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Sétif -Guelma- Kherrata

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    Un article dans Le Point
    Sétif, Guelma, Kherrata - 8 mai 1945, d'« épouvantables massacres »

    Durant la Seconde Guerre mondiale, 60 000 Européens et musulmans sont morts, côte à côte. Le jour de l'armistice, les manifestations de la victoire dégénèrent à Sétif, Kherrata et Guelma. La répression, terrible, marque à jamais la séparation entre les deux communautés.


    De notre envoyé spécial François Malye

    Soudain, Abdelaziz Bara éclate en sanglots. Lui qui se tenait si droit pendant la visite des sites marquant les tueries perpétrées à Guelma le 8 mai 1945 ne peut retenir ses larmes. Il avait 12 ans quand la fureur s'est déchaînée dans cette sous-préfecture du Nord-Constantinois, le jour où, dans le monde entier, on fêtait la victoire des Alliés contre les nazis. Ici, la manifestation a tourné au drame, transformant ce moment de joie en une longue tuerie digne d'une tragédie antique. Il y a trois semaines, juste avant la célébration du 63e anniversaire de cet événement fondateur de la révolte algérienne, et pour la première fois, l'ambassadeur de France en Algérie, Bernard Bajolet, en déposant une gerbe devant l'un des monuments de la ville, a évoqué « d'épouvantables massacres [...] qui ont fait insulte aux principes fondateurs de la République française et marqué son histoire d'une tache indélébile ».

    Si tous les Français ont entendu parler de Sétif, peu savent ce qui s'est passé à Guelma. A Sétif, la manifestation à laquelle prennent part les musulmans, dont bon nombre sont militants des AML (Amis du manifeste et de la liberté), le parti de Ferhat Abbas, et du PPA (Parti du peuple algérien), se transforme en émeute sanglante. Dans la foule des 8 000 manifestants musulmans, les banderoles réclamant la libération de Messali Hadj, le leader indépendantiste alors emprisonné, côtoient les drapeaux alliés. Mais c'est l'apparition du drapeau algérien qui est à l'origine d'un déchaînement de violence. Un policier se précipite dans la foule pour le faire disparaître, des coups sont échangés, des tirs claquent, faisant aussitôt refluer la foule en panique. Arrivée à l'une des sorties de la ville, elle se heurte au barrage des gendarmes, qui ouvrent aussitôt le feu. Semant les morts et les blessés, les manifestants fuient à nouveau dans la cité, s'en prenant cette fois aux Européens qu'ils rencontrent. Vingt et un d'entre eux sont tués. La répression, terrible, s'enclenche. Les musulmans sont chassés dans les rues, fauchés par les tirs des automitrailleuses de la Légion. « C'était la chasse ouverte », écrit un journaliste américain présent à Sétif. L'écrivain Kateb Yacine, également sur les lieux, et dont la mère deviendra folle de ce qu'elle a vu, dira plus tard : « Là se cimenta mon nationalisme. J'avais 16 ans. »

    La nouvelle se répand comme une traînée de poudre dans les campagnes. Les tribus veulent venir en aide à ceux des leurs piégés dans la ville ce jour de marché. Sur leur passage, des fermes et des villages sont attaqués. Durant ces deux jours d'insurrection, 102 Européens, au total, sont tués, souvent dans des conditions atroces. En attendant l'arrivée des troupes appelées en renfort, le croiseur « Duguay-Trouin » ajuste ses batteries et tire par-dessus les crêtes. Des bombardiers B26 Marauder, équipés pour l'attaque au sol, arrosent ceux qui fuient dans les campagnes de rafales de mitrailleuses et de bombes à fragmentation. Puis, la Légion étrangère, les tirailleurs sénégalais et les tabors marocains entrent en scène. Pendant quinze jours, ils ratissent les villages, pillent, violent, tuent. Côté musulman, ce sont entre 15 000 et 20 000 personnes qui meurent dans une répression d'une violence incroyable. 45 000, selon les Algériens.

    Mais ce qui s'est passé à Guelma est pire encore. Ici, aucun Européen n'a été tué. Et les exactions vont être commises de sang-froid, puisqu'elles débuteront deux jours après le premier heurt. Enfin, elles dureront près de deux mois, les autorités civiles ne parvenant plus à arrêter les tueries. Pour une raison simple. Ce n'est pas l'armée qui va exécuter les musulmans par centaines, mais les Européens de la ville, formant une milice terrifiante, réglant enfin ses comptes avec ces Arabes détestés.

    Une fois passé le fouillis de nouvelles constructions qui entourent cette bourgade de 100 000 habitants, située à 200 kilomètres de Sétif, on finit par repérer le décor des massacres de mai 1945. Seuls les remparts qui entouraient la ville à l'époque ont disparu. Mais les petites places, ceintes de constructions coloniales aux façades décrépies, les kiosques à musique, le théâtre municipal et la gare maintenant abandonnés, le long boulevard avec ses allées de platanes qui délimitait le quartier arabe et le quartier européen sont encore là. C'est au débouché de l'un d'entre eux que tout a commencé. C'est là que la marche commémorative de ce 8 mai 2008 s'arrête, sous une chaleur accablante, devant une plaque placée sur le mur d'une petite rue et que, pendant la prière dédiée aux victimes de ce jour tragique, plusieurs dizaines de jeunes scouts musulmans brandissent leurs portraits.

    Il est alors 16 heures, ce 8 mai 1945, et on sait qu'à Sétif, où la manifestation a démarré au matin, les choses ont mal tourné. Celle de Guelma n'a été autorisée que la veille au soir par les autorités. Mais le sous-préfet a prévenu le comité des AML qui organise cette marche : « Attention à vous ! Je suis blanc comme le lait. Trop longtemps au feu, je déborde ! » En voyant le drapeau algérien, le sous-préfet fend la foule, fou de rage, et frappe le porte-drapeau. Les gendarmes tirent dans le tas, provoquant une fuite éperdue. Un manifestant est mort, une demi-douzaine d'autres sont blessés. Abdallah Yallès, 83 ans, est l'un d'eux. « J'ai pris une balle qui m'a arraché une partie du fémur », explique-t-il en montrant sa jambe prolongée d'un pied bot allongée sur un coussin. J'ai ensuite été emmené à l'hôpital. Au bout de quelques jours, comme je me plaignais qu'on ne s'occupait pas de moi, un infirmier m'a dit à l'oreille de me taire : "Si tu savais combien sont en train de mourir dans les champs faute de soins, tu ne te plaindrais pas." J'ai compris qu'il se passait des choses épouvantables dans la ville. »

    « Un personnage à la Malraux. »

    Le sous-préfet de Guelma a 36 ans et se nomme André Achiary. C'est lui qui va maintenant organiser la répression. C'est « un aventurier, un personnage à la Malraux », écrit Yves Courrière dans sa monumentale « Guerre d'Algérie ». « Ce petit bonhomme râblé, rageur, au visage intelligent et vif, sympathique », a passé son enfance en Algérie. A l'origine commissaire de police, il est opiomane, parle l'arabe et le kabyle, déteste le racisme de certains Européens et a été décoré de la médaille de la Résistance par le général de Gaulle en 1943. Ce socialisant, résistant de la première heure, expert en renseignement, « a fait une guerre magnifique [...] dans cet extraordinaire merdier qu'était Alger entre 1942 et 1945 ». Il a notamment été l'un des acteurs du coup de force qui a permis aux Alliés de prendre Alger en novembre 1942. C'est également un homme violent qui a exécuté de ses mains bon nombre d'agents ennemis. Arrivé en avril à Guelma, ville paisible, même si la première cellule nationaliste y a été créé en 1932, il n'a pas l'intention de se laisser faire par les indigènes dont les revendications exaspèrent les Européens.

    « Bien sûr que nous revendiquions », explique Mohamed Chafaï, 81 ans, dans le local sombre et moite de l'Association du 8-mai-1945. Ce petit homme pétillant occupait alors le poste de secrétaire civil à l'infirmerie de la caserne. Aujourd'hui avocat, il a été l'un des « historiques » de la révolution algérienne. « Sur les boulevards, un trottoir était réservé aux musulmans, l'autre aux Européens. Nous n'hésitions plus à l'emprunter. Mais il fallait mater les Arabes. Achiary avait fait une réunion avec les colons et leur avait dit : "Il faut que vous repreniez votre dignité face à ces pouilleux." Tous les Européens ici étaient des vichystes, ils ne voulaient pas des réformes. » André Achiary ne va pas confier la répression aux militaires de la ville, car les trois compagnies sont composées de tirailleurs algériens. On les consigne donc à la caserne après les avoir débarrassés de leurs armes, que l'on confie aux habitants européens. C'est cette milice populaire, dans un déchaînement de rage longtemps contenue, qui va rafler les musulmans, les battre, les torturer pour ensuite les fusiller par centaines après une mascarade de procès. Pour donner un semblant de légalité à ces meurtres, André Achiary a en effet instauré un comité de salut public et son tribunal qui expédie les sentences. Au soir du 8 mai, on commence à arrêter ceux des musulmans qui sont les plus compromis tandis qu'est instauré un couvre-feu.

    « Messieurs, vengez-vous ! »




    http://www.lepoint.fr/actualites-mon...s/924/0/247243

  • #2
    la suite de l'article

    La première victime musulmane s'appelle Mohammed Reggui. Ce notable d'origine tunisienne, français par choix, mariée à une Française, est le propriétaire de l'hôtel d'Orient, le meilleur établissement de la ville. Les six enfants Reggui font partie de ces musulmans lettrés qui portent pardessus et cravate et se croient parfaitement intégrés à la société européenne. Mais quand Mohammed Reggui a racheté le Café-Glacier de Guelma, fief des Européens où aucun Arabe n'avait le droit de s'asseoir, ceux-ci l'ont brutalement déserté. Le soir du 11 mai, il est emmené à la gendarmerie et, quand il en revient, il est abattu sous les arcades. Comme dans un mauvais western, son corps reste de longues heures exposé dans la rue, à la frontière des quartiers musulman et européen. Juste pour indiquer la limite qu'il ne fallait pas dépasser. Sa soeur et l'un de ses frères seront exécutés six jours plus tard.

    Est-ce parce qu'il a appris que, dans la plaine, des fermes et des villages ont été attaqués (il y aura au total 12 morts européens autour de Guelma) ? Le sous-préfet fait exécuter, le lendemain matin, à l'intérieur de la caserne, les neuf membres les plus importants des AML. Les arrestations continuent. Le lendemain, le préfet de Constantine, Lestrade-Carbonnel, et le général Duval passent à Guelma. « Quelles que soient les sottises que vous commettrez, je les couvrirai. Messieurs, vengez-vous ! » dit le préfet. On entasse les prisonniers dans un commissariat désaffecté et à la gendarmerie, où siège le tribunal. Chaque matin et chaque soir, des camions emmènent les condamnés, qui sont exécutés à l'écart de la ville. Les miliciens abattent froidement ceux qu'ils croisaient la veille dans les rues. Ils appartiennent à toutes les classes sociales : commerçants, cheminots, employés, policiers et gendarmes mais aussi médecins et élus de la ville. Les colons qui ont déserté la région leur donnent un coup de main. Toutes les tendances politiques sont elles aussi représentées, des communistes aux ultras de droite. On estime qu'entre 400 et 800 musulmans, habitants de la ville, seront massacrés, 2 000 si l'on compte les environs où les miliciens partent, dans des équipées sauvages, « à la chasse au merle ». « Les hommes sont affreux sous le soleil féroce », écrivait Albert Camus.

    « Ils ont fait d'une pierre deux coups. Ils ont éliminé l'élite de la ville mais aussi ceux dont ils ne supportaient pas la réussite », explique Farida Belous, attablée à la terrasse de l'unique hôtel de la ville. Elle avait 2 ans quand son père, Ahmed Belous, un bijoutier prospère, a été emmené par André Achiary et ses hommes. « Je sais qu'il a été torturé, mais je ne sais même pas quand il est mort ni où est son corps. » La plupart des cadavres sont arrosés d'essence et brûlés, d'autres disparaissent dans le four à chaux d'un colon. « Je me souviens de cette odeur comme si c'était hier, dit Abdelaziz Bara. Mon père avait un café près d'une des sorties de la ville. On entendait les salves et puis on voyait une fumée noire monter dans le ciel. »

    La jalousie n'est pas la seule motivation des Européens. Dans cette ville où, à l'époque, ils sont 4 500 pour 12 000 musulmans, leur communauté vit en fait la peur au ventre. Majoritairement d'origine maltaise ou italienne, comme tous les fraîchement naturalisés, ils sont prompts à la surenchère nationaliste. Mais l'Algérie entière est bouleversée par les effets de la Seconde Guerre mondiale et retient son souffle, dans la hantise de l'insurrection indigène. Le nationalisme algérien est en plein essor, et la France s'est écroulée durant les cinq années du conflit mondial. Débâcle de 1940, débarquement de novembre 1942 où les troupes de Vichy tirent sur les libérateurs, tragi-comédie qui s'ensuit avec l'assassinat de Darlan, l'arrivée de Giraud puis la prise de pouvoir de de Gaulle auxquels il faut ajouter une adhésion massive des Européens aux idées vichystes. Enfin, le marché noir a détruit l'économie, la famine frappe le pays et la décolonisation est devenue l'un des chevaux de bataille des alliés anglo-saxons. « Pauvre France ! Quand vous voyez un tirailleur algérien avec des bandes molletières mais sans chaussures ou des gens habillés avec des sacs, vous ne pouvez plus croire à la grandeur d'un pays », ajoute Mohamed Chafaï.

    Alors que la paix est revenue dans la région, les meurtres continuent à Guelma pendant près d'un mois. Les exécutions sommaires au hasard des campagnes ont remplacé les fusillades. Les autorités qui voudraient les faire cesser ne peuvent même plus se rendre dans la ville, leur sécurité n'étant plus assurée face à la fureur des Européens qui, dans tout le Constantinois, dénoncent leur laxisme. C'est donc le ministre de l'Intérieur, Adrien Tixier, qui visite la ville le 26 juin sous couvert d'une mission d'information « dans une atmosphère de Saint-Barthélemy finissante ». Au matin, une bande de miliciens menée par le maire de Millésimo a encore massacré toute une famille arabe dans une ferme.

    L'omerta des Européens.

    Plusieurs enquêtes seront lancées pour éclaircir ce qui s'est passé à Guelma. Les policiers se heurteront à l'omerta de tous les Européens. Ceux-ci prétexteront, pour expliquer la présence de nombreux cadavres sous les remparts, que la ville avait dû soutenir un siège après une véritable insurrection. Dans une déposition faite en 1946 à Maurice Papon, alors préfet de Constantine, Achiary évoque pour justifier les premières exécutions non pas les crimes mais « l'arrogance » des prisonniers. Aucune sanction ne sera prise. André Achiary, protégé par l'appareil gaulliste, basculera ensuite dans le camp des ultras de l'Algérie française, organisant l'attentat du bain maure de la rue de Thèbes, le 10 août 1956 à Alger, l'un des tournants de la guerre d'Algérie. Il mourra en Espagne en 1983. « Le général Duval, qui dirigeait la répression, avait dit aux autorités civiles : "Je vous ai donné dix ans de paix mais il faut changer les choses", reprend Mohamed Chafaï en reposant sa tasse de café. Nous avons tenu à respecter ce délai et, neuf ans et demi plus tard, dans la nuit du 1er janvier 1954, nous avons lancé l'insurrection. » La guerre d'Algérie commençait

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