Référence obligée des discours et des pratiques politiques, la démocratie est en crise. Les comportements oligarchiques renaissent, appuyés sur la globalisation économique : diktat des organismes financiers internationaux, politiques imposées par l’Union européenne, etc. En France, les institutions politiques fonctionnent comme repliées sur elles-mêmes. A quand des institutions démocratiques pour sauver les citoyens ? Mais aussi, à quand des citoyens libres pour sauver la démocratie ?
C’est précisément à la critique des institutions françaises que s’attaque Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à Montpellier, dans La Ve République se meurt, vive la démocratie. En effet, la première caractéristique de la crise actuelle tient à la terrible difficulté de faire passer la volonté du peuple auprès des dirigeants. C’est ce que l’on peut nommer un décrochage institutionnel. L’auteur analyse la défaillance d’un système politique dans lequel le pouvoir n’a aucun contrepoids, agit sans contrôle et ne se sent pas responsable devant le peuple souverain. Ce pouvoir ignore totalement les préoccupations des citoyens, qui se reconnaissent, quant à eux, de moins en moins dans leurs institutions.
Depuis presque quarante ans , les politiques refusent de répondre de leur choix. Un exemple parmi tant d’autres cités par Rousseau : « Quand le président demande au peuple d’approuver sa politique européenne, quand le président perd le référendum et quand il ne démissionne pas (2005), cela signifie que les institutions n’assurent pas la liaison, essentielle en démocratie, entre décision et responsabilité » (p. 11). Le refus de soumettre à référendum le nouveau traité européen, signé à Lisbonne le 13 décembre 2007, confirme que les dirigeants refusent de rendre compte au peuple.
L’auteur remonte aux sources de la crise de confiance entre gouvernants et gouvernés. Cette crise était inscrite dans les institutions de la Ve République, qui fracturent les liens politiques. La Constitution de 1958 continue, aujourd’hui, à épuiser la démocratie. A la France « du bas », insoumise mais méprisée, cet ordre institutionnel, né d’une insurrection militaire ,ne fait qu’opposer l’hégémonie présidentielle consacrée par la réforme de 1962, « le sacre populaire allant jusqu’à jouer le rôle du sacre de Reims ! » (p. 172). Si l’ambition gaullienne était de doter enfin la France « des institutions qui lui font défaut depuis 1789 », la Ve République développe des principes contraires à l’esprit des Lumières en bravant notamment la séparation des pouvoirs. Car, loin d’être pour le peuple un « souverain captif », le président bénéficie d’une concentration des pouvoirs et peut se passer de la légitimité du collectif : la responsabilité politique se dilue quand le chef de l’Etat se maintient malgré des échecs électoraux, législatifs ou référendaires .
Des ordonnances des articles 38 et 49-3 à l’abaissement systématique du Parlement – qui n’a même pas la maîtrise de l’ordre du jour de ses séances –, en passant par la personnalisation des débats par le jeu de l’élection présidentielle, tout ou presque, y compris la primauté du droit européen sur le droit national, étouffe les vaisseaux sanguins de la démocratie. Depuis les années 1980, ni François Mitterrand, ni M. Jacques Chirac, ni encore moins M. Nicolas Sarkozy, qui tente de gouverner à l’aide des sondages, n’ont dégrippé cette situation. Posant des jalons pour une « Constitution des citoyens », Rousseau lie la décomposition de l’ordre institutionnel à sa conséquence : la décomposition de l’ordre social et le repli sur le sociétal.
« Il ne s’agit pas de reconnaître des égaux, mais d’en faire »
Selon l’auteur, les institutions et la représentation politiques en crise portent directement atteinte à la condition de chaque citoyen en l’empêchant d’être un « majeur constitutionnel » (p. 324). Aux êtres de droits égaux succèdent alors des individus atomisés par les différences de sexe, d’âge, d’origine, de portefeuille... Or, « pour paraphraser Simone de Beauvoir, on ne naît pas citoyen, on le devient et (...), pour le devenir, l’individu a besoin des institutions de la représentation » (p. 318). La tâche est immense à l’heure où le social est remplacé par le pénal et où la séparation des pouvoirs est vidée de son sens. Déjà, au XIXe siècle, Léon Gambetta (1838-1882) lançait à la Chambre des députés : « Ce qui constitue la vraie démocratie, ce n’est pas de reconnaître des égaux, messieurs, c’est d’en faire. »
A ce titre, l’ouvrage des magistrats Gilles Sainati et Ulrich Schalchli est
éclairant. Dans La Décadence sécuritaire, ils montrent le repli d’une institution judiciaire désormais fermée et sourde, pour l’essentiel, aux impératifs démocratiques et sociaux. Alors même que cette institution est l’une des plus pauvres des pays occidentaux, les hauts responsables de l’Etat l’ont encore affaiblie en la soumettant, comme les autres services publics, à des impératifs de rentabilité et à l’obsession des rendements . Progressivement, l’autorité judiciaire a ainsi subi l’hégémonie des préoccupations sécuritaires importées des Etats-Unis.
Cette dérive, symbolisée par l’expression « qui vole un œuf vole un bœuf », substitue la crainte d’autrui et la traque de l’ennemi intérieur (p. 21) au dialogue social et à la définition d’un espace commun. Rien de plus déconcertant, notent les auteurs, si l’on se souvient que le droit à la sûreté était promu par les révolutionnaires de 1789 comme « une garantie des individus contre l’arbitraire du pouvoir et de ses agents »… Quand la « sécurité » coupe la tête à la justice au nom de la « tolérance zéro » et résout les carences sociales en leur apportant des réponses pénales (p. 38), le juge devient le simple greffier du procureur (p. 43). Dans ces conditions, existe-t-il encore une place pour une puissance publique légitime ?
Comment apprécier la représentativité des acteurs de la société civile ?
La justice avait pour fondement l’équité, l’humanité dans le prétoire, les droits de la défense ou encore la présomption d’innocence. Aujourd’hui, les élites ont opté pour le chiffre et la mise au pain sec de l’institution. Sainati et Schalchli, membres du Syndicat de la magistrature, décortiquent les mécanismes de la répression tous azimuts de la « racaille », le totalitarisme de l’efficace, l’intolérance sociale et l’arbitraire policier (p. 101). Si l’Etat de droit n’a jamais suffi à faire la démocratie, l’urgence mise à sanctionner et la soif de contrôler les foules n’en finissent pas d’épurer l’éthique. Doit-on se résigner à ce rapt de la chose publique par des techniciens gestionnaires de la mécanique productive ?
Non, car, comme le notent les journalistes et sociologues Anne Dhoquois et Marc Hatzfeld, « par-delà le minuscule ordinaire de la vie quotidienne, le collectif n’a jamais renoncé à se réapproprier le pouvoir politique ». Chacun tente de redonner couleur à la démocratie par une série d’audaces participatives. Grippées, les institutions ? Entravée, la séparation des pouvoirs ? Epuisée, la représentation politique ? Décomposé, l’ordre social ? Qu’à cela ne tienne ! Le désir politique des citoyens échappera à la débandade de la gestion du pouvoir. Il s’en extrait même en compensant les travers institutionnels par une nouvelle dynamique de quartier, de commune, d’éducation populaire, de valorisation de la solidarité par-delà les frontières.
Luttant contre la disparition progressive du lien social, la démocratie participative puise ses sources dans une compréhension « jaurésienne » de la vie civique liée au partage et au contact direct avec le peuple . Elle peut, comme le soulignent les auteurs, « donner un espace de parole à ceux qui n’ont pas le droit de vote » (p. 126). Elle peut aussi développer la coopération des peuples et promouvoir des réformes politiques, écologiques, sociales et d’intérêt général qui fortifient le sens de la démocratie.
Cependant, si la vie associative et les combats menés pour la dignité humaine sont essentiels à la démocratie, ils contribuent aussi à un flou politique qui, telle une auberge espagnole, parvient à légitimer tout et son contraire. Ainsi en va-t-il du concept de « société civile », autopsié par Jeanne Planche. Lieu de l’association volontaire des citoyens, elle inclut, pêle-mêle, les organisations non gouvernementales (ONG), associations ou syndicats, mais aussi les Eglises, les médias, les lobbies économiques autant que l’épouse du président, les chorales et le sous-commandant Marcos (p. 35). C’est ainsi que la société civile peut contribuer à démocratiser les institutions autant qu’à les abattre !
C’est précisément à la critique des institutions françaises que s’attaque Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à Montpellier, dans La Ve République se meurt, vive la démocratie. En effet, la première caractéristique de la crise actuelle tient à la terrible difficulté de faire passer la volonté du peuple auprès des dirigeants. C’est ce que l’on peut nommer un décrochage institutionnel. L’auteur analyse la défaillance d’un système politique dans lequel le pouvoir n’a aucun contrepoids, agit sans contrôle et ne se sent pas responsable devant le peuple souverain. Ce pouvoir ignore totalement les préoccupations des citoyens, qui se reconnaissent, quant à eux, de moins en moins dans leurs institutions.
Depuis presque quarante ans , les politiques refusent de répondre de leur choix. Un exemple parmi tant d’autres cités par Rousseau : « Quand le président demande au peuple d’approuver sa politique européenne, quand le président perd le référendum et quand il ne démissionne pas (2005), cela signifie que les institutions n’assurent pas la liaison, essentielle en démocratie, entre décision et responsabilité » (p. 11). Le refus de soumettre à référendum le nouveau traité européen, signé à Lisbonne le 13 décembre 2007, confirme que les dirigeants refusent de rendre compte au peuple.
L’auteur remonte aux sources de la crise de confiance entre gouvernants et gouvernés. Cette crise était inscrite dans les institutions de la Ve République, qui fracturent les liens politiques. La Constitution de 1958 continue, aujourd’hui, à épuiser la démocratie. A la France « du bas », insoumise mais méprisée, cet ordre institutionnel, né d’une insurrection militaire ,ne fait qu’opposer l’hégémonie présidentielle consacrée par la réforme de 1962, « le sacre populaire allant jusqu’à jouer le rôle du sacre de Reims ! » (p. 172). Si l’ambition gaullienne était de doter enfin la France « des institutions qui lui font défaut depuis 1789 », la Ve République développe des principes contraires à l’esprit des Lumières en bravant notamment la séparation des pouvoirs. Car, loin d’être pour le peuple un « souverain captif », le président bénéficie d’une concentration des pouvoirs et peut se passer de la légitimité du collectif : la responsabilité politique se dilue quand le chef de l’Etat se maintient malgré des échecs électoraux, législatifs ou référendaires .
Des ordonnances des articles 38 et 49-3 à l’abaissement systématique du Parlement – qui n’a même pas la maîtrise de l’ordre du jour de ses séances –, en passant par la personnalisation des débats par le jeu de l’élection présidentielle, tout ou presque, y compris la primauté du droit européen sur le droit national, étouffe les vaisseaux sanguins de la démocratie. Depuis les années 1980, ni François Mitterrand, ni M. Jacques Chirac, ni encore moins M. Nicolas Sarkozy, qui tente de gouverner à l’aide des sondages, n’ont dégrippé cette situation. Posant des jalons pour une « Constitution des citoyens », Rousseau lie la décomposition de l’ordre institutionnel à sa conséquence : la décomposition de l’ordre social et le repli sur le sociétal.
« Il ne s’agit pas de reconnaître des égaux, mais d’en faire »
Selon l’auteur, les institutions et la représentation politiques en crise portent directement atteinte à la condition de chaque citoyen en l’empêchant d’être un « majeur constitutionnel » (p. 324). Aux êtres de droits égaux succèdent alors des individus atomisés par les différences de sexe, d’âge, d’origine, de portefeuille... Or, « pour paraphraser Simone de Beauvoir, on ne naît pas citoyen, on le devient et (...), pour le devenir, l’individu a besoin des institutions de la représentation » (p. 318). La tâche est immense à l’heure où le social est remplacé par le pénal et où la séparation des pouvoirs est vidée de son sens. Déjà, au XIXe siècle, Léon Gambetta (1838-1882) lançait à la Chambre des députés : « Ce qui constitue la vraie démocratie, ce n’est pas de reconnaître des égaux, messieurs, c’est d’en faire. »
A ce titre, l’ouvrage des magistrats Gilles Sainati et Ulrich Schalchli est
éclairant. Dans La Décadence sécuritaire, ils montrent le repli d’une institution judiciaire désormais fermée et sourde, pour l’essentiel, aux impératifs démocratiques et sociaux. Alors même que cette institution est l’une des plus pauvres des pays occidentaux, les hauts responsables de l’Etat l’ont encore affaiblie en la soumettant, comme les autres services publics, à des impératifs de rentabilité et à l’obsession des rendements . Progressivement, l’autorité judiciaire a ainsi subi l’hégémonie des préoccupations sécuritaires importées des Etats-Unis.
Cette dérive, symbolisée par l’expression « qui vole un œuf vole un bœuf », substitue la crainte d’autrui et la traque de l’ennemi intérieur (p. 21) au dialogue social et à la définition d’un espace commun. Rien de plus déconcertant, notent les auteurs, si l’on se souvient que le droit à la sûreté était promu par les révolutionnaires de 1789 comme « une garantie des individus contre l’arbitraire du pouvoir et de ses agents »… Quand la « sécurité » coupe la tête à la justice au nom de la « tolérance zéro » et résout les carences sociales en leur apportant des réponses pénales (p. 38), le juge devient le simple greffier du procureur (p. 43). Dans ces conditions, existe-t-il encore une place pour une puissance publique légitime ?
Comment apprécier la représentativité des acteurs de la société civile ?
La justice avait pour fondement l’équité, l’humanité dans le prétoire, les droits de la défense ou encore la présomption d’innocence. Aujourd’hui, les élites ont opté pour le chiffre et la mise au pain sec de l’institution. Sainati et Schalchli, membres du Syndicat de la magistrature, décortiquent les mécanismes de la répression tous azimuts de la « racaille », le totalitarisme de l’efficace, l’intolérance sociale et l’arbitraire policier (p. 101). Si l’Etat de droit n’a jamais suffi à faire la démocratie, l’urgence mise à sanctionner et la soif de contrôler les foules n’en finissent pas d’épurer l’éthique. Doit-on se résigner à ce rapt de la chose publique par des techniciens gestionnaires de la mécanique productive ?
Non, car, comme le notent les journalistes et sociologues Anne Dhoquois et Marc Hatzfeld, « par-delà le minuscule ordinaire de la vie quotidienne, le collectif n’a jamais renoncé à se réapproprier le pouvoir politique ». Chacun tente de redonner couleur à la démocratie par une série d’audaces participatives. Grippées, les institutions ? Entravée, la séparation des pouvoirs ? Epuisée, la représentation politique ? Décomposé, l’ordre social ? Qu’à cela ne tienne ! Le désir politique des citoyens échappera à la débandade de la gestion du pouvoir. Il s’en extrait même en compensant les travers institutionnels par une nouvelle dynamique de quartier, de commune, d’éducation populaire, de valorisation de la solidarité par-delà les frontières.
Luttant contre la disparition progressive du lien social, la démocratie participative puise ses sources dans une compréhension « jaurésienne » de la vie civique liée au partage et au contact direct avec le peuple . Elle peut, comme le soulignent les auteurs, « donner un espace de parole à ceux qui n’ont pas le droit de vote » (p. 126). Elle peut aussi développer la coopération des peuples et promouvoir des réformes politiques, écologiques, sociales et d’intérêt général qui fortifient le sens de la démocratie.
Cependant, si la vie associative et les combats menés pour la dignité humaine sont essentiels à la démocratie, ils contribuent aussi à un flou politique qui, telle une auberge espagnole, parvient à légitimer tout et son contraire. Ainsi en va-t-il du concept de « société civile », autopsié par Jeanne Planche. Lieu de l’association volontaire des citoyens, elle inclut, pêle-mêle, les organisations non gouvernementales (ONG), associations ou syndicats, mais aussi les Eglises, les médias, les lobbies économiques autant que l’épouse du président, les chorales et le sous-commandant Marcos (p. 35). C’est ainsi que la société civile peut contribuer à démocratiser les institutions autant qu’à les abattre !
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