Expo-Le chemin des roses de Rachid Koraïchi : Art et spiritualité
La Citadelle d’Alger accueille une exposition impressionnante. Un hommage de toute beauté à Djallal Eddine El Rumi. Djallal Eddine El Rumi est sans doute l’une des figures les plus éminentes du soufisme. Il est connu comme l’auteur de l’inégalable Livre du Dedans et de nombreux autres ouvrages mystiques et poétiques.
Né en 1207 à Balkh, en Afghanistan, il a fui avec sa famille la terrible invasion mongole pour s’établir dans la Turquie actuelle, précisément dans la ville de Konya, alors capitale seldjoukide du sultanat de Roum. C’est cette implantation dans les anciens territoires romains ou byzantins qui lui a valu le nom de Rumi. Reconnu pour la profondeur des ses recherches spirituelles et sa grande ouverture d’esprit, l’Unesco a déclaré l’année 2007, huitième centenaire de sa naissance, année en sa mémoire. Le 30 septembre dernier, la ville de Konya, où se trouve encore la confrérie des Derviches tourneurs qu’il avait créée, lui a consacré d’immenses festivités à la dimension de son personnage fascinant. En décidant de lui rendre hommage, Rachid Koraïchi, qui n’a jamais caché les ressorts spirituels de sa création artistique, n’ignorait pas tous les risques attachés à une telle démarche. Dans la proximité, les sources fortes de lumière deviennent dangereuses. L’évidence et la superficialité guettent l’art lorsqu’il s’aventure sur les terres, ou plutôt les cieux, de la spiritualité. Avec son exposition Chemin des Roses, le plasticien a su cependant éviter le piège d’une banalisation qui aurait consisté à rabaisser une pensée tendue vers l’invisible et l’insaisissable par des représentations trop matérielles ou envahissantes. Il a su également ne pas sombrer dans une sur-idéalisation aveugle du personnage dont la légendaire modestie, comme les idées, ne souffraient pas de grandiloquence, même si ses disciples le nommaient (et le nomment encore) Mavlana ou notre maître, ce qui était après tout son rôle. Rachid Koraïchi a trouvé le ton juste, la bonne note qui convenait à l’aura de Djallal Eddine El Rumi. On s’en rend compte à peine franchi l’entrée de l’exposition. En effet, si les œuvres exposées se distinguent par leur raffinement, elles se voient surpassées par leur mise en scène. Et si cette mise en scène se distingue par sa dramaturgie, elle est à son tour surpassée par l’atmosphère. C’est cette dernière en effet, qui règne sur cette exposition avec une évanescence paradoxalement très présente. Une atmosphère de recueillement sans ostentation. Un sentiment puissant d’évocation livré de manière subtile. Le choix du lieu n’est sans doute pas étranger à cette mise en condition réussie. Les pierres monumentales de la muraille, les voutes puissantes aux variations d’ocres, de marrons et parfois de roses, cette odeur du passé qui suinte des murs, la lourde pénombre qui n’accepte la lumière du dehors qu’en difractions à peine perceptibles…
L’exposition n’aurait assurément pas pu avoir lieu au Mama ou dans une galerie moderne. Elle y aurait perdu tout sens et tout effet. En choisissant donc la Citadelle d’Alger, en cours de restauration, Rachid Koraïchi a eu le mérite d’ajouter l’esprit d’un lieu à son admirable travail. « Il était fondamental pour moi, affirme-t-il, que ce soit un lieu chargé d’histoire avec une vie faite de l’accumulation des siècles et des évènements dans un espace. Un lieu chargé de significations, personnalisé. Le fait qu’il s’agisse des anciennes écuries du Palais du dey établit de plus un lien avec le cheval en tant que riche symbole de civilisation. Il y a aussi cette référence au pouvoir. La Citadelle veillait sur la ville. Et l’on a là, de plus, une architecture superbe, forte, nue, entière, sans fioritures comme pouvaient en avoir les parties du Palais réservées aux réceptions ou au protocole. Enfin, la Citadelle est en cours de restauration et il me plaisait d’attirer les regards des gens sur ce chantier, cette récupération vivante d’un patrimoine, exactement comme je me propose de le faire à travers mon exposition en me tournant vers un patrimoine spirituel ». Cette volonté de s’inscrire dans un espace marqué par les siècles, l’artiste l’a de plus renforcée en faisant appel à un trio de spécialistes éprouvés : l’architecte Halim Faïdi et le designer Chafik Gasmi qui ont réalisé et suivi la scénographie selon les desseins de Rachid Koraïchi et Georges Berne, connu pour être l’auteur des éclairages de lieux prestigieux, dont le moindre n’est pas le Musée du Louvres. Les trois ont appris à travailler ensemble pour les aménagements du Mama et la complicité avec l’artiste a fait le reste. Un reste qui est en l’occurrence un tout et donne au final une exposition qui détonne par son originalité dans la mesure où chaque pièce est une œuvre mais que l’ensemble en est une aussi, et sans doute la principale. C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’il convient d’aborder cette manifestation, en se laissant gagner par la totalité d’un lieu, d’un art et d’un moment.
Mode d’emploi de l’exposition : à peine franchie l’entrée en chicane, laisser les yeux s’accoutumer à l’éclairage en clair-obscur ; laisser les narines s’emplir des effluves de roses émanant des pétales flottants dans les vasques de porcelaine ; laisser l’esprit flotter à travers le lieu avant d’aborder les œuvres une par une. Dans le catalogue, réalisé par RSM Communication et dirigé par Fawzi Baba Ali, celui-ci exprime de manière claire les fondements éthiques qui sous-tendent l’exposition : « Une situation dans l’espace devra créer l’état capable de saisir les échos d’un appel hors du temps. (…) Ces vertiges de mouvements circulaires sont d’ailleurs recréés de façon saisissante dans les 28 vasques d’ablution, emplis de roses et de beauté, tournées à la façon de la coupole de Konya. 28 vasques et 21 sculptures, 28 textiles brodés et 196 priants d’acier… Des multiples de 7, ce chiffre magique. Ce 7 qu’on retrouve constant chez les Soufis : les sept mots (syllabes en fait) de la chahada, les sept cités de l’Amour d’Attar, les sept étapes depuis l’âme charnelle jusqu’à l’âme réalisée selon Rûmî, les sept cent voiles de la lumière de Dieu, mais aussi les sept centres subtils qui se trouvent dans l’homme et contiennent toutes les potentialités entre subconscient et surconscient, etc. ». C’est dire qu’en entrant dans cette exposition, on est d’abord convié à pénétrer dans un univers.
La Citadelle d’Alger accueille une exposition impressionnante. Un hommage de toute beauté à Djallal Eddine El Rumi. Djallal Eddine El Rumi est sans doute l’une des figures les plus éminentes du soufisme. Il est connu comme l’auteur de l’inégalable Livre du Dedans et de nombreux autres ouvrages mystiques et poétiques.
Né en 1207 à Balkh, en Afghanistan, il a fui avec sa famille la terrible invasion mongole pour s’établir dans la Turquie actuelle, précisément dans la ville de Konya, alors capitale seldjoukide du sultanat de Roum. C’est cette implantation dans les anciens territoires romains ou byzantins qui lui a valu le nom de Rumi. Reconnu pour la profondeur des ses recherches spirituelles et sa grande ouverture d’esprit, l’Unesco a déclaré l’année 2007, huitième centenaire de sa naissance, année en sa mémoire. Le 30 septembre dernier, la ville de Konya, où se trouve encore la confrérie des Derviches tourneurs qu’il avait créée, lui a consacré d’immenses festivités à la dimension de son personnage fascinant. En décidant de lui rendre hommage, Rachid Koraïchi, qui n’a jamais caché les ressorts spirituels de sa création artistique, n’ignorait pas tous les risques attachés à une telle démarche. Dans la proximité, les sources fortes de lumière deviennent dangereuses. L’évidence et la superficialité guettent l’art lorsqu’il s’aventure sur les terres, ou plutôt les cieux, de la spiritualité. Avec son exposition Chemin des Roses, le plasticien a su cependant éviter le piège d’une banalisation qui aurait consisté à rabaisser une pensée tendue vers l’invisible et l’insaisissable par des représentations trop matérielles ou envahissantes. Il a su également ne pas sombrer dans une sur-idéalisation aveugle du personnage dont la légendaire modestie, comme les idées, ne souffraient pas de grandiloquence, même si ses disciples le nommaient (et le nomment encore) Mavlana ou notre maître, ce qui était après tout son rôle. Rachid Koraïchi a trouvé le ton juste, la bonne note qui convenait à l’aura de Djallal Eddine El Rumi. On s’en rend compte à peine franchi l’entrée de l’exposition. En effet, si les œuvres exposées se distinguent par leur raffinement, elles se voient surpassées par leur mise en scène. Et si cette mise en scène se distingue par sa dramaturgie, elle est à son tour surpassée par l’atmosphère. C’est cette dernière en effet, qui règne sur cette exposition avec une évanescence paradoxalement très présente. Une atmosphère de recueillement sans ostentation. Un sentiment puissant d’évocation livré de manière subtile. Le choix du lieu n’est sans doute pas étranger à cette mise en condition réussie. Les pierres monumentales de la muraille, les voutes puissantes aux variations d’ocres, de marrons et parfois de roses, cette odeur du passé qui suinte des murs, la lourde pénombre qui n’accepte la lumière du dehors qu’en difractions à peine perceptibles…
L’exposition n’aurait assurément pas pu avoir lieu au Mama ou dans une galerie moderne. Elle y aurait perdu tout sens et tout effet. En choisissant donc la Citadelle d’Alger, en cours de restauration, Rachid Koraïchi a eu le mérite d’ajouter l’esprit d’un lieu à son admirable travail. « Il était fondamental pour moi, affirme-t-il, que ce soit un lieu chargé d’histoire avec une vie faite de l’accumulation des siècles et des évènements dans un espace. Un lieu chargé de significations, personnalisé. Le fait qu’il s’agisse des anciennes écuries du Palais du dey établit de plus un lien avec le cheval en tant que riche symbole de civilisation. Il y a aussi cette référence au pouvoir. La Citadelle veillait sur la ville. Et l’on a là, de plus, une architecture superbe, forte, nue, entière, sans fioritures comme pouvaient en avoir les parties du Palais réservées aux réceptions ou au protocole. Enfin, la Citadelle est en cours de restauration et il me plaisait d’attirer les regards des gens sur ce chantier, cette récupération vivante d’un patrimoine, exactement comme je me propose de le faire à travers mon exposition en me tournant vers un patrimoine spirituel ». Cette volonté de s’inscrire dans un espace marqué par les siècles, l’artiste l’a de plus renforcée en faisant appel à un trio de spécialistes éprouvés : l’architecte Halim Faïdi et le designer Chafik Gasmi qui ont réalisé et suivi la scénographie selon les desseins de Rachid Koraïchi et Georges Berne, connu pour être l’auteur des éclairages de lieux prestigieux, dont le moindre n’est pas le Musée du Louvres. Les trois ont appris à travailler ensemble pour les aménagements du Mama et la complicité avec l’artiste a fait le reste. Un reste qui est en l’occurrence un tout et donne au final une exposition qui détonne par son originalité dans la mesure où chaque pièce est une œuvre mais que l’ensemble en est une aussi, et sans doute la principale. C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’il convient d’aborder cette manifestation, en se laissant gagner par la totalité d’un lieu, d’un art et d’un moment.
Mode d’emploi de l’exposition : à peine franchie l’entrée en chicane, laisser les yeux s’accoutumer à l’éclairage en clair-obscur ; laisser les narines s’emplir des effluves de roses émanant des pétales flottants dans les vasques de porcelaine ; laisser l’esprit flotter à travers le lieu avant d’aborder les œuvres une par une. Dans le catalogue, réalisé par RSM Communication et dirigé par Fawzi Baba Ali, celui-ci exprime de manière claire les fondements éthiques qui sous-tendent l’exposition : « Une situation dans l’espace devra créer l’état capable de saisir les échos d’un appel hors du temps. (…) Ces vertiges de mouvements circulaires sont d’ailleurs recréés de façon saisissante dans les 28 vasques d’ablution, emplis de roses et de beauté, tournées à la façon de la coupole de Konya. 28 vasques et 21 sculptures, 28 textiles brodés et 196 priants d’acier… Des multiples de 7, ce chiffre magique. Ce 7 qu’on retrouve constant chez les Soufis : les sept mots (syllabes en fait) de la chahada, les sept cités de l’Amour d’Attar, les sept étapes depuis l’âme charnelle jusqu’à l’âme réalisée selon Rûmî, les sept cent voiles de la lumière de Dieu, mais aussi les sept centres subtils qui se trouvent dans l’homme et contiennent toutes les potentialités entre subconscient et surconscient, etc. ». C’est dire qu’en entrant dans cette exposition, on est d’abord convié à pénétrer dans un univers.
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