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Tanger à la recherche de son identité

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  • Tanger à la recherche de son identité

    Tanger sur les traces de Marrakech ? Doux euphémisme. Depuis l'arrivée sur le trône de Mohammed VI, la cité du nord marocain compte bien retrouver le rang qu'elle occupa des années 1920 jusqu'à la fin des années 1950: le premier, du moins aux yeux d'une population cosmopolite d'hédonistes fortunés et d'écrivains fauchés, fascinés par l'esprit des lieux. Un esprit que Tanger dut à son statut international et à sa localisation. Imaginez une ville exempte de droit de douanes et vivant sous l'autorité confuse de plusieurs États, donc d'aucun, au soleil, en bord de mer et à quinze kilomètres à peine de l'Europe ! Autant dire qu'au-delà de Gibraltar flottait le drapeau de la liberté.

    Ce sont généralement les artistes, qui, les premiers, repèrent ce genre d'enseigne. Pêle-mêle et à quelques années d'intervalle, voici donc débarquant à Tanger, les Français Paul Morand, Joseph Kessel et André Gide, suivis de Jean Genêt et Roland Barthes ; les Américains Paul et Jane Bowles, Tennessee Williams, Truman Capote, Gore Vidal, William *Burroughs; les beatniks Jack Kerouac, Allen Ginsberg, Gregory Corso; les *Rolling Stones, avec Brian Jones qui vient se frotter aux flûtistes soufis; les milliardaires avec *Malcolm Forbes et *Barbara *Hutton, héritière des magasins Woolworth; mais aussi les espions, les aventuriers, les trafiquants. On vit dans le dédale de la médina, sur les hauteurs de la casbah, dans des palais andalous ou dans les belles villas aux jardins luxuriants de la vieille montagne, on fume du kif tout droit descendu du Rif, on fait la fête et on envoie valser les bonnes mœurs. Un âge d'or. Une ville-légende, avec ses exagérations et ses mensonges. « On le sait, dit l'écrivain Tahar Ben Jelloun, mais on continue de faire comme si Hercule avait vraiment mis le pied dans les grottes qui portent désormais son nom… À part la rencontre de la Méditerranée et de l'Atlantique et certaines lumières, magnifiques, qui ont subjugué Delacroix et Matisse, Tanger n'est pas aussi extraordinaire qu'on a pu le chanter. Mais il y a des choses qu'on ne peut pas expliquer… C'est une ville comme Naples, où les choses nettes ne sont pas très fréquentes.»

    Floue, Tanger l'est jusque dans son architecture.

    Autour de la médina, c'est une curieuse variété de façades madrilènes ou portugaises, de murs aux pâtisseries à l'italienne ou de géométries Art déco glissées dans les courbes de l'art musulman. Dans le quartier huppé du Marshan, c'est une succession de styles européens revisités : villas provençales, andalouses, florentines. Dans la ville moderne, des immeubles, des avenues, des grands cafés. Quant à la casbah, construite sur un relief dégringolant vers la mer et retenue par des remparts, c'est un tableau cubiste blanc où s'étagent les petits palais mauresques et les terrasses où flotte le linge. Des enseignes de pensions écrites en français aux frontons des cinémas, le Rif, le Roxy on se rappelle aussi que, de son côté, la rue arabe regardait vers l'Occident. Jusqu'en 1956, quand haute diplomatie oblige Tanger doit revenir dans le giron du royaume chérifien.

    Fin des privilèges et débuts des ennuis.


    Hassan II n'aime pas l'insolente liberté de la *« Princesse du Nord ». Il n'aime pas non plus les gens du Rif, montagnards éternellement rebelles. En 1959, il mate sévèrement leur insurrection et prive Tanger de toutes ses mannes. Tanger dépérit. On y donne moins de fêtes, la décadence n'y est plus ce qu'elle était. Certes, le socco (le souk) vibre toujours, mais il y a de la morosité dans l'air : on y vit plus des trafics illi*cites que de la nouvelle opulence touristique marocaine, et les femmes recommencent à se voiler. Dans son palais de Sidi Hosni, Barbara Hutton ne danse plus. Elle meurt, ruinée, en 1979. Paul Bowles, l'auteur d'Un thé au Sahara, quitte sa maison pour s'enfermer dans un appartement sans grâce de la ville. Avec sa disparition en 1999, Tanger perd l'un des derniers acteurs de sa gloire. Depuis belle lurette, Marrakech lui a ravi la vedette et les stars qui vont avec.

    Capitale d'été de Mohammed VI


    Mais un demi-siècle après le début de cette ruine, le vent se retourne. Comme pour faire oublier la disgrâce paternelle, et parce qu'il ne veut négliger aucun des atouts touristiques de son pays, le jeune souverain Mohammed VI choisit Tanger comme capitale d'été. Un décrassage s'impose. Pour orchestrer les gros chantiers lancés par dizaines, la cité se voit confiée aux bons soins de Mohammed Hassad ex-maire de… Marrakech ! Surnommé le « Bâtisseur », il a, ces trois dernières années, bouleversé le visage de Tanger : les grandes artères sont réaménagées, les espaces verts reverdissent, et le tout-à-l'égout assainit la médina. À cela s'ajoutent les investissements touristiques : la capacité hôtelière actuelle doit être triplée pour atteindre les 22 000 lits en 2012. On y ajoute des golfs, des spas, des marinas et l'aménagement progressif de toute la côte, de Tétouan, sur la Méditerranée, à Asilah, sur l'Atlantique. En 2009 sera inauguré le second port de la ville, Tanger Med, qui pourra accueillir deux fois plus de voyageurs qu'aujourd'hui, l'aéroport Ibn Battouta est en perpétuel agrandissement, et après la nouvelle autoroute qui relie déjà Rabat, on parle maintenant du futur TGV vers Casablanca.

    Que devient l'esprit de Tanger dans ce vaste chantier ?

    Il survit, un peu à l'écart. Quelques beautiful people Yves Saint Laurent, Jean-Louis Scherrer ou le peintre Claudio Bravo ont toujours gardé leur villégiature, et d'autres sont venus les rejoindre. Le chanteur Renaud vient d'acheter une maison dans la casbah. Bernard-Henri Lévy et Arielle Dombasle ont élu domicile sur la falaise qui regarde l'Europe, à côté du fameux café Hafa. À leur suite, une petite foule de bobos venus d'Europe fait grimper les prix du mètre carré de la médina en découvrant les intérieurs précieux cachés derrière les murs anonymes de la ville : pavillons bleus, salons dorés aux lustres de cristal de Venise et tentures de velours frappé, patios aux murs de zelliges, séries limitées de flacons tunisiens et verres turcs, l'orientalisme dans toute sa splendeur. Attention pourtant: le vrai luxe exige plus l'intimité que les paillettes. À trop vouloir être ripolinée et accueillante, Tanger risquerait de faire fuir ses aventuriers.

    Par Le figaro
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