LA JEUNESSE FACE AUX PROBLÈMES
Entre hogra et harga
Des jeunes racontent leurs déboires tout en faisant part de leurs espoirs. Paradoxe!
Les jeunes sont-ils une richesse ou une source à problèmes en Algérie? La question mérite une étude plus approfondie en ces temps de colère et de révolte. Pour essayer de comprendre quelque peu l’attitude de ces jeunes, nous sommes partis à la rencontre de certains d’entre eux. Les langues se déliant, ils parlent de leur désarroi, et partant de leur mécontentement, tout en faisant part de leurs rêves et de leurs cauchemars. L’Algérie, ce beau pays aux richesses énormes, est en pleine mutation. La jeunesse veut imprimer au pays, par ricochet à sa vie, un cap que les aînés semblent n’avoir pas pris en compte, occupés qu’ils étaient par les impératifs de la construction nationale. Hamid, Lounès, Leïla, Mohand, Omar et les autres racontent leurs déboires en faisant part de leurs espoirs
Le sentiment d’exclusion
Hamid et Omar sont diplômés, le premier est ingénieur agronome et le second informaticien, tous deux frais émoulus des universités algériennes.
Hamid, ingénieur en agronomie, réservé et timide, est en fait un rat de bibliothèque. Des connaissances à en revendre et surtout un idéal dans la vie qu’il cherche à matérialiser: s’installer comme fermier dans le Grand Sud. Mais affirme-t-il, «pour cela, il faut avoir des connaissances et du répondant pour le prêt bancaire. Auparavant, il faut acquérir un espace à cultiver dans ce Grand Sud magique et plein de promesses.» Dès qu’il s’agit d’expliquer son rêve, Hamid est intarissable. «Avec des moyens on peut tout faire dans le Sud. L’eau existe, il suffit d’aller la chercher souvent loin en profondeur et pour cela, seul l’Etat avec ses moyens peut le faire.» Il rêve de pratiquer l’agriculture et surtout l’élevage bovin dans le Grand Sud. «Vous savez, la tomate, les autres légumes, avec de l’eau, des soins et des engrais peuvent facilement s’exporter. Mais le gros problème est d’abord et avant tout celui des démarches à effectuer pour avoir la terre, les crédits et aussi prévoir les moyens d’ alimenter les marchés du Nord.» A la remarque que le pays est justement demandeur de ce genre de choses, Hamid réplique, un sourire désolé au coin des lèvres, «oui, mais il est difficile de faire admettre aux banques qu’un jeune ne peut rien offrir d’autre comme garantie que son rêve. Et les banques, elles, ne rêvent pas.»
Puis, sur un air de désolation, il avoue son attrait pour l’étranger: «Vous voyez, c’est presque antinomique mais c’est ainsi, des fonctionnaires imbus de leur petite autorité nous poussent à rechercher des cieux plus cléments.» Scrutant l’horizon, Hamid se rappelle des réponses de certains fonctionnaires qui lui ont ri au nez quand il leur exposa pour la première fois ses projets. Depuis, il ne croit plus aux promesses. «Pour moi, ces plans sont tirés sur la comète de Halley. Les jeunes ne sont plus qu’un faire-valoir politique. Et pourtant, les hauts responsables du pays font le maximum pour répondre justement à leurs attentes», soutient Hamid avant de replonger dans le silence de son monde fait de rêves mais aussi de lassitude. Leïla quant à elle, est chirurgien dentiste, elle travaille dans une unité de soins. Elle affirme «partager le fauteuil dentaire avec trois autres dentistes». Ce qui l’oblige à n’exercer en somme que deux jours sur sept. Selon elle, «c’est une perte colossale pour le pays si au niveau des centres de soins du pays le problème est le même. Alors que sans doute des régions du pays sont privées de dentistes».
Mais voilà, pour une fille, aller travailler loin de sa région est encore très mal vu par les parents. Leïla étouffe. Elle songe même à quitter le pays pour retrouver, un tant soit peu, une liberté de mouvement. «La vie ne se résume pas au travail. Je veux aller au théâtre, au cinéma, dans un jardin, flâner dans la rue sans être inquiétée et aussi pouvoir voyager. C’est ce qui me pousse à essayer d’aller ailleurs, là où je pourrais vivre enfin et me sentir femme, toute femme», affirme-t-elle.
Puis comme pour parer à toute «tentative de classement» de notre part, elle ajoute: «Vivre ne veut pas dire autre chose que ce que je conçois, c’est-à-dire: pouvoir aller librement dans le monde sans pour autant oublier ma culture, les fondements de notre société et notre religion. Mais essayer d’aller au cinéma dans nos villes, pour voir le plus petit des films, il faut se déplacer à Alger et encore. Alors, parler de théâtre...» Mohand a un corps d’athlète et un coeur en or comme il aime le préciser. Mohand n’a pas fait d’études supérieures. «J’ai quitté le lycée en terminale. Vous savez, les études ne sont pas mon fort.» Mohand qui n’hésite pas à «étaler ses états de service lors du Printemps noir» comme quand il affirme, qu’il avait alors participé à toutes les émeutes et le cocktail Molotov n’a plus de secret pour lui. Mohand précise, cependant: «Je n’ai rien contre les policiers, encore moins contre les gendarmes en tant que personnes. Mais les comportements de certains d’entre eux sont inadmissibles. Ils utilisent et usent de la violence envers, notamment les jeunes. Quand on vous arrête pour une raison ou pour une autre, c’est tout juste s’ils ne vous fusillent pas sur-le-champ. Rien ne nous est épargné: les mots orduriers, les bousculades et le mépris c’est notre ration. Passe encore pour ces policiers, mais même dans les services publics, c’est tout juste si on ne vous fait pas sentir que vous n’êtes pas du même bord qu’eux.»
Demander un emploi relève d’une «erreur de stratégie». Il vaut mieux essayer de le faire par l’intermédiaire d’une connaissance. Espérer un logement relève de la folie furieuse! «Pour toutes ces raisons, dès 2003 j’ai essayé de demander un visa! Mais là aussi autant rêver de trouver un portefeuille garni de billets de banque.» Mohand se laisse aller et vide son coeur que l’on sent «plein à craquer». Mohand parle. Mohand dénonce la «tchippa». «Pour se livrer une copie intégrale des actes de naissance à la mairie, nécessite, au bas mot, 200DA de pot-de-vin! Il faut aussi payer pour figurer sur la liste de l’autoconstruction! En somme, tout est contre espèces sonnantes et trébuchantes!» soutient-il avant de reconnaître «et si on prend son courage à deux mains pour aller déposer plainte, c’est tout juste si l’on ne vous enferme pas, car un jeune c’est forcément suspect!» Omar, quant à lui, refuse carrément de parler avec la presse: «...Vous ne faites que dire du bien des gens qui administrent, la presse n’a que faire des jeunes et de leurs problèmes!».
L'expression
Entre hogra et harga
Des jeunes racontent leurs déboires tout en faisant part de leurs espoirs. Paradoxe!
Les jeunes sont-ils une richesse ou une source à problèmes en Algérie? La question mérite une étude plus approfondie en ces temps de colère et de révolte. Pour essayer de comprendre quelque peu l’attitude de ces jeunes, nous sommes partis à la rencontre de certains d’entre eux. Les langues se déliant, ils parlent de leur désarroi, et partant de leur mécontentement, tout en faisant part de leurs rêves et de leurs cauchemars. L’Algérie, ce beau pays aux richesses énormes, est en pleine mutation. La jeunesse veut imprimer au pays, par ricochet à sa vie, un cap que les aînés semblent n’avoir pas pris en compte, occupés qu’ils étaient par les impératifs de la construction nationale. Hamid, Lounès, Leïla, Mohand, Omar et les autres racontent leurs déboires en faisant part de leurs espoirs
Le sentiment d’exclusion
Hamid et Omar sont diplômés, le premier est ingénieur agronome et le second informaticien, tous deux frais émoulus des universités algériennes.
Hamid, ingénieur en agronomie, réservé et timide, est en fait un rat de bibliothèque. Des connaissances à en revendre et surtout un idéal dans la vie qu’il cherche à matérialiser: s’installer comme fermier dans le Grand Sud. Mais affirme-t-il, «pour cela, il faut avoir des connaissances et du répondant pour le prêt bancaire. Auparavant, il faut acquérir un espace à cultiver dans ce Grand Sud magique et plein de promesses.» Dès qu’il s’agit d’expliquer son rêve, Hamid est intarissable. «Avec des moyens on peut tout faire dans le Sud. L’eau existe, il suffit d’aller la chercher souvent loin en profondeur et pour cela, seul l’Etat avec ses moyens peut le faire.» Il rêve de pratiquer l’agriculture et surtout l’élevage bovin dans le Grand Sud. «Vous savez, la tomate, les autres légumes, avec de l’eau, des soins et des engrais peuvent facilement s’exporter. Mais le gros problème est d’abord et avant tout celui des démarches à effectuer pour avoir la terre, les crédits et aussi prévoir les moyens d’ alimenter les marchés du Nord.» A la remarque que le pays est justement demandeur de ce genre de choses, Hamid réplique, un sourire désolé au coin des lèvres, «oui, mais il est difficile de faire admettre aux banques qu’un jeune ne peut rien offrir d’autre comme garantie que son rêve. Et les banques, elles, ne rêvent pas.»
Puis, sur un air de désolation, il avoue son attrait pour l’étranger: «Vous voyez, c’est presque antinomique mais c’est ainsi, des fonctionnaires imbus de leur petite autorité nous poussent à rechercher des cieux plus cléments.» Scrutant l’horizon, Hamid se rappelle des réponses de certains fonctionnaires qui lui ont ri au nez quand il leur exposa pour la première fois ses projets. Depuis, il ne croit plus aux promesses. «Pour moi, ces plans sont tirés sur la comète de Halley. Les jeunes ne sont plus qu’un faire-valoir politique. Et pourtant, les hauts responsables du pays font le maximum pour répondre justement à leurs attentes», soutient Hamid avant de replonger dans le silence de son monde fait de rêves mais aussi de lassitude. Leïla quant à elle, est chirurgien dentiste, elle travaille dans une unité de soins. Elle affirme «partager le fauteuil dentaire avec trois autres dentistes». Ce qui l’oblige à n’exercer en somme que deux jours sur sept. Selon elle, «c’est une perte colossale pour le pays si au niveau des centres de soins du pays le problème est le même. Alors que sans doute des régions du pays sont privées de dentistes».
Mais voilà, pour une fille, aller travailler loin de sa région est encore très mal vu par les parents. Leïla étouffe. Elle songe même à quitter le pays pour retrouver, un tant soit peu, une liberté de mouvement. «La vie ne se résume pas au travail. Je veux aller au théâtre, au cinéma, dans un jardin, flâner dans la rue sans être inquiétée et aussi pouvoir voyager. C’est ce qui me pousse à essayer d’aller ailleurs, là où je pourrais vivre enfin et me sentir femme, toute femme», affirme-t-elle.
Puis comme pour parer à toute «tentative de classement» de notre part, elle ajoute: «Vivre ne veut pas dire autre chose que ce que je conçois, c’est-à-dire: pouvoir aller librement dans le monde sans pour autant oublier ma culture, les fondements de notre société et notre religion. Mais essayer d’aller au cinéma dans nos villes, pour voir le plus petit des films, il faut se déplacer à Alger et encore. Alors, parler de théâtre...» Mohand a un corps d’athlète et un coeur en or comme il aime le préciser. Mohand n’a pas fait d’études supérieures. «J’ai quitté le lycée en terminale. Vous savez, les études ne sont pas mon fort.» Mohand qui n’hésite pas à «étaler ses états de service lors du Printemps noir» comme quand il affirme, qu’il avait alors participé à toutes les émeutes et le cocktail Molotov n’a plus de secret pour lui. Mohand précise, cependant: «Je n’ai rien contre les policiers, encore moins contre les gendarmes en tant que personnes. Mais les comportements de certains d’entre eux sont inadmissibles. Ils utilisent et usent de la violence envers, notamment les jeunes. Quand on vous arrête pour une raison ou pour une autre, c’est tout juste s’ils ne vous fusillent pas sur-le-champ. Rien ne nous est épargné: les mots orduriers, les bousculades et le mépris c’est notre ration. Passe encore pour ces policiers, mais même dans les services publics, c’est tout juste si on ne vous fait pas sentir que vous n’êtes pas du même bord qu’eux.»
Demander un emploi relève d’une «erreur de stratégie». Il vaut mieux essayer de le faire par l’intermédiaire d’une connaissance. Espérer un logement relève de la folie furieuse! «Pour toutes ces raisons, dès 2003 j’ai essayé de demander un visa! Mais là aussi autant rêver de trouver un portefeuille garni de billets de banque.» Mohand se laisse aller et vide son coeur que l’on sent «plein à craquer». Mohand parle. Mohand dénonce la «tchippa». «Pour se livrer une copie intégrale des actes de naissance à la mairie, nécessite, au bas mot, 200DA de pot-de-vin! Il faut aussi payer pour figurer sur la liste de l’autoconstruction! En somme, tout est contre espèces sonnantes et trébuchantes!» soutient-il avant de reconnaître «et si on prend son courage à deux mains pour aller déposer plainte, c’est tout juste si l’on ne vous enferme pas, car un jeune c’est forcément suspect!» Omar, quant à lui, refuse carrément de parler avec la presse: «...Vous ne faites que dire du bien des gens qui administrent, la presse n’a que faire des jeunes et de leurs problèmes!».
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