J'ai trouvé ce résumé du livre de Nothomb que j'ai lu par accident et que j'ai bien aimé.
Il décrit la vie d'une européenne au japon, Initialement employée comme interprète, elle devient la protagoniste d'une fulgurante chute sociale. Trop intelligente, ironique pour les standards nippons, Amélie est une victime des mécanismes pervers de l'entreprise à la japonaise.
Stupeur et tremblements est un divertissement qui utilise savamment des annotations autobiographiques et les invectives amusantes contre les coutumes japonaises et se moque de l'obsession de la productivité et le politiquement correct qui n'est pas seulement l'apanage des bureaux nippons.
Il décrit la vie d'une européenne au japon, Initialement employée comme interprète, elle devient la protagoniste d'une fulgurante chute sociale. Trop intelligente, ironique pour les standards nippons, Amélie est une victime des mécanismes pervers de l'entreprise à la japonaise.
Stupeur et tremblements est un divertissement qui utilise savamment des annotations autobiographiques et les invectives amusantes contre les coutumes japonaises et se moque de l'obsession de la productivité et le politiquement correct qui n'est pas seulement l'apanage des bureaux nippons.
(Afin de mieux préserver le style de l'auteur et de restituer l'originalité et la vivacité de son ton, la précision de son vocabulaire, ce texte a été conçu à partir d'extraits du roman. Ce résumé n'est qu'un fugitif aperçu du talent de Amélie Nothomb et ne prétend en aucun cas se substituer à la lecture du texte intégral qui seul rend hommage à l'écrivain ).
"Le 8 janvier 1990 je fus engagée par la compagnie Yumimoto.
Yumimoto était l'une des plus grandes compagnies de l'univers. Monsieur Heneda en dirigeait la section Import-Export, qui achetait et vendait tout ce qui existait à travers la planète entière.
Le catalogue Import-export de Yumimoto était la version titanesque de celui de Prévert : depuis l'emmenthal finlandais jusqu'à la soude singapourienne en passant par la fibre optique canadienne, le pneu français et le jute togolais, rien n'y échappait. L'argent chez Yumimoto dépassait l'entendement humain.
Bientôt je me rendis compte que les jours passaient et je ne servais à rien. Aucune des compétences pour lesquelles on m'avait engagée ne m'avait servi. Je ne comprenais toujours pas quel était mon rôle dans cette entreprise ; cela m'indifférait. J'étais enchantée de ma collègue, mademoiselle Mori qui était ma supérieure directe. Elle était svelte et gracieuse à ravir, malgré la raideur nippone à laquelle elle devait sacrifier. Mais ce qui me pétrifiait, c'était la splendeur de son visage : posé sur sa silhouette immense, il était destiné à dominer le monde.
Monsieur Saito qui était le supérieur de Mademoiselle Mori ne me demandait rien, sauf de lui apporter des tasses de café. Rien n'était plus normal, quand on débutait dans une compagnie nippone, que de commencer par l'ôchakumi - " la fonction de l'honorable thé ". Je pris ce rôle d'autant plus au sérieux que c'était le seul qui m'était dévolu. Cette humble tâche se révéla le premier instrument de ma perte.
Un matin, monsieur Omochi, qui était le supérieur de monsieur Saito reçut une importante délégation d'une firme amie. Je servis chaque tasse avec une humilité appuyée, psalmodiant les plus raffinées des formules d'usage, baissant les yeux et m'inclinant. S'il existait un ordre du mérite de l'ôchakumi, il eût dû m'être discerné.
Plusieurs heures après la délégation s'en alla. La voix tonitruante de l'énorme monsieur Omochi cria en appelant monsieur Saito qui un peu plus tard me convoqua à mon tour. Il me parla avec une colère qui le rendait bègue :
- vous avez profondément indisposé la délégation de la firme amie ! Vous avez servi le café avec des formules qui suggéraient que vous parliez le japonais à la perfection ! Vous avez crée une ambiance exécrable dans la réunion de ce matin : comment nos partenaires auraient pu se sentir en confiance, avec une Blanche qui comprenait leur langue ? A partir de maintenant vous ne parlez plus japonais.
Présenter ma démission eût été le plus logique. Pourtant, je ne pouvais me résoudre à cette idée.
Aux yeux d'un Occidental, ce n'eût rien eu d'infamant ; aux yeux d'un Japonais, c'eût été perdre la face. J'avais signé un contrat d'un an. Partir après si peu de temps m'eût couverte d'opprobre, à leurs yeux comme aux miens.
J'avais toujours éprouvé le désir de vivre dans ce pays auquel je vouais un culte depuis les premiers souvenirs idylliques que j'avais gardés de ma petite enfance. Je m'étais donné du mal pour entrer dans cette compagnie : j'avais étudié la langue tokyoïte des affaires, j'avais passé des test. Je resterais.
A l'âge de cinq ans, j'avais quitté les montagnes nippones pour le désert chinois. Ce premier exil m'avait tant marquée que je me sentais capable de tout accepter afin d'être réincorporée à ce pays dont je m'étais si longtemps crue originaire.
Il fallait donc que j'aie l'air de m'occuper sans pour autant sembler comprendre un mot de ce qui se disait autour de moi. Désormais je servais les diverses tasses de thé et de café sans l'ombre d'une formule de politesse et sans répondre aux remerciements des cadres. Ceux-ci n'étaient pas au courant de mes nouvelles instructions et s'étonnaient que l'aimable geisha blanche se soit transformée en une carpe grossière comme une Yankee.
Un jour monsieur Tenchi, qui dirigeait la section des produits laitiers me demanda :
- Vous êtes belge, n'est-ce pas ? J'ai un projet très intéressant avec votre pays ; Accepteriez-vous de vous livrer pour moi à une étude ?
Je le regardai comme on regarde le Messie. Il m'expliqua qu'une coopérative belge avait développé un nouveau procédé pour enlever les matières grasses du beurre. Il m'expliqua qu'il avait besoin d'un rapport complet, les plus détaillé possible, sur ce nouveau beurre allégé. Monsieur Tenshi me donnait carte blanche, ce qui, au Japon, est exceptionnel. Et il avait pris cette initiative sans demander l'avis de personne : c'était un gros risque pour lui.
Je ressentis d'emblée pour monsieur Tenshi un dévouement sans bornes : j'étais prête à me battre pour lui jusqu'au bout, comme un samouraï. Je me jetai dans le combat du beurre allégé. J'emportai du travail chez moi. Le lendemain, j'arrivai chez Yumimoto avec deux heures d'avance pour dactylographier le rapport et le remettre à monsieur Tenshi qui me félicita avec toute la chaleur que lui permettaient sa politesse et sa réserve respectueuses.
Nous nous quittâmes en haute estime mutuelle. J'envisageai l'avenir avec confiance. Bientôt, c'en serait fini des brimades absurdes de monsieur Saito, de la photocopieuse et de l'interdiction de parler ma deuxième langue.
Un drame éclata quelques jours plus tard. Monsieur Tenshi et moi reçûmes des hurlements insensés. Mon compagnon d'infortune et moi nous fîmes traiter de tous les noms : nous étions des traîtres, des nullités, des serpents, des fourbes et - sommet de l'injure - des individualistes . 3
Monsieur Tenshi baissait la tête et courbait régulièrement les épaules. Son visage exprimait la soumission et la honte. Toute la mortification du monde résonnait dans sa voix :
- Je vous en supplie, ne lui en veuillez pas, elle est occidentale, elle est jeune, elle n'a aucune expérience. J'ai commis une faute indéfendable. Ma honte est immense. Si grands soient mes torts, je dois cependant souligner l'excellence du rapport d'Amélie-san, et la formidable rapidité avec laquelle elle l'a rédigé.
Plus tard, dans le couloir, j'entendis encore les hurlements de la montagne de chair et le silence contrit de la victime. Monsieur Tenshi me confia que c'était Fubuki qui nous avait dénoncés. Je ne pouvais le croire.
- Mademoiselle Mori a souffert des années pour obtenir le poste qu'elle a aujourd'hui. Sans doute a-t-elle trouvé intolérable que vous ayez une telle promotion après dix semaines dans la compagnie Yumimoto.
Le lendemain matin, mademoiselle Mori m'annonça ma nouvelle affectation à la comptabilité. La tâche me parut facile. Elle était d'un ennui absolu, cela me permettait d'occuper mon esprit à autre chose. Ainsi, en consignant les factures, je relevais souvent la tête pour rêver en admirant le beau visage de ma dénonciatrice.
Les semaines s'écoulaient et je devenais de plus en plus calme. J'appelais cela la sérénité facturière. Comme il était bon de vivre sans orgueil et sans intelligence. J'hibernais.
Cette sublime jachère de ma personne eût peut-être duré jusqu'à la fin des temps si je n'avais commis ce qu'il convient d'appeler des gaffes. Je m'étais donné du mal pour prouver à mes supérieurs que ma bonne volonté ne m'empêchait pas d'être un désastre.
"Le 8 janvier 1990 je fus engagée par la compagnie Yumimoto.
Yumimoto était l'une des plus grandes compagnies de l'univers. Monsieur Heneda en dirigeait la section Import-Export, qui achetait et vendait tout ce qui existait à travers la planète entière.
Le catalogue Import-export de Yumimoto était la version titanesque de celui de Prévert : depuis l'emmenthal finlandais jusqu'à la soude singapourienne en passant par la fibre optique canadienne, le pneu français et le jute togolais, rien n'y échappait. L'argent chez Yumimoto dépassait l'entendement humain.
Bientôt je me rendis compte que les jours passaient et je ne servais à rien. Aucune des compétences pour lesquelles on m'avait engagée ne m'avait servi. Je ne comprenais toujours pas quel était mon rôle dans cette entreprise ; cela m'indifférait. J'étais enchantée de ma collègue, mademoiselle Mori qui était ma supérieure directe. Elle était svelte et gracieuse à ravir, malgré la raideur nippone à laquelle elle devait sacrifier. Mais ce qui me pétrifiait, c'était la splendeur de son visage : posé sur sa silhouette immense, il était destiné à dominer le monde.
Monsieur Saito qui était le supérieur de Mademoiselle Mori ne me demandait rien, sauf de lui apporter des tasses de café. Rien n'était plus normal, quand on débutait dans une compagnie nippone, que de commencer par l'ôchakumi - " la fonction de l'honorable thé ". Je pris ce rôle d'autant plus au sérieux que c'était le seul qui m'était dévolu. Cette humble tâche se révéla le premier instrument de ma perte.
Un matin, monsieur Omochi, qui était le supérieur de monsieur Saito reçut une importante délégation d'une firme amie. Je servis chaque tasse avec une humilité appuyée, psalmodiant les plus raffinées des formules d'usage, baissant les yeux et m'inclinant. S'il existait un ordre du mérite de l'ôchakumi, il eût dû m'être discerné.
Plusieurs heures après la délégation s'en alla. La voix tonitruante de l'énorme monsieur Omochi cria en appelant monsieur Saito qui un peu plus tard me convoqua à mon tour. Il me parla avec une colère qui le rendait bègue :
- vous avez profondément indisposé la délégation de la firme amie ! Vous avez servi le café avec des formules qui suggéraient que vous parliez le japonais à la perfection ! Vous avez crée une ambiance exécrable dans la réunion de ce matin : comment nos partenaires auraient pu se sentir en confiance, avec une Blanche qui comprenait leur langue ? A partir de maintenant vous ne parlez plus japonais.
Présenter ma démission eût été le plus logique. Pourtant, je ne pouvais me résoudre à cette idée.
Aux yeux d'un Occidental, ce n'eût rien eu d'infamant ; aux yeux d'un Japonais, c'eût été perdre la face. J'avais signé un contrat d'un an. Partir après si peu de temps m'eût couverte d'opprobre, à leurs yeux comme aux miens.
J'avais toujours éprouvé le désir de vivre dans ce pays auquel je vouais un culte depuis les premiers souvenirs idylliques que j'avais gardés de ma petite enfance. Je m'étais donné du mal pour entrer dans cette compagnie : j'avais étudié la langue tokyoïte des affaires, j'avais passé des test. Je resterais.
A l'âge de cinq ans, j'avais quitté les montagnes nippones pour le désert chinois. Ce premier exil m'avait tant marquée que je me sentais capable de tout accepter afin d'être réincorporée à ce pays dont je m'étais si longtemps crue originaire.
Il fallait donc que j'aie l'air de m'occuper sans pour autant sembler comprendre un mot de ce qui se disait autour de moi. Désormais je servais les diverses tasses de thé et de café sans l'ombre d'une formule de politesse et sans répondre aux remerciements des cadres. Ceux-ci n'étaient pas au courant de mes nouvelles instructions et s'étonnaient que l'aimable geisha blanche se soit transformée en une carpe grossière comme une Yankee.
Un jour monsieur Tenchi, qui dirigeait la section des produits laitiers me demanda :
- Vous êtes belge, n'est-ce pas ? J'ai un projet très intéressant avec votre pays ; Accepteriez-vous de vous livrer pour moi à une étude ?
Je le regardai comme on regarde le Messie. Il m'expliqua qu'une coopérative belge avait développé un nouveau procédé pour enlever les matières grasses du beurre. Il m'expliqua qu'il avait besoin d'un rapport complet, les plus détaillé possible, sur ce nouveau beurre allégé. Monsieur Tenshi me donnait carte blanche, ce qui, au Japon, est exceptionnel. Et il avait pris cette initiative sans demander l'avis de personne : c'était un gros risque pour lui.
Je ressentis d'emblée pour monsieur Tenshi un dévouement sans bornes : j'étais prête à me battre pour lui jusqu'au bout, comme un samouraï. Je me jetai dans le combat du beurre allégé. J'emportai du travail chez moi. Le lendemain, j'arrivai chez Yumimoto avec deux heures d'avance pour dactylographier le rapport et le remettre à monsieur Tenshi qui me félicita avec toute la chaleur que lui permettaient sa politesse et sa réserve respectueuses.
Nous nous quittâmes en haute estime mutuelle. J'envisageai l'avenir avec confiance. Bientôt, c'en serait fini des brimades absurdes de monsieur Saito, de la photocopieuse et de l'interdiction de parler ma deuxième langue.
Un drame éclata quelques jours plus tard. Monsieur Tenshi et moi reçûmes des hurlements insensés. Mon compagnon d'infortune et moi nous fîmes traiter de tous les noms : nous étions des traîtres, des nullités, des serpents, des fourbes et - sommet de l'injure - des individualistes . 3
Monsieur Tenshi baissait la tête et courbait régulièrement les épaules. Son visage exprimait la soumission et la honte. Toute la mortification du monde résonnait dans sa voix :
- Je vous en supplie, ne lui en veuillez pas, elle est occidentale, elle est jeune, elle n'a aucune expérience. J'ai commis une faute indéfendable. Ma honte est immense. Si grands soient mes torts, je dois cependant souligner l'excellence du rapport d'Amélie-san, et la formidable rapidité avec laquelle elle l'a rédigé.
Plus tard, dans le couloir, j'entendis encore les hurlements de la montagne de chair et le silence contrit de la victime. Monsieur Tenshi me confia que c'était Fubuki qui nous avait dénoncés. Je ne pouvais le croire.
- Mademoiselle Mori a souffert des années pour obtenir le poste qu'elle a aujourd'hui. Sans doute a-t-elle trouvé intolérable que vous ayez une telle promotion après dix semaines dans la compagnie Yumimoto.
Le lendemain matin, mademoiselle Mori m'annonça ma nouvelle affectation à la comptabilité. La tâche me parut facile. Elle était d'un ennui absolu, cela me permettait d'occuper mon esprit à autre chose. Ainsi, en consignant les factures, je relevais souvent la tête pour rêver en admirant le beau visage de ma dénonciatrice.
Les semaines s'écoulaient et je devenais de plus en plus calme. J'appelais cela la sérénité facturière. Comme il était bon de vivre sans orgueil et sans intelligence. J'hibernais.
Cette sublime jachère de ma personne eût peut-être duré jusqu'à la fin des temps si je n'avais commis ce qu'il convient d'appeler des gaffes. Je m'étais donné du mal pour prouver à mes supérieurs que ma bonne volonté ne m'empêchait pas d'être un désastre.
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