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Trafic d'enfants loués en Chine

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  • Trafic d'enfants loués en Chine

    Un journaliste chinois d'un quotidien de Canton a mis au jour un trafic d'enfants loués comme bêtes de somme pour les usines du delta de la rivière des Perles, au Guangdong – que l'on appelle en Occident "l'usine du monde".

    Me faisant passer pour le dirigeant d'une entreprise textile à la recherche d'enfants pour travailler comme ouvriers dans son usine, je suis tout de suite entouré par des "contremaîtres". L'un d'eux, qui se présente sous le nom de Pan Ajie, fait venir devant moi plusieurs enfants : "Ils sont en très bonne santé. On peut leur faire faire sans problème les travaux les plus durs !" Et de me saisir la main pour que je frappe les enfants, comme preuve que ce qu'il avance est bien vrai. Les enfants, tels des élèves dociles châtiés par leur maître, ne bronchent pas, la tête baissée.

    Après marchandage, Pan Ajie donne finalement son accord pour un taux horaire de 3,50 yuans [environ 30 centimes d'euros] par enfant. Il m'explique que les enfants sont tous originaires de la région des Liangshan, au Sichuan. Les frais de transport et l'argent nécessaire à leurs dépenses quotidiennes leur ont été avancés. Les parents des enfants leur ont rédigé une attestation, officialisée par le sceau du comité du village. "Ils sont mis sous notre tutelle et nous pouvons prendre toutes les mesures. Il suffit pour vous de signer un accord d'embauche avec nous."

    Cet accord ne comporte aucune disposition concernant des droits sociaux comme les congés, la protection sociale ou le remboursement des soins médicaux. "C'est notre gros plus !" explique Pan Ajie. "Avec nos employés, vous n'avez pas de soucis, vous pouvez les faire travailler le nombre d'heures que vous voulez chaque jour et leur donner à faire les tâches les plus pénibles sans que cela ne pose de problème. S'ils tombent malades, c'est nous qui nous en occupons. En cas d'accident du travail, il suffit que l'usine propose un dédommagement correct et on n'en parle plus !"

    La zone de plusieurs kilomètres de long qui s'étend entre le marché et l'école primaire de la ville de Shipai est devenue le lieu d'un vaste marché du travail clandestin. Des intermédiaires professionnels y amènent chaque jour des dirigeants d'usines pour leur faire choisir la main-d'œuvre dont ils ont besoin, puis d'autres personnes arrivent au volant de camions ou de minibus, qu'ils bourrent d'enfants avant de s'en retourner. J'aborde un homme d'âge moyen, particulièrement actif, Lei Sheng : "Le travail à faire dans notre usine n'est pas très pénible ; il s'agit d'enlever des fils ou d'autres petites tâches de ce genre. Je recherche cinquante ouvriers âgés de 14 ou 15 ans, pour que ce soit plus facile à gérer."

    Tout d'abord sur ses gardes, Lei Sheng finit par m'assurer avec professionnalisme qu'il pourra me fournir le nombre de personnes voulu. Il me garantit l'obéissance absolue de ces jeunes et leur soumission à n'importe quel encadrement, en disant que, dans le cas contraire, il suffit de lui téléphoner pour qu'il envoie quelqu'un faire entendre raison aux fortes têtes. Lei Sheng est en fait le chef de la bande des contremaîtres des Liangshan à Shipai. Il a sous ses ordres 18 contremaîtres, qui supervisent eux-mêmes chacun de 50 à 100 ouvriers âgés en moyenne de 13 à 15 ans. Rien que dans la municipalité de Dongguan, il existe au moins trois ou quatre autres grands contremaîtres comme lui.

    J'ai par la suite eu confirmation auprès de ces enfants que la plupart d'entre eux n'avaient pas 16 ans quand ils étaient partis travailler en ville. Ils ont été trompés par les "contremaîtres", qui leur avaient promis une bonne rémunération dans les usines du Guangdong (jusqu'à 20 000 yuans par an [1 850 euros]) et la prise en charge de leurs frais de transport et d'entretien.

    Quelques jours plus tard, pour me rassurer sur la qualité du travail fourni par les ouvriers enfants, Lei Sheng demande à un de ses subalternes, un certain monsieur Chen, de m'emmener dans une société de matériel audio de la zone industrielle de Shipai. M. Chen m'explique qu'environ 200 enfants originaires des Liangshan travaillent ici sous ses ordres (une centaine de filles pour un peu plus de 90 garçons). Je découvre là le plus jeune enfant ouvrier jamais rencontré lors de toute mon enquête : il n'a même pas encore 9 ans !

    Devant mon étonnement, le contremaître Chen éclate de rire, affirmant que c'est tout à fait normal. Il me montre des photocopies de livrets de résidence, m'expliquant que, faute de carte d'identité, les enfants des Liangshan emportent leur livret de résidence quand ils partent de chez eux. Il est très facile de falsifier les photocopies de ce document en indiquant des âges supérieurs à 18 ans, ce qui permet d'être en règle en cas de contrôle. Et, au dire de nombreux enfants ouvriers rencontrés lors de mon enquête, les patrons de leur usine savent pertinemment qu'ils ne sont pas majeurs, mais ferment les yeux pour diminuer les coûts et respecter leur planning.

    Par Rao Dehong, Courrier international
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