Incendie. Piège de feu à Casablanca
En cette matinée du samedi 26 avril, les Casablancais se préparent à vivre une journée de canicule. Depuis quelques jours, le printemps semble s'être évaporé sous le chergui et, le long de la côte, les grappes de baigneurs déferlent sur les plages du sud de la ville blanche. La température n'a pas fini de monter. Un peu plus à l'est, sur la route d'El Jadida, le quartier périphérique de Lissasfa va vivre, lui, une véritable catastrophe humaine : le pire incendie d'usine de l'histoire du Maroc indépendant.
“Le feu s'est déclaré peu après 10 heures du matin. J'ai entendu des cris et des appels à l'aide venant de l'usine de matelas”, se souvient un riverain qui a assisté au déroulement du sinistre. Il est donc un peu plus de 10 heures quand les premiers coups de fil se déversent sur le standard de la Protection civile. “On a compris rapidement que l'incendie serait difficile à maîtriser”, nous apprend cette source à la Protection civile. Le pire est encore à venir. Les premiers véhicules de pompiers qui arrivent sur place, comme cela nous a été confirmé, sont trop faiblement équipés pour affronter les flammes qui se dégagent de ce bâtiment de 4 étages, étalé sur une surface de près de 600 mètres carrés. “Les pompiers, partis de la caserne de Casablanca - Anfa, ont mis plus d'une heure à arriver sur les lieux. Il était trop tard pour pouvoir secourir les ouvriers de l'usine”, confie Driss, sapeur-pompier arrivé tôt sur les lieux du sinistre. Notre soldat du feu se défend pourtant de tout laxisme : “Nous avons demandé des renforts en route. Malheureusement, nous avons perdu du temps à chercher une bouche d'incendie en état de fonctionnement”. Car la bouche d'incendie au pied de l'immeuble n'a pas “fonctionné”, et il a fallu trouver un raccordement à plus de 800 mètres de l'endroit. En un mot comme en mille, la bataille contre le feu était mal, très mal engagée.
D'après les témoignages des rescapés, le feu s'est d'abord déclaré dans le rez-de-chaussée, au niveau de l'atelier de menuiserie. À cause d'un court-circuit électrique, comme le laissent penser les premières déclarations des officiels ? Toujours est-il que les flammes ont rapidement gagné du terrain car, dans cette usine de confection de matelas, ce ne sont pas les matières inflammables qui manquent : mousse de polyuréthane, colle, bois, solvants… Un véritable cocktail explosif. “Quand nous sommes arrivés sur place, des tas de produits s'amoncelaient sur le terrain vague en face de l'usine. Ça explosait de partout. À l'intérieur, c'était la panique. Certains ont essayé de maîtriser le feu à l'aide d'extincteurs (ndlr : selon des témoins - information non confirmée pour le moment - les extincteurs disponibles à l'intérieur de l'usine étaient vides pour la plupart), mais c'était trop tard”, se souvient un des pompiers qui sont intervenus sur le site de la catastrophe.
La Tour infernale
La panique est telle que, au moment où un hélicoptère de la gendarmerie survole le site de l'incendie, des voisins accourus de tout le quartier Lissasfa pour porter secours aux employés livrés à leur sort, s'écrient, désespérés : “C'est lui, le roi, c'est lui !”. La foule y a même cru, l'espace de quelques minutes…
Et puis rien n'y fait, le feu poursuit ses ravages. Les premières victimes tombent. Malgré les efforts des riverains, malgré les efforts des soldats du feu. Fenêtres grillagées, portes rapidement bloquées… faute d'issue de secours, la plupart des employés tentent de gagner le 4ème étage, pour se réfugier ensuite à l'air libre, sur le toit de l'usine. Souvent en pure perte. “L'obscurité était totale mais, à la lumière d'un téléphone portable, nous avons réussi à accéder au toit. On a utilisé une échelle laissée par des ouvriers et des voisins nous ont lancé une corde”, se souvient Aïcha, ouvrière couturière, encore sous le choc. Trois membres de la famille de la rescapée, employés aussi à l'usine, ont péri dans les flammes.
Car peu d'ouvriers ont pu accéder au minuscule toit de l'usine, ultime recours pour échapper au feu. Les rescapés (entre 30 et 40, selon les estimations les plus fiables) ont fait comme ils ont pu, avec les moyens du bord. Omar, 20 ans, raconte : “Là où j'en étais, je me suis dit que je n'avais plus rien à perdre. J'étais bloqué au 3ème ètage, je ne pouvais ni remonter au 4ème, ni descendre jusqu'au rez-de-chaussée. Alors j'ai sauté…”. A la réception, plusieurs fractures et contusions, mais Omar a eu la “chance” de survivre.
“A l'intérieur, la plupart des victimes ont d'abord été asphyxiées par les gaz, avant d'être brûlées. Quatre pompiers ont d'ailleurs failli y rester”, précise un officier de la Protection civile. Le combat est rude, les forces de secours sont dépassées par la situation. Une heure après l'arrivée du premier camion rouge, l'incendie, loin de s'éteindre, a fini par se propager à l'ensemble des quatre étages.
Ce n'est qu'au milieu de l'après-midi que les pompiers ont, enfin, accès à des moyens suffisants pour maîtriser le feu. “Ils ont dû faire appel à Lydec pour débloquer le problème d'alimentation en eau”, tonne cet élu du Conseil municipal. Les familles des employés, tenues à distance par un imposant dispositif de Forces auxiliaires dépêchées sur les lieux, commencent alors à perdre espoir. Des femmes pleurent leur mari, leur père ou leur fille restée à l'intérieur. “Les proches ont commencé à affluer des rues avoisinantes, puis des quartiers périphériques, de Hay Hassani, de Sidi Maârouf ou de Hay Ennasim”, rapporte ce témoin. “Lorsque les pompiers ont commencé à sortir les dépouilles, étage après étage, les familles étaient dans un véritable état d'hystérie”. La plupart des victimes sont restées bloquées au 4ème étage, où elles sont mortes asphyxiées par les fumées toxiques. Avant que les flammes n'attaquent leur dépouille. “C'était insoutenable, les corps qu'on sortait le l'usine étaient littéralement carbonisés”, raconte ce journaliste qui a accédé au toit d'un immeuble voisin, où les cadavres ont été entreposés.
Usine Rosamor Ameublement,
Lissasfa, le 26 avril 2008, 13h.
(DR)
56 morts !! Que s’est-il passé ? Qui est responsable ? Enquête sur la plus grande catastrophe industrielle de notre histoire.Lissasfa, le 26 avril 2008, 13h.
(DR)
En cette matinée du samedi 26 avril, les Casablancais se préparent à vivre une journée de canicule. Depuis quelques jours, le printemps semble s'être évaporé sous le chergui et, le long de la côte, les grappes de baigneurs déferlent sur les plages du sud de la ville blanche. La température n'a pas fini de monter. Un peu plus à l'est, sur la route d'El Jadida, le quartier périphérique de Lissasfa va vivre, lui, une véritable catastrophe humaine : le pire incendie d'usine de l'histoire du Maroc indépendant.
D'après les témoignages des rescapés, le feu s'est d'abord déclaré dans le rez-de-chaussée, au niveau de l'atelier de menuiserie. À cause d'un court-circuit électrique, comme le laissent penser les premières déclarations des officiels ? Toujours est-il que les flammes ont rapidement gagné du terrain car, dans cette usine de confection de matelas, ce ne sont pas les matières inflammables qui manquent : mousse de polyuréthane, colle, bois, solvants… Un véritable cocktail explosif. “Quand nous sommes arrivés sur place, des tas de produits s'amoncelaient sur le terrain vague en face de l'usine. Ça explosait de partout. À l'intérieur, c'était la panique. Certains ont essayé de maîtriser le feu à l'aide d'extincteurs (ndlr : selon des témoins - information non confirmée pour le moment - les extincteurs disponibles à l'intérieur de l'usine étaient vides pour la plupart), mais c'était trop tard”, se souvient un des pompiers qui sont intervenus sur le site de la catastrophe.
La Tour infernale
La panique est telle que, au moment où un hélicoptère de la gendarmerie survole le site de l'incendie, des voisins accourus de tout le quartier Lissasfa pour porter secours aux employés livrés à leur sort, s'écrient, désespérés : “C'est lui, le roi, c'est lui !”. La foule y a même cru, l'espace de quelques minutes…
Et puis rien n'y fait, le feu poursuit ses ravages. Les premières victimes tombent. Malgré les efforts des riverains, malgré les efforts des soldats du feu. Fenêtres grillagées, portes rapidement bloquées… faute d'issue de secours, la plupart des employés tentent de gagner le 4ème étage, pour se réfugier ensuite à l'air libre, sur le toit de l'usine. Souvent en pure perte. “L'obscurité était totale mais, à la lumière d'un téléphone portable, nous avons réussi à accéder au toit. On a utilisé une échelle laissée par des ouvriers et des voisins nous ont lancé une corde”, se souvient Aïcha, ouvrière couturière, encore sous le choc. Trois membres de la famille de la rescapée, employés aussi à l'usine, ont péri dans les flammes.
Car peu d'ouvriers ont pu accéder au minuscule toit de l'usine, ultime recours pour échapper au feu. Les rescapés (entre 30 et 40, selon les estimations les plus fiables) ont fait comme ils ont pu, avec les moyens du bord. Omar, 20 ans, raconte : “Là où j'en étais, je me suis dit que je n'avais plus rien à perdre. J'étais bloqué au 3ème ètage, je ne pouvais ni remonter au 4ème, ni descendre jusqu'au rez-de-chaussée. Alors j'ai sauté…”. A la réception, plusieurs fractures et contusions, mais Omar a eu la “chance” de survivre.
“A l'intérieur, la plupart des victimes ont d'abord été asphyxiées par les gaz, avant d'être brûlées. Quatre pompiers ont d'ailleurs failli y rester”, précise un officier de la Protection civile. Le combat est rude, les forces de secours sont dépassées par la situation. Une heure après l'arrivée du premier camion rouge, l'incendie, loin de s'éteindre, a fini par se propager à l'ensemble des quatre étages.
Ce n'est qu'au milieu de l'après-midi que les pompiers ont, enfin, accès à des moyens suffisants pour maîtriser le feu. “Ils ont dû faire appel à Lydec pour débloquer le problème d'alimentation en eau”, tonne cet élu du Conseil municipal. Les familles des employés, tenues à distance par un imposant dispositif de Forces auxiliaires dépêchées sur les lieux, commencent alors à perdre espoir. Des femmes pleurent leur mari, leur père ou leur fille restée à l'intérieur. “Les proches ont commencé à affluer des rues avoisinantes, puis des quartiers périphériques, de Hay Hassani, de Sidi Maârouf ou de Hay Ennasim”, rapporte ce témoin. “Lorsque les pompiers ont commencé à sortir les dépouilles, étage après étage, les familles étaient dans un véritable état d'hystérie”. La plupart des victimes sont restées bloquées au 4ème étage, où elles sont mortes asphyxiées par les fumées toxiques. Avant que les flammes n'attaquent leur dépouille. “C'était insoutenable, les corps qu'on sortait le l'usine étaient littéralement carbonisés”, raconte ce journaliste qui a accédé au toit d'un immeuble voisin, où les cadavres ont été entreposés.
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