Saïd Sadi, un des leaders de l'opposition, dénonce la politique du Président. "Tous les kamikazes qui ont piloté les dernières actions ont été réhabilités par lui."
entretien
L'Algérie replonge-t-elle dans une vague de violence terroriste d'envergure ? Des attentats perpétrés dimanche, après d'autres ces dernières semaines, pourraient le laisser penser (lire en page 17). Saïd Sadi, le président du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD), un des principaux partis d'opposition, était en visite récemment à Bruxelles. Il décrypte les fondements de ce retour de l'islamisme violent.
Pourquoi al Qaeda a-t-il choisi l'Algérie comme tête de pont pour la région ?
En 1999, le terrorisme était éteint lorsque Bouteflika est arrivé au pouvoir.
Il y a avait une remontée du prix du baril; ce qui n'est pas indifférent dans un pays comme l'Algérie (98 pc de nos recettes en devises viennent des hydrocarbures). Il y avait un compromis politique que l'Algérie indépendante n'avait jamais connu. A l'époque, nous avons acccepté de rentrer au gouvernement. La société algérienne était réfractaire à la tentation théocratique, malgré l'impopularité et l'incurie d'un régime, qui est un véritable carburant pour l'islamisme...
Or, qu'est-ce qu'a fait Bouteflika ?
Il s'est saisi du courant islamiste qu'il a réanimé en se disant : "Je vais le manipuler contre mes adversaires politiques". On ne manipule pas ce genre de situations impunément. Et quand, en plus, il lance son référendum sur la réconciliation nationale (dont il dit qu'il a été approuvé à 94 pc; toutes les chancelleries le savent, le taux de participation a été de 17 pc !), quel en a été le résultat ? Toutes les forces de sécurité se sont senties désavouées, voire disqualifiées. Aujourd'hui, elles sont démobilisées, désarmées psychologiquement. La société algérienne, qui s'est battue et qui s'est levée contre l'islamisme, ne va plus bouger le petit doigt aujourd'hui pour aider à maintenir la cohésion et la sécurité ou simplement le civisme. A l'inverse, les islamistes, qui commençaient à descendre (des maquis) et rasaient les murs dans les quartiers, sont réhabilités, sanctifiés, payés. Ils auraient tort de se gêner. Ils réinvestissent le terrain et tous les kamikazes qui ont piloté les dernières opérations sont des gens réhabilités par Bouteflika. Tous. On devrait peut-être de temps en temps réévaluer sa politique.
Vous êtes à Bruxelles pour une mission sur les fraudes électorales. Pourquoi cette mission au niveau de l'UE ?
Le destin de l'Algérie était programmé pour en faire une exception démocratique en terre d'islam. Or, il se trouve que nous sommes l'un des pays les plus dégradés à tous les points de vue. Pourquoi ? Nous avons vécu un enchaînement "fraudes électorales, abus d'autorité, despotisme, corruption généralisée et misère sociale..." La misère sociale se traduit par trois volets : des jeunes qui plongent dans le terrorisme; des jeunes qui deviennent des boat-people; ou bien des cadres qui fuient le pays. Je reviens du Canada; il y a plus de 40000 cadres de rang universitaire dans le seul Québec. On voudrait dévitaliser la Nation que l'on ne s'y prendrait pas autrement. Je n'ai jamais vu autant de demandeurs d'emploi que maintenant alors que l'Algérie dispose de 110 milliards de dollars de réserve de change... C'est la preuve qu'il ne suffit pas d'avoir de l'argent pour avoir une dynamique de développement.
Nous sommes venus à l'Union européenne parce qu'en 2004, elle avait envoyé 5 ou 6 observateurs aux élections. On ne peut pas observer des élections dans un territoire comme l'Algérie avec 5 ou 6 personnes. Alors, nous sommes venus dire ceci : si vous ne pouvez pas intervenir pour mener une observation à la mesure de ce qui s'est fait au Maroc, au Pakistan, au Venezuela, au Paraguay, au moins n'envoyer personne pour que les Algériens des forces démocratiques ne soient pas mis dans l'obligation de se battre contre al Qaeda, contre le régime et contre l'Union européenne.
En quoi la situation est-elle si grave ?
C'est effarant ce qui est en train de se passer en Algérie. Il y a une espèce de violence institutionnelle revendiquée que l'on ne connaissait pas avant. Le pouvoir algérien a toujours été un pouvoir violent. Mais il y a une évolution dans la volonté de terroriser la société qui mérite peut-être une lecture un peu plus soutenue que celle que l'on lui réserve jusqu'à présent. Un exemple. Il y a une infime minorité chrétienne en Algérie. Même à l'époque du parti unique, jamais l'Etat algérien n'a essayé de la livrer à la vindicte populaire. C'est la première fois que les institutions utilisent cet argument pour faire diversion sous le thème de "l'Algérie qui est agressée dans sa foi". Je connais un pasteur qui vient d'être expulsé du pays. Il était là depuis plus de 40 ans. Ses enfants y ont grandi. Il a été blessé; il a tenu à se faire soigner par les médecins algériens alors que le dernier des ministres qui a une angine vient se faire traiter à Paris. Il y a une dérive dans l'intolérance et le sectarisme. Et la corruption ! Je ne suis pas naïf; je sais sur quoi s'est construit le régime algérien. Mais aujourd'hui, le volume de la corruption est tel que c'est une mutilation de la nation.
Ce n'est pas un hasard si Ben Laden qui, lui, fait de la politique, a choisi de pénétrer la région par l'Algérie. Il a essayé au Maroc, en Tunisie... Je ne suis pas là pour dire que le Maroc et la Tunisie sont des exemples de démocratie. Mais il y a des Etats, des dirigeants. Le "ventre mou de la région", c'est l'Algérie. La Mauritanie, qui a eu une alternance démocratique méritoire, a enregistré le contrecoup des turbulences algériennes à la suite de l'assassinat de quatre touristes français, qui a entraîné l'annulation du Paris-Dakar et une catastrophe touristique. La Tunisie, qui vit du tourisme, a commencé à tanguer aussi après l'enlèvement de deux touristes autrichiens. Le Mali et le Niger sont devenus des périmètres d'instabilité chronique. Et tout cela part de l'Algérie. Pendant ce temps-là, il y a une espèce de tétanisation de l'opinion occidentale qui fait que l'on peut dénoncer les abus d'autorité en Libye, en Syrie, en Egypte, mais pas en Algérie.
Comment expliquez-vous cette "complaisance" de la communauté internationale ? Par les intérêts économiques ?
Il y a un peu de tout. Il y a incontestablement le potentiel énergétique que les dirigeants utilisent uniquement pour acheter leur maintien au pouvoir. Ce n'est pas mis au service d'un projet de développement national. Il y a aussi cette culpabilité post-coloniale qui fait que, dès qu'un étranger intervient pour dire, par exemple, que la justice n'a pas à être utilisée pour réprimer la presse, c'est tout de suite l'accusation d'ingérence, d'impérialisme qui revient. La génération au pouvoir en Algérie s'est façonnée dans la violence, dans le rapport de force et jamais dans le compromis. Il ne faut pas attendre qu'elle évolue. Le seul problème est que ses membres sont en train de quitter physiquement la scène par la force de l'âge et qu'on n'a pas intérêt à laisser le pays vivre un effondrement généralisé. Il faut préparer cette sortie du système FNL.
L'opposition démocratique est-elle armée pour un sursaut ?
Nous avons fait le choix - c'est l'honneur de notre génération - d'avoir mis en place le combat pacifique dans un pays où la vie publique était faite de complots, d'intrigues, de violences et d'exécutions. Evidemment face à un pouvoir violent, lorsque vous arrivez les mains nues, il faut savoir être patient. De surcroît, la richesse du pays a fait que le pouvoir a eu le temps de se faire des clientèles énormes.
Il y a un vrai problème de vision politique, aussi dans les forces de l'opposition ou en tout cas avec les autres clans. Cela dit, on n'avance pas uniquement dans le combat politique, au sens électoral du terme. On soulève aussi des projets sociétaux qu'il faut valider dans les débats publics. Cela avance; cela prend le temps que prennent les choses dans un régime comme le nôtre, dans l'univers du monde musulman. Par exemple, les syndicats autonomes sont en train de déborder complètement le syndicat officiel, qui est financé par le pouvoir.
- Le monde
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L'Algérie replonge-t-elle dans une vague de violence terroriste d'envergure ? Des attentats perpétrés dimanche, après d'autres ces dernières semaines, pourraient le laisser penser (lire en page 17). Saïd Sadi, le président du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD), un des principaux partis d'opposition, était en visite récemment à Bruxelles. Il décrypte les fondements de ce retour de l'islamisme violent.
Pourquoi al Qaeda a-t-il choisi l'Algérie comme tête de pont pour la région ?
En 1999, le terrorisme était éteint lorsque Bouteflika est arrivé au pouvoir.
Il y a avait une remontée du prix du baril; ce qui n'est pas indifférent dans un pays comme l'Algérie (98 pc de nos recettes en devises viennent des hydrocarbures). Il y avait un compromis politique que l'Algérie indépendante n'avait jamais connu. A l'époque, nous avons acccepté de rentrer au gouvernement. La société algérienne était réfractaire à la tentation théocratique, malgré l'impopularité et l'incurie d'un régime, qui est un véritable carburant pour l'islamisme...
Or, qu'est-ce qu'a fait Bouteflika ?
Il s'est saisi du courant islamiste qu'il a réanimé en se disant : "Je vais le manipuler contre mes adversaires politiques". On ne manipule pas ce genre de situations impunément. Et quand, en plus, il lance son référendum sur la réconciliation nationale (dont il dit qu'il a été approuvé à 94 pc; toutes les chancelleries le savent, le taux de participation a été de 17 pc !), quel en a été le résultat ? Toutes les forces de sécurité se sont senties désavouées, voire disqualifiées. Aujourd'hui, elles sont démobilisées, désarmées psychologiquement. La société algérienne, qui s'est battue et qui s'est levée contre l'islamisme, ne va plus bouger le petit doigt aujourd'hui pour aider à maintenir la cohésion et la sécurité ou simplement le civisme. A l'inverse, les islamistes, qui commençaient à descendre (des maquis) et rasaient les murs dans les quartiers, sont réhabilités, sanctifiés, payés. Ils auraient tort de se gêner. Ils réinvestissent le terrain et tous les kamikazes qui ont piloté les dernières opérations sont des gens réhabilités par Bouteflika. Tous. On devrait peut-être de temps en temps réévaluer sa politique.
Vous êtes à Bruxelles pour une mission sur les fraudes électorales. Pourquoi cette mission au niveau de l'UE ?
Le destin de l'Algérie était programmé pour en faire une exception démocratique en terre d'islam. Or, il se trouve que nous sommes l'un des pays les plus dégradés à tous les points de vue. Pourquoi ? Nous avons vécu un enchaînement "fraudes électorales, abus d'autorité, despotisme, corruption généralisée et misère sociale..." La misère sociale se traduit par trois volets : des jeunes qui plongent dans le terrorisme; des jeunes qui deviennent des boat-people; ou bien des cadres qui fuient le pays. Je reviens du Canada; il y a plus de 40000 cadres de rang universitaire dans le seul Québec. On voudrait dévitaliser la Nation que l'on ne s'y prendrait pas autrement. Je n'ai jamais vu autant de demandeurs d'emploi que maintenant alors que l'Algérie dispose de 110 milliards de dollars de réserve de change... C'est la preuve qu'il ne suffit pas d'avoir de l'argent pour avoir une dynamique de développement.
Nous sommes venus à l'Union européenne parce qu'en 2004, elle avait envoyé 5 ou 6 observateurs aux élections. On ne peut pas observer des élections dans un territoire comme l'Algérie avec 5 ou 6 personnes. Alors, nous sommes venus dire ceci : si vous ne pouvez pas intervenir pour mener une observation à la mesure de ce qui s'est fait au Maroc, au Pakistan, au Venezuela, au Paraguay, au moins n'envoyer personne pour que les Algériens des forces démocratiques ne soient pas mis dans l'obligation de se battre contre al Qaeda, contre le régime et contre l'Union européenne.
En quoi la situation est-elle si grave ?
C'est effarant ce qui est en train de se passer en Algérie. Il y a une espèce de violence institutionnelle revendiquée que l'on ne connaissait pas avant. Le pouvoir algérien a toujours été un pouvoir violent. Mais il y a une évolution dans la volonté de terroriser la société qui mérite peut-être une lecture un peu plus soutenue que celle que l'on lui réserve jusqu'à présent. Un exemple. Il y a une infime minorité chrétienne en Algérie. Même à l'époque du parti unique, jamais l'Etat algérien n'a essayé de la livrer à la vindicte populaire. C'est la première fois que les institutions utilisent cet argument pour faire diversion sous le thème de "l'Algérie qui est agressée dans sa foi". Je connais un pasteur qui vient d'être expulsé du pays. Il était là depuis plus de 40 ans. Ses enfants y ont grandi. Il a été blessé; il a tenu à se faire soigner par les médecins algériens alors que le dernier des ministres qui a une angine vient se faire traiter à Paris. Il y a une dérive dans l'intolérance et le sectarisme. Et la corruption ! Je ne suis pas naïf; je sais sur quoi s'est construit le régime algérien. Mais aujourd'hui, le volume de la corruption est tel que c'est une mutilation de la nation.
Ce n'est pas un hasard si Ben Laden qui, lui, fait de la politique, a choisi de pénétrer la région par l'Algérie. Il a essayé au Maroc, en Tunisie... Je ne suis pas là pour dire que le Maroc et la Tunisie sont des exemples de démocratie. Mais il y a des Etats, des dirigeants. Le "ventre mou de la région", c'est l'Algérie. La Mauritanie, qui a eu une alternance démocratique méritoire, a enregistré le contrecoup des turbulences algériennes à la suite de l'assassinat de quatre touristes français, qui a entraîné l'annulation du Paris-Dakar et une catastrophe touristique. La Tunisie, qui vit du tourisme, a commencé à tanguer aussi après l'enlèvement de deux touristes autrichiens. Le Mali et le Niger sont devenus des périmètres d'instabilité chronique. Et tout cela part de l'Algérie. Pendant ce temps-là, il y a une espèce de tétanisation de l'opinion occidentale qui fait que l'on peut dénoncer les abus d'autorité en Libye, en Syrie, en Egypte, mais pas en Algérie.
Comment expliquez-vous cette "complaisance" de la communauté internationale ? Par les intérêts économiques ?
Il y a un peu de tout. Il y a incontestablement le potentiel énergétique que les dirigeants utilisent uniquement pour acheter leur maintien au pouvoir. Ce n'est pas mis au service d'un projet de développement national. Il y a aussi cette culpabilité post-coloniale qui fait que, dès qu'un étranger intervient pour dire, par exemple, que la justice n'a pas à être utilisée pour réprimer la presse, c'est tout de suite l'accusation d'ingérence, d'impérialisme qui revient. La génération au pouvoir en Algérie s'est façonnée dans la violence, dans le rapport de force et jamais dans le compromis. Il ne faut pas attendre qu'elle évolue. Le seul problème est que ses membres sont en train de quitter physiquement la scène par la force de l'âge et qu'on n'a pas intérêt à laisser le pays vivre un effondrement généralisé. Il faut préparer cette sortie du système FNL.
L'opposition démocratique est-elle armée pour un sursaut ?
Nous avons fait le choix - c'est l'honneur de notre génération - d'avoir mis en place le combat pacifique dans un pays où la vie publique était faite de complots, d'intrigues, de violences et d'exécutions. Evidemment face à un pouvoir violent, lorsque vous arrivez les mains nues, il faut savoir être patient. De surcroît, la richesse du pays a fait que le pouvoir a eu le temps de se faire des clientèles énormes.
Il y a un vrai problème de vision politique, aussi dans les forces de l'opposition ou en tout cas avec les autres clans. Cela dit, on n'avance pas uniquement dans le combat politique, au sens électoral du terme. On soulève aussi des projets sociétaux qu'il faut valider dans les débats publics. Cela avance; cela prend le temps que prennent les choses dans un régime comme le nôtre, dans l'univers du monde musulman. Par exemple, les syndicats autonomes sont en train de déborder complètement le syndicat officiel, qui est financé par le pouvoir.
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