Wana. Les 7 péchés capitaux
Un président limogé, des milliards engloutis et un business plan à revoir. En un an, Wana, troisième opérateur de téléphonie, semble être au bout du rouleau. La cause : des choix stratégiques qui manquent cruellement de pertinence. Analyse.
De toute son histoire, l’ONA n’a jamais connu pareille débâcle. Wana, promise comme le relais de croissance d’un groupe dont les métiers classiques s’essoufflent, est aujourd’hui au pied du mur. Selon son dernier business plan, l’entreprise a besoin de 5 milliards de dirhams pour poursuivre son activité. Mais pour sa maison-mère, il n’est pas
question de réinjecter le moindre centime, avant d’y voir plus clair dans les choix stratégiques du troisième opérateur télécoms. Une requête légitime, après les sept milliards de dirhams engloutis pour payer le prix d'autant d'erreurs flagrantes…
1 Une technologie moribonde
Code Division Multiple Access, ou CDMA. Les Marocains ont découvert cette technologie de télécoms grâce à Wana, qui l'a choisie pour payer moins cher son ticket d'entrée. “Nous avions le choix entre la technologie GSM (Global System for Mobile Communication), pour laquelle nous devions débourser 11 milliards de dirhams, comme Méditel, ou le CDMA et payer moins cher notre licence (ndlr, 440 millions de dirhams)”, nous explique une source de Wana. Ce n'est pas l'unique avantage du CDMA : le coût et le délai de déploiement du réseau sont nettement inférieurs à ceux que nécessiterait un réseau sous la technologie GSM. En plus, la fiabilité de cette technologie, largement diffusée en Amérique du Nord, en Europe de l'Est et en Asie (quelque 285 millions d'abonnés) n’est pas à remettre en cause. Toutefois, sous la pression des grands équipementiers, la norme CDMA risque tout simplement de disparaître. Certains pays en Amérique Latine ont même commencé à s'en détourner pour migrer vers le GSM. L'année 2007 a été également marquée par une série d'escarmouches entre le géant finlandais Nokia et Qualcomm, le fabricant américain des équipements de cette technologie. Mais au-delà de son caractère plus ou moins moribonde, le CDMA ne fait pas beaucoup d’adeptes au Maroc. Incompatibles avec les puces, les appareils de Wana n’ont pas la cote sur le marché parallèle de la téléphonie (Derb Ghallef, par exemple). “Des marchés comme Derb Ghallef agissent presque comme des grossistes pour les opérateurs télécoms. Ils achètent des packs avant de revendre séparément appareils et cartes SIM”, confie un distributeur. Le 3ème opérateur se retrouve alors écarté de facto d’un circuit de distribution qui brasse beaucoup, beaucoup de chiffres.
2 Un positionnement aléatoire
La mobilité restreinte. Le concept est ambigu pour les utilisateurs, surpris (et scandalisés) de voir leur téléphone hors fonction au-delà du 35ème kilomètre, rayon limite du périmètre de mobilité. Les responsables de Wana ont beau jeu d'insister sur le fait qu'il s'agit d’abord d'un téléphone fixe, un statut que lui contestent même ses concurrents, peu enclins à classifier la mobilité restreinte dans le segment du fixe. Surtout, Wana souffre d’un sérieux problème d’image. Pour son démarrage, l'opérateur a choisi de s’adresser aux deux extrêmes du marché. D’une part, les entreprises cherchant à avoir des solutions de communication high-tech et, d’autre part, une clientèle populaire, d'abord attirée par un appareil bon marché et des communications gratuites. “Très rapidement, Wana a été associée à une marque bas de gamme”, explique cet observateur. Ses concurrents vont accentuer cette perception en lançant aussitôt des sous-marques (Foursa pour Méditel, Mobisud pour Maroc Telecom). Cette image, Wana aura beaucoup de mal à la redorer quand elle aura à cibler une autre clientèle avec ses offres de mobile ou de fixe résidentiel. Sauf qu’elle n’en est pas encore là.
3 Des retards dans le mobile
L’incertitude et les interrogations au sujet de l’évolution technologique rendent Wana assez hésitante pour se lancer dans le segment du mobile. Il s’agit du marché le plus lucratif de la téléphonie : plus de 20 millions d’utilisateurs et un rendement par client plus qu'alléchant. Selon les termes de sa licence, Wana peut switcher en 18 mois de la mobilité restreinte à une mobilité totale. Dès septembre dernier, le staff de l’entreprise parlait de lancement imminent de ses offres mobiles. Aujourd’hui, avec la crise financière que traverse l'opérateur, cela ne devrait pas intervenir de sitôt. “Le positionnement sur ce segment suppose de lourds investissements technologiques et publicitaires. Il faudrait donc attendre que l’actionnaire boucle son plan de financement, avant de se lancer dans une telle aventure”, explique une source de l’ONA. Wana devrait donc se contenter de son produit Bayn pour encore quelques mois.
4 Le fiasco de la téléboutique de poche
Avec ses prix attractifs, Bayn avait de quoi séduire : un pack à 149 DH et la possibilité de maîtriser son budget en passant des appels à partir d'un petit dirham. Avec cette politique de prix, Wana voulait se placer comme le concurrent direct des publiphones. L'approche est astucieuse : la téléphonie publique reste le moyen de communication préféré des Marocains. Les 60 000 téléboutiques comptent un parc dépassant les 175 000 lignes et drainent près de 5 milliards de dirhams de chiffre d’affaires, soit les trois quarts du marché de la téléphonie fixe. Le concept semble fonctionner à merveille : huit mois seulement après son démarrage, Wana franchit la barre du million d’utilisateurs. Et la consommation paraissait prometteuse : 200 minutes de communication par client et par mois durant la période de lancement… qui correspond aux six mois de gratuité des communications de “Bayn à Bayn”. Mais au terme de cette période, le staff de Wana doit se rendre à l'évidence : le comportement si euphorique du marché n’est lié qu’à la gratuité et très peu de clients utilisent Bayn pour appeler vers d’autres opérateurs. Au lendemain du limogeage de Saâd Bendidi, des responsables de l’ONA ont laissé filtrer un chiffre assez révélateur : un revenu moyen par utilisateur (ARPU) de moins de 30 dirhams, alors que les prévisions tablaient sur deux à trois fois plus. Les utilisateurs seraient donc revenus au mode classique de l’usage de la téléboutique. D'autant que l’opérateur historique, Maroc Telecom, a bien pris le soin de réviser à la baisse sa grille tarifaire pour les publiphones. Ce ne sera pas la seule fois que Wana se fait doubler par la concurrence.
Un président limogé, des milliards engloutis et un business plan à revoir. En un an, Wana, troisième opérateur de téléphonie, semble être au bout du rouleau. La cause : des choix stratégiques qui manquent cruellement de pertinence. Analyse.
De toute son histoire, l’ONA n’a jamais connu pareille débâcle. Wana, promise comme le relais de croissance d’un groupe dont les métiers classiques s’essoufflent, est aujourd’hui au pied du mur. Selon son dernier business plan, l’entreprise a besoin de 5 milliards de dirhams pour poursuivre son activité. Mais pour sa maison-mère, il n’est pas
1 Une technologie moribonde
Code Division Multiple Access, ou CDMA. Les Marocains ont découvert cette technologie de télécoms grâce à Wana, qui l'a choisie pour payer moins cher son ticket d'entrée. “Nous avions le choix entre la technologie GSM (Global System for Mobile Communication), pour laquelle nous devions débourser 11 milliards de dirhams, comme Méditel, ou le CDMA et payer moins cher notre licence (ndlr, 440 millions de dirhams)”, nous explique une source de Wana. Ce n'est pas l'unique avantage du CDMA : le coût et le délai de déploiement du réseau sont nettement inférieurs à ceux que nécessiterait un réseau sous la technologie GSM. En plus, la fiabilité de cette technologie, largement diffusée en Amérique du Nord, en Europe de l'Est et en Asie (quelque 285 millions d'abonnés) n’est pas à remettre en cause. Toutefois, sous la pression des grands équipementiers, la norme CDMA risque tout simplement de disparaître. Certains pays en Amérique Latine ont même commencé à s'en détourner pour migrer vers le GSM. L'année 2007 a été également marquée par une série d'escarmouches entre le géant finlandais Nokia et Qualcomm, le fabricant américain des équipements de cette technologie. Mais au-delà de son caractère plus ou moins moribonde, le CDMA ne fait pas beaucoup d’adeptes au Maroc. Incompatibles avec les puces, les appareils de Wana n’ont pas la cote sur le marché parallèle de la téléphonie (Derb Ghallef, par exemple). “Des marchés comme Derb Ghallef agissent presque comme des grossistes pour les opérateurs télécoms. Ils achètent des packs avant de revendre séparément appareils et cartes SIM”, confie un distributeur. Le 3ème opérateur se retrouve alors écarté de facto d’un circuit de distribution qui brasse beaucoup, beaucoup de chiffres.
2 Un positionnement aléatoire
La mobilité restreinte. Le concept est ambigu pour les utilisateurs, surpris (et scandalisés) de voir leur téléphone hors fonction au-delà du 35ème kilomètre, rayon limite du périmètre de mobilité. Les responsables de Wana ont beau jeu d'insister sur le fait qu'il s'agit d’abord d'un téléphone fixe, un statut que lui contestent même ses concurrents, peu enclins à classifier la mobilité restreinte dans le segment du fixe. Surtout, Wana souffre d’un sérieux problème d’image. Pour son démarrage, l'opérateur a choisi de s’adresser aux deux extrêmes du marché. D’une part, les entreprises cherchant à avoir des solutions de communication high-tech et, d’autre part, une clientèle populaire, d'abord attirée par un appareil bon marché et des communications gratuites. “Très rapidement, Wana a été associée à une marque bas de gamme”, explique cet observateur. Ses concurrents vont accentuer cette perception en lançant aussitôt des sous-marques (Foursa pour Méditel, Mobisud pour Maroc Telecom). Cette image, Wana aura beaucoup de mal à la redorer quand elle aura à cibler une autre clientèle avec ses offres de mobile ou de fixe résidentiel. Sauf qu’elle n’en est pas encore là.
3 Des retards dans le mobile
L’incertitude et les interrogations au sujet de l’évolution technologique rendent Wana assez hésitante pour se lancer dans le segment du mobile. Il s’agit du marché le plus lucratif de la téléphonie : plus de 20 millions d’utilisateurs et un rendement par client plus qu'alléchant. Selon les termes de sa licence, Wana peut switcher en 18 mois de la mobilité restreinte à une mobilité totale. Dès septembre dernier, le staff de l’entreprise parlait de lancement imminent de ses offres mobiles. Aujourd’hui, avec la crise financière que traverse l'opérateur, cela ne devrait pas intervenir de sitôt. “Le positionnement sur ce segment suppose de lourds investissements technologiques et publicitaires. Il faudrait donc attendre que l’actionnaire boucle son plan de financement, avant de se lancer dans une telle aventure”, explique une source de l’ONA. Wana devrait donc se contenter de son produit Bayn pour encore quelques mois.
4 Le fiasco de la téléboutique de poche
Avec ses prix attractifs, Bayn avait de quoi séduire : un pack à 149 DH et la possibilité de maîtriser son budget en passant des appels à partir d'un petit dirham. Avec cette politique de prix, Wana voulait se placer comme le concurrent direct des publiphones. L'approche est astucieuse : la téléphonie publique reste le moyen de communication préféré des Marocains. Les 60 000 téléboutiques comptent un parc dépassant les 175 000 lignes et drainent près de 5 milliards de dirhams de chiffre d’affaires, soit les trois quarts du marché de la téléphonie fixe. Le concept semble fonctionner à merveille : huit mois seulement après son démarrage, Wana franchit la barre du million d’utilisateurs. Et la consommation paraissait prometteuse : 200 minutes de communication par client et par mois durant la période de lancement… qui correspond aux six mois de gratuité des communications de “Bayn à Bayn”. Mais au terme de cette période, le staff de Wana doit se rendre à l'évidence : le comportement si euphorique du marché n’est lié qu’à la gratuité et très peu de clients utilisent Bayn pour appeler vers d’autres opérateurs. Au lendemain du limogeage de Saâd Bendidi, des responsables de l’ONA ont laissé filtrer un chiffre assez révélateur : un revenu moyen par utilisateur (ARPU) de moins de 30 dirhams, alors que les prévisions tablaient sur deux à trois fois plus. Les utilisateurs seraient donc revenus au mode classique de l’usage de la téléboutique. D'autant que l’opérateur historique, Maroc Telecom, a bien pris le soin de réviser à la baisse sa grille tarifaire pour les publiphones. Ce ne sera pas la seule fois que Wana se fait doubler par la concurrence.
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