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Port de Tanger au Maroc, escale du monde

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    Grands projets - Tanger, escale du monde
    (Le Point 12/06/2008)

    Plus de 100 000 navires franchissent le détroit de Gibraltar chaque année. Le tout nouveau port de Tanger Méditerranée 1 s'avère déjà incontournable. Et les investisseurs se pressent.

    Attelé à ses minuscules remorqueurs, le porte-conteneur « Sealand Illinois » entre à petite vitesse dans le port de Tanger Méditerranée 1. Avec ses 304 mètres de longueur, ses 40 de largeur et les 6 000 « boîtes » empilées sur son pont, ce cargo en service depuis l'an 2000 est déjà dépassé. Ses successeurs transportent deux fois plus de boîtes, qui en font de véritables montagnes flottantes. Le nouveau port marocain peut, bien sûr, accueillir ces monstres et les décharger en un temps record grâce à un système de manutention automatisé.

    Le plus étonnant, c'est que très peu de ces conteneurs sont destinés au Maroc, comme le précise Saïd el-Hadi, président de l'Agence spéciale Tanger Méditerranée : « L'idée de cette installation a germé dans les années 90. Plus de 100 000 navires passent chaque année le détroit de Gibraltar, comme des trains express, pour rejoindre le nord de l'Europe ou l'Amérique en arrivant d'Asie par le canal de Suez. Ils doivent en très peu de temps décharger une partie de leurs conteneurs avant de repartir. Les armateurs ont besoin de points d'éclatement et de concentration pour optimiser leurs flux. » Les boîtes déchargées à Tanger Med repartiront donc très vite pour d'autres ports de la Méditerranée ou d'ailleurs.

    Au pied des collines sèches du Rif, le port d'un modernisme débridé est une incongruité : cette région du royaume chérifien, à 50 kilomètres à l'est de Tanger, ne brille pas par son développement. Dans les champs, on voit moins de tracteurs que d'ânes et de bergers accompagnant leurs troupeaux de moutons. Mais le fait est là : décidée en 2002 par Mohammed VI, désireux d'assurer le développement économique du nord de son pays, la construction du port était à peine terminée, en juillet 2007, lors de son inauguration officielle ! Un Tangérois rappelle l'importance des choix personnels du roi : « Mohammed VI est très attaché au Nord, où il revient tous les étés. Il a compris qu'il était malsain que seule la région de Casablanca se développe. » Les choix ont été mûrement réfléchis : initialement, les ports à conteneurs devaient être installés à l'ouest de Tanger, au sud de la grotte d'Hercule, sur la façade atlantique. Finalement, c'est le choix de la Méditerranée qui s'est imposé, juste en face de Gilbraltar et d'Algésiras : « Tanger Med 1 est à 13 kilomètres de l'Europe , note Saïd el-Hadi, au plus près de l'Espagne. Nous avons voulu voir grand, sur l'un des points de passage les plus fréquentés au monde », poursuit-il.

    Les 3,5 milliards d'euros investis, dont 750 millions pour les accès autoroutiers et ferroviaires, ont été essentiellement fournis par le fonds Hassan-II, financé par des privatisations et par des contributions des pays du Golfe. Mais le fait est là : la réussite de Tanger Med 1 est spectaculaire. A tel point que, à quelques centaines de mètres du premier port et de ses 90 hectares de terre-pleins, des dizaines de gros camions, dans une chaîne incessante, apportent déjà la terre et les roches nécessaires à la construction de Tanger Med 2. Le béton viendra après ce premier travail rustique, et le français Bouygues est en compétition pour ce marché, après avoir construit Tanger Med 1. Aujourd'hui, les installations peuvent traiter 3 millions de conteneurs par an, auxquels s'ajoutent 200 000 camions passant par le port roulier construit à côté. A terme, en 2013, ce seront 7 à 8 millions de conteneurs et 700 000 camions qui passeront chaque année par Tanger Med. Initialement, le projet avait été perçu comme un concurrent d'Algésiras. Mais la croissance du trafic mondial des conteneurs est telle que cette compétition n'est plus qu'un souvenir. En réalité, confie le très vif Jamal Mikou, patron de la zone franche associée à Tanger Med, « ni Algésiras ni nous ne pouvons prendre en charge la totalité des 100 000 bateaux qui veulent faire escale ici. Nous commençons à travailler comme une seule entité de part et d'autre du détroit de Gibraltar. Fonctionner ensemble, c'est le bon sens ».

    Une côte en chantier

    La zone franche, que dirige Jamal Mikou, est liée à Tanger Med. Elle est même un des éléments clés du dispositif permettant au Maroc d'envisager d'atteindre son objectif de 150 000 emplois nouveaux dans la région de Tanger. La recette est connue : exemptions fiscales (ni impôt sur les bénéfices ni TVA), vastes terrains viabilisés à bon marché, accès à l'Internet à très haut débit, salaires incomparables, soit de 180 à 200 euros par mois... Certains industriels trouvent que ces conditions pourraient être meilleures encore : on se scandalise à Tanger de l'attitude de cet Allemand qui, voilà quelques années, avait exigé que les syndicats soient interdits dans son usine, non sans réclamer de surcroît un stage militaire préalable de deux semaines pour ses futurs employés, « pour leur apprendre la discipline » ! Refusé... En revanche, les permis de construire sont octroyés avec une célérité record, et Jamal Mikou se flatte que la zone franche de Tanger soit « la première compagnie privée autorisée à délivrer ce document. Si le dossier est bouclé, on peut commencer les travaux dans l'après-midi. De quoi faire gagner au moins un an au business plan ».

    Les conditions sont suffisamment attractives pour avoir incité Renault-Nissan à implanter ici sa future usine. Un milliard d'euros d'investissement pour produire 400 000 voitures à bas coût par an. « Le port et la logistique ont été déterminants », se félicite Saïd el-Hadi. Pour ce Français établi au Maroc depuis quelques années et qui suit de près le programme Tanger Med, « jamais Renault-Nissan ne serait venu ici sans le port ! Le site était en compétition avec la Roumanie, la Turquie et l'Inde, et ce sont les Marocains qui ont été les plus réactifs ». Un élément inquiète, cependant, les responsables économiques : la formation des techniciens et des cadres. Le système éducatif marocain a beau être en cours de réforme, il demeure peu performant. Même si elle prépare des élites d'un niveau international, la formation professionnelle du plus grand nombre demeure un inquiétant goulet d'étranglement.

    L'évolution vers le modernisme de Tanger, ville qui a gardé de sa période sous contrôle international, entre 1923 et 1956, une tradition cosmopolite exceptionnelle, tracasse un peu ses amoureux. Rachid Taferssiti, écrivain et historien de la cité, est enchanté de voir la ville décoller, « mais le risque de bétonnage existe. Bien sûr, nous avons besoin de nous développer, d'employer nos chômeurs : la démocratie n'est pas viable sans un bon niveau de vie » . Sa crainte : que le développement spectaculaire de Tanger et de sa région ne s'accompagne d'un accroissement anarchique du tourisme, encore peu développé aujourd'hui, avec, sur une côte splendide, l'implantation désordonnée d'hôtels et logements pour Européens en quête de soleil.

    De notre envoyé spécial Jean Guisnel

    © Copyright Le Point
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