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L'écrivain public de Tizi-Ouzou et d'ailleurs

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  • L'écrivain public de Tizi-Ouzou et d'ailleurs

    «C’est lui qui est derrière les richesses de mes enfants, aujourd’hui» affirme avec beaucoup de conviction une vieille dame qui vient rendre visite au siège de la mairie de Boudjima où Mamouh tient boutique. Mamouh, vous ne le connaissez pas? C’est l’écrivain public, tout le monde le connaît ici. A Boudjima, la population n’oubliera pas de sitôt l’illustre Mamouh. Les vieilles personnes parlent encore de lui comme de l’homme providence. Ce vieil écrivain public qui n’exerce plus maintenant à cause des problèmes de vue, a rédigé des lettres pour toutes les vieilles dames dont les maris ont travaillé en France. Pour voir arriver toutes ces retraites d’outre-mer, qui font vivre quasiment toute la région, il a fallu passer par le vieux stylo à bille de Mamouh.

    Cependant, l’évolution de ce métier dans notre pays, est similaire à celle connue en France jusqu’à un certain point. Si, en Algérie, l’écrivain public est étroitement lié à l’analphabétisme, il n’en est pas de même ailleurs. La différence peut, cependant, être décryptée en matière de besoins. Le recours à l’écrivain public dans notre société obéit généralement à une incapacité caractérisée d’écrire ou de lire soi-même. «Nous sommes analphabètes et nous avons souffert pour donner de l’instruction à nos enfants, mais malheureusement, ils n’arrivent pas à nous libérer de l’écrivain public», nous a déclaré un vieil homme qui attendait son tour devant la table de Abdelkrim, un écrivain public à Tizi Ozou.

    En France, par contre, le recours à l’écrivain public obéit à un besoin différent. Le temps de travail qui s’allonge temporellement contraint même les cadres à recourir aux services de l’écrivain public. En 1980, en France, l’Académie des écrivains publics de France (Aepf) a été créée dans l’objectif d’organiser ce métier. A l’université de la Sorbonne-Paris, les étudiants pouvaient même s’inscrire pour une licence professionnelle d’écrivain public. Après avoir recensé quelque 400 écrivains publics en 2002, il a été créé, en 2007, un Syndicat national des prestataires et conseils en écriture (Snpce). Cela implique aussi, le fait, que même en France le recours à ces professionnels obéit, jusqu’à un certain degré, à la baisse des facultés d’écriture des tranches scolarisées.

    Le développement des technologies de l’informatique a aidé également ce métier à refaire surface. Les liens avec les structures administratives deviennent de plus en plus complexes et diversifiés. La différence donc de ce besoin à l’écrivain public, obéit, de son côté, à la nature de ses services. C’est pourquoi, il devient évident que dans notre pays qui compte quelque 26,2% d’analphabètes, le recours à ce service s’avère plus impérieux que celui des sociétés européennes. Ces sept millions de gens qui ne sont pas aptes à lire et à écrire, ne sont vraisemblablement pas les seuls à recourir à l’écrivain. II semblerait, comme le signalent les propos du vieil homme, que nous avons cité plus haut, que le système éducatif et les différents programmes d’alphabétisation lancés ne sont pas en mesure d’offrir un enseignement capable d’offrir des facultés d’écrire ce que l’on a envie. Mais nous préférons vérifier ces besoins des Algériens sur le terrain. Ils sont très nombreux et ils se divisent en deux catégories. Nous avons dénombré, rien que dans la ville de Tizi Ouzou, une centaine.

    L’écriture pour survivre

    Toutefois, cet exercice a un prix, pour certains, une autre forme que celle, traditionnelle bien connue de tous. Tandis que les écrivains publics traditionnels ont élu domicile sous les arbres ombrageux de l’ancienne poste des télécommunications, l’actuel siège de l’Actel, d’autres ont loué des bureaux prenant la forme de boîtes informatiques. Sur les lieux, le trafic est dense. Disposant de vieilles tables d’écoles, les écrivains publics ne sont pas à la portée de vue du passant, car entourés d’une foule nombreuse. C’est un véritable marché qui se tient tous les jours à l’exception des jours pluvieux. Cependant, d’autres ont élu place devant les bâtiments des services publics comme les banques et les caisses d’assurances. Nous avons cherché à connaître les différents documents administratifs qu’ils rédigent à des prix abordables. Les réponses sont étonnantes car elles appellent des conclusions qui remettent gravement en cause la qualité de l’enseignement prodigué dans l’école algérienne. «Nous rédigeons tous les documents administratifs et bien d’autres comme les demandes d’emploi, les CV et bien sûr les demandes de retraites de réversion», nous dira Abdelkrim A. Un peu plus loin, à l’ombre d’un mûrier, Karim S., un jeune écrivain public nous dira, spontanément qu’il est même sollicité par des avocats et des universitaires.

    En essayant d’interpréter ces dires, nous avons cherché à connaître les raisons qui poussent cette classe de lettrés. L’obligation d’utiliser l’imprimante au lieu de la main n’est pas une échappatoire, car ces écrivains sont encore à la dactylographie. «Il y a beaucoup de boîtes informatiques, mais les agents de saisie font beaucoup de fautes», nous rétorque un autre écrivain qui assure qu’il n’a qu’un petit niveau d’instruction. II ajoutera cependant: «Mais, l’école d’alors était meilleure, je défie les bacheliers d’aujourd’hui dans tout ce qui concerne la langue de Molière». Abdelkrim A., qui tient souvent place au boulevard Chaffaï, près la Casnos, affirme qu’il rédige des lettres en direction des caisses d’assurances françaises car il connaît bien les lois et les décrets. Toutefois, s’il choisit ce lieu, c’est bien parce qu’il fait autre chose. «Je suis aussi sollicité pour des lettres de recours au niveau de la Casnos et de la Cnasat», ajouta-t-il.

    Ni secrétaire ni sociologue

    «Je suis ici pour écrire une demande, Je n’ai pas honte de vous dire que j’ai le niveau terminal. Vous savez, je suis allé la faire dans une boîte informatique mais on me l’a refusée car elle était pleine de fautes d’orthographe et de grammaire et si vous voulez savoir qui l’a écrite, c’est une licenciée en sciences économiques», affirma d’un ton irrité, un jeune d’une trentaine d’années. Sa colère ne s’étant pas encore calmée qu’il enclenche: «Dites aux professeurs qu’ils ne nous ont rien appris.» Figés là, nous nous sommes rendus compte que ce que disaient ces écrivains publics était vrai. Toutes les catégories venaient dans ce lieu très connu. Un vieil homme s’approcha de nous, visiblement intéressé. «Ecrivez dans votre journal que les enfants de mes enfants sont des bacheliers mais ils ne peuvent même pas remplir un certificat de vie», nous dira-t-il sur un ton plein de regrets. Nous y avons rencontré toutes les catégories. Il y a des filles, des personnes âgées, des étudiants, des stagiaires et même des avocats. Cependant, avant de partir, les écrivains publics nous ont confié qu’ils désiraient s’organiser en association pour réclamer, des autorités, un lieu de travail décent. «Nous rendons un grand service à la population, nous méritons tout de même des petits bureaux pour pouvoir donner des rendez-vous sans nous démentir. Il y va de notre crédibilité». C’est sur ces paroles que termina Abdelkrim A. Ainsi, après un demi-siècle, l’écrivain public reste toujours le secouriste indispensable, non seulement, à ces millions d’analphabètes mais à toutes les classes de lettrés. Sauf pour les cas de nécessité, ne convient-il pas de prendre cette situation générale comme un véritable indicateur de l’état de santé de l’école algérienne. Beaucoup de grandes figures littéraires ont eu à exercer ce métier comme c’était le cas de Kateb Yacine durant les années 40. Mais en ces temps-là, le privilège d’écrire et de lire était réservé à une classe infiniment minoritaire d’Algériens. Des années après l’Indépendance, l’école était ouverte à tous les Algériens et le taux d’analphabétisme s’est considérablement réduit. Mais fait bizarre, malgré cette alphabétisation, le métier d’écrivain public n’a pas pour autant disparu. Bien au contraire, le recours à ces spécialistes des missives à été massif. L’écrivain public existe depuis la nuit des temps. L’oralité dans laquelle était restée, pendant des siècles, la Kabylie a éloigné les populations de tout désir de faire appel au service des scribes. Ce besoin est né avec l’organisation d’une administration napoléonienne coloniale de type napoléonienne.

    Au sens universel du terme, l’écrivain public existait depuis les scribes égyptiens jusqu’aux clercs du Moyen-Age. Vers le XVIIe siècle, en Europe, l’écrivain public étend son domaine à la classe aisée pour des rédactions juridiques et des biographies. Le XXe siècle fut un temps où le métier a failli disparaître. La généralisation de l’école a fait que les populations n’ont plus besoin d’intermédiaire pour rédiger des documents de la vie courante. Mais, ces dernières années, partout à travers le monde, il laisse entrevoir que le métier prend de l’élan. Ainsi, l’intervention de l’écrivain public se révèle indispensable dans la société kabyle d’avant et d’après l’Indépendance.

    Par l'Expression
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