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Les oubliés de l’IER au Maroc

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  • Les oubliés de l’IER au Maroc

    Par Souleïman Bencheikh
    Années de plomb. Les oubliés de l’IER

    Alors que le Conseil consultatif des droits de l’homme a clos le dossier des indemnisations, les exclus et les déçus portent haut leurs revendications. Victimes d’hier ou opposants de toujours, rencontre avec les oubliés de l’IER.

    Plus de 16 000 dossiers examinés, les trois quarts soldés par des indemnisations et un total de 600 millions de dirhams distribués… La page des années de plomb serait-elle définitivement tournée ? Mercredi 7 mai, le ministre de la Justice expliquait que 95% des victimes de
    violations graves recensées par l’Instance équité et réconciliation (IER) ont obtenu réparation. “Les 5% restants n’ont pas perçu d’indemnités pour des raisons personnelles”, a affirmé, laconique, Abdelouahed Radi dans une réponse lue devant les députés. Il y a quelques semaines, c’était Ahmed Herzenni, président du Conseil consultatif des droits de l'homme (CCDH), qui nous confiait que l'institution devrait s’orienter vers la défense des droits sociaux, économiques et culturels. “En ce qui concerne les années de plomb, le travail a été fait. Jusqu’à aujourd’hui, nous avons surtout agi sur la question de la mémoire des exactions. Il s’agit maintenant de revenir aux fondamentaux : le droit à la santé, à l’école, au travail et au logement”. Une manière comme une autre de clore le dossier des indemnisations et, par la même occasion, tirer un trait sur le passé.

    Vous avez dit réconciliation ?
    Depuis que Driss Benzekri n’est plus, son œuvre semble se déliter. Pour ses détracteurs, de plus en plus nombreux, le CCDH est devenu une chambre d’enregistrement, totalement coupée des préoccupations des victimes de l’ancienne ère. “Le CCDH voudrait maintenant enterrer notre histoire, alors que toute la lumière n’a pas été faite”, dénonce Saïd Masrour, ancien prisonnier politique et président de l’Association du 20 juin 1981. “Les montants des indemnisations ont été fixés sur la base de critères politiques”, accuse-t-il. Et d’ajouter : “Ce dossier est loin d’être clos. Il y a encore beaucoup de choses à faire pour que le système soit plus juste”.

    Car, loin de l’autosatisfaction affichée du CCDH, les mécontents sont nombreux. Abdelkrim Manouzi (frère du célèbre disparu Houcine Manouzi), président de l’Association médicale pour la réhabilitation des victimes de la torture (AMRVT), fait le tri : “Il y a ceux qui contestent le montant de leur indemnisation, ceux pour qui l’IER s’est déclarée incompétente, invoquant des raisons très floues. D’autres encore n’ont tout simplement pas été informés qu’ils devaient formuler une demande d’indemnisation, d’autant qu’ils ne disposaient que d’un mois pour le faire”. Mohamed Nadrani, membre du conseil national du Forum vérité et justice (FVJ), enfonce le clou : “Ce n’est pas à la victime d’entamer les démarches pour être indemnisée. Ce genre d’obstacles administratifs a décrédibilisé le travail de l’IER”. Défenseur du travail de l’Instance, Ahmed Herzenni campe sur ses positions : “L’IER avait mandat pour s’occuper des violations graves des droits humains. Elle devait aussi se limiter aux cas où la responsabilité de l’Etat est engagée”. Effectivement, les statuts de l’IER précisent que son mandat se limite à deux types de violations, “la disparition forcée” et la “détention arbitraire”, sans jamais clarifier ses responsabilités envers les autres types d’abus et leurs victimes. En invitant les personnes à formuler des demandes d’indemnisation, l’IER précise que ces demandeurs doivent être des personnes qui “ont subi des préjudices matériels et moraux suite à la disparition forcée et à la détention arbitraire”. Des conditions très limitatives, que ne pouvait outrepasser l’IER. Mais alors, pourquoi parler de réconciliation ? Etait-elle seulement possible ?


    Le prix du silence
    “Il n’y a pas eu et il ne peut y avoir de réconciliation, car les coupables n’ont pas été punis (lire encadré) et que l’Etat ne s’est pas clairement excusé. Dans ces conditions, je ne pouvais accepter aucune indemnisation”. C’est en ces termes que Mohamed Bougrine, emprisonné sous trois règnes et récemment gracié, explique son opposition de toujours au processus de l’IER. Et de tonner : “Le régime de Mohammed VI est encore pire que celui de Hassan II : c’est une main de fer dans un gant de velours”. Saïd Masrour, lui, a été indemnisé pour les 13 années passées en prison à la suite des manifestations de 1981. Ce n’est pas pour autant qu’il considère la page tournée. “J’ai passé toutes mes années de jeunesse, de 20 à 33 ans, dans les geôles de Kénitra. Ce ne sont pas 190 000 DH qui peuvent réparer cela”, dénonce-t-il. Mais, comme en écho, Ahmed Herzenni dénonce ceux qui ont bénéficié de dédommagements et qui critiquent maintenant l’IER. “Ceux qui ont accepté d’être indemnisés ont, de fait, cautionné l’approche de l’Instance, argumente-t-il. On ne peut pas contester un processus dont on a soi-même bénéficié”, assène-t-il.

    Pourtant, n’en déplaise au président du CCDH, il n’y a pas que des ingrats. Certains se plaignent en silence, sans espérer de réponse. “Même dans les hôpitaux, on leur demande d’abord de payer, s’indigne un membre de l’AMRVT, il s’agit de gens démunis, souvent d’origine modeste, et qui, trop souvent, n’ont pas été réhabilités socialement à leur sortie et souffrent de maladies chroniques”. Pour cet ancien militant “repenti” d’Ilal Amam, pas de satisfaction non plus et encore moins de gratitude envers l’IER : “Je n’ai accepté d’être indemnisé qu’à la deuxième proposition, pour ne pas retarder le traitement de cas bien plus lourds que le mien. Cela dit, je trouve qu’un simple dédommagement financier n’est pas suffisant”.

    Car au-delà de l’aspect financier, c’est la réhabilitation des victimes qui semble poser problème. Beaucoup sont passés par la case prison dans la fleur de l’âge, y laissant les plus belles années de leur vie, et les plus “productives”. Pour ceux-là, une réparation sous forme de dédommagement financier ponctuel ne peut s’apparenter à une solution. C’est aussi de santé que parlent les victimes des années de plomb. Insuffisances respiratoires, troubles intestinaux, rhumatismes, paralysies, psychoses maniaco-dépressives, crises de schizophrénie… on estime à quelque 50 000 les victimes directes des années de plomb souffrant de graves séquelles physiques et psychologiques. Pour la plupart des 12 000 personnes qui ont obtenu “réparation”, l’indemnisation n’a même pas suffi à éponger les dettes contractées. Comment, dans ces conditions, clore le chapitre des années de plomb avec une simple annonce de chiffres ? Comment éluder la question d'une vraie réconciliation ? Ahmed Herzenni a manifestement réponse à tout : “Nous pouvons encore aspirer au consensus. Il suffit que tout le monde se montre objectif et de bonne foi”. Même après avoir clos le dossier de manière unilatérale ?


    Justice. Et les bourreaux ?
    Peut-il y avoir réconciliation sans excuses ? Peut-il y avoir une justice sans coupables ? L’impunité des anciens tortionnaires est en tout cas l'un des principaux points d’achoppement entre le CCDH et les associations de défense des victimes des exactions du passé. Driss Benzekri avait refusé de faire de l’IER un tribunal d’inquisition des années de plomb. Il avait alors conseillé à ceux qui voulaient pousser plus loin leurs revendications de s’adresser à la justice et de poursuivre directement leurs bourreaux d’hier. Mais à ce jour, aucun procès de ce genre n’a été tenu. Aucun bourreau n’a été condamné, ni même inculpé, pour des faits de torture. Bien au contraire, un silence assourdissant a été imposé sur la question et l’impunité reste de mise. Pourtant, l’IER avait organisé des rencontres à huis clos entre victimes et bourreaux. Toutes les conclusions de ces travaux devaient être remises au roi. Lui seul peut décider en dernier lieu du sort de la liste de “coupables” dressée au fil des auditions. Evidemment.

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