MÉDERSIENS
Les grandes retrouvailles
Les Médersiens? Qui sont-ils? On en parle souvent, mais nombre de gens ne connaissent pas leur origine et encore moins leur «destination»...
La France coloniale, qui a cédé aux pressions des nationalistes en autorisant l’enseignement de la langue arabe, dans des établissements dits «Lycées franco-musulmans», pensait voir les promotions d’élèves se diriger vers les fonctions de «Tordjmane», (traducteurs) et «Bach ‘âdel», (juge suppléant) de la justice musulmane. Elle n’a pas eu ce qu’elle escomptait car, à part quelques diplômés de la Médersa, et parmi les tout premiers qui ont été dirigés vers ces fonctions, les autres de la «Thaâlibiya», de la rue Bencheneb et des lycées de Ben-Aknoun, de Constantine, de Tlemcen et bien après de Kouba - pour les jeunes filles -, ont choisi les branches scientifiques et culturelles. L’Algérie est fière aujourd’hui de compter parmi cette race de diplômés - malheureusement en voie de disparition - un nombre important de hauts cadres de la nation dont 28 ministres, une quantité appréciable d’ambassadeurs, d’officiers supérieurs de l’ANP, de walis, de P-DG, de professeurs de médecine, de professeurs d’université, de chercheurs-universitaires, de hauts fonctionnaires d’Etat et enfin de médecins, d’avocats, d’architectes etc. Certains parmi ces bon crus, des différentes promotions, se sont retrouvés un certain jeudi, au Lycée Amara Rachid...
Que se sont-ils dit?
Jeudi après-midi, une effervescence toute particulière se dégageait de l’entrée et de ce légendaire hall du lycée Amara Rachid, où de vieux élèves - une moyenne d’âge de soixante ans et plus - se bousculaient comme des «potaches» pour se frayer un passage et étreindre ceux qu’ils n’ont pas rencontrés depuis des lustres...Un mouvement de grands jours faisait que tout ce beau monde s’agitait d’impatience pour renouer, en l’espace d’un après-midi, avec cette magnifique ambiance de ces années scolaires dans cet endroit mythique, la «Médersa de Ben-Aknoun». En effet, ces anciens qui rêvaient de grandes choses, sont venus pour se permettre d’en faire au moins de toutes petites: retrouver les amis de classe, revisiter l’Histoire de ces lycées d’enseignement franco-musulman, reconquérir ce microcosme qui regorge de tant et tant de souvenirs..., de merveilleux souvenirs, entendons-nous bien et, enfin, passer un moment agréable dans un climat convivial, chaleureux et fraternel. C’était cela la rencontre des «anciens Médersiens» de ce jeudi 22, dont la caractéristique première se situait dans cette masse de cheveux blancs qu’arboraient de vieux copains, gais ce jour-là, comme des écoliers à la veille des vacances scolaires.
Une mémorable journée
Ils sont venus de partout. Ils sont venus pour se regrouper en famille, parce que les Médersiens sont une seule famille, que dis-je, une grande famille. Plusieurs ont fait le déplacement depuis Adrar, Timimoun, Béchar, Tlemcen, Ghardaïa, Guerrara, Laghouat, Boussaâda, Aïn-Bessem, Bouira, Ksar El Boukhari, Berrouaguia, Médéa, Ténès, Miliana, Cherchell, Dellys, Tizi Ouzou, Béjaïa, Sétif, Constantine, Annaba et autres villes de l’intérieur. Il y a même quelqu’un, un ancien élève du «franco-musulman», qui a effectué le déplacement depuis la France, le jour même de la réunion, après avoir pris connaissance du communiqué paru dans la presse nationale.
Ils sont venus pour célébrer ce jour et le désigner comme une occasion de relance, une relance effective. Ils sont venus car ils voulaient se voir, s’embrasser, se raconter tellement de choses et de choses, renouer avec les bonnes traditions de rencontres et de concertations. Ils voulaient se sentir tout près en ces circonstances où se perdent la solidarité et le besoin de s’unifier afin de s’affirmer en tant que citoyens capables d’assumer, dans les vastes champs d’action qui sont les leurs, les multiples mutations qui doivent transformer notre pays.
N’était-ce pas des moments forts, pleins d’émotion, quand on voyait arriver Cheikh Belhadj Chérifi, ancien professeur pendant les années 58 jusqu’à l’Indépendance, actuellement professeur d’université, et accueilli avec grand respect, à l’entrée du lycée, par son élève l’ancien ministre et ambassadeur Kamel Bouchama? N’était-ce pas des moments exceptionnels quand l’architecte Djani Mohamed et son beau-père Ahmed Dakhli, 93 ans, ancien sous-préfet - lui-même médersien, de la promotion de feu Mustapha Lacheraf -, se tenant par la main, pénétraient dans le hall du lycée sous les applaudissements de cette foule d’anciens élèves, qui était toute fière en ce jour de belles surprises? N’était-ce pas des initiatives insolites dans les traditions de l’éducation quand un père, pour sensibiliser ses enfants, peut-être plus, pour plastronner devant eux - et il en a tous les droits -, les a conviés à cette rencontre pour leur montrer ses amis, ses véritables amis, et dans quel milieu prospère et sain a-t-il grandi? Oui, ce fut une image mémorable que celle de Mustapha Baçri, un camarade de classe, flanqué de ses deux grands enfants qui arboraient des sourires de bonheur sur des visages que rendaient encore plus rayonnants des cheveux grisonnants. «Ce sont mes deux grands!», me dit-il, avant même de me laisser le temps de le questionner, «et je suis grand-père depuis longtemps», ajouta-t-il péremptoirement, tout fier d’appartenir à cette race de Médersiens...N’était-ce pas «magique», et le terme est à sa place, quand se rencontrent deux anciens élèves de la «Thaâlibiya» de Sidi Abderrahmane - c’est de là que nous tirons notre origine -, le colonel Mustapha Ayata et Tayeb Attouche, pour papoter sur l’enseignement d’aujourd’hui qui nous inspire de la compassion et, tout de suite, rebondir sur les grands moments du Lycée franco-musulman et les éminents poètes, leurs préférés, Bachar Ibn Bord et El Moutanabbi...? L’Histoire, qui reconnaît à Ayata de grands «exploits» dans le canal de Suez en 1956, et au fin limier de la plaisanterie Tayeb Attouche, aujourd’hui cadre supérieur en retraite du ministère des Finances, ses prodigieux résultats pendant toute sa scolarité, confesse également à ces deux anciens élèves cette remarquable fidélité dans l’amitié et cet impressionnant respect à leurs maîtres.
D’ailleurs, Abdelhamid Mehri qui faisait partie des personnalités présentes aux côtés de quelques anciens ministres, ambassadeurs, cadres supérieurs de l’Etat, tous anciens Médersiens, n’a-t-il pas affirmé lors de sa prise de parole qu’Alger, Constantine et Tlemcen - entendez par-là les lycées franco-musulmans -, de part les programmes qu’ils prodiguaient à leurs élèves, ont produit de meilleurs cadres pour le pays, ceux-là mêmes qui ont le plus de mérite dans la préservation du bel arabe, cette langue longtemps chahutée par le colonialisme? N’a-t-il pas insisté sur le fait que ce potentiel de jeunes Algériens était sciemment tenu à l’écart par les Français qui l’ont exclu du cercle de l’apprentissage d’une troisième langue, à savoir l’anglais, de peur qu’il aille envahir et «déranger» encore l’Europe par son volume de connaissances dans les hautes technologies et par son engagement dans la meilleure production? Et le professeur Belhadj Chérifi, n’a-t-il pas souligné le niveau élevé de ses élèves, pendant ces années de gloire, et n’a-t-il pas loué leur dévouement dans la poursuite de leurs études, malgré toutes les difficultés que noyait, fort heureusement, cet esprit de solidarité et d’entente fraternelle? Oui, tout ce constat a été majestueusement repris et synthétisé dans une mémorable poésie qu’a déclamée notre professeur d’«autrefois», le poète Annani, connu pour ses belles rimes et ses splendides métaphores.
Et Rachid Djennane, que dire de lui à cette occasion? Voilà un autre avocat qui n’a pas oublié ses aînés, ceux parmi les étudiants, qui ont rejoint le maquis après cette fameuse déclaration de l’Ugema, le 19 mai 1956. Eh bien, Rachid a tenu - ce qui était d’ailleurs inscrit dans le programme de la rencontre - à rappeler à ses frères médersiens cette glorieuse épopée des étudiants algériens. Comme dans une salle d’audience, en un style oratoire digne de ces pointilleuses plaidoiries, il nous assénait des vérités de voix forte. Il affirmait entre autres: «Commissaires politiques, agents de liaison, soldats, infirmiers, médecins, agents des transmissions, professeurs dans les écoles de cadres de l’ALN ou représentants de la Révolution à l’étranger, les jeunes se sont engagés dans la vie militante avec toute leur ardeur, avec toute leur intelligence et toute leur fidélité. La grève générale a été bénéfique à plus d’un titre. Elle n’a pas seulement anéanti la conception colonialiste de l’"intellectuel-francisé-coupé du peuple", elle a permis aussi à un grand nombre de jeunes et d’étudiants de devenir des militants éprouvés et des cadres valeureux sur lesquels la Révolution pouvait compter. L’exemple admirable de ces premiers combattants a ouvert la voie à toute la jeunesse algérienne qui a brisé les barrières de la peur et du doute.»
L'expression.
Les grandes retrouvailles
Les Médersiens? Qui sont-ils? On en parle souvent, mais nombre de gens ne connaissent pas leur origine et encore moins leur «destination»...
La France coloniale, qui a cédé aux pressions des nationalistes en autorisant l’enseignement de la langue arabe, dans des établissements dits «Lycées franco-musulmans», pensait voir les promotions d’élèves se diriger vers les fonctions de «Tordjmane», (traducteurs) et «Bach ‘âdel», (juge suppléant) de la justice musulmane. Elle n’a pas eu ce qu’elle escomptait car, à part quelques diplômés de la Médersa, et parmi les tout premiers qui ont été dirigés vers ces fonctions, les autres de la «Thaâlibiya», de la rue Bencheneb et des lycées de Ben-Aknoun, de Constantine, de Tlemcen et bien après de Kouba - pour les jeunes filles -, ont choisi les branches scientifiques et culturelles. L’Algérie est fière aujourd’hui de compter parmi cette race de diplômés - malheureusement en voie de disparition - un nombre important de hauts cadres de la nation dont 28 ministres, une quantité appréciable d’ambassadeurs, d’officiers supérieurs de l’ANP, de walis, de P-DG, de professeurs de médecine, de professeurs d’université, de chercheurs-universitaires, de hauts fonctionnaires d’Etat et enfin de médecins, d’avocats, d’architectes etc. Certains parmi ces bon crus, des différentes promotions, se sont retrouvés un certain jeudi, au Lycée Amara Rachid...
Que se sont-ils dit?
Jeudi après-midi, une effervescence toute particulière se dégageait de l’entrée et de ce légendaire hall du lycée Amara Rachid, où de vieux élèves - une moyenne d’âge de soixante ans et plus - se bousculaient comme des «potaches» pour se frayer un passage et étreindre ceux qu’ils n’ont pas rencontrés depuis des lustres...Un mouvement de grands jours faisait que tout ce beau monde s’agitait d’impatience pour renouer, en l’espace d’un après-midi, avec cette magnifique ambiance de ces années scolaires dans cet endroit mythique, la «Médersa de Ben-Aknoun». En effet, ces anciens qui rêvaient de grandes choses, sont venus pour se permettre d’en faire au moins de toutes petites: retrouver les amis de classe, revisiter l’Histoire de ces lycées d’enseignement franco-musulman, reconquérir ce microcosme qui regorge de tant et tant de souvenirs..., de merveilleux souvenirs, entendons-nous bien et, enfin, passer un moment agréable dans un climat convivial, chaleureux et fraternel. C’était cela la rencontre des «anciens Médersiens» de ce jeudi 22, dont la caractéristique première se situait dans cette masse de cheveux blancs qu’arboraient de vieux copains, gais ce jour-là, comme des écoliers à la veille des vacances scolaires.
Une mémorable journée
Ils sont venus de partout. Ils sont venus pour se regrouper en famille, parce que les Médersiens sont une seule famille, que dis-je, une grande famille. Plusieurs ont fait le déplacement depuis Adrar, Timimoun, Béchar, Tlemcen, Ghardaïa, Guerrara, Laghouat, Boussaâda, Aïn-Bessem, Bouira, Ksar El Boukhari, Berrouaguia, Médéa, Ténès, Miliana, Cherchell, Dellys, Tizi Ouzou, Béjaïa, Sétif, Constantine, Annaba et autres villes de l’intérieur. Il y a même quelqu’un, un ancien élève du «franco-musulman», qui a effectué le déplacement depuis la France, le jour même de la réunion, après avoir pris connaissance du communiqué paru dans la presse nationale.
Ils sont venus pour célébrer ce jour et le désigner comme une occasion de relance, une relance effective. Ils sont venus car ils voulaient se voir, s’embrasser, se raconter tellement de choses et de choses, renouer avec les bonnes traditions de rencontres et de concertations. Ils voulaient se sentir tout près en ces circonstances où se perdent la solidarité et le besoin de s’unifier afin de s’affirmer en tant que citoyens capables d’assumer, dans les vastes champs d’action qui sont les leurs, les multiples mutations qui doivent transformer notre pays.
N’était-ce pas des moments forts, pleins d’émotion, quand on voyait arriver Cheikh Belhadj Chérifi, ancien professeur pendant les années 58 jusqu’à l’Indépendance, actuellement professeur d’université, et accueilli avec grand respect, à l’entrée du lycée, par son élève l’ancien ministre et ambassadeur Kamel Bouchama? N’était-ce pas des moments exceptionnels quand l’architecte Djani Mohamed et son beau-père Ahmed Dakhli, 93 ans, ancien sous-préfet - lui-même médersien, de la promotion de feu Mustapha Lacheraf -, se tenant par la main, pénétraient dans le hall du lycée sous les applaudissements de cette foule d’anciens élèves, qui était toute fière en ce jour de belles surprises? N’était-ce pas des initiatives insolites dans les traditions de l’éducation quand un père, pour sensibiliser ses enfants, peut-être plus, pour plastronner devant eux - et il en a tous les droits -, les a conviés à cette rencontre pour leur montrer ses amis, ses véritables amis, et dans quel milieu prospère et sain a-t-il grandi? Oui, ce fut une image mémorable que celle de Mustapha Baçri, un camarade de classe, flanqué de ses deux grands enfants qui arboraient des sourires de bonheur sur des visages que rendaient encore plus rayonnants des cheveux grisonnants. «Ce sont mes deux grands!», me dit-il, avant même de me laisser le temps de le questionner, «et je suis grand-père depuis longtemps», ajouta-t-il péremptoirement, tout fier d’appartenir à cette race de Médersiens...N’était-ce pas «magique», et le terme est à sa place, quand se rencontrent deux anciens élèves de la «Thaâlibiya» de Sidi Abderrahmane - c’est de là que nous tirons notre origine -, le colonel Mustapha Ayata et Tayeb Attouche, pour papoter sur l’enseignement d’aujourd’hui qui nous inspire de la compassion et, tout de suite, rebondir sur les grands moments du Lycée franco-musulman et les éminents poètes, leurs préférés, Bachar Ibn Bord et El Moutanabbi...? L’Histoire, qui reconnaît à Ayata de grands «exploits» dans le canal de Suez en 1956, et au fin limier de la plaisanterie Tayeb Attouche, aujourd’hui cadre supérieur en retraite du ministère des Finances, ses prodigieux résultats pendant toute sa scolarité, confesse également à ces deux anciens élèves cette remarquable fidélité dans l’amitié et cet impressionnant respect à leurs maîtres.
D’ailleurs, Abdelhamid Mehri qui faisait partie des personnalités présentes aux côtés de quelques anciens ministres, ambassadeurs, cadres supérieurs de l’Etat, tous anciens Médersiens, n’a-t-il pas affirmé lors de sa prise de parole qu’Alger, Constantine et Tlemcen - entendez par-là les lycées franco-musulmans -, de part les programmes qu’ils prodiguaient à leurs élèves, ont produit de meilleurs cadres pour le pays, ceux-là mêmes qui ont le plus de mérite dans la préservation du bel arabe, cette langue longtemps chahutée par le colonialisme? N’a-t-il pas insisté sur le fait que ce potentiel de jeunes Algériens était sciemment tenu à l’écart par les Français qui l’ont exclu du cercle de l’apprentissage d’une troisième langue, à savoir l’anglais, de peur qu’il aille envahir et «déranger» encore l’Europe par son volume de connaissances dans les hautes technologies et par son engagement dans la meilleure production? Et le professeur Belhadj Chérifi, n’a-t-il pas souligné le niveau élevé de ses élèves, pendant ces années de gloire, et n’a-t-il pas loué leur dévouement dans la poursuite de leurs études, malgré toutes les difficultés que noyait, fort heureusement, cet esprit de solidarité et d’entente fraternelle? Oui, tout ce constat a été majestueusement repris et synthétisé dans une mémorable poésie qu’a déclamée notre professeur d’«autrefois», le poète Annani, connu pour ses belles rimes et ses splendides métaphores.
Et Rachid Djennane, que dire de lui à cette occasion? Voilà un autre avocat qui n’a pas oublié ses aînés, ceux parmi les étudiants, qui ont rejoint le maquis après cette fameuse déclaration de l’Ugema, le 19 mai 1956. Eh bien, Rachid a tenu - ce qui était d’ailleurs inscrit dans le programme de la rencontre - à rappeler à ses frères médersiens cette glorieuse épopée des étudiants algériens. Comme dans une salle d’audience, en un style oratoire digne de ces pointilleuses plaidoiries, il nous assénait des vérités de voix forte. Il affirmait entre autres: «Commissaires politiques, agents de liaison, soldats, infirmiers, médecins, agents des transmissions, professeurs dans les écoles de cadres de l’ALN ou représentants de la Révolution à l’étranger, les jeunes se sont engagés dans la vie militante avec toute leur ardeur, avec toute leur intelligence et toute leur fidélité. La grève générale a été bénéfique à plus d’un titre. Elle n’a pas seulement anéanti la conception colonialiste de l’"intellectuel-francisé-coupé du peuple", elle a permis aussi à un grand nombre de jeunes et d’étudiants de devenir des militants éprouvés et des cadres valeureux sur lesquels la Révolution pouvait compter. L’exemple admirable de ces premiers combattants a ouvert la voie à toute la jeunesse algérienne qui a brisé les barrières de la peur et du doute.»
L'expression.
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