La question de la révision constitutionnelle et du troisième mandat ne laisse personne indifférent en Algérie. Comme le montre la pétitionqui circule et qui a recueilli des centaines de signatures.
Nous avons demandé à Lahouari Addi de nous donner son point de vue sur cette question qui domine le débat politique algérien. Dans ses réponses à nos questions, Lahouari Addi développe une proposition de sortie de crise dont le moins qu’on puisse dire, est qu’elle suscite des questionnements.
Mais qui est cet intellectuel dont les prises de position ne laissent pas indifférent ?
Lahouari Addi est de ces universitaires qui font notre fierté, autant par son attachement à l’Algérie que par le rayonnement scientifique de ses travaux dans la communauté universitaire internationale. Sociologue formé à Oran, de l’école primaire à l’université, il dit lui-même qu’il appartient à la génération à qui l’indépendance a donné la possibilité de se former et d’acquérir un statut d’universitaire. Il a bénéficié d’un détachement à Paris (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales) en 1983 qui lui a permis de soutenir une thèse d’Etat publiée à Alger, (ENAL, 1990) sous le titre « L’impasse du populisme », analysant les contradictions de la construction étatique en Algérie de 1962 à 1988.
Après avoir enseigné pendant 18 ans à l’Université d’Oran, il a dû quitter en 1994 sa ville natale pour des raisons de sécurité. Depuis, il est à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon où il enseigne l’anthropologie et la sociologie du monde arabe ainsi qu’un cours de sociologie des relations internationales. Il y dirige, par ailleurs, plusieurs thèses sur des thèmes relevant de sa spécialité. Il collabore par des contributions régulières, et remarquées, au Quotidien d’Oran et au Monde diplomatique. Il a publié plusieurs ouvrages, dont « L’Algérie et la démocratie », (1995) « Les mutations de la société algérienne », (1999) « Sociologie et anthropologie chez Pierre Bourdieu » 2002). Il nous a confié qu’il est sur le point d’achever la rédaction d’un livre sur deux anthropologues du Maghreb, Clifford Geertz et Ernest Gellner.
Lahouari Addi a écrit une cinquante d’articles dans des revues scientifiques en Europe et aux Etats-Unis. Il est souvent invité par des universités américaines (Princeton University, University of Utah, Salt Lake City, UCLA, Los Angeles…). Il a été l’un des rares universitaires arabes à avoir été membre du prestigieux Institute for Advanced Study à Princeton où il a séjourné pendant une année en 2002-2003.
Tahia bladi: Que vous inspire la question du troisième mandat pour A. Bouteflika ?
Addi Lahouari: Il y a de quoi être choqué. Dans un pays où le mécontentement social est à son paroxysme, les grèves sont quotidiennes, le pouvoir d’achat des salariés est l’un des plus bas au monde, le président cherche à modifier la constitution comme dans une république bananière pour se représenter. En sondant la population, vous constaterez qu’il n’y a jamais eu un président algérien aussi impopulaire dans tout le pays, y compris à l’Ouest d’où il est originaire. Cela veut dire que le personnel qui décide ignore totalement les préoccupations de la population dans les processus de désignation des responsables du pays. C’est de l’irresponsabilité et c’est exposer le pays à la crise chronique. Le régime continue d’ignorer la population qui répond par l’apathie générale et les émeutes localisées.
TB: Qui décide d’une telle question au sommet ? Le président a-t-il une autorité ou n’est-il qu’un paravent?
A.L: Selon les indices qui transparaissent dans la vie politique quotidienne rapportée par la presse, le président n’a aucune autorité et il fait seulement de la figuration. Il est possible cependant qu’un clan de généraux le soutienne contre un autre clan. De très graves affaires de corruption comme l’affaire Khalifa, BRC et autres ont défrayé la chronique et où des généraux sont impliqués. Dans ce cas là, des clans se forment pour défendre les amis et les alliés. Le fait que ces affaires très graves et préjudiciables à l’économie nationale et aux institutions de l’Etat n’ont pas été suivies par l’arrestation des officiers impliqués dans les réseaux de corruption indique clairement que le président n’a aucune autorité ni sur l’armée ni sur le gouvernement. Je prendrais deux exemples. Le premier est relatif aux insultes proférées par un ministre à l’encontre d’un Chef d’Etat étranger que l’Algérie s’apprêtait à recevoir officiellement. Dans n’importe quel autre pays, le ministre en question aurait été relevé de ses fonctions. En Algérie, il ne l’a pas été parce que le président n’a aucune autorité sur la majorité des ministres qui lui ont été imposés, à l’exception de Belkhadem, Zerhouni et Ould Abbes. Le deuxième exemple est la longévité du général Tewfik Médiène aux fonctions de responsable du DRS. Il est le premier responsable de la sécurité alors que la violence politique tue depuis 16 ans. De deux choses l’une : ou bien c’est le DRS qui nomme aux fonctions de président, ou bien c’est le président qui nomme aux fonctions de chef du DRS. Or Tewfik a survécu à Chadli Bendjedid, Liamine Zéroual, Bouteflika I, Bouteflika II et il s’apprête à modifier la constitution pour Bouteflika III. Si au moins le terrorisme avait été vaincu, nous aurions dit que les différents présidents le gardent en raison de ses compétences ; mais ce n’est pas le cas...
TB: Pourtant Bouteflika a mis à la retraite des généraux puissants comme Lamari Mohamed. Comment peut-on expliquer cette mise à la retraite ?
A.L.: Mohamed Lamari a été prié par ses collègues de quitter ses fonctions de Chef d’Etat-Major parce qu’il donnait trop d’interviews dans lesquelles il se posait comme supérieur au président, c’est-à-dire qu’il démontrait tous les jours la théorie du pouvoir réel et du pouvoir formel. Or l’armée algérienne, pour des raisons qui lui sont propres, veut apparaître publiquement comme une armée qui obéit à l’autorité constitutionnelle du président de la république, chef formel des forces armées. Lamari mettait mal à l’aise les militaires qui se cachaient derrière la fiction constitutionnelle. Il démontrait par ses propos que l’armée est la source du pouvoir. C’est vrai, elle l’est, mais il ne faut pas le dire. Lamari a été remplacé par Gaid Salah qui ne parle pas, tout au moins publiquement.
TB: Difficile de faire la part entre l’Armée et l’ « Etat » ?
A.L.: L’armée considère que si elle ne contrôle pas l’Etat, l’Algérie disparaîtrait en tant que nation. Elle a mis sur pied un service spécialisé dans la surveillance des ministères, des institutions et tout le champ politique modelé de manière artificielle. Ce dernier ne reflète pas les courants politiques et idéologiques réels de la société. Le DRS élimine tout parti ou toute personnalité qui n’accepte pas la règle non écrite du système politique algérien : l’armée est la seule source du pouvoir. Et tout cela de manière anti-constitutionnelle. Du point de vue du droit algérien, les activités « politiques » du DRS sont illégales. N’importe quel juge peut demander à la gendarmerie d’arrêter le général Tewfik Médiène pour menées subversives et blocage des institutions de l’Etat ! Dans un Etat qui se respecte il n’y a pas d’individu, QUELLE QUE SOIT SA FONCTION, qui soit au-dessus des lois et de la constitution. Si les généraux avaient un peu de culture politique et le sens des perspectives historiques, la première chose à faire est la dissolution du DRS et son remplacement par un service qui ne s’occupe que de l’espionnage et du contre-espionnage à l’image de la DST en France. Est-ce que la DST en France s’immisce dans les affaires politiques, en noyautant la CGT, l’UMP, le PS., les journaux Le Monde, Le Figaro, Libération ? Si la DST avait les mêmes pouvoirs que le DRS, en dix ans la France deviendrait un pays sous-développé !
Nous avons demandé à Lahouari Addi de nous donner son point de vue sur cette question qui domine le débat politique algérien. Dans ses réponses à nos questions, Lahouari Addi développe une proposition de sortie de crise dont le moins qu’on puisse dire, est qu’elle suscite des questionnements.
Mais qui est cet intellectuel dont les prises de position ne laissent pas indifférent ?
Lahouari Addi est de ces universitaires qui font notre fierté, autant par son attachement à l’Algérie que par le rayonnement scientifique de ses travaux dans la communauté universitaire internationale. Sociologue formé à Oran, de l’école primaire à l’université, il dit lui-même qu’il appartient à la génération à qui l’indépendance a donné la possibilité de se former et d’acquérir un statut d’universitaire. Il a bénéficié d’un détachement à Paris (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales) en 1983 qui lui a permis de soutenir une thèse d’Etat publiée à Alger, (ENAL, 1990) sous le titre « L’impasse du populisme », analysant les contradictions de la construction étatique en Algérie de 1962 à 1988.
Après avoir enseigné pendant 18 ans à l’Université d’Oran, il a dû quitter en 1994 sa ville natale pour des raisons de sécurité. Depuis, il est à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon où il enseigne l’anthropologie et la sociologie du monde arabe ainsi qu’un cours de sociologie des relations internationales. Il y dirige, par ailleurs, plusieurs thèses sur des thèmes relevant de sa spécialité. Il collabore par des contributions régulières, et remarquées, au Quotidien d’Oran et au Monde diplomatique. Il a publié plusieurs ouvrages, dont « L’Algérie et la démocratie », (1995) « Les mutations de la société algérienne », (1999) « Sociologie et anthropologie chez Pierre Bourdieu » 2002). Il nous a confié qu’il est sur le point d’achever la rédaction d’un livre sur deux anthropologues du Maghreb, Clifford Geertz et Ernest Gellner.
Lahouari Addi a écrit une cinquante d’articles dans des revues scientifiques en Europe et aux Etats-Unis. Il est souvent invité par des universités américaines (Princeton University, University of Utah, Salt Lake City, UCLA, Los Angeles…). Il a été l’un des rares universitaires arabes à avoir été membre du prestigieux Institute for Advanced Study à Princeton où il a séjourné pendant une année en 2002-2003.
Tahia bladi: Que vous inspire la question du troisième mandat pour A. Bouteflika ?
Addi Lahouari: Il y a de quoi être choqué. Dans un pays où le mécontentement social est à son paroxysme, les grèves sont quotidiennes, le pouvoir d’achat des salariés est l’un des plus bas au monde, le président cherche à modifier la constitution comme dans une république bananière pour se représenter. En sondant la population, vous constaterez qu’il n’y a jamais eu un président algérien aussi impopulaire dans tout le pays, y compris à l’Ouest d’où il est originaire. Cela veut dire que le personnel qui décide ignore totalement les préoccupations de la population dans les processus de désignation des responsables du pays. C’est de l’irresponsabilité et c’est exposer le pays à la crise chronique. Le régime continue d’ignorer la population qui répond par l’apathie générale et les émeutes localisées.
TB: Qui décide d’une telle question au sommet ? Le président a-t-il une autorité ou n’est-il qu’un paravent?
A.L: Selon les indices qui transparaissent dans la vie politique quotidienne rapportée par la presse, le président n’a aucune autorité et il fait seulement de la figuration. Il est possible cependant qu’un clan de généraux le soutienne contre un autre clan. De très graves affaires de corruption comme l’affaire Khalifa, BRC et autres ont défrayé la chronique et où des généraux sont impliqués. Dans ce cas là, des clans se forment pour défendre les amis et les alliés. Le fait que ces affaires très graves et préjudiciables à l’économie nationale et aux institutions de l’Etat n’ont pas été suivies par l’arrestation des officiers impliqués dans les réseaux de corruption indique clairement que le président n’a aucune autorité ni sur l’armée ni sur le gouvernement. Je prendrais deux exemples. Le premier est relatif aux insultes proférées par un ministre à l’encontre d’un Chef d’Etat étranger que l’Algérie s’apprêtait à recevoir officiellement. Dans n’importe quel autre pays, le ministre en question aurait été relevé de ses fonctions. En Algérie, il ne l’a pas été parce que le président n’a aucune autorité sur la majorité des ministres qui lui ont été imposés, à l’exception de Belkhadem, Zerhouni et Ould Abbes. Le deuxième exemple est la longévité du général Tewfik Médiène aux fonctions de responsable du DRS. Il est le premier responsable de la sécurité alors que la violence politique tue depuis 16 ans. De deux choses l’une : ou bien c’est le DRS qui nomme aux fonctions de président, ou bien c’est le président qui nomme aux fonctions de chef du DRS. Or Tewfik a survécu à Chadli Bendjedid, Liamine Zéroual, Bouteflika I, Bouteflika II et il s’apprête à modifier la constitution pour Bouteflika III. Si au moins le terrorisme avait été vaincu, nous aurions dit que les différents présidents le gardent en raison de ses compétences ; mais ce n’est pas le cas...
TB: Pourtant Bouteflika a mis à la retraite des généraux puissants comme Lamari Mohamed. Comment peut-on expliquer cette mise à la retraite ?
A.L.: Mohamed Lamari a été prié par ses collègues de quitter ses fonctions de Chef d’Etat-Major parce qu’il donnait trop d’interviews dans lesquelles il se posait comme supérieur au président, c’est-à-dire qu’il démontrait tous les jours la théorie du pouvoir réel et du pouvoir formel. Or l’armée algérienne, pour des raisons qui lui sont propres, veut apparaître publiquement comme une armée qui obéit à l’autorité constitutionnelle du président de la république, chef formel des forces armées. Lamari mettait mal à l’aise les militaires qui se cachaient derrière la fiction constitutionnelle. Il démontrait par ses propos que l’armée est la source du pouvoir. C’est vrai, elle l’est, mais il ne faut pas le dire. Lamari a été remplacé par Gaid Salah qui ne parle pas, tout au moins publiquement.
TB: Difficile de faire la part entre l’Armée et l’ « Etat » ?
A.L.: L’armée considère que si elle ne contrôle pas l’Etat, l’Algérie disparaîtrait en tant que nation. Elle a mis sur pied un service spécialisé dans la surveillance des ministères, des institutions et tout le champ politique modelé de manière artificielle. Ce dernier ne reflète pas les courants politiques et idéologiques réels de la société. Le DRS élimine tout parti ou toute personnalité qui n’accepte pas la règle non écrite du système politique algérien : l’armée est la seule source du pouvoir. Et tout cela de manière anti-constitutionnelle. Du point de vue du droit algérien, les activités « politiques » du DRS sont illégales. N’importe quel juge peut demander à la gendarmerie d’arrêter le général Tewfik Médiène pour menées subversives et blocage des institutions de l’Etat ! Dans un Etat qui se respecte il n’y a pas d’individu, QUELLE QUE SOIT SA FONCTION, qui soit au-dessus des lois et de la constitution. Si les généraux avaient un peu de culture politique et le sens des perspectives historiques, la première chose à faire est la dissolution du DRS et son remplacement par un service qui ne s’occupe que de l’espionnage et du contre-espionnage à l’image de la DST en France. Est-ce que la DST en France s’immisce dans les affaires politiques, en noyautant la CGT, l’UMP, le PS., les journaux Le Monde, Le Figaro, Libération ? Si la DST avait les mêmes pouvoirs que le DRS, en dix ans la France deviendrait un pays sous-développé !
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