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Maroc : Le dangereux casse-tête du secteur informel .

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  • Maroc : Le dangereux casse-tête du secteur informel .

    A Casablanca, le drame de l’usine ravagée par l’incendie du 26 avril, qui a fait au moins 64 victimes, révèle l’ampleur et les dangers du secteur informel au Maroc. Mais il témoigne aussi d'un système complexe où règnent concurrence, corruption et laxisme des autorités.

    Par: Cerise Maréchaud

    Un à un, à travers un trou creusé dans le mur du deuxième étage, les corps calcinés sont extraits de l’usine par les pompiers, puis recouverts d’un drap blanc et alignés sur le toit de l’immeuble voisin. « Il n’y a de dieu que Dieu », hurlent des spectateurs impuissants face aux épaisses fumées noires qui s’élèvent dans le cri des sirènes. Sur le minuscule écran de son téléphone portable, Zouhir Haribe, 30 ans et employé d’une fabrique de chaussettes, visionne les images de l’incendie qui a ravagé samedi 26 avril l’usine de banquettes Rosamor Ameublement, à Lissasfa, dans la zone industrielle de Casablanca.

    Dernier bilan : 64 morts. Un chiffre qui risque encore de s’alourdir, certains corps n’ayant pas encore été identifiées. « Beaucoup d’ouvriers venaient de campagnes reculées, certaines familles ne sont peut-être même pas au courant », avance Zouhir, qui, comme de nombreux Marocains, est encore sous le choc de ce drame qualifié de « plus grande catastrophe industrielle » dans l’histoire récente du pays, plus meurtrier que les attentats du 16 mai 2003. L’émotion est d’autant plus vive que, selon le sentiment général, les victimes ont été sacrifiées par négligence et cupidité.

    Pas d’issue de secours, des grillages aux fenêtres

    Au-delà du retard et du sous-équipement des équipes de la Protection civile, qui ont mis trois heures pour venir à bout du feu, l’incendie de Lissasfa à révélé les innombrables failles sécuritaires cumulées par l’usine Rosamor, pourtant riche en produits chimiques et matériaux combustibles : extincteurs hors service, absence d’issue de secours, porte automatique bloquée, fenêtres grillagées (pour empêcher les vols de matériel)… « La plupart des survivants ont dû sauter, rapporte Mohcine, 22 ans, désignant les pans de tôle arrachés du toit. Mais beaucoup d’ouvrières n’ont pas réussi ». Parmi les habitants du quartier, une mère a perdu ses trois filles. Des jeunes femmes pour la plupart payées 200 DH (moins de 20 euros) la semaine, sans sécurité sociale et non déclarées.

    Nombreux observateurs récusent cependant l’idée de « patrons voyous » seuls responsables du drame. Selon l’hebdomadaire TelQuel, celui de Rosamor correspond davantage « à une certaine ‘norme’ » et son usine est représentative de l’ampleur et des dangers du secteur informel qui ronge le tissu industriel marocain. Ironie du sort, à peine deux jours après le drame de Lissasfa, trois ouvriers mouraient dans l’incendie de leur petit atelier textile à l’est de la métropole marocaine.

    « Des fabriques comme celles-ci, on en compte des milliers autour de Casa », assure Karim Tazi, ancien président de l’Association marocaine des industries textiles et de l’habillement (Amith). Au point que l’informel représente la moitié du secteur textile du pays (plus de 400 000 employés au total). « Il s’agit rarement de vraies usines, plutôt d’annexes clandestines au rez-de-chaussée d’immeubles ou au niveau du garage ». Dans la rue menant à l’usine Rosamor se succèdent ainsi des immeubles anonymes à deux étages, sans aucune enseigne mais arborant les mêmes grilles aux fenêtres.

    « Au Maroc, être dans la légalité coûte cher », note Karim Tazi, selon qui la réforme fiscale des années 80 a « pesé très lourd sur les entreprises, surtout les petites, créant un irrésistible ‘appel d’air’ vers l’informel, sans charge salariale, ni patente, ni TVA, ni assurance, pour rester compétitif ». En a résulté, selon l’hebdomadaire La Vie Eco, un « nivellement par le bas », encouragé par l’absorption flexible de main d’œuvre que garantit l’informel, a fortiori quand le secteur est vulnérable.

    Or le textile marocain (premier employeur industriel du royaume, 5% du PIB) vit des jours difficiles : démantèlement de l’accord multifibre en 2005 et arrivée des produits chinois, récession de ses principaux clients (Espagne, France, Grande-Bretagne) et début de recul de ses exportations, concurrence nouvelle de l’Egypte… Une fragilité qui se traduit aussi par l’entrave fréquente et sévère à la liberté syndicale, comme en témoigne la militante Khadija T., ouvrière du textile de 35 ans, arrêtée lors d’une manifestation en juin 2004 à Rabat.

    Dans un tel contexte, même des entreprises ayant pignon sur rue n’hésitent pas à frayer avec l’informel : Rosamor était fournisseur et sous-traitant de plusieurs enseignes marocaines d’ameublement en kit – Kitéa, Mobilia, Kaoba… - très connues pour leurs… prix attractifs. « Contrairement à une idée répandue, ce ne sont pas les étrangers, trop prudents, qui alimentent le secteur informel », explique Moulay Hafid El Alamy, directeur du patronat marocain. Il conteste cependant que l’usine Rosamor soit un symbole de l’industrie textile informelle : « Certes elle n’était pas affiliée à la CGEM mais elle existait juridiquement ».

    « Les autorités ferment les yeux »


    Il n’empêche, répond TelQuel : entre « management ‘borderline’ et une semi légalité de tous les instants », l’usine brûlée était bel et bien le produit d’un « système gangrené par la corruption », poursuit Le Journal hebdomadaire. Permis de construire, inspection du travail… : « Les agents sont exposés à des tentations de malversation phénoménales, pouvant ramasser 20 000 DH (1800 euros) en trois ou quatre unités visitées », illustre Karim Tazi.

    Ainsi Rosamor – officiellement, 130 ouvriers – en employait de facto quasi le double, selon plusieurs témoins. « Une poignée sont déclarés, et la majorité bosse au noir, à la cave. Quand un inspecteur vient, il jette un œil au premier étage et touche une enveloppe », résume Zouhir. Le patron de Rosamor avait d’ailleurs illégalement élevé deux étages de plus peu après un contrôle, fin 2007. « Les autorités ferment les yeux », dénonce-t-on. « Faux », rétorque Khalid Naciri, porte-parole du gouvernement, tout en reconnaissant leur « relative impuissance » face au « dilemme » de l’informel « qui créé des milliers d’emplois ».

    De nombreux Marocains espèrent qu’au drame de Lissasfa succèderont mesures punitives et actions préventives. Mais à l’heure où débute le procès du propriétaire de l’usine et de son fils, gérant (deuxième audience le 7 mai), dans lequel ils encourent jusqu’à cinq ans de prison ferme pour « non respect des règlementations de sécurité du travail, homicides et blessures involontaires et non-assistance à personnes en danger », le Comité de soutien des victimes de l’incendie de Rosamor, cité par le quotidien Le Soir échos, estime qu’on veut « étouffer » l’affaire en haut lieu. Selon lui, l’ouvrier qui a avoué avoir jeté un mégot au rez-de-chaussée de l’usine « aurait été payé ».

    Dès après l’incendie, le Parquet a annoncé l’ouverture d’une enquête et le roi a nommé une commission interministérielle. Mais des médias affichent leur scepticisme, rappelant que plusieurs mois après l’effondrement d’un immeuble en construction à Kenitra, le procès s’est enlisé. L’accident avait tué seize ouvriers.

    RFI, le 06 Mai 2008.
    “La vérité est rarement enterrée, elle est juste embusquée derrière des voiles de pudeur, de douleur, ou d’indifférence; encore faut-il que l’on désire passionnément écarter ces voiles” Amin Maalouf
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