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Ma mère l'Algérie de Jean Pélégri

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  • Ma mère l'Algérie de Jean Pélégri

    Même foudroyé par les ténèbres de l’oubli, le nom de Jean Pélégri illumine le ciel des écritures et respire à pleins poumons le pollen de l’art de perdurer, car, même relégué au banc des oubliés, l’immensité et le talent de son œuvre témoignent et de l’homme et de l’incontestable art de l’enfant de la Mitidja.

    Jean Pélégri, El Hadj Yahya en arabe. Cet écrivain est l’un des porte-voix de l’Algérie insurrectionnelle, une voix restée vive d’amour à la justice, au pays, au visage de l’enfance. De toute sa production romanesque et poétique, la vocation d’aimer traduit la force avec laquelle le cordon ombilical refuse d’être coupé et révèle un génie créateur de tracer au compas de l’enfance le cercle de la totalité qui édifie et l’être et ses itinéraires, aussi bien extérieurs qu’intérieurs.

    Parmi ses nombreuses publications, Ma mère l’Algérie, présenté par Jean Pélégri dans un avertissement qui annonce d’emblée le ton : «Ce petit livre est peut-être mon dernier livre. Aussi, je suis heureux qu’il soit publié en Algérie, mon pays natal, mais aussi le pays des sources et des références pour l’écrivain que je suis», est l’un des livres forts qui enseignent l’amour de la terre sans concession aucune, un hymne au paysage natal sans orientalisme aucun.

    Il célèbre l’enfance et pose les questions essentielles de la vie d’un homme qui n’a jamais remis en cause son profond lien à sa terre qu’il appelle ma mère. Tout au long de cet essai, la voix de l’enfance accompagne la lecture passionnée et passionnante de ces pages de chair où le souvenir labouré par l’esquif intérieur traverse tout le fleuve du lointain.

    Des réflexions s’égrènent et mettent le doigt sur les points intrinsèques qui ont formé Jean Pélégri, de ses premiers pas d’enfant jusqu’à sa naissance d’écrivain, ce long et fructueux cheminement ponctué par le tumulte de l’époque trouve dans le paysage natal un refuge. «Il y avait aussi des livres qui sont pour l’écrivain une sorte de guerres civiles intérieures où le choix du sujet, de la langue et du style représente à lui seul une prise de position. Un engagement durable. Une métamorphose. L’écriture avait algérianisé ma façon de sentir les êtres et les choses.» Le choix est fait, intelligemment fait et courageusement assumé.

    Le souvenir de la vieille Fatima fuse de la fertile mémoire de l’enfant de la Mitidja et invite à un voyage vers les lointaines contrées de cette femme au verbe flamboyant et au sens philosophique aigu. Sans relâche, Pélégri chante immensément cette terre qui l’a vu naître, en l’écrivant si joliment : «C’était elle [Algérie] qui m’avait formé. Je me sentais à l’aise en France, mais la France ne m’inspirait pas. J’avais le sentiment d’y mener une vie agréable. Une vie qui ne me passionnait pas. Et qui me paraissait parfois superficielle et de peu de consistance. Comme le disait le colonel Lawrence après son retour en Angleterre : “Un effort, prolongé pendant des années, pour vivre dans le costume des Arabes et me plier à leur moule mental, m’a dépouillé de ma personnalité anglaise. J’ai pu ainsi considérer l’Occident et ses conventions avec des yeux neufs, en fait, cesser d’y croire.”» De toute sa force, il n’a jamais failli à ces hautes sources d’où dégouline l’essentiel qui façonne un être. Son engagement est total et infaillible.

    Gauler ainsi l’arbre de la mémoire, c’est récolter la vie future. C’est ce qu’exprime ce passage qui retrace la mort du père et sa symbolique, dont les mots forment ce qui marquera l’auteur des Oliviers de la justice : «Il était mort, lui mon père, sur des mots arabes, en parlant à quelqu’un. Comme s’il cherchait, inconsciemment, à me donner un dernier conseil. Comme s’il m’enjoignait, lui mon père, de ne pas choisir entre lui et la justice. Parce que c’était pareil. Parce qu’il n’y avait pas à choisir. Et là, curieusement, au milieu de mes larmes et des coups de feu, au milieu de cette guerre de la déchirure et de la séparation, j’ai trouve un instant de bonheur, une joie de l’âme. Une consolation. Il me semblait que cette mort arabe donnait un sens à sa vie. Donc à la mienne. Un sens dont j’aurais à m’inspirer. Et c’est là, au milieu des larmes et dans le tumulte de la douleur que j’ai repensé, comme si tout se rejoignait, à Fatima, à son injonction de témoigner.»

    Les pages ne sont pas seulement de lumière, le malheur gicle de ses entrailles l’horrible et nauséabonde machination d’un gang qui trahira les semences de Novembre. Après l’indépendance, l’exclusion est devenue monnaie courante. Ainsi, Jean Sénac était contraint de demander administrativement la nationalité, comme si, pour avoir une appartenance, celle-ci passe par des papiers. Il trouvera la mort dans sa cage-vigie et la page ne s’est jamais refermée.

    Oui, même si les manuels officiels n’en parlent pas, les noms de Pélégri, de Sénac, de Vircondelet disparaîtront de l’humus, que les oliviers de la justice périront dans les geôles de notre ingratitude congénitale, que l’Algérie poétique cesse d’exister car la juste et belle voix d’un chantre de l’olivier entonne incorruptiblement les saisons des vendanges et dit l’imputrescible chant des nobles germes où seule la lumière recouvre le ciel et le figuier, le sol de sa renaissance.

    De même que la boue de la honte fait partie de ce cloaque où les eaux troubles et la corruption mémorielle rampent à ne plus s’arrêter, le sens de déterrer les magnifiques tombes redoublera de férocité. C’est là la possible respiration de réinventer le pays. Et le suprême combat dont le sens n’altère pas la rougeur qui pointe à l’horizon.

    Par La Tribune
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