Interview.
Brahim Jalti : “L’armée est plus dure que la prison”
Condamné en 2002 à sept ans de prison, l’ancien sergent des FAR, Brahim Jalti, vient de recouvrer la liberté. À l’époque, il avait défrayé la chronique en prenant en otage ses supérieurs, afin d’attirer l’attention de Mohammed VI sur la corruption qui sévirait au sein de la Grande muette.
Que ressentez-vous maintenant que vous avez été libéré ?
À vrai dire, je suis partagé entre deux sentiments. La joie, parce que je viens de retrouver ma liberté, ma famille. Mais aussi la crainte de ne
pas pouvoir retrouver ma place dans la société. Après autant d’années en prison, il est toujours difficile de redémarrer une vie normale.
Comment avez-vous vécu vos sept années en prison ?
Il y a eu des hauts et des bas. Les premiers mois passés avec Jamal Zaïm (son complice, condamné à 8 ans de prison, ndlr) à Salé étaient plus ou moins supportables. Mais en réaction à des articles que nous avions publiés dans la presse, nous avons été séparés sans aucune explication. Il a été transféré à Fès, moi à Taza. C’est à partir de ce moment-là que mon calvaire a commencé. Alors que les organisations de défense des droits humains me considéraient comme un prisonnier politique, je me suis retrouvé dans une cellule de 36 m2 avec quarante détenus de droit commun. Nous dormions les uns sur les autres parmi les rats, les cafards… c’était invivable. Cela a duré un peu moins d’un an, jusqu’au jour où j’ai entamé une grève de la faim relayée par la presse nationale et internationale. On m’a alors installé dans une cellule individuelle et permis de poursuivre mes études de droit, que j’avais abandonné lorsque j’ai rejoint l’armée, en 1997.
Avec le recul, regrettez-vous votre geste ?
Pas du tout. Pourquoi devrais-je avoir des regrets ? Je n’ai rien à me reprocher. Lorsque j’ai décidé d’agir, je savais à quoi je m’exposais et j’étais prêt à en assumer les conséquences. Ce n’est pas aujourd’hui que je vais commencer à me dérober. C'est d’ailleurs pour cette raison que je n’ai jamais demandé de grâce royale.
Comment en êtes-vous arrivé à prendre en otage vos supérieurs ?
Nous étions, Jamal Zaïm et moi, consternés par la corruption qui sévissait au sein de l’armée. Il est inconcevable que des militaires, censés protéger le pays, se livrent à toutes sortes de trafics. Comment peut-on accepter que des centaines de soldats soient affectés durant toute leur carrière à des tâches agricoles dans des fermes appartenant à des généraux ? Nous souhaitions dénoncer cette situation. Nous avons alors écrit un livre et tourné une vidéo qui décrit cette réalité. Il ne restait plus qu’à les faire parvenir au roi, le chef suprême des armées. Nous avons pris des otages et lancé un ultimatum afin de pouvoir remettre les documents en question directement au roi.
Etait-ce le meilleur moyen d’y arriver ?
Avant de prendre cette décision, nous avons dressé une liste des options possibles. Nous avons pensé à profiter d’une visite royale pour remettre directement ces documents au roi, mais ce n’était pas évident à réaliser. Nous étions des soldats et nous n’avions pas suffisamment de temps libre pour guetter les allers et venues du roi. Nous aurions pu également les lui envoyer par courrier, mais il n'y avait aucune chance qu’ils arrivent jusqu’à lui. Nous avons finalement opté pour la prise d’otage car nous étions sûrs, vu l’importance de notre geste, qu’il serait mis au courant sur le champ.
Vous auriez pu également en faire part à la presse, comme l’avait fait avant vous le capitaine Mustapha Adib ?
En effet, nous y avons pensé. Mais la tournure qu’a prise cette affaire nous a très vite dissuadés. Sans oublier que nous souhaitions laver notre linge sale en famille.
Et si c’était à refaire…
Sans aucune hésitation, je referai la même chose.
Il paraît que vous avez une copie du film que vous comptiez remettre au roi…
Ce n’est pas vrai. Lorsque nous avons été arrêtés, un haut gradé, venu spécialement de Rabat, nous a servi de belles promesses. Nous l’avons cru et lui avons naïvement remis l’original de la vidéo. Mais il est revenu une deuxième fois pour nous dire que la cassette ne marchait pas. Nous lui avions alors donné la seule copie qui étais en notre possession. Il nous a bien eus.
Quels sont vos projets d’avenir ?
Pour le moment, je veux juste me reposer, revoir ma famille et mes amis. Je tiens aussi à finir mes études, je devrais normalement décrocher ma licence en droit cette année. Mais je continuerai à me battre pour que justice soit faite et que la vérité éclate. J’ai été injustement emprisonné pendant 7 longues années. Avec mes avocats, nous allons étudier tous les recours possibles, quitte à aller devant la justice internationale. Soyez assurés d’une chose : j’ai toujours les mêmes valeurs ancrées en moi. La prison ne m’a pas changé. L'armée est plus dure que la prison.
Est-il vrai que vous comptez écrire un livre ?
C’est encore prématuré d’en parler. Mais une biographie est envisageable.
Êtes-vous tenté par l’exil, comme le capitaine Adib ?
Tout est possible. Si demain toutes les portes me sont fermés, je serais évidemment contraint à quitter le Maroc. Mais j’espère ne pas en arriver là, j’ai toujours envie de vivre dans mon pays.
Et si on vous proposait de réintégrer l’armée ?
Il n’en est pas question. Pourquoi le ferais-je ? J’ai encore beaucoup d’amis au sein de l’armée qui me racontent leur quotidien. Leurs conditions de vie et de travail sont déplorables. D’ailleurs, ils sont de plus en plus nombreux à vouloir quitter les FAR. Et certains vont même jusqu’à déserter. J’en ai rencontré à la prison de Salé.
Pensez-vous que tout cela a servi à quelque chose ?
Malheureusement, non. L’opacité qui entoure l’armée est toujours la même. Certains militaires qui sont censés surveiller les frontières continuent de s’enrichir. Des hauts gradés gèrent toujours leurs carrières de sable, détournent le carburant et les denrées alimentaires destinés aux troupes… Tout cela sous le regard des partis, du Parlement et du gouvernement, qui font semblant de ne rien voir.
Que diriez-vous à Mohammed VI, si vous le rencontriez demain ?
Je ne pense pas que ça arrivera un jour. Mais si c’est le cas, je lui raconterai en détail tout ce que j’ai vu durant mon passage au sein de l’armée, ni plus ni moins.
Vous ne lui en voulez pas un peu ?
Pas du tout. Lorsque nous étions à la prison de Salé, on a rapporté les paroles de certains de ses proches, qui disaient que le roi était bel et bien au courant de notre affaire, mais qu’il ne pouvait pas intervenir en notre faveur. Cela aurait donné des idées à tous les militaires du pays et les casernes se soulèveraient les unes après les autres.
telquel
Brahim Jalti : “L’armée est plus dure que la prison”
(DR)
Condamné en 2002 à sept ans de prison, l’ancien sergent des FAR, Brahim Jalti, vient de recouvrer la liberté. À l’époque, il avait défrayé la chronique en prenant en otage ses supérieurs, afin d’attirer l’attention de Mohammed VI sur la corruption qui sévirait au sein de la Grande muette.
Que ressentez-vous maintenant que vous avez été libéré ?
À vrai dire, je suis partagé entre deux sentiments. La joie, parce que je viens de retrouver ma liberté, ma famille. Mais aussi la crainte de ne
pas pouvoir retrouver ma place dans la société. Après autant d’années en prison, il est toujours difficile de redémarrer une vie normale.
Comment avez-vous vécu vos sept années en prison ?
Il y a eu des hauts et des bas. Les premiers mois passés avec Jamal Zaïm (son complice, condamné à 8 ans de prison, ndlr) à Salé étaient plus ou moins supportables. Mais en réaction à des articles que nous avions publiés dans la presse, nous avons été séparés sans aucune explication. Il a été transféré à Fès, moi à Taza. C’est à partir de ce moment-là que mon calvaire a commencé. Alors que les organisations de défense des droits humains me considéraient comme un prisonnier politique, je me suis retrouvé dans une cellule de 36 m2 avec quarante détenus de droit commun. Nous dormions les uns sur les autres parmi les rats, les cafards… c’était invivable. Cela a duré un peu moins d’un an, jusqu’au jour où j’ai entamé une grève de la faim relayée par la presse nationale et internationale. On m’a alors installé dans une cellule individuelle et permis de poursuivre mes études de droit, que j’avais abandonné lorsque j’ai rejoint l’armée, en 1997.
Avec le recul, regrettez-vous votre geste ?
Pas du tout. Pourquoi devrais-je avoir des regrets ? Je n’ai rien à me reprocher. Lorsque j’ai décidé d’agir, je savais à quoi je m’exposais et j’étais prêt à en assumer les conséquences. Ce n’est pas aujourd’hui que je vais commencer à me dérober. C'est d’ailleurs pour cette raison que je n’ai jamais demandé de grâce royale.
Comment en êtes-vous arrivé à prendre en otage vos supérieurs ?
Nous étions, Jamal Zaïm et moi, consternés par la corruption qui sévissait au sein de l’armée. Il est inconcevable que des militaires, censés protéger le pays, se livrent à toutes sortes de trafics. Comment peut-on accepter que des centaines de soldats soient affectés durant toute leur carrière à des tâches agricoles dans des fermes appartenant à des généraux ? Nous souhaitions dénoncer cette situation. Nous avons alors écrit un livre et tourné une vidéo qui décrit cette réalité. Il ne restait plus qu’à les faire parvenir au roi, le chef suprême des armées. Nous avons pris des otages et lancé un ultimatum afin de pouvoir remettre les documents en question directement au roi.
Etait-ce le meilleur moyen d’y arriver ?
Avant de prendre cette décision, nous avons dressé une liste des options possibles. Nous avons pensé à profiter d’une visite royale pour remettre directement ces documents au roi, mais ce n’était pas évident à réaliser. Nous étions des soldats et nous n’avions pas suffisamment de temps libre pour guetter les allers et venues du roi. Nous aurions pu également les lui envoyer par courrier, mais il n'y avait aucune chance qu’ils arrivent jusqu’à lui. Nous avons finalement opté pour la prise d’otage car nous étions sûrs, vu l’importance de notre geste, qu’il serait mis au courant sur le champ.
Vous auriez pu également en faire part à la presse, comme l’avait fait avant vous le capitaine Mustapha Adib ?
En effet, nous y avons pensé. Mais la tournure qu’a prise cette affaire nous a très vite dissuadés. Sans oublier que nous souhaitions laver notre linge sale en famille.
Et si c’était à refaire…
Sans aucune hésitation, je referai la même chose.
Il paraît que vous avez une copie du film que vous comptiez remettre au roi…
Ce n’est pas vrai. Lorsque nous avons été arrêtés, un haut gradé, venu spécialement de Rabat, nous a servi de belles promesses. Nous l’avons cru et lui avons naïvement remis l’original de la vidéo. Mais il est revenu une deuxième fois pour nous dire que la cassette ne marchait pas. Nous lui avions alors donné la seule copie qui étais en notre possession. Il nous a bien eus.
Quels sont vos projets d’avenir ?
Pour le moment, je veux juste me reposer, revoir ma famille et mes amis. Je tiens aussi à finir mes études, je devrais normalement décrocher ma licence en droit cette année. Mais je continuerai à me battre pour que justice soit faite et que la vérité éclate. J’ai été injustement emprisonné pendant 7 longues années. Avec mes avocats, nous allons étudier tous les recours possibles, quitte à aller devant la justice internationale. Soyez assurés d’une chose : j’ai toujours les mêmes valeurs ancrées en moi. La prison ne m’a pas changé. L'armée est plus dure que la prison.
Est-il vrai que vous comptez écrire un livre ?
C’est encore prématuré d’en parler. Mais une biographie est envisageable.
Êtes-vous tenté par l’exil, comme le capitaine Adib ?
Tout est possible. Si demain toutes les portes me sont fermés, je serais évidemment contraint à quitter le Maroc. Mais j’espère ne pas en arriver là, j’ai toujours envie de vivre dans mon pays.
Et si on vous proposait de réintégrer l’armée ?
Il n’en est pas question. Pourquoi le ferais-je ? J’ai encore beaucoup d’amis au sein de l’armée qui me racontent leur quotidien. Leurs conditions de vie et de travail sont déplorables. D’ailleurs, ils sont de plus en plus nombreux à vouloir quitter les FAR. Et certains vont même jusqu’à déserter. J’en ai rencontré à la prison de Salé.
Pensez-vous que tout cela a servi à quelque chose ?
Malheureusement, non. L’opacité qui entoure l’armée est toujours la même. Certains militaires qui sont censés surveiller les frontières continuent de s’enrichir. Des hauts gradés gèrent toujours leurs carrières de sable, détournent le carburant et les denrées alimentaires destinés aux troupes… Tout cela sous le regard des partis, du Parlement et du gouvernement, qui font semblant de ne rien voir.
Que diriez-vous à Mohammed VI, si vous le rencontriez demain ?
Je ne pense pas que ça arrivera un jour. Mais si c’est le cas, je lui raconterai en détail tout ce que j’ai vu durant mon passage au sein de l’armée, ni plus ni moins.
Vous ne lui en voulez pas un peu ?
Pas du tout. Lorsque nous étions à la prison de Salé, on a rapporté les paroles de certains de ses proches, qui disaient que le roi était bel et bien au courant de notre affaire, mais qu’il ne pouvait pas intervenir en notre faveur. Cela aurait donné des idées à tous les militaires du pays et les casernes se soulèveraient les unes après les autres.
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