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L'errance des mineurs étrangers isolés à Marseille

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  • L'errance des mineurs étrangers isolés à Marseille

    C'est dans les rues étroites du quartier marseillais de Noailles, aux couleurs et odeurs de la Méditerranée, que Samir, 17 ans, passe le plus clair de ses journées. "Pour manger", il revend des cigarettes de contrebande. "Jamais je n'aurais cru vivre une telle galère !", lâche-t-il.

    Samir fait partie de ces jeunes migrants clandestins qui quittent l'Afrique pour gagner - au péril de leur vie - un eldorado européen. Lui est venu d'Annaba, sur la côte algérienne. Arrivé en Sardaigne après une traversée de dix-huit heures dans une embarcation de fortune, Samir a été récupéré par la police italienne et conduit dans un foyer à Bari, dans les Pouilles. Il s'en est vite échappé pour rejoindre Naples, puis Marseille.

    Là commencent plusieurs semaines d'errance. Samir tente de se maintenir à l'abri des resquilleurs et de la violence, dans un squat où s'entassent une trentaine de personnes. Jusqu'au jour où il entre en contact avec l'association Jeunes errants, qui va l'"apprivoiser" et signaler sa situation au parquet des mineurs. Le 18 septembre 2007, le juge des enfants est saisi et Samir est confié à l'Aide sociale à l'enfance (ASE). Après un premier placement d'urgence, il rejoint un foyer des orphelins apprentis d'Auteuil.

    Mais le 14 janvier, suite à un contrôle d'identité, Samir est soumis à une radiographie d'âge osseux, qui le déclare majeur (entre 18 et 19 ans), en dépit de son acte de naissance. Il est sorti du foyer et se retrouve de nouveau à la rue, sous le coup d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Après une nouvelle arrestation, le 12 mars, il est placé en centre de rétention. Le 18, le tribunal administratif, reconnaissant sa minorité, annule son OQTF. Mais Samir erre toujours dans les rues.

    Protégés par la Convention internationale des droits de l'enfant, ces mineurs "isolés" ne sont pas expulsables. En France, l'article 375 du code civil prévoit un devoir de protection des "mineurs en danger" et leur prise en charge dans une structure de l'ASE. Leur signalement au parquet et la saisine du juge des enfants devraient être systématiques. Mais depuis octobre 2007, à Marseille, la notion de mineur en danger est plus relative. Tout mineur étranger isolé en demande d'aide est poursuivi pour infraction à la législation des étrangers, placé en garde à vue et soumis à une radiographie d'âge osseux. Et si cet examen, pourtant controversé, conclut à la majorité du jeune, celui-ci n'est pas à l'abri d'une injonction à quitter le territoire.

    "Notre système de protection, très performant jusqu'alors, a radicalement changé, le parquet donnant aujourd'hui la priorité à leur situation d'étrangers clandestins sur leur qualité de mineurs en danger", relève Christine Bartolomei, juge des enfants et membre du Syndicat de la magistrature, qui constate que "la saisine du juge des enfants a beaucoup diminué". " Si le parquet ne nous saisit pas, nous pouvons passer à côté de jeunes réellement en danger. On parle de délinquance, mais on oublie qu'ils peuvent tomber sous l'influence de réseaux de receleurs et de prostitution", souligne-t-elle.

    La vice-procureure, Catherine Alexandre, ne dément pas la décision prise par le parquet de systématiser le recours à l'expertise osseuse qui se faisait jusqu'alors au cas par cas. "En 2007, explique-t-elle, nous avons été confrontés à un afflux d'arrivées de jeunes présentant des actes de naissance venant d'Annaba, en Algérie, actes qui se sont révélés faux pour un certain nombre. La présomption puis la confirmation de l'existence d'une filière nous ont contraints à plus de vigilance dans l'examen des situations." "Sachant que nous ne disposons pas d'un nombre de places pléthoriques dans les foyers, il devenait nécessaire de vérifier les droits de ces jeunes", insiste-t-elle.

    Le nombre de mineurs étrangers isolés pris en charge dans le cadre de l'ASE reste pourtant stable : 107 en 2005, 106 en 2006, 120 en 2007. Valérie Foulon, directrice adjointe de l'enfance au conseil général, précise que seuls ceux qui y ont été orientés par la justice y sont admis. Rien n'interdit pourtant à un département de prendre une mesure administrative de placement ou au moins d'organiser une mise à l'abri immédiate dans l'attente d'une décision judiciaire.

    "Lorsqu'ils arrivent tardivement, une des difficultés est de leur tenir un discours de vérité", estime Valérie Foulon. "Il ne faut pas donner de faux espoirs à ces jeunes, renchérit Mme Alexandre. Avec les lois actuelles, leur chance de pouvoir rester en France légalement est quasi inexistante."

    Jeunes errants n'a jamais occulté ce couperet des 18 ans. Cela ne l'a pas empêché d'accompagner de beaux parcours d'intégration, et même des retours au pays. Depuis près de quinze ans, cette association se démène pour sortir de l'errance les mineurs étrangers isolés en les amenant à se construire un avenir, tout en renouant avec leur famille restée au pays quand cela est possible. "Avant sa majorité, un mineur reste un mineur et doit être protégé. A la rue, il est en danger ! Il y a un devoir absolu d'intervention", insiste sa directrice, Dominique Lodwick, qui plaide pour des modes de prises en charge plus adaptés à ces jeunes aux repères brouillés (placements en famille, parrainages de citoyens et de chefs d'entreprise). "Le placement en foyer, constate-t-elle, est souvent inadapté. On ne sait pas gérer ces gamins, alors on préfère les ignorer."

    Par Le Monde
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