Quand le Maghreb est devenu musulman
Mus par l’obligation de divulguer et de répandre le contenu du Coran, les Arabo-musulmans inaugurent une longue période de conquête. Leur triomphe au Moyen-Orient et en Asie Mineure les encourage à se diriger vers le Maghreb.
En 670, sur ordre d’Amr, wâli (gouverneur) d’Egypte, Uqba arrive en Tunisie à la tête d’une armée de dix mille cavaliers. Stratège averti, il choisit un plateau au centre de la Tunisie pour y fonder Kairouan (considérée par certains comme la quatrième ville sainte de l’Islam). Il continue ensuite sa marche vers le nord. A un certain moment, Uqba est rappelé au Caire et remplacé par un autre chef qui mène une politique modérée, parvenant même à s’attacher certaines tribus berbères, avec à leur tête Kusayla.
Par la suite, Uqba rejoint les troupes en Ifriqiâ (682) -- nom donné à l’Afrique du Nord par les latins et plus tard par les Arabes -- pour achever la conquête de l’ouest africain. Mais de retour à sa base, il rencontre la résistance de Kusayla, et meurt en 683. Cette résistance oblige donc les Arabo-musulmans à se retirer vers la Tripolitaine (Libye). Lors d’une deuxième attaque arabe (686), le chef berbère Kusayla meurt à son tour et les Arabo-musulmans entrent de nouveau à Kairouan, qu’ils abandonnent de nouveau après une contre-offensive.
C’est l’arrivée dans la région du chef Ibn Numan qui ouvre la voie à l’achèvement de la conquête. Il reprend Kairouan en 691, s’élance à l’assaut de Carthage, et la conquiert en 692. Néanmoins, avec l’aide des Byzantins, les tribus berbères du nord s’organisent sous la direction de la Kahina (princesse et chefe de tribus judaïsées dont le nom est maintenant l’emblème de la dignité berbère), et repoussent l’avancée arabo-musulmane.
Les envahisseurs se retirent à nouveau en Tripolitaine, mais une fois les renforts arrivés d’Orient, ils passent à l’attaque sous la direction d’Ibn Numan (695). Ils portent donc un coup fatal aussi bien à l’armée byzantine qu’aux résistants berbères. Carthage reprise, la Kahina est tuée. Sa mort consacre la fin de l’irrédentisme berbère et ouvre la voie à l’islamisation. S’il faut en croire la légende, voyant que les Arabo-musulmans sont à un point de non-retour, la princesse aurait préconisé à ses enfants et à ses fidèles de se ranger du côté des conquérants.
En 704, l’Ifriqiâ, donc, prend le statut de province autonome, sous la direction de Moussa Ibn Nussaïr. Ce dernier mène une politique modérée fondée sur le wâla (clientélisme, ou reconnaissance de la légitimité d’un chef politique, militaire et de tribu, selon le point de vue); de nombreux chefs berbères embrassent la nouvelle foi. Arrivé sur les bords de l’Atlantique avec ses troupes il prépare (en 709), à partir du nord-marocain, l’expédition vers l’Espagne, qu’il confie à un Berbère à peine affranchi, Tarek ben Ziyad. L’expédition commence en 711 (94 de l’hégire).
La conquête arabo-musulmane a été achevée au Maghreb après un demi-siècle de luttes environ, en raison de la résistance des autochtones, qui ont fait recours à la politique de la terre brûlée.
Si l’Islam s’affirme une fois la conquête achevée, il faut attendre le XIe siècle pour parler d’islamisation totale. L’un et l’autre sont l’œuvre des Berbères eux-mêmes qui, inspirés par le khaîjisme (courant schismatique, puritain et contestataire), donnent un caractère local à l’Islam. L’arabisation est un processus encore plus lent.
Le Maghreb au Xe siècle
Les Omeyyades (en Andalousie et à Cordoue) et les Aghlabides (en Tunisie et à Kairouan) contrôlent la Méditerranée. Le Maghreb occidental (Maroc) est divisé en émirats (Fès, Tlemcen et Ceuta) profondément influencés par Cordoue. L’émirat aghlabide, fidèle au pouvoir central (Abbassides, Bagdad) défend l’autonomie du Maghreb tout en affirmant l’importance de l’apport berbère, et acquiert son indépendance. Mais les contestations chiites (le chiisme est le premier courant schismatique islamique) visant les Abbassides ont des retentissements au Maghreb. Ubayd-Allah Al-Mahdi, un chiite venant d’Arabie, trouve refuge en Kabylie, où il répand sa doctrine et gagne le soutien des tribus berbères de Kutama, qui ne voient pas d’un bon œil les Aghlabides.
Ces tribus, au nom de la doctrine chiite, envahissent l’espace aghlabide. Al-Mahdi, qui prétend être un descendant de la lignée du Prophète (QSSSL), s’impose comme l’imam attendu (le guide spirituel disparu et qui, un jour, revient sur la Terre pour rétablir la justice, selon le point de vue chiite) pour légitimer la prise du pouvoir. Il fonde la dynastie des Fatimides (du nom de Fatima, fille du Prophète (QSSSL), dont les Aghlabides seront les victimes. Il affiche sa volonté de conquérir tout l’empire arabo-musulman. Suivant cette logique et après 75 ans de règne, les Fatimides gagnent l’Egypte et y fondent Le Caire, en 970. En partant pour le Machreq, ils délèguent le pouvoir à leurs alliés, les Kutama, qui se divisent en deux dynasties. Deux royaumes voient le jour : celui des Zirides (l’actuelle Tunisie), et celui des Hammâdides (l’actuel Est-algérien).
Après un demi-siècle de prospérité et de stabilité, les deux dynasties finissent par s’affaiblir vers le milieu du XIe siècle. La sunna (orthodoxie musulmane) et le malékisme (l’école d’interprétation juridique la plus suivie au Maghreb), bannies à l’époque fatimide, reprennent l’avantage et le chiisme est de facto relégué.
Cette proclamation doctrinale ne peut être tolérée par les Fatimides qui la considèrent comme une apostasie, donc une offense. Leur riposte sera violente.
L’invasion hilalienne
Vers la fin du XI° siècle, les Fatimides, pour réparer l’offense de leur allié et se débarrasser politiquement de certaines tribus arabes installées en Haute-Egypte, encouragent les tribus nomades de Béni Hilal et de Béni Selim à piller l’Ifriqiâ, territoire riche et fertile. Le calife fatimide pense ainsi pouvoir reconquérir son ex-territoire et y instaurer son autorité politico-religieuse chiite.
300 000 nomades arrivent donc en Tunisie et en changent profondément l’équilibre démographique. Leur tradition nomade (pacages, razzias) s’ajoute aux autres problèmes et la désorganisation qui s’ensuit finit par désagréger l’appareil d’État.
La présence des deux tribus constitue en fait l’implantation du premier noyau de colons. Cette invasion marque le début de l’arabisation proprement dite.
Les mœurs d’une certaine société autochtone commencent à être sinon bouleversées, du moins modifiées. Il en est de même pour le parler berbère qui cède le pas, dans certains cas, à l’arabe dialectal.
Cette déstabilisation politico-sociale et économique s’inscrit dans un cadre plus ample du déclin arabo-musulman à la fin du XIe siècle. Elle favorise l’agression des Normands, qui, après avoir conquis la Sicile fatimide, attaquent Mahdia (capitale fatimide, en Tunisie), et l’enlèvent en 1087.
L’Islam maghrébin
Mus par l’obligation de divulguer et de répandre le contenu du Coran, les Arabo-musulmans inaugurent une longue période de conquête. Leur triomphe au Moyen-Orient et en Asie Mineure les encourage à se diriger vers le Maghreb.
En 670, sur ordre d’Amr, wâli (gouverneur) d’Egypte, Uqba arrive en Tunisie à la tête d’une armée de dix mille cavaliers. Stratège averti, il choisit un plateau au centre de la Tunisie pour y fonder Kairouan (considérée par certains comme la quatrième ville sainte de l’Islam). Il continue ensuite sa marche vers le nord. A un certain moment, Uqba est rappelé au Caire et remplacé par un autre chef qui mène une politique modérée, parvenant même à s’attacher certaines tribus berbères, avec à leur tête Kusayla.
Par la suite, Uqba rejoint les troupes en Ifriqiâ (682) -- nom donné à l’Afrique du Nord par les latins et plus tard par les Arabes -- pour achever la conquête de l’ouest africain. Mais de retour à sa base, il rencontre la résistance de Kusayla, et meurt en 683. Cette résistance oblige donc les Arabo-musulmans à se retirer vers la Tripolitaine (Libye). Lors d’une deuxième attaque arabe (686), le chef berbère Kusayla meurt à son tour et les Arabo-musulmans entrent de nouveau à Kairouan, qu’ils abandonnent de nouveau après une contre-offensive.
C’est l’arrivée dans la région du chef Ibn Numan qui ouvre la voie à l’achèvement de la conquête. Il reprend Kairouan en 691, s’élance à l’assaut de Carthage, et la conquiert en 692. Néanmoins, avec l’aide des Byzantins, les tribus berbères du nord s’organisent sous la direction de la Kahina (princesse et chefe de tribus judaïsées dont le nom est maintenant l’emblème de la dignité berbère), et repoussent l’avancée arabo-musulmane.
Les envahisseurs se retirent à nouveau en Tripolitaine, mais une fois les renforts arrivés d’Orient, ils passent à l’attaque sous la direction d’Ibn Numan (695). Ils portent donc un coup fatal aussi bien à l’armée byzantine qu’aux résistants berbères. Carthage reprise, la Kahina est tuée. Sa mort consacre la fin de l’irrédentisme berbère et ouvre la voie à l’islamisation. S’il faut en croire la légende, voyant que les Arabo-musulmans sont à un point de non-retour, la princesse aurait préconisé à ses enfants et à ses fidèles de se ranger du côté des conquérants.
En 704, l’Ifriqiâ, donc, prend le statut de province autonome, sous la direction de Moussa Ibn Nussaïr. Ce dernier mène une politique modérée fondée sur le wâla (clientélisme, ou reconnaissance de la légitimité d’un chef politique, militaire et de tribu, selon le point de vue); de nombreux chefs berbères embrassent la nouvelle foi. Arrivé sur les bords de l’Atlantique avec ses troupes il prépare (en 709), à partir du nord-marocain, l’expédition vers l’Espagne, qu’il confie à un Berbère à peine affranchi, Tarek ben Ziyad. L’expédition commence en 711 (94 de l’hégire).
La conquête arabo-musulmane a été achevée au Maghreb après un demi-siècle de luttes environ, en raison de la résistance des autochtones, qui ont fait recours à la politique de la terre brûlée.
Si l’Islam s’affirme une fois la conquête achevée, il faut attendre le XIe siècle pour parler d’islamisation totale. L’un et l’autre sont l’œuvre des Berbères eux-mêmes qui, inspirés par le khaîjisme (courant schismatique, puritain et contestataire), donnent un caractère local à l’Islam. L’arabisation est un processus encore plus lent.
Le Maghreb au Xe siècle
Les Omeyyades (en Andalousie et à Cordoue) et les Aghlabides (en Tunisie et à Kairouan) contrôlent la Méditerranée. Le Maghreb occidental (Maroc) est divisé en émirats (Fès, Tlemcen et Ceuta) profondément influencés par Cordoue. L’émirat aghlabide, fidèle au pouvoir central (Abbassides, Bagdad) défend l’autonomie du Maghreb tout en affirmant l’importance de l’apport berbère, et acquiert son indépendance. Mais les contestations chiites (le chiisme est le premier courant schismatique islamique) visant les Abbassides ont des retentissements au Maghreb. Ubayd-Allah Al-Mahdi, un chiite venant d’Arabie, trouve refuge en Kabylie, où il répand sa doctrine et gagne le soutien des tribus berbères de Kutama, qui ne voient pas d’un bon œil les Aghlabides.
Ces tribus, au nom de la doctrine chiite, envahissent l’espace aghlabide. Al-Mahdi, qui prétend être un descendant de la lignée du Prophète (QSSSL), s’impose comme l’imam attendu (le guide spirituel disparu et qui, un jour, revient sur la Terre pour rétablir la justice, selon le point de vue chiite) pour légitimer la prise du pouvoir. Il fonde la dynastie des Fatimides (du nom de Fatima, fille du Prophète (QSSSL), dont les Aghlabides seront les victimes. Il affiche sa volonté de conquérir tout l’empire arabo-musulman. Suivant cette logique et après 75 ans de règne, les Fatimides gagnent l’Egypte et y fondent Le Caire, en 970. En partant pour le Machreq, ils délèguent le pouvoir à leurs alliés, les Kutama, qui se divisent en deux dynasties. Deux royaumes voient le jour : celui des Zirides (l’actuelle Tunisie), et celui des Hammâdides (l’actuel Est-algérien).
Après un demi-siècle de prospérité et de stabilité, les deux dynasties finissent par s’affaiblir vers le milieu du XIe siècle. La sunna (orthodoxie musulmane) et le malékisme (l’école d’interprétation juridique la plus suivie au Maghreb), bannies à l’époque fatimide, reprennent l’avantage et le chiisme est de facto relégué.
Cette proclamation doctrinale ne peut être tolérée par les Fatimides qui la considèrent comme une apostasie, donc une offense. Leur riposte sera violente.
L’invasion hilalienne
Vers la fin du XI° siècle, les Fatimides, pour réparer l’offense de leur allié et se débarrasser politiquement de certaines tribus arabes installées en Haute-Egypte, encouragent les tribus nomades de Béni Hilal et de Béni Selim à piller l’Ifriqiâ, territoire riche et fertile. Le calife fatimide pense ainsi pouvoir reconquérir son ex-territoire et y instaurer son autorité politico-religieuse chiite.
300 000 nomades arrivent donc en Tunisie et en changent profondément l’équilibre démographique. Leur tradition nomade (pacages, razzias) s’ajoute aux autres problèmes et la désorganisation qui s’ensuit finit par désagréger l’appareil d’État.
La présence des deux tribus constitue en fait l’implantation du premier noyau de colons. Cette invasion marque le début de l’arabisation proprement dite.
Les mœurs d’une certaine société autochtone commencent à être sinon bouleversées, du moins modifiées. Il en est de même pour le parler berbère qui cède le pas, dans certains cas, à l’arabe dialectal.
Cette déstabilisation politico-sociale et économique s’inscrit dans un cadre plus ample du déclin arabo-musulman à la fin du XIe siècle. Elle favorise l’agression des Normands, qui, après avoir conquis la Sicile fatimide, attaquent Mahdia (capitale fatimide, en Tunisie), et l’enlèvent en 1087.
L’Islam maghrébin
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