En quelques années, Pékin est devenu le premier fournisseur du continent et son troisième partenaire commercial. Face aux critiques suscitées par ses méthodes, et après l’euphorie de la « conquête », l’empire du Milieu veut faire évoluer son offensive sur le continent.
Liu Guijin se frotte les mains. Ce haut fonctionnaire chinois, comme tous ses collègues diplomates, sait que les prochains jeux Olympiques de Pékin seront pour son pays, sa place dans le monde et le développement vertigineux de son commerce une fantastique foire-exposition planétaire. Pourquoi dès lors polluer cette radieuse perspective par d’obscures considérations sur le soutien de la Chine à tel ou tel despote tropical ? Interrogé le 1er juillet à propos de Robert Mugabe, l’ambassadeur Liu Guijin, qui a le titre de « représentant du gouvernement chinois pour les affaires africaines », a donc répondu ceci : « Nous n’avons pas pour habitude de lier notre aide à des conditions politiques. Nous jugeons inutile d’attendre que tout soit parfait, y compris les droits de l’homme, pour faire des affaires. » En deux phrases, tout est dit ou presque du contexte dans lequel se noue depuis le début de ce millénaire l’interaction spectaculaire entre l’un des principaux bénéficiaires de la mondialisation et celui qui en est le continent oublié. Cette absence totale d’intérêt pour l’état local des libertés a toujours été, il est vrai, l’une des caractéristiques de la politique africaine de la Chine. Dans les années 1970 et 1980, Pékin soutenait à la fois des pays dits socialistes, des mouvements de libération et des dictatures pro-occidentales (Zaïre, Togo…) avec une absence totale d’états d’âme. À l’époque, France, États-Unis, URSS, Grande-Bretagne, tout le monde faisait de même. Mais alors que l’ex-camp impérialiste ne jure plus aujourd’hui que par le multilatéralisme, la bonne gouvernance, fût-elle cosmétique, et la conditionnalité de l’aide, la Chine, elle, continue son chemin en cavalier seul avec une recette éprouvée - celle du grand frère apôtre de la coopération Sud-Sud par essence solidaire - et des habits neufs : ceux du modèle de réussite qui fascina tant les chefs d’État réunis à Pékin en 2006 pour le premier sommet sino-africain.
Sont-ils vraiment partout ?
Pourquoi la Chine s’est-elle, au tournant du siècle, tout à coup intéressée à l’Afrique au point d’y réaliser aujourd’hui 10 % de ses investissements directs à l’étranger et d’y consacrer la moitié de son aide au développement ? Comme toujours à Pékin, cette décision a procédé d’une politique organisée et volontariste, répondant à des buts stratégiques précis. En l’espèce, il s’agissait : un, de marginaliser Taiwan, depuis longtemps implanté en Afrique ; deux, d’accéder aux ressources naturelles du continent ; trois, de faire du commerce. Sur tous ces points, une décennie plus tard, le succès est total. Seuls 4 pays africains sur 53 continuent à reconnaître Taiwan (voir encadré p. 24), et la Chine est désormais très réactive, au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, sur tous les dossiers du continent. Un quart des importations pétrolières, 20 % des minerais et les deux tiers du bois importé en Chine proviennent désormais d’Afrique. Enfin, Pékin est devenu en 2005 le premier fournisseur du continent et son troisième partenaire commercial après les États-Unis et la France. Le volume des échanges a quadruplé entre 2004 et 2007 (à 73,3 milliards de dollars) et devrait représenter 100 milliards de dollars en 2010. Une stratégie de pénétration tous azimuts, étroitement coordonnée avec la distribution de l’aide publique chinoise dont la moitié - soit environ 1,4 milliard de dollars - est orientée vers l’Afrique et liée, pour les trois quarts, à des projets dont les sociétés chinoises sont les principales, si ce n’est les uniques, bénéficiaires.
Ce grand bond vers l’Afrique, qui se traduit aujourd’hui par la présence de plus de six cents entreprises chinoises et d’une myriade de petits commerces, a été perçu comme une bénédiction par les dirigeants du continent. L’absence de conditionnalité politique, l’opposition systématique à toute forme d’ingérence de la communauté internationale - à commencer par les sanctions - ainsi que le volume, la panoplie des instruments financiers proposés et la rapidité de leur mise en place hors du contrôle des institutions de Bretton Woods ont, il est vrai, de quoi séduire. Effet additionnel - et primordial : tous les opérateurs chinois (ou presque) relevant de la sphère publique, ils n’hésitent pas à prendre sur des projets importants des risques financiers et sécuritaires que les multinationales refusent. En Afrique centrale, au Nigeria ou au Niger, il est ainsi des mises en valeur, notamment minières, que seuls les Chinois peuvent effectuer. « L’invasion » chinoise a également été globalement bien accueillie par les populations africaines : dans l’électronique, l’équipement et les produits courants, elle leur permet d’accéder à un nouveau type de consommation et d’améliorer leur pouvoir d’achat en exerçant une pression à la baisse sur les prix.
Soutenues par un réseau d’ambassades de plus en plus dense (voir p. 26) et profitant largement des prêts liés, les entreprises chinoises n’hésitent plus désormais à se positionner sur des marchés financés par d’autres bailleurs. De la Tanzanie au Sénégal, le comparatif des prix jouant puissamment en leur faveur, elles emportent ainsi des appels d’offres au nez et à la barbe des Européens dans tous les secteurs d’activité : BTP, télécoms, médicaments génériques, etc. (voir encadré ci-contre). Mieux, une partie de la distribution des produits chinois est effectuée par des sociétés de commerce françaises telle la CFAO ou par des expatriés français, lesquels participent ainsi directement à l’essor du marché du made in China. Résultat : environ 10 % des projets financés par l’aide française, désormais déliée, ont été attribués aux Chinois. Au grand dam de Paris, qui estime que Pékin abuse de sa position d’outsider, déroge aux règles de bonne conduite des bailleurs traditionnels et privilégie systématiquement « un cadre bilatéral et peu transparent favorisant la corruption »(1).
à suivre....
Liu Guijin se frotte les mains. Ce haut fonctionnaire chinois, comme tous ses collègues diplomates, sait que les prochains jeux Olympiques de Pékin seront pour son pays, sa place dans le monde et le développement vertigineux de son commerce une fantastique foire-exposition planétaire. Pourquoi dès lors polluer cette radieuse perspective par d’obscures considérations sur le soutien de la Chine à tel ou tel despote tropical ? Interrogé le 1er juillet à propos de Robert Mugabe, l’ambassadeur Liu Guijin, qui a le titre de « représentant du gouvernement chinois pour les affaires africaines », a donc répondu ceci : « Nous n’avons pas pour habitude de lier notre aide à des conditions politiques. Nous jugeons inutile d’attendre que tout soit parfait, y compris les droits de l’homme, pour faire des affaires. » En deux phrases, tout est dit ou presque du contexte dans lequel se noue depuis le début de ce millénaire l’interaction spectaculaire entre l’un des principaux bénéficiaires de la mondialisation et celui qui en est le continent oublié. Cette absence totale d’intérêt pour l’état local des libertés a toujours été, il est vrai, l’une des caractéristiques de la politique africaine de la Chine. Dans les années 1970 et 1980, Pékin soutenait à la fois des pays dits socialistes, des mouvements de libération et des dictatures pro-occidentales (Zaïre, Togo…) avec une absence totale d’états d’âme. À l’époque, France, États-Unis, URSS, Grande-Bretagne, tout le monde faisait de même. Mais alors que l’ex-camp impérialiste ne jure plus aujourd’hui que par le multilatéralisme, la bonne gouvernance, fût-elle cosmétique, et la conditionnalité de l’aide, la Chine, elle, continue son chemin en cavalier seul avec une recette éprouvée - celle du grand frère apôtre de la coopération Sud-Sud par essence solidaire - et des habits neufs : ceux du modèle de réussite qui fascina tant les chefs d’État réunis à Pékin en 2006 pour le premier sommet sino-africain.
Sont-ils vraiment partout ?
Pourquoi la Chine s’est-elle, au tournant du siècle, tout à coup intéressée à l’Afrique au point d’y réaliser aujourd’hui 10 % de ses investissements directs à l’étranger et d’y consacrer la moitié de son aide au développement ? Comme toujours à Pékin, cette décision a procédé d’une politique organisée et volontariste, répondant à des buts stratégiques précis. En l’espèce, il s’agissait : un, de marginaliser Taiwan, depuis longtemps implanté en Afrique ; deux, d’accéder aux ressources naturelles du continent ; trois, de faire du commerce. Sur tous ces points, une décennie plus tard, le succès est total. Seuls 4 pays africains sur 53 continuent à reconnaître Taiwan (voir encadré p. 24), et la Chine est désormais très réactive, au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, sur tous les dossiers du continent. Un quart des importations pétrolières, 20 % des minerais et les deux tiers du bois importé en Chine proviennent désormais d’Afrique. Enfin, Pékin est devenu en 2005 le premier fournisseur du continent et son troisième partenaire commercial après les États-Unis et la France. Le volume des échanges a quadruplé entre 2004 et 2007 (à 73,3 milliards de dollars) et devrait représenter 100 milliards de dollars en 2010. Une stratégie de pénétration tous azimuts, étroitement coordonnée avec la distribution de l’aide publique chinoise dont la moitié - soit environ 1,4 milliard de dollars - est orientée vers l’Afrique et liée, pour les trois quarts, à des projets dont les sociétés chinoises sont les principales, si ce n’est les uniques, bénéficiaires.
Ce grand bond vers l’Afrique, qui se traduit aujourd’hui par la présence de plus de six cents entreprises chinoises et d’une myriade de petits commerces, a été perçu comme une bénédiction par les dirigeants du continent. L’absence de conditionnalité politique, l’opposition systématique à toute forme d’ingérence de la communauté internationale - à commencer par les sanctions - ainsi que le volume, la panoplie des instruments financiers proposés et la rapidité de leur mise en place hors du contrôle des institutions de Bretton Woods ont, il est vrai, de quoi séduire. Effet additionnel - et primordial : tous les opérateurs chinois (ou presque) relevant de la sphère publique, ils n’hésitent pas à prendre sur des projets importants des risques financiers et sécuritaires que les multinationales refusent. En Afrique centrale, au Nigeria ou au Niger, il est ainsi des mises en valeur, notamment minières, que seuls les Chinois peuvent effectuer. « L’invasion » chinoise a également été globalement bien accueillie par les populations africaines : dans l’électronique, l’équipement et les produits courants, elle leur permet d’accéder à un nouveau type de consommation et d’améliorer leur pouvoir d’achat en exerçant une pression à la baisse sur les prix.
Soutenues par un réseau d’ambassades de plus en plus dense (voir p. 26) et profitant largement des prêts liés, les entreprises chinoises n’hésitent plus désormais à se positionner sur des marchés financés par d’autres bailleurs. De la Tanzanie au Sénégal, le comparatif des prix jouant puissamment en leur faveur, elles emportent ainsi des appels d’offres au nez et à la barbe des Européens dans tous les secteurs d’activité : BTP, télécoms, médicaments génériques, etc. (voir encadré ci-contre). Mieux, une partie de la distribution des produits chinois est effectuée par des sociétés de commerce françaises telle la CFAO ou par des expatriés français, lesquels participent ainsi directement à l’essor du marché du made in China. Résultat : environ 10 % des projets financés par l’aide française, désormais déliée, ont été attribués aux Chinois. Au grand dam de Paris, qui estime que Pékin abuse de sa position d’outsider, déroge aux règles de bonne conduite des bailleurs traditionnels et privilégie systématiquement « un cadre bilatéral et peu transparent favorisant la corruption »(1).
à suivre....
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