Dans cet entretien, l’ancien ministre et islamologue revient sur le projet de l’union pour la Méditerranée ; il affirme que les préalables de concertation n’ont pas été respectés. Il considère par ailleurs que la polémique sur le prosélytisme est exagérée, en pointant du doigt les extrémistes de tout bord, en leur rappelant que 132 ans de colonisation n’ont pas changé les convictions religieuses du peuple algérien. ll souligne cependant avec force que la foi est une affaire privée, liée à la liberté de conscience.
Liberté : Le projet d’union pour la Méditerranée, qui fut un des sujets de discussion du forum ministériel à Alger, ce week-end, semble mal parti, pourquoi d’après vous ?
Mustapha Cherif : On verra bien. Il est vrai que les préalables de concertation n’ont pas été suffisamment respectés. Il n’y a consensus ni au Nord ni au Sud. Le déséquilibre entre les deux rives est flagrant et les arrière-pensées sont nombreuses. Mauvaise gouvernance au Sud, islamophobie, logique de forteresse et loi du plus fort au Nord ruinent la possibilité d’une union efficiente. De plus, sans le règlement de la question palestinienne, il n’y aura jamais de coopération Euromed approfondie. On aurait voulu voir réactiver de manière historique une union euro-arabe qui pose moins de difficultés. Mais certains ne veulent pas nous reconnaître tels que nous sommes et voulons être. Reste qu’un espace commun euro-med d’échanges et de partenariat autour de la Méditerranée est un programme central auquel il faut tenir.
Vous êtes pédagogue et philosophe, comment expliquez-vous le désarroi de la jeunesse, les violences qu’elle pratique et la volonté pour certains jeunes de s’exiler en Occident ?
Les jeunes n’aiment pas les systèmes fermés, les promesses jamais tenues, la langue de bois et les incompétents. Ils aiment dire tout haut ce qui se pense tout bas. Il suffit de les écouter. Ils considèrent qu’ils n’ont pas d’avenir à cause de l’égoïsme d’une catégorie. Ils savent que les questions centrales sont celles de la dignité, de la compétence et de la démocratie, donc politiques et éthiques et non point seulement de pain et de jeux. Ils veulent exister et avoir le droit à la parole libre, à un emploi et un logement. Qui éduque et sensibilise les jeunes aujourd’hui ? Ils ne croient plus aux discours des “élites”. La fuite des cerveaux et celle des harragas, au niveau de toute la rive sud, vont se multiplier, si la société tout entière n’est pas respectée au sens politique. D’autant que le monde occidental crée des conditions d’attraction. Il y a lieu de fonder en rive Sud les modes de relation et les méthodes de travail sur la communication franche, la logique participative et des objectifs raisonnables. La fuite en avant de la mauvaise gouvernance produit la fuite des cerveaux et celle des jeunes, ruptures qui se multiplieront. La plupart d’entre eux savent pourtant que la défense de la patrie, de l’identité et de l’intérêt national est majeure, mais les “adultes” ne leur donnent pas l’exemple. Il est nécessaire de maintenir les consciences de la société civile en éveil, afin que la rupture des liens sociaux n’aboutisse pas à des risques majeurs et des impasses. Cela passe par un travail qui évite le paternalisme, donne la priorité à la bonne gouvernance, révolutionne les méthodes et redonne espoir aux jeunes. Il ne s’agit pas d’oublier les “acquis”, ou de nier les efforts matériels réalisés ou en cours, parfois gigantesques, ni de culpabiliser les seules autorités de mystifier la jeunesse. Des jeunes, qui cherchent parfois la facilité, sont obnubilés par des modèles importés et ne s’organisent pas. Les générations actuelles se sentent trahies, abandonnées, constatant le statu quo du cynisme, l’absence de morale, d’équité et de changement. La réforme démocratique et celle scientifique de l’école sont la priorité pour préparer à la citoyenneté et une identité enracinée, équilibrée et ouverte.
Le monde musulman face à l’Occident semble incapable de se développer, quelles sont les causes ?
Par-delà leur diversité, leurs richesses et parfois des acquis, la situation est sombre pour la plupart des pays arabes et musulmans qui ne sont pas un bloc homogène. La situation plutôt positive de pays comme la Malaisie et la Turquie prouvent que ce sont les conditions socio-historiques qui sont déterminantes. Les interférences externes, les violences internes, l’absence de progrès en matière de bonne gouvernance sont préoccupantes pour nombre de pays du Sud. Dans ce contexte de crise et d’impasses, l’image des musulmans est déformée. On fait injustement assumer à la religion ce qui relève surtout du politique. Le monde musulman est soumis à rude épreuve, comme celles de la propagande fumeuse du choc des civilisations et de la pratique inique des deux poids, deux mesures. Il y a évidemment des causes internes et externes. Cependant, avant d’être celle de ses “ennemis” étrangers, la crise que traverse le monde musulman est d’abord de sa responsabilité. D’autant qu’il y a des “occidents” et des “orients”. D’un autre côté, les forces opposées au monde musulman, de par sa dissidence face à la “dé-signification” de la vie, sa “résistance” aux injustices, et à cause aussi des richesses de son sous-sol, tentent de faire diversion aux problèmes politiques du monde et ne ratent aucune occasion pour ternir son image. Les systèmes archaïques, la faiblesse des pratiques démocratiques, les réactions aveugles face aux provocations, et de repli face aux changements du monde, la pauvreté en matière de production et de création, toutes choses qui pénalisent les peuples arabes et posent problème à tous, relèvent en premier lieu d’une responsabilité interne.
La suite...
Liberté : Le projet d’union pour la Méditerranée, qui fut un des sujets de discussion du forum ministériel à Alger, ce week-end, semble mal parti, pourquoi d’après vous ?
Mustapha Cherif : On verra bien. Il est vrai que les préalables de concertation n’ont pas été suffisamment respectés. Il n’y a consensus ni au Nord ni au Sud. Le déséquilibre entre les deux rives est flagrant et les arrière-pensées sont nombreuses. Mauvaise gouvernance au Sud, islamophobie, logique de forteresse et loi du plus fort au Nord ruinent la possibilité d’une union efficiente. De plus, sans le règlement de la question palestinienne, il n’y aura jamais de coopération Euromed approfondie. On aurait voulu voir réactiver de manière historique une union euro-arabe qui pose moins de difficultés. Mais certains ne veulent pas nous reconnaître tels que nous sommes et voulons être. Reste qu’un espace commun euro-med d’échanges et de partenariat autour de la Méditerranée est un programme central auquel il faut tenir.
Vous êtes pédagogue et philosophe, comment expliquez-vous le désarroi de la jeunesse, les violences qu’elle pratique et la volonté pour certains jeunes de s’exiler en Occident ?
Les jeunes n’aiment pas les systèmes fermés, les promesses jamais tenues, la langue de bois et les incompétents. Ils aiment dire tout haut ce qui se pense tout bas. Il suffit de les écouter. Ils considèrent qu’ils n’ont pas d’avenir à cause de l’égoïsme d’une catégorie. Ils savent que les questions centrales sont celles de la dignité, de la compétence et de la démocratie, donc politiques et éthiques et non point seulement de pain et de jeux. Ils veulent exister et avoir le droit à la parole libre, à un emploi et un logement. Qui éduque et sensibilise les jeunes aujourd’hui ? Ils ne croient plus aux discours des “élites”. La fuite des cerveaux et celle des harragas, au niveau de toute la rive sud, vont se multiplier, si la société tout entière n’est pas respectée au sens politique. D’autant que le monde occidental crée des conditions d’attraction. Il y a lieu de fonder en rive Sud les modes de relation et les méthodes de travail sur la communication franche, la logique participative et des objectifs raisonnables. La fuite en avant de la mauvaise gouvernance produit la fuite des cerveaux et celle des jeunes, ruptures qui se multiplieront. La plupart d’entre eux savent pourtant que la défense de la patrie, de l’identité et de l’intérêt national est majeure, mais les “adultes” ne leur donnent pas l’exemple. Il est nécessaire de maintenir les consciences de la société civile en éveil, afin que la rupture des liens sociaux n’aboutisse pas à des risques majeurs et des impasses. Cela passe par un travail qui évite le paternalisme, donne la priorité à la bonne gouvernance, révolutionne les méthodes et redonne espoir aux jeunes. Il ne s’agit pas d’oublier les “acquis”, ou de nier les efforts matériels réalisés ou en cours, parfois gigantesques, ni de culpabiliser les seules autorités de mystifier la jeunesse. Des jeunes, qui cherchent parfois la facilité, sont obnubilés par des modèles importés et ne s’organisent pas. Les générations actuelles se sentent trahies, abandonnées, constatant le statu quo du cynisme, l’absence de morale, d’équité et de changement. La réforme démocratique et celle scientifique de l’école sont la priorité pour préparer à la citoyenneté et une identité enracinée, équilibrée et ouverte.
Le monde musulman face à l’Occident semble incapable de se développer, quelles sont les causes ?
Par-delà leur diversité, leurs richesses et parfois des acquis, la situation est sombre pour la plupart des pays arabes et musulmans qui ne sont pas un bloc homogène. La situation plutôt positive de pays comme la Malaisie et la Turquie prouvent que ce sont les conditions socio-historiques qui sont déterminantes. Les interférences externes, les violences internes, l’absence de progrès en matière de bonne gouvernance sont préoccupantes pour nombre de pays du Sud. Dans ce contexte de crise et d’impasses, l’image des musulmans est déformée. On fait injustement assumer à la religion ce qui relève surtout du politique. Le monde musulman est soumis à rude épreuve, comme celles de la propagande fumeuse du choc des civilisations et de la pratique inique des deux poids, deux mesures. Il y a évidemment des causes internes et externes. Cependant, avant d’être celle de ses “ennemis” étrangers, la crise que traverse le monde musulman est d’abord de sa responsabilité. D’autant qu’il y a des “occidents” et des “orients”. D’un autre côté, les forces opposées au monde musulman, de par sa dissidence face à la “dé-signification” de la vie, sa “résistance” aux injustices, et à cause aussi des richesses de son sous-sol, tentent de faire diversion aux problèmes politiques du monde et ne ratent aucune occasion pour ternir son image. Les systèmes archaïques, la faiblesse des pratiques démocratiques, les réactions aveugles face aux provocations, et de repli face aux changements du monde, la pauvreté en matière de production et de création, toutes choses qui pénalisent les peuples arabes et posent problème à tous, relèvent en premier lieu d’une responsabilité interne.
La suite...
Commentaire