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Plus de sécurité pour la presse et moins de liberté en Algérie?

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  • Plus de sécurité pour la presse et moins de liberté en Algérie?

    Une série d'assassinats visant la presse algérienne au début des années 1990 n'avait pas réussi à la mettre au pas. Mais aujourd'hui, les journaux semblent avoir perdu en liberté ce qu'ils ont gagné en sécurité, qui est fragile mais bien réelle.

    Des analystes reprochent à cette presse de ne pas suffisamment "creuser" ses enquêtes de peur de se fâcher avec le président Aldebelaziz Bouteflika, qui semble bien parti pour briguer un troisième mandat en avril 2009.

    Certains éditeurs estiment que cette forme de régression de la presse indépendante de statut privé est due notamment à une conjoncture de "sortie de guerre" où il est difficile de critiquer un pouvoir algérien qui sacralise le secret. Il est dès lors difficile dans ces conditions de voir l'émergence d'une économie moderne transparente qui permettrait la création d'emplois afin de garantir la stabilité politique.

    Pour Mahmoud Belhimer, rédacteur en chef du plus fort tirage du pays, "El Khabar", journal arabophone connu pour ses critiques virulentes du pouvoir en place, "les espaces de liberté se sont rétrécis en comparaison avec les années 1990".

    "Il y a moins d'enthousiasme et moins de détermination chez les journalistes. Nous vivons une phase de régression", a déclaré Belhimer à Reuters quelques jours avant la Journée mondiale de la liberté de la presse célébrée ce samedi.

    Pour Omar Belhouchet, le patron du très influent quotidien francophone "El Watan", "nous sommes dans une sorte de guérilla avec le pouvoir en place. Il y a beaucoup de pressions et la situation est assez tendue".

    FATWA DES GIA

    La naissance de quotidiens indépendants en 1990 tels qu'"El Khabar" et "El Watan" a été rendue possible grâce à la levée du monopole sur la presse, une réforme qui a coïncidé avec "une descente aux enfers" du pays qui a connu une authentique expérience de pluralisme politique, mais également une insurrection islamiste en 1992.

    Cette dernière a éclaté après la décision du gouvernement, soutenu à bras le corps par l'institution militaire, d'annuler les résultats des élections législatives qu'aurait remportées haut la main le Front islamique du salut (Fis, un parti islamiste radical). Les violences qui ont suivi ont fait plus de 150.000 morts.

    Les rebelles des Groupes islamistes armés (GIA, réputés pour leurs massacres collectifs) avaient ciblé les journalistes en prononçant une célèbre "fatwa" affirmant: "Ceux qui nous attaquent par la plume périront par le glaive".

    Plus de 60 journalistes et 30 techniciens travaillant dans la presse ont ainsi été assassinés, certains par décapitation.

    Pour Belhouchet, qui a échappé à un attentat en 1993, "la situation sécuritaire aujourd'hui s'est nettement améliorée. Je peux prendre un café sur une terrasse sans aucun problème. Avant, nous vivions dans une semi-clandestinité".

    Des dizaines de titres ont vu le jour, certains très critiques en comparaison avec la télévision d'Etat. Aujourd'hui, il existe 65 quotidiens en Algérie, où l'audiovisuel demeure monopole de l'Etat.

    Mais l'ambiance a changé.

    Les ONG de défense de la liberté d'expression critiquent les autorités algériennes en les accusant de recourir à la justice pour museler des journalistes qui osent contredire le discours des gouvernants.

    Le gouvernement jouit de grandes prérogatives en vertu d'un état d'urgence en vigueur depuis 1992 qui permet la suspension de titres pour "mise en danger de la sûreté de l'Etat".

    Le gouvernement contrôle aussi la publicité et imprime la majorité des titres. Une loi de 2001 permet l'emprisonnement de journalistes pour une durée pouvant aller jusqu'à trois ans s'il est reconnu coupable de diffamation envers les représentants du gouvernement. Une loi de 2006 "criminalise" les critiques à l'endroit des services de sécurité durant les années de guerre civile.

    ÉPÉE DE DAMOCLÈS


    Belhouchet estime que depuis 1992, il a été impliqué dans environ 150 procès, chacun nécessitant un minimum de six présences devant une cour de justice. Dans la dernière affaire, le procureur a requis contre lui et le caricaturiste Chawki Amari une peine de deux mois de prison pour un article relatif à un gouverneur de région. Belhouchet et Amari ont été laissés en liberté en attendant la décision de la Cour suprême.

    Commentaire de Mohamed Benchicou, un éditeur connu pour ses écrits critiques envers le pouvoir: "Devant cette répression qui se profile, notre presse est plus fragile et plus seule que jamais".

    Plusieurs journalistes ont été condamnés à des peines de prison, mais aucun n'a été mis sous les verrous.

    Cependant, la possibilité de faire de la prison reste une épée de Damoclès qui pèse sur la tête des journalistes algériens, disent les observateurs.

    Benchicou a ainsi passé deux années en prison, de 2004 à 2006, reconnu coupable d'infraction à la législation sur le régime des changes. Pour les défenseurs de Benchicou, cette affaire n'était en réalité qu'un prétexte pour faire taire son journal, "Le Matin", ce que le gouvernement nie.

    Dans une déclaration faite en avril, le ministre de la Communication, Abderachid Boukerzaza, a affirmé que l'Algérie faisait "des efforts soutenus et permanents afin de garantir la liberté d'expression".

    Et d'ajouter qu'un "rapide coup d'oeil sur le cadre juridique renseigne sur notre volonté de promouvoir et de garantir la liberté d'expression chez nous". Il a cependant reconnu que "des difficultés existent quant à l'application de la législation qui est, in fine, une affaire de tous". Se voulant rassurant, le ministre a précisé: "J'ai obtenu le feu vert du gouvernement pour tout faire pour promouvoir cette liberté".

    MISES EN GARDE D'AL QAÏDA


    Les journalistes algériens reconnaissent que le gouvernement fait des efforts pour améliorer leurs conditions socioprofessionnelles après la promulgation d'une législation améliorant les conditions salariales. Mais ils estiment que très peu est fait pour la promotion des libertés.

    La menace islamiste a diminué mais il n'en demeure pas moins qu'Al Qaïda a, à plusieurs reprises, lancé des mises en garde aux journalistes qui privilégieraient les thèses officielles en matière d'informations sécuritaires.

    Salima Tlemcani, une journaliste d'"El Watan" spécialisée dans le domaine de la sécurité, préfère ainsi rester vigilante en limitant ses sorties à l'extérieur.

    Certains avancent même la thèse selon laquelle la presse aurait perdu de sa confiance et de sa superbe ces dernières années. Lors de la présidentielle de 2004, beaucoup de titres avaient tiré à boulets rouges sur l'actuel chef de l'Etat en l'accusant d'autoritarisme.

    Il est largement admis que ces attaques ont été encouragées par certains cercles au sein de l'institution militaire et dans le monde des affaires.

    Pour la prochaine présidentielle, les critiques proviennent pour l'instant essentiellement d'"El Watan" et d'"El Khabar". Cette absence de critiques est un signe, disent les observateurs, qu'un consensus a été trouvé pour introduire un amendement à la Constitution qui permettrait à Bouteflika, aujourd'hui âgé de 71 ans, de briguer un troisième mandat. L'actuelle Loi fondamentale limite le nombre de mandats présidentiels à deux.


    Par Lamine Chikhi- Reuters- Le Monde
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