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La liberté de la presse en Afrique selon RSF

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  • La liberté de la presse en Afrique selon RSF

    Ce qu’ils n’osaient pas faire auparavant, les gouvernements africains le font désormais. Les barrières qu’ils n’osaient pas franchir dans la répression contre les journalistes qui dérangent sont tombées. Décomplexés, plusieurs ministres de l’Information sont montés au créneau toute l’année pour défendre une certaine idée de l’Afrique. Celle qui a le visage de la répression. La presse est insolente : elle sera châtiée. Les journalistes revendiquent : ils seront muselés. Même au Mali et au Bénin, pays auparavant considérés comme des modèles pour le respect de la liberté de la presse, les présidents Amadou Toumani Touré et Yayi Boni ont, au moins une fois en 2007, décroché leur téléphone pour faire envoyer des journalistes déplaisants en prison. Dans les deux cas, les chefs d’Etat ont assumé leur décision. L’année a donc été celle de l’audace dans la répression, de l’affranchissement assumé des engagements pris. La gouvernance par le culot.

    Prédateurs habituels

    Pour certains, c’est une habitude. Le président de la jeune république d’Erythrée, Issaias Afeworki, coupable d’avoir fait embastiller ses anciens compagnons d’armes et les journalistes qui n’ont pas eu la chance d’échapper à sa police, a fait preuve d’un mépris total pour les questions de la presse sur les droits de l’homme dans son pays, lors de son passage en Europe, en mai. Il pouvait se le permettre, car hormis les Etats-Unis, pas grand monde n’a de mots très durs envers lui. Les gouvernements démocratiques s’avouent impuissants face à sa brutalité. Pendant ce temps, l’Erythrée, devenue au fil des ans une prison à ciel ouvert, a continué à se vider de ses habitants. Ceux qui n’ont pas succombé aux conditions de détention inhumaines des camps pénitentiaires ont fui, à pied, pour trouver refuge n’importe où, y compris dans la misère ou la mort. Son frère ennemi, Meles Zenawi, le Premier ministre de la République fédérale démocratique d’Ethiopie, a pour sa part continué de traiter la presse d’Addis-Abéba avec une grande condescendance. Même si, sous la pression de ses alliés américains, il a accepté la libération des journalistes raflés en novembre 2005 lors des manifestations de l’opposition protestant contre le vol de l’élection, quelques mois plus tôt.

    Au Zimbabwe et en Gambie, les présidents Robert Mugabe et Yahya Jammeh n’ont pas desserré la poigne de leurs tout-puissants services de renseignements, qui tiennent en respect une presse indépendante blessée, humiliée, prise à la gorge. Le président Joseph Kabila, en République démocratique du Congo, n’a jamais eu beaucoup d’estime pour les témoins gênants ou les épines dans le pied que sont les journalistes. Cette année, même ceux qui sont tombés sous les balles d’assassins non identifiés, comme Serge Maheshe, de Radio Okapi, n’ont eu droit qu’à l’indifférence dédaigneuse des autorités. Le chef du gouvernement de transition Abdullahi Yusuf Ahmed, dans la Somalie atomisée par dix-sept ans d’anarchie, a quant à lui laissé la bride sur le cou à ses militaires, qui ont procédé à loisir à l’arrestation des journalistes qui se mettaient en travers de leur route. Parallèlement, d’autres sont tombés sous les balles de tueurs à gages payés par les chefs des tribunaux islamiques, depuis leur exil doré à Asmara.

    Au Rwanda, le président Paul Kagame veille avec une grande nervosité à ce que les rares journaux que son gouvernement ou ses proches ne contrôlent pas encore soient suffisamment intimidés pour se taire. De leur côté, les potentats Teodoro Obiang Nguéma en Guinée équatoriale ou Ismaël Omar Guelleh à Djibouti n’ont manifestement pas beaucoup de soucis à se faire pour d’éventuels rédacteurs en chef qui seraient indociles. Ils se contentent des flagorneries de leurs médias publics. Tous ceux qui ne chantent pas publiquement leurs louanges ont droit à leur dossier personnel posé sur le bureau du chef de la police ou du procureur de la République.

    L’infâmie et la prison

    Si les "prédateurs" africains de la liberté de la presse n’ont pas désarmé, des hommes de pouvoir, que l’on croyait au-dessus de tout soupçon, ont fait la démonstration que les journalistes ne sont toujours pas libres sur le continent. Notamment ceux que l’on croyait convaincus du bénéfice qu’un pays pauvre peut tirer de la diversité de l’information, de débats publics maîtrisés, de la transparence de la chose publique, de la vigilance de citoyens exigeants. Confronté à une rébellion qu’il refuse de reconnaître comme un mouvement politique, le président du Niger, Mamadou Tandja, a ainsi fait incarcérer et juger plusieurs journalistes, nigériens ou étrangers, qui s’étaient intéressés de trop près à ces "trafiquants de drogue" qui humilient l’armée dans les montagnes de l’Aïr. Lui qui ne voulait pas entendre parler de cette crise qui gangrène sa fragile démocratie a provoqué, dans l’opinion publique internationale, un vaste mouvement d’intérêt pour la question touarègue.

    Des présidents comme José Eduardo dos Santos en Angola, Abdoulaye Wade au Sénégal, Idriss Deby Itno au Tchad, Omar al-Béchir au Soudan ou Omar Bongo au Gabon, par exemple, on attendait au moins qu’ils cessent de gérer l’Etat comme leur bien personnel et les journalistes de leur pays comme leurs domestiques. Mais il faut croire que, là non plus, l’argument n’est pas parvenu à les convaincre, puisque dans tous ces pays, des journalistes ont connu l’arrestation, souvent brutale, l’inculpation, souvent extravagante, et l’incarcération, toujours pénible. Pourtant, ces chefs d’Etat ne sont pas des despotes ou des roitelets d’opérette. Mais ils ont violé leur Constitution garantissant la liberté de la presse, les promesses faites aux bailleurs de fonds et les standards démocratiques prônés par l’ONU, avec modernité, raffinement et à grand renfort de sophistication administrative. Avec le cœur léger du fonctionnaire. En ayant toujours une justification à fournir.

    Les journalistes africains - ces éternels inculpés de "diffamation", "publication de fausses nouvelles", "imputations dommageables", "offense au chef de l’Etat", "atteinte à la sûreté nationale", "sédition", "incitation aux troubles à l’ordre public" ou que sait-on encore - ont dû gérer seuls leurs propres affaires. Innocents ou coupables, ils ont connu la crasse des cellules de prison. Leurs familles, dont la principale caractéristique n’est pas de rouler sur l’or, ont dû gérer avec leurs propres moyens le manque à gagner de leur absence.

    Oui, à travers le continent, notamment dans le monde francophone, il existe de nombreuses publications à scandales, nourries de la corruption ordinaire, avides de titres spectaculaires et de "petites enveloppes". Mais les hommes politiques, de Madagascar à la Mauritanie, de la Guinée au Cameroun, en passant par la Côte d’Ivoire et la République centrafricaine, en sont les premiers bénéficiaires, en se servant de journalistes mal ou pas payés pour régler leurs comptes avec leurs adversaires à coups de fausses "révélations". Ils le font parce qu’ils en ont les moyens et qu’ils s’en tirent à bon compte. L’infâmie et la prison sont pour les autres. Logique absurde, justice injuste.

    Impunité économique

    En 2007, la liberté de la presse en Afrique a été durement blessée. Douze fois dans l’année, au moins, des hommes ont reçu l’ordre d’abattre des journalistes. Près de cent cinquante fois, des unités de la police ont reçu l’ordre d’arrêter, non pas un ministre corrompu ou un assassin notoire, mais un journaliste. Même les gouvernement des pays dans lesquels Reporters sans frontières avait fondé de l’espoir les années précédentes ont fait jouer les instruments de la répression contre la presse. Hormis quelques pays, comme le Ghana ou la Namibie, entre autres, l’année a été marquée par un recul général. Que s’est-il passé ?

    La pénétration de plus en plus profonde de la Chine, superpuissance oppressive s’il en est, a permis à certains gouvernements africains de marginaliser leurs soutiens occidentaux. Encombrés d’ONG vitupérantes et d’exigences politiques vertueuses, les pays démocratiques ne font pas le poids face aux dollars versés à profusion et aux multinationales de Pékin, qui envoient des ouvriers chinois diriger les chantiers des infrastructures africaines sans rien demander en échange. Et puis en matière de répression, la Chine est devenue une experte. Ce sont des techniciens chinois qui brouillent les signaux des radios d’opposition au Zimbabwe. De plus, la difficile liquidation du passé criminel des anciennes puissances coloniales a trouvé un nouvel aiguillon dans le renouveau nationaliste africain. Au nom du rejet de la "Françafrique", combien d’ambassades de France se sont vues renvoyées à leurs chères études lorsqu’elles ont tenté de négocier la libération d’un journaliste ? Les ambassades de Chine n’ont pas ce problème. Combien de journalistes africains ou de reporters étrangers se sont vus accusés d’être des espions britanniques au Zimbabwe ? On aurait tort de ne pas prendre ces insinuations au sérieux. Au début de l’année 2008, un journal fanatique d’Abidjan a sali la mémoire de Jean Hélène, correspondant de RFI lâchement assassiné par un gendarme en octobre 2003, en prétendant qu’il était, alors, en service commandé pour les renseignements français.

    Les médias d’Afrique, comme un barrage qui s’effrite, ont pris l’eau. Des tabous ont été fièrement brisés. Une foule de questions vitales pour l’avenir de la liberté de la presse sur le continent restent sans réponse, après cette année éprouvante.

    Léonard Vincent
    Responsable du bureau Afrique de RSF.
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