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La Méditerranée, au-delà du cynisme.

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  • La Méditerranée, au-delà du cynisme.

    D’impulsion française l’Union méditerranéenne (UM) est conçue dans le but de protéger l’Europe. C’est son handicap de naissance. Depuis sa première citation publique, le 7 février 2007 à Toulon, l’UM énonce deux objectifs à peine déguisés. Sous couvert de solidarité, il s’agit de faire en sorte que les gens du Sud ne débarquent dans les riches plaines du Nord. L’autre but, c’est d’en faire une alternative à l’adhésion de la Turquie à l’UE. Très vite, les réalistes se rendent compte de ses limites. En plus d’objectifs vaseux, pas de fonds ni de consensus, un paternalisme français patent, une désinvolture par rapport à ce qui existe déjà, à savoir le processus de Barcelone, et surtout aucune réflexion sur les piètres résultats de ce dernier. Alors que l’on embarque pour un nouveau départ, aucun enseignement n’est tiré de la léthargie, sinon de l’échec de Barcelone, créé à la suite des accords d’Oslo en 1995, qu’il s’agisse de la question palestinienne, du manque de solidarité avec la rive sud, de l’obligation de réunir autour de la même table des pays politiquement et économiquement très différents, sans parler de conflits ouverts entre eux.

    Entre-temps, l’UM redevient Barcelone pour s’intituler le «Processus de Barcelone : l’Union pour la Méditerranée» (UPM). Celle-ci se veut un projet commun regroupant 44 pays allant de la Mauritanie, au couchant, à la Turquie, au levant. Ainsi les Baltes se retrouvent-ils méditerranéens, tandis que Hongrois et Slovaques décrochent une appartenance marine. Le premier sommet, qui se tient dimanche à Paris sous présidence française de l’UE, devrait créer formellement l’UPM, en établir les structures, mode de fonctionnement et principaux objectifs. L’Assemblée parlementaire en place depuis mars 2004 se verra accompagnée d’une coprésidence et d’un secrétariat conjoint. Les conclusions devraient inclure une déclaration politique et une liste de projets comme «Plan solaire méditerranéen», «Sécurité maritime», «Dépollution de la Méditerranée», «Autoroutes de la mer».

    Est-on pour autant prêt à parler de tout entre riverains, même de ce qui fâche ? Du travail de mémoire par exemple, indispensable pour le dialogue entre le Nord et le Sud, à commencer par les ex-colonisateurs ? On ne s’inquiète pas davantage devant la réticence de nombreux pays du Sud à y participer. Aux Turcs, réservés par rapport à leurs négociations d’adhésion, ou aux Arabes, préoccupés par l’enthousiasme d’Israël pour le projet, on annonce que l’UPM sera de toutes les façons, même sans eux.

    Au premier regard, malgré les controverses, l’UPM apparaît comme une initiative bénigne qui privilégiera le technique, à défaut du politique. Or, sous couvert de projets techniques, l’objectif «immigration» revient à la charge, alors que la France annonce ses quatre priorités pour la présidence de l’UE où «la gestion globale et concertée des migrations» figure en bonne place. Du coup, c’est dans la mise en place d’une politique européenne de l’immigration qu’il va falloir déchiffrer l’UPM. Son concepteur, Henri Guaino, ne prévoit-il pas que l’UPM sera «un cadre dans lequel nous allons pouvoir essayer, avec les pays de la rive sud, de gérer ensemble les flux migratoires»? Et, avec l’immigration en leitmotiv, on s’attaque aux symptômes alors que les raisons qui produisent la pression migratoire ou le fanatisme terroriste sont passées sous silence.

    Ce sont pourtant ces raisons qui constituent le contenu et la base de toute solidarité avec le Sud. En effet, quid d’une religion musulmane naturellement installée dans la position d’ennemie publique numéro 1 de l’Occident par ceux-là mêmes qui conçoivent l’UPM à l’Elysée ? N’est-ce pas lorsque l’on arrivera à rajouter le troisième credo pour parler d’une Europe judéo-christiano-musulmane, dont la mer intérieure est le bercail, que l’on donnera le ton de la future solidarité ? Quelle est la valeur ajoutée d’une nouvelle solidarité consignée dans l’UPM, sinon la force de transformation douce de l’Europe (soft power) dont le processus d’adhésion de la Turquie est l’instrument et la preuve ? Telle force qui intégrerait à long terme, d’une manière ou d’une autre, le pourtour de la Méditerranée. Est-ce que l’UE y est prête ? On ne dirait pas, tant elle est malhabile pour apprécier la candidature turque qui préfigure cette solidarité-là et qui reste suivie de près par la grande majorité des pays riverains. N’est-ce pas l’UPM qui est lancée contre cette candidature ?

    La solidarité au sein de l’espace méditerranéen est affaire trop sérieuse pour être laissée aux conseillers de Sarkozy. Elle reste un dossier urgentissime malgré les tentatives de récupération dans le Nord et de poussées de mauvaise foi dans le Sud. L’initiative française a servi à ce que l’on reparle de cette Méditerranée trop négligée, surtout après l’élargissement de l’UE vers l’Est, et c’est tant mieux. En revanche, tous les ingrédients semblent hélas au rendez-vous pour gâcher ce nouvel élan.

    Cengiz Aktar spécialiste des questions européennes, professeur à l’université Bahçesehir (Istanbul).
    QUOTIDIEN : vendredi 11 juillet 2008

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