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YVES SUDRY: «Reconnaissance à l’ALN»

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  • YVES SUDRY: «Reconnaissance à l’ALN»

    La Nouvelle République : Pourquoi avez-vous écrit cet ouvrage ?
    Yves Sudry : Lors d’une réunion d’anciens de mon régiment, j’ai fait la connaissance d’un vétéran qui, à la suite d’une meurtrière embuscade en janvier 1958, a été fait prisonnier par l’ALN et incarcéré au Maroc avant d’être libéré un an plus tard.
    Le récit de sa tragique odyssée m’a passionné. L’idée m’est alors venue d’interroger d’autres prisonniers. D’abord ceux de notre régiment capturés le même jour dont j’ai pu me procurer facilement les coordonnées.

    J’ai ensuite élargi mon enquête grâce à une liste d’anciens prisonniers libérés ou évadés diffusée par la FNACA (Fédération nationale des anciens combattants d’Algérie) auprès des présidents d’associations d’anciens d’AFN. En fait, d’après le général Faivre, cette liste aurait été établie par l’UNC (Union nationale des combattants) et celle diffusée par la FNACA serait incomplète. Polémique entre associations dans laquelle je n’entrerai pas. Toujours est-il, le général Faivre m’a reproché d’avoir utilisé un document incomplet. De son côté, le président de la FNACA m’a reproché d’avoir utilisé cette liste sans citer son association dans les remerciements…
    Je pense que ces recueils de témoignages sont extrêmement précieux, sans eux, après la disparition de tous les acteurs de la tragédie, il ne restera plus que la sécheresse des archives et c’est là la raison de cet ouvrage.

    Des années plus tard, quels sentiments habitent les personnes que vous avez interviewées ? Haine ? Remords ? Reconnaissance ?
    Il est difficile de répondre de façon très précise à ces questions. La plupart des sentiments restent enfouis au fond de l’âme. Ce serait à chaque protagoniste de parler en son nom.
    Ceci dit, je peux exprimer ce que j’ai perçu à la suite de ces interviews. De la haine ? Non je n’ai pas perçu de haine. De la rancœur, sûrement chez ceux qui ont été molestés par leurs gardiens, mais ce sentiment s’est amenuisé avec le temps. En fait, ce que j’ai rencontré chez plusieurs anciens prisonniers, c’est la peur, une peur irraisonnée et on entre ici dans ce qu’on appelle les névroses traumatiques de guerre.
    Quarante ans après, d’anciens prisonniers m’ont demandé de ne pas citer leur nom «j’ai peur qu’ils me retrouvent…»
    Du remords ? J’ai observé chez un ancien para, qui avait dû assommer deux de ses geôliers pour s’évader, une émotion intense en décrivant cette scène.
    Il n’a pu continuer son récit et a dû sortir de la pièce.
    Son épouse m’a alors confié : «Il ne va pas encore dormir cette nuit…» Manifestement, cet homme est toujours obsédé par son acte. Peut-on pour autant parler de remords ?
    S’il pouvait revenir à cette époque, je pense qu’il accomplirait les mêmes gestes pour s’évader.
    En fait, là encore, on est en présence d’une manifestation de névrose traumatique de guerre. Il s’agit là de reviviscence diurne. Le sujet se retrouve plongé brutalement dans le même événement traumatisant avec angoisse intense.
    De la reconnaissance ? Oui sans hésiter.
    C’est le cas de prisonniers retenus dans une grotte. Lors de l’approche d’une unité française, un djoundi a emmené les prisonniers au fond d’une galerie et leur a dit de ne plus bouger, puis s’est éloigné. Peu de temps après, ils étaient libérés par les troupes françaises. Un des rescapés m’a confié lors de son interview :
    «De toute évidence, cet homme avait l’ordre de nous exécuter, il nous a sauvé la vie.» Il avait effectivement surpris une conversation entre geôliers disant qu’ils devaient exécuter les prisonniers en cas d’intervention des troupes françaises.
    Un des prisonniers en Tunisie, interviewé lors de sa libération par la presse à sa descente d’avion, a déclaré que des officiers de l’ALN leur rendaient parfois visite. «Ils nous expliquaient leur guerre, mais sans pour autant vouloir nous endoctriner, parfois ce sont eux qui nous remontaient le moral en affirmant que tout cela finirait par s’arranger.»
    Ce même prisonnier en parlant de ses geôliers affirmait : «Ils finirent même par devenir des camarades et je considère l’un d’eux Hocine comme l’un de mes meilleurs amis. S’il venait à la maison, je l’accueillirais à bras ouverts.»
    Cette reconnaissance s’est surtout manifestée à l’égard des médecins de l’ALN. Tous les anciens prisonniers que j’ai interviewés sont unanimes : les médecins de l’ALN avec les moyens qui étaient à leur disposition les ont soignés comme leurs propres soldats.
    Enfin, de façon plus impersonnelle : reconnaissance à l’égard de l’action conjuguée du Croissant-Rouge algérien et de la Croix-rouge internationale.

    Quelle démarche avez-vous entreprise pour travailler ? Enquête ? Nombre de soldats interviewés ? Handicaps ?
    Mes démarches ont été les suivantes : en premier lieu, l’interrogation directe des intéressés grâce à la liste diffusée par la FNACA.
    Après contact téléphonique, j’ai pratiqué les interviews, soit en me rendant à leur domicile, soit par téléphone lorsqu’ils étaient trop éloignés.
    J’ai pu ainsi interroger environ trente anciens prisonniers. Je me suis heurté à plusieurs difficultés.
    D’abord, le refus de quelques-uns. «Vous n’êtes pas le premier à vouloir m’interroger, j’ai toujours refusé… rien que votre coup de fil va m’empêcher de dormir cette nuit, je vais avoir des cauchemars…», réactions éloquentes par elles-mêmes, car elles correspondent aux névroses traumatiques de guerre dont je vous ai parlées. Plus précisément, il s’agit dans ces cas-là de ce qu’on appelle une conduite d’évitement, le sujet refuse de revenir sur ce passé douloureux.
    Toujours dans le même registre pathologique, certains prisonniers n’ont répondu à mes questions que par monosyllabes entrecoupées de «non, je ne me souviens pas… je ne me rappelle rien… il y a si longtemps… «Il s’agit d’une autre variété de conduite d’évitement ici plus ou moins volontaire destinée à occulter le passé douloureux.
    Autre difficulté, certains prisonniers ont été très coopérants, même très prolixes, mais ont plus ou moins fabulé.
    Ainsi, un des anciens détenus au Maroc m’a dit que lors de leur libération, ses camarades et lui avaient été reçus par le roi du Maroc dans son palais.
    «Il m’a parlé personnellement en me demandant comment je voyais mon avenir, etc.».
    En fait, en corroborant ses déclarations avec celles de ses camarades et après vérification à l’aide de la presse de l’époque, son groupe avait été libéré à Oujda même, lieu de leur détention et reçu dans les locaux du Croissant-Rouge algérien en présence non pas du roi du Maroc, mais de l’une de ses filles. Pour éviter de telles erreurs, j’ai, à chaque fois, comparé les déclarations des prisonniers avec celles de leurs camarades et avec les comptes-rendus de presse de l’époque. Ceux-ci m’ont été très précieux lorsque je n’ai pu contacter les anciens prisonniers du fait, soit d’un changement d’adresse, soit de leur décès.
    Dans ces cas, je me suis donc basé sur les interviews effectuées par les journalistes de l’époque en comparant les articles des différents organes de presse.
    Enfin, pour les prisonniers de Grande Kabylie, j’ai trouvé de très précieux renseignements dans les écrits de deux civils détenus en même temps que les militaires. Il s’agit de l’instituteur René Rouby qui a publié un livre intitulé «Otages d’Amirouche» et du directeur d’école Maxime Picard. Il a laissé une narration de sa captivité parue dans Histoire Magazine en 1973. (A suivre)

    Propos recueillis par M. B. (La Nouvelle République)
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