Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Dis maman, c'est comment quand on est heureux?

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Dis maman, c'est comment quand on est heureux?

    Dis maman, c'est comment quand on est heureux? par Gabrielle Motta
    Résumé:
    Mariée et mère affectueuse de deux enfants, une femme que le présent semble combler pleinement est victime de problèmes de santé chroniques et psychosomatiques. Elle débute donc une psychothérapie, durant laquelle elle évoque les souvenirs d’une enfance marquée par un père aux accès de violence incontrôlables et meurtriers. Cependant, cette exploration de la mémoire n’est pas sans conséquence: entre un attachement immédiat à sa thérapeute et une prise de conscience des défauts d’une mère idéalisée, Gabrielle Mota exhume les secrets douloureux, profondément enfouis sous les strates du temps.
    Mieux vaut un cauchemar qui finit qu’un rêve inaccessible qui ne finit pas…

  • #2
    Premières pages du livre...
    Ce n’est pas la première fois que mes jambes me
    lâchent mais cette nouvelle épreuve m’accable. Je ne sais
    pas si cette défaillance mécanique résulte d’un mauvais
    fonctionnement organique ou d’un message cérébral
    soulignant une souffrance psychologique, mais je décide
    enfin, aujourd’hui, de réagir aux bavardages excessifs de
    mon corps maladif…
    La visite chez le généraliste est rassurante. D’un point
    de vue moteur, m’explique-t-il, tout paraît normal, vous
    ne souffrez ni d’une tumeur cérébrale, ni d’une sclérose en
    plaques ! Je repars donc soulagée mais intriguée. A ce
    jour, il n’existe aucune explication médicale pour répondre
    au signal d’appel de mes jambes en détresse. Je suis donc
    tombée trois soirs de suite à quatre années d’intervalle
    sans aucune raison !…
    Je l’avais repérée depuis longtemps mais n’étais pas
    prête à revivre mon histoire avec elle. Je retardais ce
    moment, certaine qu’il me replongerait dans de nombreux
    tourments, mais aujourd’hui, suite à cette dernière alerte
    corporelle, je décroche avec assurance mon téléphone pour
    prendre enfin rendez-vous avec… moi-même ! Mon retour
    dans le passé est annoncé et je reporte déjà sur ma psy tout
    espoir d’apprendre enfin à marcher droit…
    Il me reste quatre jours pour trouver l’entame de mon
    discours. Je ne peux pas rencontrer ma psy si je n’ai rien à
    lui dire ! Je réfléchis brièvement à mon histoire et tente de
    evivre succinctement le parcours difficile d’une enfance
    entachée de déplaisir… Même si je ne le ressens pas, je le
    sais, mon père a semé toute sa toxicité et je suis forcément
    contaminée…
    Arrive le grand jour. Je la connais de renommée, ses
    articles m’ont souvent touchée, mais il reste difficile,
    j’imagine, de se raconter, quand son interlocuteur est un
    étranger. Je mets, certes, un visage sur un nom, mais
    ignore encore si son regard saura, dès le départ, faire
    fondre la glace…
    J’ai quelques minutes d’avance, juste le temps
    d’examiner cette salle d’attente peu accueillante, tout au
    bout d’un long couloir sombre et intrigant. Toute ma vie
    me semble alors banale et sans intérêt. Que suis-je venue
    faire dans ce cabinet ? Pourquoi parler de moi à quelqu’un
    que je ne connais pas ?
    Je suis mal à l’aise et ne comprends pas mon besoin de
    rester, de retourner dans le passé… Je le connais et ne
    m’en suis, finalement, pas si mal débrouillée. J’ai
    maintenant trente-cinq ans. Je me suis mariée par amour et
    mon couple, solide et équilibrant, me comble pleinement.
    De mon union avec cet homme sont nés deux enfants qui
    donnent encore aujourd’hui tout son sens à notre vie. Que
    fais-je ici ? J’ai envie de partir…
    Des claquements de talons sur le plancher me tirent de
    mes pensées. Elle vient me chercher, l’affaire est lancée.
    Je lui emboîte le pas sans prendre le temps de l’observer.
    Mon cœur tape très fort, elle doit certainement l’entendre.
    Je dois me calmer, elle n’est pas là pour me juger. Je
    m’assois en face d’elle et découvre, sans surprise, la même
    femme que celle photographiée hier encore dans le
    journal. Elle semble tout de même plus chaleureuse, sans
    doute le photographe avait-il figé une expression
    dépourvue d’émotion. De taille moyenne, blonde, les yeux
    bleus, mince, élégante, elle n’a de commun avec ma mère
    que son âge, que quelques rides non camouflées laissent
    supposer. Son bureau est immense et je me sens toute
    petite. Des livres recouvrent deux étagères pleines de
    poussière, un sublime mélange de parfum artificiel et
    d’odeur de cigarette envahit la pièce… Pourquoi venezvous
    me consulter ?…
    J’ai finalement été très à l’aise. Tout venait de mon
    père, je m’en doutais ! Elle était sympathique et son regard
    chaleureux m’a dès le départ apaisée et donné envie de
    rester. Je reviens la semaine prochaine, sans doute pour
    approfondir mon discours laconique énoncé avec le
    sourire, sur les vingt premières années de ma vie !…
    Voilà, tout commence ici. Je sors contente de ce
    premier entretien, sans me douter un seul instant que mon
    histoire enfouie rejaillirait dans toute sa vérité
    traumatique… Mon corps avait bien raison de m’avertir ;
    je laissais mon passé me détruire…
    Depuis six mois déjà je raconte mon histoire. J’attends
    le jeudi avec impatience, et pourtant, chaque fois je repars
    désolée de ne pas avoir su totalement m’exprimer. Il vous
    faut verbaliser me dit-elle. Je le sais, mais mettre en mots
    ma souffrance encore ignorée relèverait aujourd’hui d’un
    exploit que je ne peux réaliser. Je parle de moi, de mon
    père violent et alcoolique qui ne nous a toujours fait
    connaître que le pire. Je rigole des soirées burlesques
    passées en famille, des jeux de massacres proposés par un
    être totalement ivre, des insultes proférées à l’encontre de
    sa fille. Bref, je rigole de toute cette vie qui aurait pu
    servir de scénario à un film dramatique.
    — Qu’est-ce qui vous fait rire ? interroge ma psy.
    — Tout me semble tellement ubuesque ! Les
    gendarmes, la violence ! On se croirait au cinéma ! dis-je
    en esquissant toujours un sourire…
    — Vous trouvez ça drôle ?
    — C’était ma vie. Quand on est dedans, on ne voit pas
    qu’elle n’est pas normale. Et puis, à part mon père, tout
    allait bien.
    J’ai refermé les portes de mon passé depuis bien
    longtemps. Ai-je vraiment envie d’en retrouver les clefs ?
    On ne peut pas changer son histoire, alors pourquoi
    vouloir la revivre quand on est parvenu à l’oublier ?
    Aujourd’hui tout va bien dans ma vie (à part… que je
    somatise). Mari, enfants… supers, rien à dire. Mère
    géniale et en bonne santé… Bref tout va bien… pensé-je,
    en faisant une récapitulation rapide dans ma tête.
    — Vraiment, tout va bien, affirmé-je tout haut.
    — Vous êtes quand même là, dans mon cabinet ! me
    dit-elle avec le sourire pour me rappeler que je ne suis pas
    dans un salon de thé !
    C’est vrai, ce n’est pas ma psy qui est venue me
    chercher !
    — Je sais… Il y a sûrement un truc qui ne va pas sinon
    je ne serais pas venue, pourtant mon passé, je n’y pense
    jamais, je vous assure ! Je l’ai complètement zappé.
    — Votre corps, lui, ne l’a pas oublié.
    — De toute façon, je me moque de tout. On peut me
    faire du mal, je ne le sens pas. Rien ne me touche… J’ai
    une carapace très efficace.
    — Vous changerez…
    Ce récit dépourvu de ses vraies émotions va encore
    durer six mois, la petite fille au cœur brisé ne voulant
    visiblement toujours pas se montrer… Je viens avec
    plaisir, mais ne sais pas vraiment quoi dire. Rien ne me
    paraît réellement important et je parle sans aucune
    émotion.
    — Vous avez mis en place de redoutables défenses. Je
    connais votre Moi, votre Surmoi, mais n’ai toujours pas
    accès à votre inconscient.
    Je le sais bien, tout ce que je dis est raisonné et détaillé
    dans une parfaite neutralité.
    — Ma vie est tellement banale ! Je ne vois pas ce que je
    pourrais vous cracher ? dis-je, comme pour me justifier de
    mon ton monocorde jusqu’alors employé.
    — « Cracher », pourquoi, « cracher » ? relève ma psy
    d’un air satisfait.
    — Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça, je ne vois
    vraiment pas ce que je pourrais avoir à cracher… Ma vie
    est totalement inintéressante. Excusez-moi, je me suis
    laissé emporter…
    Je suis la deuxième d’une fratrie de trois. Mon frère, de
    trois ans mon aîné, est à peine né qu’il est déjà admiré. Ma
    mère est fière de mettre au monde un garçon et de réussir
    là où ma grand-mère a échoué. Mon père, ivre de bonheur,
    offre des bras protecteurs à ce petit être en quête de
    chaleur, et découvre, au fil des mois, toutes les joies et les
    difficultés d’être un papa. Xavier grandit, dort, mange,
    rigole, va à l’école, joue avec ses copains, pleure, fait des
    caprices, attend le Père-Noël, aime barboter dans l’eau,
    écouter les chansons de son papa, se blottir contre sa
    maman, se promener avec sa mamie, sauter sur les genoux
    de son papy… Bref, Xavier découvre la vie sans se soucier
    encore de l’avenir…
    — A quoi pensez-vous ?
    C’est vrai, j’étais partie… Je la regarde, elle me sourit.
    Qu’est-ce que je dois dire ? Vite, il me faut rompre le
    silence. Je paye cher pour tenter d’accéder au bien-être, je
    ne peux pas rester muette. Je soupire tout en parlant.
    — Je sais que je dois continuer de venir mais je ne sais
    pas quoi dire. Il y a forcément un truc qui ne va pas mais
    je ne sais pas quoi. En fait, je crois que j’irais très bien si
    je n’étais pas toujours malade, d’autant qu’il n’est pas
    facile de me soigner, car je suis allergique à plein de
    médicaments. Le problème est là : mon corps m’agace et
    j’en ai marre de somatiser. Je suis vraiment nulle, vous ne
    trouvez pas ?
    — Vous n’êtes pas nulle, vous êtes en souffrance et
    votre corps a raison de parler puisque vous continuez de
    vous maltraiter… Il faudrait peut-être apprendre à
    l’écouter.
    Cette femme est formidable. Elle parvient en une seule
    phrase à me déculpabiliser et à me rassurer…
    Ce corps bavard depuis tant d’années se veut, je le sais,
    le messager d’une souffrance inexprimée. Chaque
    dysfonctionnement organique m’emprisonne dans la
    douleur et m’oblige au sourire forcé pour m’éviter de
    sombrer dans le malheur. A huit mois déjà, cystite aiguë et
    diarrhée annoncent l’entame d’un pénible parcours au
    travers d’un corps en déroute. A deux ans, de violents
    spasmes intestinaux interdisent à ma mère toute nuit de
    repos ! A six ans, de fortes fièvres inexpliquées perturbent
    la plupart de mes soirées… A douze ans, mes genoux en
    souffrance m’obligent souvent à l’inaction. A dix-sept ans,
    de brusques douleurs, tels des coups de poignard,
    m’assaillent chaque jour en plein cœur et des mycoses à
    répétition font de ma sexualité un calvaire annoncé. A
    vingt-huit ans, alors que je viens pour la première fois
    d’être maman, mes sinus surinfectés me suppriment toute
    possibilité de respirer sans qu’aucune solution médicale ne
    soit trouvée...
    Mieux vaut un cauchemar qui finit qu’un rêve inaccessible qui ne finit pas…

    Commentaire

    Chargement...
    X