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Rick Shenkman : "L'Amérique est une démocratie mal en point"

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  • Rick Shenkman : "L'Amérique est une démocratie mal en point"

    Dans un entretien au Monde.fr, Rick Shenkman, professeur à George Mason University et auteur de Just How Stupid Are We? Facing the Truth About the American Voter (paru en juin 2008 chez Basic Books), s'alarme de l'apathie politique des Américains. Selon lui, la population ne s'informe pas et est une proie facile pour les politiciens qui exploitent leur ignorance.

    Vous dites que "Les Américains sont stupides". Que voulez-vous dire ?

    Rick Shenkman : Seuls deux Américains sur cinq sont capables de nommer les trois pouvoirs de l'Etat. Cinq ans après le début de l'invasion de l'Irak et quinze ans après la guerre du Golfe, six Américains sur sept sont incapables de localiser l'Irak sur une carte. Enfin, à la veille de la guerre en Irak, 60 % de la population estimait que Saddam Hussein était derrière le 11-Septembre, même s'il n'existait aucune preuve.

    J'utilise le terme "stupide" pour choquer. Je veux simplement dire que les Américains n'ont aucune connaissance politique et ne sont pas au courant de ce qui se passe dans le monde. Ils sont des proies faciles pour les politiciens qui les caressent dans le sens du poil…

    Pourtant, les diplômés sont plus nombreux aujourd'hui qu'hier et les médias sont omniprésents. Les Américains devraient être mieux informés que jamais…

    C'est en effet un paradoxe. En 1940, plus de la moitié des Américains n'allait pas au-delà du collège, maintenant, la plupart obtiennent un diplôme universitaire. Mais les gens sont de plus en plus incultes. Dans les années 1950, 10 % de la population ne connaissait pas la différence entre le Parti démocrate et le Parti républicain, et dans les années 1980, ce chiffre est passé à 30 %.

    Je pense que la télévision a joué un rôle particulièrement néfaste dans l'aliénation de l'esprit politique des gens. Depuis que la télévision est devenue le nouveau média de masse dans les années 1960, leur degré d'information a baissé. Le contenu télévisuel est superficiel, manipulateur, sensationnel et peu propice à l'exercice de la citoyenneté.

    Si les citoyens se détournent de la politique, n'est-ce parce qu'ils sont désillusionnés par leurs politiciens ?

    Oui, il y a de ça. La guerre au Vietnam, le Watergate et l'affaire Iran Contras a rendu les Américains amers en politique. Mais au-delà de la défiance, il y a un réel manque d'attention, et pour moi, c'est le résultat de notre société de consommation, incarnée par le règne de la télévision. On a tellement de divertissements dans notre vie : qui veut passer du temps à réfléchir sérieusement à la politique alors qu'on peut jouer aux jeux vidéo, consommer ou faire des milliers de choses plus plaisantes ?

    Benjamin Franklin disait au XVIIIe siècle que nous étions tous politiciens. Au XXIe siècle, nous sommes tous des consommateurs. Nous savons combien coûte un gallon d'essence, mais nous n'avons pas la moindre idée du montant du budget fédéral. Le débat public se réduit à des choses triviales.

    La démocratie américaine est-elle écornée ?

    Les Etats-Unis ressemblent plus à une démocratie maintenant qu'il y a une centaine d'années : le droit de vote a été accordé aux Noirs, aux femmes et aux Hispaniques. D'autre part, de nouveaux outils de démocratie directe ont été créés, comme les initiatives populaires, les référendums et les primaires où nous pouvons choisir le candidat d'un parti sans avoir forcément à en être membre. Puis nous avons les sondages qui prennent constamment le pouls de l'opinion.

    Nous sommes donc en démocratie, mais je dirais qu'elle est mal en point. Selon Thomas Jefferson,"la liberté et l'ignorance ne sont jamais allées de pair et ne le seront jamais". L'ignorance des gens peut avoir un impact sur notre démocratie ; et j'estime qu'elle est en danger. Comme chez les alcooliques anonymes, la première chose à faire est de reconnaître le problème.

    Après l'invasion de l'Irak, les gens ont réélu le candidat même à l'origine de ce chaos, George Bush. Derrière un gouvernement, il y a des électeurs et les gens doivent apprendre à se regarder dans le miroir et reconnaître leurs responsabilités, et pas seulement avoir pour unique but de changer le gouvernement actuel.

    L'enthousiasme suscité par l'élection présidentielle et l'implication d'une nouvelle génération d'électeurs ne vont-ils pas revitaliser le processus ?


    Le taux de participation va être en hausse et c'est positif, car plus les gens votent, plus ils s'informent. Mais les deux candidats à la présidentielle se comportent comme des politiciens traditionnels. Barack Obama parle de réinventer la politique, mais sa réinvention, c'est d'être capable de gouverner avec les républicains. Au final, le candidat démocrate suscite énormément d'attentes pour des millions d'électeurs, et je crains qu'à l'issue des élections, les gens soient déçus. Il en résultera une défiance encore plus importante à l'égard de la politique.

    Propos recueillis par Cécile Gregoriades

    Le Monde
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