellebecq, dans Mourir, accuse sa mère de ne pas l'avoir suffisamment "bercé, caressé, cajolé" quand il était enfant, Lucie Ceccaldi écrit que son fils a toujours été incapable d'aimer. "Il a peut-être fait des progrès en aimant son chien Clément. Mais maintenant je voudrais qu'il aime un chat, dit-elle. Parce qu'un chat c'est plus difficile à aimer qu'un chien. (...) Autrement, je ne veux plus entendre parler de lui." Plus explicite encore : "Mon fils, qu'il aille se faire foutre par qui il veut avec qui il veut, qu'il refasse un bouquin, j'en ai rien à cirer. Mais si par malheur, il remet mon nom sur un truc, il va se prendre un coup de canne dans la tronche, ça lui coupera toutes les dents, ça, c'est sûr ! Et ce n'est pas Flammarion ni Fayard qui m'arrêteront."
Voilà, qu'on se le dise. Encore une petite louche sur l'"arrogance de se prendre toujours pour l'être supérieur", sur l'arriviste cupide "prêt à faire n'importe quoi pour parvenir à la fortune et à la renommée" et la messe est dite. Une petite fessée à cinquante ans de distance. Un sombre lavage de linge sale en famille par livres interposés. Une belle étude de cas pour étudiants en psychologie ("En vous appuyant sur une lecture comparée des Particules élémentaires et de L'Innocente, vous montrerez les racines d'une haine maternelle et filiale indéracinable").
Et Michel Houellebecq lui-même, qu'en dit-il ? Il serait actuellement à l'étranger, "entre l'Irlande et l'Espagne" et, indiquent les éditions Fayard, éditrices de son dernier roman, il "ne souhaite pas s'exprimer sur ce sujet". De toute façon, cela fait belle lurette qu'il n'ouvre plus le courrier de sa mère. Quant à lire ses livres...
Florence Noiville
Article paru dans l'édition du 02.05.08
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