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Lumières d'étoiles d'André Brahic et Isabelle Grenier

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  • Lumières d'étoiles d'André Brahic et Isabelle Grenier

    Le Point : Vous appartenez au cercle assez fermé des astrophysiciens de stature internationale. Etes-vous tombé dans la science quand vous étiez petit ?

    André Brahic : Pas vraiment. J'ai surtout eu la chance, à 24ans, de rencontrer deux scientifiques extraordinaires, Evry Schatzman et Michel Hénon, qui m'ont communiqué leur passion. Mes ancêtres, en Ardèche, étaient paysans ou mineurs. Alors que ma grand-mère, fille aînée d'une famille nombreuse, avait beaucoup de mal à nourrir chaque jour toute la famille et que beaucoup de mes aïeux sont morts à 50ans de la silicose, je savoure chaque jour le bonheur inouï d'exercer un métier aussi passionnant. Mon seul regret est de devoir partir à la retraite à 69ans. A 70ans, je ne pourrai plus enseigner à l'université, mais rien ne m'interdira d'être président de la République ! Quelle absurdité d'avoir fixé le même âge pour tout le monde !

    Vous parlez de la science comme d'un moyen de connaître l'Univers, ce que prétendent faire philosophes et religieux. Croyez-vous à la supériorité de la démarche scientifique ?

    Comment voulez-vous comprendre le monde qui nous entoure sans vous plier à une foule d'observations, de tests et d'expériences ? La démarche scientifique est faite d'incessants allers et retours entre les observations et la théorie, un seul fait pouvant détruire une théorie, aussi belle soit-elle. Il n'y a pas de texte sacré en science !

    Visiblement, vous n'êtes guère porté sur la religion...

    Ne mélangeons pas les sujets. La métaphysique a la prétention d'expliquer pourquoi nous sommes sur Terre. Notre propos à nous, scientifiques, est le comment. Je sais comment les étoiles vivent et meurent, mais je ne peux pas vous dire pourquoi elles sont là. Et je n'ai pas envie de le faire. Pour moi, l'important est que les gens se posent des questions. J'essaie de convaincre mes étudiants que le doute, l'esprit critique et la tolérance sont essentiels.

    Sans doute, mais il vous arrive d'être péremptoire, par exemple sur l'astrologie, que vous tenez pour une fadaise.

    Croire que son avenir ou son caractère dépend de la position des planètes dans le ciel est une stupidité reconnue comme telle il y a maintenant quatre siècles. Pourquoi dépenser des sommes non négligeables pour former des étudiants et tolérer que des escrocs fassent fortune en vendant des âneries ?

    Depuis les années 80, les méthodes d'investigation de l'Univers se sont considérablement développées. Pourtant, votre livre s'achève sur un énorme point d'interrogation.

    Il y a un siècle, on ne savait pas pourquoi les étoiles brillaient, on ignorait l'existence des galaxies et la nature des planètes. Aujourd'hui, je peux vous décrire de façon relativement fiable ce qui s'est passé au cours des 13,7derniers milliards d'années ! Mais, au moment même où l'observation de toutes les lumières nous a révélé une multitude d'astres nouveaux et un Univers beaucoup plus vaste que prévu, nous réalisons que beaucoup reste à faire. Einstein a montré que l'énergie est une forme condensée de matière. Eh bien, 73 % de tout ce qui existe dans l'Univers est sous forme d'une énergie noire dont nous ignorons la nature, 23 % est sous forme de matière noire de type inconnu et que nous ne pouvons pas voir. Les 4 % restants sont composés d'atomes et de molécules comme vous et moi, ou cette chaise. Et, en mobilisant tous nos instruments, nous sommes capables de « voir » un dixième de cette matière, soit 0,4 % du tout ! C'est un peu comme si on écrivait un roman policier dont on sait qu'on ne connaîtra jamais la fin de son vivant. Mais l'enquête progresse...

    En quoi consiste votre travail, concrètement ?


    Il est extrêmement varié. Etudes théoriques à l'aide d'équations et d'ordinateurs, observations dans des observa-toires en altitude et analyse des données transmises par les sondes spatiales se succèdent. Par exemple, dans les années 70, mon modèle numérique des anneaux de Saturne a fait un peu progresser la compréhension de leur nature. Cette thèse m'a valu une certaine reconnaissance et un poste à l'université quand il y en avait très peu. Cela m'a aussi amené à la recherche spatiale. En effet, les Américains m'ont invité à participer à l'équipe d'imagerie de la sonde Voyager qui a visité Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune. Peut-être la plus belle aventure de ma vie : tel Christophe Colomb sur la proue de son navire, j'explorais des mondes nouveaux. Et la sonde a confirmé l'existence des anneaux de Neptune que j'avais découverts lors d'une observation. Actuellement, avec la sonde Cassini, cofinancée par les Américains et les Européens, nous tournons autour de Saturne et découvrons chaque jour des merveilles...

    Pourquoi l'Union astronomique internationale a-t-elle, en 2006, destitué Pluton de son statut de planète ?

    Il fallait se rendre à l'évidence. Ce n'est pas une planète ! Cela dit, nous n'avons pas destitué Pluton, nous lui avons donné une promotion. Jules César disait qu'il vaut mieux être le premier dans son village que le deuxième à Rome-je pense qu'il préférait être le premier à Rome. Au lieu de dépareiller comme neuvième membre dans la catégorie des planètes, Pluton est désormais la vedette d'une nouvelle catégorie, celle des « naines ». Nous avons préparé cette décision en petit comité à Paris, ville où il y a de la bonne astronomie... et de la bonne gastronomie.

    Reine des naines ? Quelle promotion, en effet ! Mais pourquoi n'est-ce pas une planète ?

    Tout simplement parce que sa masse ne lui permet pas d'avoir « fait le ménage » autour d'elle, comme les huit planètes du système solaire. Beaucoup d'autres astres croisent dans son voisinage. En 2003, un collègue américain avait trouvé, au-delà de Neptune, un objet plus gros que Pluton. Si Pluton était une planète, cet objet l'était aussi et on risquait de se retrouver avec plusieurs dizaines de planètes.

    Le découvreur d'une planète, d'une naine ou d'un objet, est-ce celui qui lui donne son nom ?


    Il y a pour cela des règles très précises. Le découvreur a évidemment un grand poids, mais il ne l'emporte pas toujours. J'ai dû vaincre des réticences américaines pour appeler «mes» anneaux «Liberté, Egalité, Fraternité».

    Vous êtes un scientifique joyeux, passionné. Cela dit, ce n'est pas simplement pour vous rendre heureux, vous et vos pairs, que les gouvernements déboursent des sommes... astronomiques. A quoi sert votre discipline ?

    Tout d'abord, c'est un élément essentiel de culture, au même titre que la peinture, la poésie, l'histoire ou la géographie. Comment pouvez-vous avoir une idée de la place de l'homme dans l'Univers sans connaître le ciel ? Il m'arrive de donner des conférences devant des jeunes issus de milieux défavorisés. Au bout de quelques minutes, je vois leurs yeux briller parce qu'ils réalisent qu'il existe autre chose que la violence, la religion ou la police. Par ailleurs, c'est un formidable moyen de mieux connaître la matière, et donc de mieux la maîtriser, car il existe dans l'Univers des conditions extrêmes non réalisables sur Terre. Les applications sont nombreuses, des logiciels des scanners à la chirurgie de l'oeil. Enfin, le financement de la recherche spatiale est un moyen de subventionner l'industrie d'un pays. La lutte contre la violence et le chômage, et la progression de la connaissance méritent bien quelques efforts, non ?

    Votre savoir sur l'Univers vous permet-il de conclure à la singularité de l'aventure humaine ?


    Il est trop tôt pour le dire. Dans mon enfance, on ignorait si les autres planètes étaient ou non habitées. Quand les sénateurs américains ont voté les crédits de la mission Viking dans les années 60, beaucoup étaient convaincus de l'existence des Martiens. Inutile de vous dire qu'on s'est bien gardé de les démentir! On peut aujourd'hui affirmer qu'il n'y a pas de vie macroscopique dans le système solaire. Peut-être y a-t-il de la vie microscopique ? Nous cherchons maintenant à savoir si une planète autour d'une autre étoile pourrait abriter la vie. Je peux vous faire part d'un sentiment partagé par de nombreux astronomes : il y a des milliers de milliards de galaxies qui comprennent chacune des milliers de milliards d'étoiles. Ce serait bien le diable si la vie telle que nous la connaissons ne s'était développée que dans une seule.

    « Lumières d'étoiles. Les couleurs de l'invisible », d'André Brahic et Isabelle Grenier (Odile Jacob)


    André Brahic

    1942 naissance à Paris

    1968 assistant à la faculté des sciences de Paris

    1974 propose le premier modèle numérique des anneaux de Saturne

    1976 docteur d'Etat en astrophysique

    1978 professeur à l'université Paris-VII

    1981 membre de l'équipe d'imagerie des sondes américaines Voyager qui survolent Saturne (entre autres)

    1984 découverte des anneaux de Neptune à l'Observatoire européen austral au Chili

    1989 confirmation de la découverte des anneaux de Neptune par la sonde Voyager 2

    1990 le nom « Brahic » est donné à un astéroïde

    1991-2012 membre français de l'équipe d'imagerie de la sonde Cassini

    1992 les arcs de Neptune sont baptisés Liberté, Egalité, Fraternité par l'Union astronomique internationale

    1999 « Enfants du Soleil. Histoire de nos origines » (Odile Jacob)

    2000 reçoit aux Etats-Unis le prix Carl-Sagan

    2004 arrivée de la sonde Cassini autour de Saturne

    2007 prix Jean-Perrin de la Société française de physique


    Par le Point
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