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Reportage. Ninja d’un jour

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    Par Sanaâ Elaji
    Reportage. Ninja d’un jour


    La tenue est étouffante. Difficile de respirer, difficile de s’affirmer.
    (TNIOUNI)

    Tout de noir recouvertes, elles sont surnommées corbeau ou ninja. Entre coups d’œil suspects et regards curieux, notre journaliste est passée, pour une journée, de l’autre côté du niqab. Récit.


    Vendredi 9 heures. Je l’enfile. Entièrement vêtue de noir, je me regarde dans la glace. Je ne me reconnais pas. Bizarre. À peine descendue dans la rue, les regards étonnés des passants sont comme un second miroir. Je hèle un taxi, il s’arrête. Jusqu’ici tout va bien. Une

    femme voilée occupe déjà le siège arrière. Le chauffeur, aimable, m’explique qu’il doit d’abord déposer la passagère. Logique, mais le parcours va être plus long, donc plus cher. Avant même que je fasse connaître mon point de vue, la voilée intervient : “Vous pouvez la déposer d’abord, ensuite moi.” Une première. Peut-être cherche-t-elle sa bonne action de la journée ou voit-elle tout simplement en moi un tremplin vers le paradis ? Mon téléphone sonne. Je réponds en français. Le chauffeur de taxi n’en revient pas. Ses regards dans le rétroviseur, parfois provocateurs, en disent long. Il s’attendait peut-être à des versets plus courants.

    10 heures. Maârif. Les passants ne feignent pas de m’ignorer, trop difficile. Certains me dévisagent en coin, d’autres me fixent longuement, aucun ne reste indifférent. À l’entrée d’une boutique de fringues fétiche des fashionistas, l’agent de sécurité fouille mon sac. Pas celui des autres clientes. Le comportement des vendeuses est comme à l’accoutumée. Dans ma quête d’un jeans taille basse, je sollicite une vendeuse. “C’est pour vous ?”, me lança-t-elle, mi-étonnée, mi-amusée. “J’ai pas le droit, peut-être ?”. La réponse la glace sur place. “C’est la première fois que je vois une voilée intégrale, essaie-t-elle de se justifier. C’est pour le porter à la maison.”

    11 heures. Mes courses terminées, j’attends mon compagnon devant la boutique. On me dévisage sans fausse honte. “J’adore ce style”, commente un jeune homme. Qui a vu un quelconque style ? Même après m’avoir dépassée, il ne cesse de se retourner, le regard presque inquisiteur. Je ne saurais dire si mon accoutrement lui donne un sentiment de puissance envers la femme ou un fantasme le poussant vers la découverte de l’inconnu (e). Les regards sont comme autant d’examens de passage,mais j’affronte sans peine ces rayons X, je ne suis plus moi-même, ni même une jeune trentenaire, je suis une parfaite anonyme, une boule noire en mouvement. La température monte, j’étouffe sous ma tenue.

    12 heures. Aïn Diab. Dans le taxi, le chauffeur est peu amène envers les filles légèrement vêtues. “Comment voulez-vous qu’il pleuve ? Regardez cette débauche, c’est comme si elles n’avaient pas de parents…” Mon compagnon est plutôt beau garçon et je m’accroche à son bras. Aucun commentaire du chauffeur, ni aucun regard de travers. Comme si, voilée comme je suis, je ne pouvais qu’être vertueuse.

    13 heures. Halte au McDo’. Attendant mon tour dans la file, tous les yeux convergent vers moi, même ceux de femmes voilées. Je suis définitivement cataloguée curiosité. Derrière mes lunettes noires, je n’ai aucun mal à étudier les regards franchement hostiles à ce que je représente : un extrémisme difficile à tolérer. Assise devant mon plateau, je mange en soulevant mon voile, sans rien laisser transparaître. La tâche n’est pas facile. Je suis presque à plaindre me disent désormais tous ces regards.

    16 heures. Mégarama. Je pousse le paradoxe jusqu’à demander un ticket pour What ever Lola wants. Le film mêle danse orientale, amour, sexe et relation Amérique-Orient, mais la caissière n’esquisse pas le moindre geste en me voyant. Ni l’agent de sécurité, probablement intimidé, au point qu’il ne me fouille même pas. Etonnant, voire dangereux par les temps qui courent. J’entre dans la salle éclairée entre deux spots de pub. Je suis une véritable star. Ils étaient là pour Lola mais n’avaient d’yeux que pour moi. Entre interrogations sans réponse, peurs dissimulées ou étonnements évidents, l’indifférence est remise au placard. Ma voisine me propose du pop corn. Pour m’amadouer ? Me supplier de ne pas me faire exploser ? Je reste sans réponse.

    19 heures. Pause dans un restaurant du Bd d’Anfa, fréquenté par les cadres des sociétés installées dans le quartier. L’agent de sécurité fouille mon sac. Encore une fois pas celui des autres clientes. Fin de journée, j’ôte mon accoutrement, je respire. Et j’en conclus : le voile intégral inhibe la personnalité de la femme, étouffe sa liberté, efface sa personnalité. Pire, censé “cacher” la femme, il attire sur elle les regards.
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