Hamida Ben Sadia est l’auteure d’Itinéraire d’une femme française : Clamart, Bab El-Oued, Epinay-sur-Seine (1), dans lequel elle raconte son mariage forcé en Algérie.
Dans quelles conditions avez-vous été mariée de force ?
Je suis née et j’ai grandi en France. Et, à 16 ans, je me suis retrouvée mariée - sans mon consentement -, lors d’un voyage en Algérie. Pendant treize ans, j’ai été enfermée là-bas dans des conditions de vie assez difficiles d’un point de vue domestique et culturel. J’étais une femme française dans un pays que je ne connaissais pas, avec des traditions culturelles que je ne connaissais pas. Ça a été extrêmement violent.
Dans votre ouvrage, vous n’accablez pas vos parents, pourquoi ?
Quand je suis revenue d’Algérie sans mes enfants, que je me suis retrouvée clandestine en France, que ma vie paraissait être un échec total, j’ai eu des pulsions de haine à leur égard, mais, au fur et à mesure, avec l’obtention de papiers, d’un salaire, d’un appartement, j’ai essayé de comprendre ce qui s’était passé. D’autant que, des emplois successifs m’amenant à travailler avec des familles maghrébines, je rencontrais des filles qui vivaient les mêmes choses que moi. Je n’étais pas, a priori, destinée à une vie de femme recluse. Mes parents étaient désireux de tout faire pour permettre à leurs enfants d’accéder au savoir. Avec mon père, on était très complices. Un jour, je devais avoir 7 ans, on regardait les manifs de mai 1968 à la télé et mon père m’a dit : «Quand tu seras grande, tu iras manifester pour défendre tes droits.» Quand je suis revenue d’Algérie, il a tiré les leçons de son erreur. Il disait aux autres : «Ne faites pas la connerie que j’ai faite.» A lui tout seul, il a réussi à empêcher quatre ou cinq mariages forcés ! C’est ma mère qui a organisé ce mariage. C’est elle qui voulait absolument nouer des liens avec sa famille en Algérie. Je la considérais à l’époque comme une femme soumise, mais elle n’était pas si soumise que ça ! C’était une paysanne, elle ne savait ni lire ni écrire, mais elle a travaillé en cachette de son mari pendant des années.
Vos parents ont-ils pu se sentir obligés de «sacrifier» une de leurs trois filles ?
C’est possible. Ma sœur aînée a fait l’objet d’un mariage arrangé plus que forcé. Elle a épousé un jeune homme d’origine kabyle qui lui a été présenté. C’est un superbe couple. Ils ont eu cinq enfants, sont huit fois grands-parents. Moi, je suis la première née en France. Le défi pour mes parents était de prouver qu’ils avaient maintenu la tradition, qu’ils n’avaient pas trahi leur pays, qu’ils n’avaient pas mal élevé leurs filles. Peut-être que je donnais aussi l’impression de tâtonner dans la vie, de ne pas savoir où j’allais. Ma petite sœur, elle, n’a jamais eu ce problème. Elle est partie à 18 ans, s’est mariée à un comédien [français «de souche» et non-musulman, ndlr] dont elle a eu trois filles. Et non seulement elle a fait ce qu’elle a voulu, mais son mari a été parfaitement accepté par ma famille ! Elle a gagné son autonomie sans confrontation.
Y a-t-il encore des mariages forcés aujourd’hui en France ?
Il y a un chiffre de 70 000 mariages forcés qui circule, mais on est dans le délire car cela voudrait dire qu’une fille issue de l’immigration sur deux est mariée de force. Cela étant, il y a sans doute des mariages arrangés. Mais j’ai le sentiment que c’est une situation que l’on rencontre surtout chez les familles en difficulté sociale. Celles qui ont des moyens financiers, qui connaissent une certaine réussite, agissent autrement pour protéger leur fille des aléas de la vie.
Que faire pour aider les jeunes filles à y résister ?
Sûrement pas séparer les enfants des parents. Je crois qu’il faut donner aux filles les moyens de leur émancipation, en leur permettant d’accéder au savoir et en leur octroyant les moyens financiers de prendre leur liberté. Les filles de condition modeste devraient pouvoir accéder de manière prioritaire au logement social. Aujourd’hui, 80 % des emplois précaires sont occupés par des femmes. Il faudrait compléter les salaires ridicules qu’elles touchent par des aides. Mais je suis inquiète, car la misère grandit, les archaïsmes aussi.
Les jeunes femmes résistent-elles mieux aux pressions aujourd’hui qu’hier ?
J’ai le sentiment que le système patriarcal se régénère. De plus en plus de femmes se mettent à nouveau sous la protection des hommes pour s’en sortir. J’ai rencontré des jeunes filles paraissant émancipées, très mode, ayant des copains, et dont le seul projet de vie est le mariage à tout prix. A leurs yeux, c’est le mariage, et pas le boulot, qui va leur donner un statut social.
(1) Bourin éditeur, mai 2008.
source : Libération
Dans quelles conditions avez-vous été mariée de force ?
Je suis née et j’ai grandi en France. Et, à 16 ans, je me suis retrouvée mariée - sans mon consentement -, lors d’un voyage en Algérie. Pendant treize ans, j’ai été enfermée là-bas dans des conditions de vie assez difficiles d’un point de vue domestique et culturel. J’étais une femme française dans un pays que je ne connaissais pas, avec des traditions culturelles que je ne connaissais pas. Ça a été extrêmement violent.
Dans votre ouvrage, vous n’accablez pas vos parents, pourquoi ?
Quand je suis revenue d’Algérie sans mes enfants, que je me suis retrouvée clandestine en France, que ma vie paraissait être un échec total, j’ai eu des pulsions de haine à leur égard, mais, au fur et à mesure, avec l’obtention de papiers, d’un salaire, d’un appartement, j’ai essayé de comprendre ce qui s’était passé. D’autant que, des emplois successifs m’amenant à travailler avec des familles maghrébines, je rencontrais des filles qui vivaient les mêmes choses que moi. Je n’étais pas, a priori, destinée à une vie de femme recluse. Mes parents étaient désireux de tout faire pour permettre à leurs enfants d’accéder au savoir. Avec mon père, on était très complices. Un jour, je devais avoir 7 ans, on regardait les manifs de mai 1968 à la télé et mon père m’a dit : «Quand tu seras grande, tu iras manifester pour défendre tes droits.» Quand je suis revenue d’Algérie, il a tiré les leçons de son erreur. Il disait aux autres : «Ne faites pas la connerie que j’ai faite.» A lui tout seul, il a réussi à empêcher quatre ou cinq mariages forcés ! C’est ma mère qui a organisé ce mariage. C’est elle qui voulait absolument nouer des liens avec sa famille en Algérie. Je la considérais à l’époque comme une femme soumise, mais elle n’était pas si soumise que ça ! C’était une paysanne, elle ne savait ni lire ni écrire, mais elle a travaillé en cachette de son mari pendant des années.
Vos parents ont-ils pu se sentir obligés de «sacrifier» une de leurs trois filles ?
C’est possible. Ma sœur aînée a fait l’objet d’un mariage arrangé plus que forcé. Elle a épousé un jeune homme d’origine kabyle qui lui a été présenté. C’est un superbe couple. Ils ont eu cinq enfants, sont huit fois grands-parents. Moi, je suis la première née en France. Le défi pour mes parents était de prouver qu’ils avaient maintenu la tradition, qu’ils n’avaient pas trahi leur pays, qu’ils n’avaient pas mal élevé leurs filles. Peut-être que je donnais aussi l’impression de tâtonner dans la vie, de ne pas savoir où j’allais. Ma petite sœur, elle, n’a jamais eu ce problème. Elle est partie à 18 ans, s’est mariée à un comédien [français «de souche» et non-musulman, ndlr] dont elle a eu trois filles. Et non seulement elle a fait ce qu’elle a voulu, mais son mari a été parfaitement accepté par ma famille ! Elle a gagné son autonomie sans confrontation.
Y a-t-il encore des mariages forcés aujourd’hui en France ?
Il y a un chiffre de 70 000 mariages forcés qui circule, mais on est dans le délire car cela voudrait dire qu’une fille issue de l’immigration sur deux est mariée de force. Cela étant, il y a sans doute des mariages arrangés. Mais j’ai le sentiment que c’est une situation que l’on rencontre surtout chez les familles en difficulté sociale. Celles qui ont des moyens financiers, qui connaissent une certaine réussite, agissent autrement pour protéger leur fille des aléas de la vie.
Que faire pour aider les jeunes filles à y résister ?
Sûrement pas séparer les enfants des parents. Je crois qu’il faut donner aux filles les moyens de leur émancipation, en leur permettant d’accéder au savoir et en leur octroyant les moyens financiers de prendre leur liberté. Les filles de condition modeste devraient pouvoir accéder de manière prioritaire au logement social. Aujourd’hui, 80 % des emplois précaires sont occupés par des femmes. Il faudrait compléter les salaires ridicules qu’elles touchent par des aides. Mais je suis inquiète, car la misère grandit, les archaïsmes aussi.
Les jeunes femmes résistent-elles mieux aux pressions aujourd’hui qu’hier ?
J’ai le sentiment que le système patriarcal se régénère. De plus en plus de femmes se mettent à nouveau sous la protection des hommes pour s’en sortir. J’ai rencontré des jeunes filles paraissant émancipées, très mode, ayant des copains, et dont le seul projet de vie est le mariage à tout prix. A leurs yeux, c’est le mariage, et pas le boulot, qui va leur donner un statut social.
(1) Bourin éditeur, mai 2008.
source : Libération
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