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Magazine Challenges: Tanger métamorphosé

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    Tanger métamorphosé
    Magazine Challenges | 29.05.2008 |

    Adieu, misère et romantisme, place aux investisseurs. La grande ville du Nord marocain se transforme en plate-forme industrielle.

    De la petite plage chère aux baigneurs et aux surfeurs, il ne reste rien. A une quarantaine de kilomètres à l'est de Tanger, une armée de bétonneuses a transformé la côte sauvage en port géant. Inauguré l'été dernier, Tanger Med, construit en partie par Bouygues, plonge ses tentacules loin à l'intérieur des terres : ici, une autoroute flambant neuve, là, une voie de chemin de fer et une nationale en chantier, des viaducs... Avec lui, c'est tout le nord du Maroc qui renoue avec sa vocation géographique, celle d'un carrefour stratégique entre l'Afrique, l'Europe, l'Asie et l'Amérique.
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    Le ballet des immenses porte-conteneurs commence à peine. S'ils ne sont encore qu'une quarantaine par mois à accoster, leur nombre va aller crescendo : à plein régime, le port pourra atteindre les 3 millions d'EVP («équivalent vingt pieds», unité de mesure des conteneurs). Autant que le voisin espagnol d'Algésiras. Et ce n'est qu'un début, puisqu'un deuxième port, encore plus important, sera bientôt construit à côté. Le royaume pourra alors se vanter de posséder la plus grande installation portuaire d'Afrique.

    Emplacement stratégique
    Tanger Med servira avant tout pour le transbordement des marchandises, mais il représente aussi un atout logistique de taille. Son emplacement lui-même est symbolique. Il devait au départ se situer sur la côte atlantique avant de s'installer ici, à 14 kilomètres de l'Espagne. Et tant pis si cela doit engorger encore un peu plus la navigation en Méditerranée. Carie nord du pays, abandonné sous Hassan II à sa misère, au trafic de drogue, à la contrebande et aux pateras, ces embarcations qui emportent vers l'Europe - ou vers la mort - les candidats à l'exil, est la nouvelle priorité du Maroc de Mohammed VI. Sa vocation ? Devenir une plate-forme industrielle privilégiée pour le marché européen, l'Afrique du Nord et les Etats-Unis. On parle déjà de 150 000 emplois créés à l'horizon 2015...
    Rien n'est trop beau pour attirer les investisseurs étrangers. On vante cette proximité géographique et culturelle avec l'Europe. Cette main-d'oeuvre jeune, francophone ou hispanophone, nombreuse et - surtout - peu chère : le salaire mensuel minimum marocain avoisine les 1 845 dirhams (environ 160 euros). Sans oublier des centaines d'hectares de zones franches qui devraient pousser tout autour du port avec leur cortège d'avantages fiscaux. Le Tanger d'aujourd'hui semble bien loin de la ville mythique qui, jusqu'à la fin des années 1950, attirait artistes et poètes de tous horizons. Son esprit subsiste encore au coeur de la vieille ville, sur la terrasse de l'hôtel Continental ou dans les vapeurs du Tangerinn, petite boîte de nuit historique où se mélangent artistes, jeunes branchés et vieux Européens en quête d'une nouvelle vie.

    Zone franche dynamique
    Mais sur les vestiges de la «Dream City» de Paul Bowles se bâtit désormais une autre cité, celle de l'automobile. Les noms de Matisse, Burroughs ou Kerouac ont cédé la place à ceux, bien moins romantiques, de Renault, Yazaki ou Delphi. Depuis l'annonce, en septembre 2007, de Carlos Ghosn, patron de Renault-Nissan, de l'installation dans la région de l'usine la plus compétitive de l'alliance, les sous-traitants automobiles se bousculent au portillon. On peut les comprendre : en 2010, près de 200 000 véhicules devraient sortir chaque année du Maroc. Le double par la suite.
    «Les équipementiers les plus prestigieux sont en train d'arriver», confirme Jamal Mikou, directeur de Tanger Free Zone, la première zone franche de Tanger, ouverte en 1999 juste à côté de l'aéroport international. «Mais Renault n'en est encore qu'aux appels d'offres.» Pas question, donc, de livrer des noms. Sauf un : Yazaki. Le japonais, numéro un mondial des systèmes de distribution d'électricité et de composants électroniques pour l'automobile, a été le premier à signer avec l'alliance pour son projet marocain. Implanté depuis 2000 à Tanger, il emploie près de 3000 personnes et a doublé son chiffre d'affaires au Maroc l'an passé, atteignant 136 millions d'euros. «Yazaki réduit aujourd'hui son activité en Europe de l'Est, qui a perdu en compétitivité, indique El Mostafa Khaledi, représentant du groupe au Maroc. Et cela profite au royaume.»
    Mais Tanger n'a pas attendu Renault pour se développer. Sa zone franche grossit à vue d'oeil depuis plusieurs années. Près d'une centaine de sociétés s'y sont implantées l'an passé, portant leur nombre à 352. Au total, les investissements s'y élèvent à près de 400 millions d'euros. Les Espagnols arrivent en tête, talonnés par les Français. Les secteurs d'activité sont aussi variés que l'électronique, la métallurgie, les services, le textile et même l'aéronautique. «Avec la baisse du dollar, nous étions de moins en moins compétitifs», confie Jacques Bodet, PDG de BMP, un groupe spécialisé dans la sous-traitance aéronautique. Il a alors prospecté en Asie, en Europe de l'Est avant de porter finalement son choix sur Tanger, qui «regroupe les avantages de coûts et de logistique», pour ouvrir sa filiale Atlas Productions. «Ce que nous produisons ici nous revient 20 à 30% moins cher qu'en Europe, ajoute-t-il. Cela nous a permis de conserver des marchés et de développer d'autres activités en France.»

    Afflux démographique
    Tanger change si vite que ses habitants eux-mêmes ne la reconnaissent plus. La plage a été nettoyée de ses baraques de fortune, les trottoirs ont été refaits et une station d'épuration toute neuve, oeuvre du français Veolia, va bientôt assurer le traitement des rejets liquides. En périphérie, les logements économiques poussent comme des champignons. De nouvelles villes vont émerger partout dans la région. Vastes cités-dortoirs destinées à recevoir cette main-d'oeuvre de plus en plus nombreuse à affluer des quatre coins du Maroc.
    Rien à voir avec les immenses immeubles de standing qui se multiplient sur un bord de mer de plus en plus bétonné. Ici, la spéculation immobilière bat son plein et les prix explosent pour le plus grand malheur des Tangérois. Au pied des bâtiments en chantier, quelques ouvriers dorment sous des abris de fortune. Le train du développement économique a encore oublié beaucoup de passagers sur le quai...


    Casablanca ne reste pas à la traîne
    Si les nouvelles priorités se situent au nord, Casablanca n'est pas délaissée pour autant. Avec son «aéropole» regroupant près de cinquante sociétés aéronautiques, la capitale économique conserve une longueur d'avance dans ce secteur. Les plus grands noms se sont installés à côté de l'aéroport Mohammed-V. Safran, EADS et Sogerma ont attiré auprès d'eux des dizaines de sous-traitants. La ville blanche s'est aussi dotée de son «Casanearshore». Après des mois de retard et une communication catastrophique, le dispositif des autorités marocaines pour développer les centres d'appels, l'offshore informatique et l'externalisation de services à Casablanca a fini par accueillir ses premiers locataires : HPS, BNP Paribas et l'indien Tata Consulting. D'autres devraient suivre, parmi lesquels GFI, Atos Origin, Capgemini... A terme, les autorités marocaines promettent 100 000 mètres carrés de bureaux en 2010. L'aéronautique et l'offshoring font partie des secteurs identifiés par le plan Emergence, qui fixe les grandes lignes du développement économique du royaume. Mais dans certains domaines, la main d'oeuvre se raréfie. Les bons profils se font rares, le turnover est de plus en plus important et l'inflation des salaires n'est plus une fiction. Formation, fiscalité, climat des affaires... Autant de réformes que le pays va devoir rapidement mettre en place s'il tient à rester compétitif et sortir de la simple sous-traitance.

    par Julien Félix
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