Par Souleïman Bencheikh
Grands Travaux. Rabat, capitale des chantiers Longtemps endormie, Rabat est en passe de faire mentir sa réputation : des projets à foison et des chantiers titanesques marquent le renouveau de la cité des Alaouites.Mohammed VI détrônera-t-il Hassan II au panthéon des souverains bâtisseurs ? Le défunt monarque a pourtant laissé son empreinte : une grande mosquée aux allures de symbole, sorte de nouvelle Tour Hassan, plus grande, plus haute et plus chère que sa devancière rbatie.
Vallée de Bouregreg : projet emblématique
Le titanesque projet d’aménagement de la vallée du Bouregreg est emblématique de ce boom de longue haleine. Il comporte pour l’instant deux séquences, qui devraient être finalisées en 2010. La séquence Bab al Bahr, financée en partenariat avec le groupe Al Maabar International Investments d’Abu Dahbi, porte sur 750 millions de dollars. Elle concerne l’estuaire du Bouregreg à proprement parler. Outre la construction d’une cité des arts et métiers sur la rive de Salé et d’un quartier d’affaires, elle prévoit de grands aménagements au niveau des infrastructures de transports : un tunnel sous la colline des Oudayas, un nouveau pont reliant Rabat et Salé et un tramway avec deux lignes sur un peu moins de 18 km. La séquence Amwaj, plus à l’intérieur des terres, porte sur près de 2 milliards de dollars, financée en partenariat avec Sama Dubaï à hauteur de 50%. La conception architecturale et urbanistique est en cours de réalisation, et c’est justement là que le bât blesse. Le torchon brûle entre la CDG (Caisse de dépôt et de gestion), initiatrice du projet, et les pourvoyeurs de fonds émiratis. “Nous nous sommes opposés à un projet qui aurait dénaturé le site, explique un responsable de la CDG. Sama Dubaï propose de construire des buildings futuristes et ultramodernes, mais le site ne s’y prête pas. La Tour Hassan, le mausolée Mohammed V et le Chellah doivent être mis en valeur dans le futur aménagement du site”.
Cette différence de visions n’entame pas pour autant l’optimisme des responsables du projet. Tous les espoirs semblent permis et, à voir la dimension des travaux, le rêve est à portée de main. “Quatre principes ont guidé toutes nos décisions : respect de l’environnement, citoyenneté, mémoire du lieu et amélioration des transports”, explique Omar Benslimane, responsable communication de l’Agence pour l'aménagement de la Vallée du Bouregreg (AAVB). Il détaille ainsi par le menu les efforts déployés pour la réhabilitation des décharges de l’Oulja et de Akreuch. Il insiste aussi sur la résolution du problème posé par les barcassiers, qui faisaient la liaison entre Rabat et Salé et dont l'activité a dû être suspendue pour quelques mois. “Tous ont été indemnisés entre 900 et 2500 DH par mois”, explique Omar Benslimane. Un temps au point mort, les travaux ont repris de plus belle. Brahim Qattab, ouvrier sur le chantier de la marina, est optimiste : “Je compte vraiment sur ce projet pour donner un grand coup d’accélérateur au quartier. Si ça aboutit, il y aura beaucoup de créations d’emplois”. L'un de ses collègues, plus sceptique, espère surtout le désenclavement de Salé : “Salé ne doit plus être une cité dortoir près de Rabat !”.
À l’horizon 2010, Rabat devrait ainsi être complètement transformé. L’interface entre la capitale administrative et sa jumelle, l’ancienne cité corsaire, est appelée à devenir un centre névralgique, mêlant activités de loisirs et artisanat. Rabat et Salé renoueraient aussi avec leur tradition maritime, avec un projet de port de voyageurs (en suspens pour le moment) sur la façade atlantique, ainsi qu’une marina, bientôt opérationnelle à l’embouchure du Bouregreg.
Mais, malgré l’autosatisfaction affichée par les responsables du projet, les rumeurs circulent autour des problèmes sur lesquels buterait le chantier. Beaucoup doutent ainsi de l’efficacité de l’opération de dragage qui devrait permettre la navigabilité du fleuve sur 15 km. “L’embouchure du Bouregreg est très largement ensablée. Elle subit nuit et jour les assauts de la marée. L’opération de dragage est lente et la viabilité de la marina n’est pas encore assurée”, explique un entrepreneur, qui a souhaité garder l’anonymat. D’autres, comme cette responsable d’un organisme international, croient savoir que les capitaux de Dubaï se sont retirés. Une rumeur régulièrement démentie par les responsables du projet d’aménagement de la vallée du Bouregreg. “Les investisseurs se bousculent au portillon. La difficulté est davantage de bien choisir les sources de financement que de les trouver”, se félicite Omar Benslimane.
Une nouvelle philosophie de la ville
Les chantiers de Rabat ne se limitent pas à ceux de la vallée du Bouregreg. L’impulsion et la volonté royales se sont répercutées à toutes les échelles, dans une sorte de vaste projet urbanistique. Derrière tous les chantiers : la CDG, encore et toujours. Bras armé de Mohammed VI, quand il s’agit d’investir dans les infrastructures du pays, la Caisse est aussi en mesure de drainer les capitaux étrangers. Au centre du réaménagement de la capitale, le mastodonte semi-public a ainsi patiemment pensé le développement de Hay Riad. Ce quartier résidentiel de Rabat est devenu un centre urbain très attractif : espaces verts, administrations ultramodernes, parkings aménagés, boutiques de luxe, allées piétonnes, cafés animés… “Le développement de Hay Riad est un projet pensé bien en amont par la CDG. Nous avions des conditions d’installation très strictes. Mais vu le résultat, le jeu en valait largement la chandelle, témoigne le propriétaire d’un restaurant flambant neuf à Hay Riad. La clientèle est de plus en plus nombreuse et variée : travailleurs du midi, promeneurs du week-end, noceurs du samedi soir…”.
Autres chantiers non moins ambitieux : la future Technopolis, sur la route de Kénitra, qui abritera la première université privée internationale; l’aménagement de la corniche initié par le groupe émirati Emaar; la ville nouvelle de Tamesna, destinée à accueillir 50 000 habitants dans les environs de Témara… et la liste est longue. Contrairement à Marrakech, dont le développement touristique a fait des déçus, à la différence de Tanger, où le boom est essentiellement économique, Rabat a misé sur un développement urbain contrôlé, respectueux du charme paisible qui fait son identité. La capitale rompra-t-elle pour autant avec son image de belle endormie ?
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