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    Peut-on lutter contre la faim par la faim ?
    par Kamel Daoud

    Faire une grève de la faim en Algérie, c'est comme tirer sur une corde coupée en croyant que c'est ce qui vous lie au reste de l'humanité de votre pays. En conclusion, et les grévistes nationaux le savent bien, cela suffit à peine à fabriquer un feu de veille. Pourquoi ? Pourquoi par exemple dans le cas des grévistes de la faim des enseignants contractuels, la grève ressemble plus à un repas sauté qu'à une interpellation de la conscience des spectateurs et à une mise en accusation, pour défaut d'humanité, de l'Etat alimentaire ? Différentes raisons : d'abord une grève de la faim dans une RADP qui sort d'une guerre, ne peut mener qu'à la mort du gréviste et pas à prouver que les autres Algériens en sont coupables.
    Le peuple est nucléaire et il lui faut un colon pour le souder à lui-même ou à sa volonté fondamentale et pas une interpellation sur le mode de la morale manquante. Sans cela, le cloisonnement induit par la paresse dispense tout le monde d'assumer le reste du monde. C'est pourquoi, aujourd'hui, des Algériens peuvent recourir à la grève de la faim sans menacer ni l'ordre, ni la conscience de leurs voisins de palier, ni l'Etat.
    Ce dernier, profitant d'une métaphysique de la fatalité et d'une religiosité bâtie sur le destin et le compte à rebours, n'est jamais accusé d'être responsable de la mort de l'un de ses sujets. Si un Algérien meure d'une grève de la faim cela veut dire qu'il n'a pas mangé depuis longtemps et que son heure est arrivée.
    Le sens politique de son acte est corrompue par le vide : c'est un spectacle et pas un drame. On y voit une manoeuvre syndicalo-politique, et on réagit contre dans ce sens là. Pour qu'une grève de la faim soit une arme, il faut qu'elle soit une menace et une accusation. Et pour cela, elle doit être menée dans une communauté et pas dans une cage d'escalier de l'immeuble des classes sociales dormantes. Il faut que la mort qu'elle peut supposer soit vue comme un crime d'indifférence et il faut que son désespoir interpelle au-delà des chapelles et des explications par les sigles. Dans un pays vidé, percé par l'appel de la mer au nord, celui du vide au sud et où l'humanisme manque d'une élite porteuse et d'une histoire alternative à celle des armes ou des répressions, vous pouvez vous affamer et votre grève de la faim ne peut pas aller au-delà du sens du repas manqué volontairement.
    A la fin, des enseignants grévistes de la faim, dénonçant leur usage « d'enseignants jetables », n'implique personne, ne concerne personne et n'engage personne d'autres que les grévistes. C'est une arme avec des balles à blancs dans un pays qui se nourrit de la chasse au javelot. La conclusion intime des Algériens, selon leur culture guerrière, est qu'on change l'histoire par la force, pas par la conscience. Un Gandhi algérien aurait fini aux UMC, maire récupéré, herbivore ou simplement en gerbes de fleurs. Pourquoi ? Parce que l'idée la plus profonde de l'Algérien est que la France a été chassée par les armes et pas par les grèves, celle de la faim encore moins. Parce que, aussi, l'ensemble des lots de terrain algériens ne donne pas un pays comme l'ensemble de ses habitants ne fait pas le total d'un peuple.
    Il faut dans les deux cas de la conscience : ce qui fait de la terre une patrie et de la faim, un procès.
    Quotidien d'Oran
    Mieux vaut un cauchemar qui finit qu’un rêve inaccessible qui ne finit pas…
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