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L’Algérie depuis 1962 : retour sur une histoire contrastée

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  • L’Algérie depuis 1962 : retour sur une histoire contrastée

    Bonjour.

    L'article qui va suivre est fort intéressant, il est long très riche, une rétrospective sur l'histoire d'un pays, notre pays, avec toutes ses contradictions, ses vérités, ses paradoxes et dans toute sa complexité.

    C'est en partie ma réponse à ceux qui pensent que le peuple algérien n'existe pas, qu'il n'est pas éduqué, pour comprendre un tel négativisme il suffit de lire sa propre histoire.

    Bonne lecture.

    ----------------------

    Amine Ait-Chaalal Professeur, codirecteur du Centre d’études des crises et des conflits internationaux (CECRI), Université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve).

    Depuis le recouvrement de sa souveraineté, le 5 juillet 1962, l’Algérie est un protagoniste significatif de la scène internationale. Son indépendance fut un moment marquant du vaste mouvement de la décolonisation, et pendant plusieurs années l’Algérie fut considérée comme un pays en développement influent. Cette influence s’est manifestée jusque dans les années 1980. Cependant, la décennie 1980 marque le début d’une phase d’amoindrissement de sa capacité d’action internationale. Cet effacement est en partie la conséquence de troubles internes et de l’affaiblissement de la dynamique tiers-mondiste. À partir de 1988, le pays est confronté à la mise en œuvre d’un processus chaotique de démocratisation, à la suspension du processus législatif en janvier 1992 – accompagnée de la démission du président Chadli Bendjedid –, à l’assassinat du chef d’État suivant, Mohamed Boudiaf, en juin 1992, et au déclenchement d’affrontements sanglants entre le pouvoir et une nébuleuse de groupes armés. Cette dégradation de la situation politique s’accompagne d’un phénomène similaire au niveau socio-économique.

    Une évolution socio-économique préoccupante. [1]



    Depuis 1962, l’Algérie a connu sept chefs d’État (aux statuts juridiques divers) : Ahmed Ben Bella (1962-1965), Houari Boumediène (1965-1978), C. Bendjedid (1979-1992), M. Boudiaf (1992), Ali Kafi (1992-1994), Liamine Zeroual (1994-1999) et Abdelaziz Bouteflika (depuis 1999). Sur le plan socio-économique, l’Algérie est un pays en pleine mutation. Sa population, passée de 13,7 millions d’habitants en 1970 à 30,8 millions en 2000, connaît ainsi des évolutions notables. Or cette croissance démographique continue pose de nombreux défis tels la santé et l’hygiène, l’éducation et la formation, l’emploi, le logement et les structures sociales. Au lendemain de son indépendance, l’Algérie est un pays profondément marqué par le traumatisme de la guerre et ses nombreuses séquelles. L’idéologie à orientation socialiste des nouveaux dirigeants est empreinte d’une volonté de manifester une prise en considération des sacrifices accomplis par une population très durement éprouvée, d’où l’importance du soutien officiel à la mobilité sociale et à la promotion des classes traditionnellement défavorisées. L’origine sociale d’une partie du leadership algérien au lendemain de l’indépendance explique partiellement cette tendance [2].


    Ces orientations se traduisent notamment dans le domaine de l’éducation. Ainsi, le taux de scolarisation connaît un accroissement substantiel tant dans le primaire que dans le secondaire et le supérieur. En effet, le taux de scolarisation passe, pour les 12-17 ans, de 30,8 % en 1972, à 59,3 % en 1992 ; et pour ce qui est du 3e degré, le taux augmente, pour les mêmes années, de 1,7 % à 11,8 %. Ainsi, l’analphabétisme recule de 75 % en 1970 à 39,4 % en 1992.

    Des efforts substantiels sont également accomplis en matière sanitaire et médicale, que ce soit au niveau de la vaccination des enfants, de l’accès aux soins ou de la prise en charge par l’État de certaines opérations spécifiques à l’étranger. Ainsi, l’espérance de vie s’accroît de 52,4 ans en 1970 à 68,9 ans pour la période 1995-2000. Pour les mêmes années, le taux de mortalité infantile chute de 139,2 ‰ à 45 ‰ ; et le nombre de médecins pour 1 000 habitants passe de 0,13 en 1970 à 0,9 en 1990.

    L’intensité et l’importance de ces efforts ont néanmoins leur revers. Au niveau de l’éducation primaire et secondaire, la massification de l’enseignement ne s’est pas accompagnée de résultats probants en ce qui concerne la qualité des enseignements dispensés. De plus, les déperditions scolaires sont particulièrement significatives et laissent de nombreux jeunes, qui constituent la majorité de la population, sur le bord de la route, sans formation ni diplôme, exclus du marché du travail et de ses réseaux classiques. Ainsi, le taux de chômage est estimé à plus de 26 % de la population active. La plupart du temps, la seule issue possible se trouve dans le secteur informel et ses ramifications opaques.

    En termes de logement, d’infrastructures culturelles et d’installations hydrauliques, de sérieux manques se font sentir et cela de manière croissante, atteignant parfois des situations catastrophiques. Ces éléments ébranlent progressivement la structure sociale et portent atteinte à sa stabilité. Les années 1980 font apparaître de manière criante ces graves déficiences. L’urbanisation, souvent sauvage et désordonnée, l’abandon des zones agricoles pour le « miroir aux alouettes » des concentrations urbaines, la déstructuration du monde paysan par une réforme agraire de type collectiviste dans les années 1970 et l’absence d’une réelle politique de planning familial conduisent à une augmentation de la densité urbaine dans des villes qui n’y étaient pas préparées, menant à des situations ingérables et explosives.

    En découlent une exaspération socio-économique considérable, un manque de perspectives pour une jeunesse délaissée et le discrédit d’un pouvoir usé. Les émeutes d’octobre 1988 sont une première traduction particulièrement tragique de ces graves défaillances, tout comme le sont les événements qui se déroulent depuis le début des années 1990.

    Sur le plan économique, il est possible de distinguer une phase de croissance suivie d’une phase de récession puis de crise. Le produit intérieur brut (PIB) par habitant augmente de 360 dollars à 1 940 dollars, entre 1970 et 1980, puis baisse à 1 839 dollars en 1991, et à 1 550 dollars en 1998. Par ailleurs, la dette passe de 0,9 milliard de dollars en 1970 à 19,4 milliards de dollars en 1980, puis à 26,3 milliards de dollars en 1991 et à 30,6 milliards de dollars en 1998. Mais l’élément d’évaluation plus significatif que constitue le taux du service de la dette par rapport aux exportations augmente, pour sa part, de 27,2 % en 1980 à 71,2 % en 1991, puis passe à 32,3 % en 1998. Ainsi, la dégradation est nette durant les années 1980.

    La structure des exportations et des importations est aussi révélatrice d’une évolution préoccupante. Pour ce qui est des exportations, en quelques années les hydrocarbures ont vu leur part augmenter, passant de 70,5 % des exportations en 1970 à 95,5 % en 1991, avec tous les risques que comporte une telle concentration mono-exportatrice. Au niveau des importations, les faiblesses du tissu économique algérien et de son modèle de développement apparaissent.

    Ces importations se composent d’aliments, de produits manufacturés ainsi que de biens d’équipement. Ce contraste entre la structure des exportations et celle des importations met en lumière les défaillances structurelles de l’économie algérienne et sa dépendance à l’égard du marché mondial. Une telle évolution porte atteinte aux capacités d’action internationale de l’Algérie. En effet, dans une phase de croissance et d’expansion, un pays se présente comme un partenaire important et crédible dans les arènes internationales, tandis qu’une dégradation socio-économique et un recours de plus en plus fréquent à l’endettement obèrent ses capacités d’action extérieure.

    à suivre
    “La vérité est rarement enterrée, elle est juste embusquée derrière des voiles de pudeur, de douleur, ou d’indifférence; encore faut-il que l’on désire passionnément écarter ces voiles” Amin Maalouf

  • #2
    Les turbulences de la politique intérieure algérienne [3]


    Les trois premières années de l’Algérie indépendante, sous A. Ben Bella, constituent une période de transition et de gestation, souvent chaotique et agitée, mais fixant les jalons des évolutions ultérieures. Le discours est souvent populiste mâtiné de socialisme, indiquant la nécessité pour le « peuple » de recueillir les fruits des lourds sacrifices accomplis durant la guerre. Une vision socialisante est considérée comme le meilleur moyen de réformer la scène socio-économique, dans la continuation de l’optique adoptée durant la guerre.

    Cependant le « socialisme algérien » n’est pas considéré comme une transposition des orientations d’Europe de l’Est. La composante religieuse joue ici un rôle significatif. En effet, la défense de l’islam a été l’un des slogans nationalistes mobilisateurs de la société algérienne durant la période de la colonisation, tout particulièrement pendant la guerre, et elle constitue une donnée très prégnante de l’univers socioculturel algérien. Il était donc nécessaire, pour les dirigeants algériens, de réaliser une adéquation entre un certain nombre de principes socialistes et l’islam.

    L’entourage de A. Ben Bella était très influencé par une mouvance marxisante. De nombreux conseillers étrangers peuplaient son cabinet et faisaient de l’Algérie un « laboratoire de la révolution » assez hétéroclite, certains de ces conseillers algériens se rattachant également à cette mouvance.

    Après la destitution de A. Ben Bella et la prise de pouvoir par H. Boumediène et son équipe, en juin 1965, la direction du pays se trouve concentrée entre deux institutions principales, d’une part le Conseil de la Révolution, instance d’orientation et de contrôle, et, d’autre part, le Conseil des ministres, organe d’exécution, H. Boumediène étant à la fois président du Conseil de la Révolution, président du Conseil des ministres et ministre de la Défense (fonction qu’il occupait déjà sous A. Ben Bella). Quelques membres du Conseil de la Révolution sont également ministres. Ce conseil est constitué à l’origine de 25 membres, ceux-ci représentent en fait les principales tendances du Front de libération nationale (FLN), parti unique au pouvoir, et les composantes de l’armée. Celle-ci est un protagoniste majeur, bien que souvent discret, de la scène politique algérienne. En effet, la plupart des chefs d’État algériens en sont issus ou bien choisis avec son assentiment.

    Elle exerce un rôle central dans les évolutions politiques depuis l’indépendance, et ce de façon encore plus manifeste depuis 1992.
    Sur le plan institutionnel, le pouvoir cherche à se légitimer en organisant des élections au niveau communal, en 1967, et provincial, en 1969. En 1976, un projet de Charte nationale est proposé à la population pour discussion et amendement, avant d’être adopté par référendum. Ce document doctrinal de base constitue le recueil des principes organisateurs du régime.

    Symptômatiquement, la nouvelle Constitution est adoptée après la Charte. S’ensuivent les élections du président de la République au suffrage universel, en décembre 1976, et de l’Assemblée populaire nationale (APN), en février 1977. Dans le même temps, le FLN et ses organisations sont réactivés. Mais cette solidification politico-institutionnelle est interrompue par le décès du président H. Boumediène en décembre 1978.

    Un Congrès du FLN a lieu en janvier 1979 pour désigner son secrétaire général, appelé à être candidat unique à la présidence de la République, l’armée jouant un rôle majeur dans la désignation du nouveau dirigeant. Deux tendances s’opposent : l’une, modérée, soutient le ministre des Affaires étrangères, A. Bouteflika (qui a exercé ces fonctions durant toute la période Boumediène) ; l’autre, attachée à la fermeté idéologique, pousse le secrétaire permanent du FLN, Mohamed Salah Yahyaoui.

    Tous deux sont membres du Conseil de la Révolution. Vu le blocage de la situation, le choix se porte sur un candidat dit de consensus, peu connu, le colonel C. Bendjedid, jusqu’alors chef de la région militaire d’Oran et également membre du Conseil de la Révolution. Du fait de son inexpérience politique [4], du peu d’appuis structurés dont il bénéficie et de la solidité des réseaux déjà existants, il est considéré par ceux qui l’ont désigné comme un simple président de transition. Le nouveau venu se révèle en fait un efficace tacticien, neutralisant les différentes tendances, les marginalisant progressivement pour finalement écarter ses opposants.

    Le nouveau président et son entourage entreprennent également le démantèlement graduel de ce qui avait été édifié par son prédécesseur. Ainsi, l’option de type socialisante est abandonnée pour aboutir à une plus grande libéralisation de l’économie.

    Au niveau politique, le FLN retrouve une place importante. Un Bureau politique (BP) et un Comité central (CC) sont constitués. Le BP assume le rôle d’instance supérieure d’orientation et de décision pour ce qui est des options politiques, idéologiques et socio-économiques. Le CC adopte, quant à lui, à l’issue de discussions et de débats, les grandes décisions doctrinales.
    L’abandon des options socialisantes et l’évolution vers une libéralisation de l’économie s’accentuent, notamment au profit de certains clients et obligés du nouveau pouvoir, souvent selon des méthodes de gestion des finances publiques assez particulières. Les faits et comportements de corruption, de malversation et de prévarication se développent.

    Les émeutes populaires d’octobre 1988 déstabilisent gravement le régime et incitent le président algérien à se lancer dans un processus de « démocratisation ». C. Bendjedid, candidat unique, est réélu à la présidence en décembre 1988, et une nouvelle Constitution est adoptée en février 1989, ouvrant la voie au multipartisme. Un foisonnement de partis politiques se fait jour, dont certains sont très éphémères. Des élections municipales pluralistes ont lieu en juin 1990. Elles modifient profondément le paysage politique algérien, auparavant monopolisé par le FLN, avec l’émergence d’un parti fondamentaliste, le Front islamique du salut (FIS).

    Le premier tour des élections législatives se déroule le 26 décembre 1991. Face à la perspective d’une éventuelle victoire du FIS au second tour, le processus électoral est suspendu suite à la démission de C. Bendjedid le 11 janvier 1992. Un Haut comité d’État (HCE) de cinq membres est établi pour remplacer C. Bendjedid démissionnaire, avec M. Boudiaf à sa tête. Leader historique du FLN durant la guerre d’Algérie, Mohamed Boudiaf était, depuis l’indépendance, un farouche opposant au régime en place. Le FIS est dissous, en dernier recours, par la Cour suprême en avril 1992. Cette période marque l’intensification de la confrontation armée entre le pouvoir et des groupes armés. Ces affrontements sanglants se déploient sur une large échelle. Les événements tragiques qui frappent l’Algérie ont, selon l’actuel président algérien A. Bouteflika, provoqué au moins 100 000 morts et affecté environ 1 million de personnes (déclaration effectuée en 1999).

    Le président M. Boudiaf est assassiné le 29 juin 1992 à Annaba par un des membres des forces de sécurité chargées de sa protection, aux supposées connexions fondamentalistes. Les circonstances exactes de cet assassinat ne sont pas, à ce jour, élucidées. M. Boudiaf est remplacé par A. Kafi. En janvier 1994, une Conférence nationale désigne le ministre de la Défense, L. Zeroual, « président de l’État », A. Bouteflika, pressenti pour occuper ce poste, ayant finalement décidé de décliner cette proposition.

    En novembre 1995, des élections présidentielles sont organisées. L. Zeroual, l’un des quatre candidats, remporte officiellement le scrutin avec 61,3 % des suffrages exprimés. Un an plus tard, une nouvelle Constitution est adoptée par référendum. Elle renforce les pouvoirs du président de la République et crée notamment une seconde chambre parlementaire, le Conseil de la nation (équivalent à un Sénat), la première étant, depuis 1977, l’Assemblée populaire nationale (APN). En juin 1997, des élections législatives ont lieu. Le parti présidentiel, nouvellement créé sous le nom de Rassemblement national démocratique (RND), n’obtient pas la majorité absolue à l’APN. Dès lors, un gouvernement de coalition est formé avec des ministres issus de plusieurs partis. Les élections locales et régionales se déroulent en octobre 1997. Elles tournent en faveur du RND. Les partis d’opposition en contestent vigoureusement les résultats et émettent de vives accusations de fraude.

    En septembre 1998, L. Zeroual annonce qu’il n’ira pas au terme de son mandat et que des élections auront lieu l’année suivante. Les élections présidentielles d’avril 1999 aboutissent à l’élection d’A. Bouteflika. La totalité des autres candidats avaient décidé de boycotter le scrutin. Le nouveau président propose, peu après son arrivée au pouvoir, de mettre en œuvre un processus de concorde civile, dont le principe est accepté par la population à l’issue d’un référendum organisé en septembre 1999. Les conséquences de ce processus sont contestées tout comme la gestion de nombreux dossiers de politique intérieure, tels que la situation de la justice et de l’information ainsi que les revendications liées à la question berbère (graves émeutes populaires en Kabylie depuis avril 2001).

    à suivre ....
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    • #3
      Une diplomatie en quête d'influence[5]


      1962-1965 : une politique extérieure aux orientations idéologiques résolues.


      Sous la présidence de A. Ben Bella, les choix politiques et idéologiques du régime sont rapidement déterminés. Quatre options prédominent : la solidarité avec les mouvements de libération nationale, l’anti-impérialisme, le renforcement de l’indépendance et de la souveraineté nationale, et, enfin, le non-alignement actif.

      La solidarité avec les mouvements de libération nationale est une conséquence logique de la récente expérience de la guerre. La sympathie pour ces mouvements est « naturelle », c’est pourquoi l’Algérie ne ménage pas son soutien, dès 1962, aux mouvements les plus divers, en Afrique (dont l’African National Congress [ANC] en Afrique du Sud), au Moyen-Orient (en particulier à l’égard des mouvements palestiniens) et en Asie.

      La politique anti-impérialiste s’impose aussi comme une orientation essentielle de la diplomatie algérienne. Dans ce contexte, une certaine connivence se manifeste vis-à-vis de l’URSS, qui popularise à cette époque l’idée selon laquelle elle serait l’alliée naturelle des mouvements nationalistes du Tiers Monde. Cependant, cette orientation n’ira pas au-delà d’une certaine limite : le souvenir de la grande « prudence » de l’URSS durant la guerre d’Algérie sur la question de la reconnaissance officielle du gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA, fondé en septembre 1958) agit pour limiter la sympathie vis-à-vis de Moscou. De plus, la volonté des dirigeants algériens de conserver leur liberté d’action intervient pour garder les distances avec l’URSS, et, après une phase complexe sous A. Ben Bella, ensuite s’en éloigner.
      L’optique du renforcement de l’indépendance et de la souveraineté nationale se situe, elle aussi, dans la continuité de la période de la guerre.

      La volonté des dirigeants algériens est de reconquérir les attributs de la souveraineté nationale à la fois politiquement, économiquement mais aussi culturellement. Politiquement tout d’abord, par l’affirmation d’une politique étrangère active et volontariste. Économiquement ensuite, par la réappropriation du potentiel économique algérien. Culturellement enfin, par la restauration du patrimoine national algérien, notamment en matière linguistique. L’arabe, langue nationale, occupe désormais la place qui lui revient et un processus d’arabisation est mis en œuvre. La France apparaît comme le partenaire essentiel, et souvent antagoniste, de ce processus de reconquête de la souveraineté nationale.

      Le non-alignement actif se traduit par la volonté algérienne de promouvoir une politique tiers-mondiste efficace et revendicative afin de faire (pré)valoir dans un nombre croissant d’enceintes internationales les visions et options sociopolitiques des pays en développement. La diplomatie algérienne est particulièrement active dans les cénacles mondiaux pour faire entendre sa voix, se posant elle-même comme le porte-parole du Tiers Monde. Les nouveaux dirigeants algériens proclament également, d’une part, la nécessité du soutien aux mouvements régionaux unitaires (au Maghreb, dans le monde arabe et en Afrique) ainsi que, d’autre part, celle de lutter contre la course aux armements nucléaires et le développement des essais.

      Ces options restent valables au-delà des premières années de l’indépendance algérienne. Sur le plan personnel, A. Ben Bella est marqué par la guerre, qu’il passa de 1956 à 1962 dans les prisons françaises, où il se constitua une base culturelle politique à tendance marxisante. Son entourage et certains de ses conseillers sont eux aussi assez marqués par cette orientation idéologique. Cela se traduit notamment par la mise à l’écart du personnel politique algérien qui était actif avant l’indépendance.

      1965-1978 : l’Algérie, un acteur autonome et influent

      Sous H. Boumediène, les principes d’indépendance nationale, d’anti-impérialisme et de non-alignement sont réaffirmés. Ils forment la colonne vertébrale de l’action internationale de l’Algérie, ainsi que le président H. Boumediène le souligne : « Indépendance nationale, coopération désintéressée et ouverte à tout le monde sur des bases claires dans le respect de la souveraineté des partenaires, rejet de la politique des blocs et des bases militaires, refus de l’exploitation économique du Tiers Monde par le biais du commerce extérieur, par le truchement du capital international ou de la vente de ce qu’on appelle la “technologie”, tels sont les impératifs que notre pays doit défendre et respecter, pour contribuer à l’établissement de liens internationaux qui servent tous les peuples au lieu d’enrichir davantage les pays nantis et d’appauvrir de plus en plus les pays démunis. » [6]

      Un autre élément à signaler est le credo boumediéniste selon lequel « la politique extérieure doit refléter la politique intérieure ». La diplomatie algérienne, notamment incarnée par le ministre des Affaires étrangères, A. Bouteflika, et son équipe, met ainsi en exergue certaines actions intérieures avec comme souhait leur diffusion à l’échelle du Tiers Monde, notamment dans le domaine de la récupération des ressources en hydrocarbures [7].
      L’année 1967 marque l’affirmation de l’Algérie sur la scène internationale à travers le soutien aux pays arabes durant la guerre de juin 1967, la rupture subséquente des relations diplomatiques avec les États-Unis et la réunion à Alger du Groupe dit des 77 (pays en développement). Le tempo va crescendo avec une participation accrue et intensifiée à divers organismes tels que l’Organisation des Nations unies (ONU), l’Organisation de l’unité africaine (OUA), le Mouvement des non-alignés, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) et l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP).

      Cette évolution se combine avec une dynamique interne de réappropriation du patrimoine économique national, notamment des hydrocarbures, dont le point culminant est la nationalisation des sociétés pétrolières françaises, en 1971, et la crise qui s’ensuit. Au niveau international, ce volontarisme se traduit par l’organisation, à Alger, du sommet des pays non alignés, en septembre 1973 ; le sommet arabe de novembre 1973 (consécutif à la guerre israélo-arabe d’octobre 1973) ; la convocation d’une Assemblée générale extraordinaire de l’ONU sur les questions des matières premières et du développement, en avril 1974 ; l’organisation d’un sommet de l’OPEP, en mars 1975 ; et la participation de l’Algérie à la Conférence sur la coopération économique internationale (CCEI) de 1975 à 1977, conférence mieux connue sous le nom de « dialogue Nord/Sud ».

      L’Algérie consacre une part importante de son action à la problématique moyen-orientale, en particulier à la question palestinienne. Par son passé récent et par choix résolu, elle est un soutien assidu de la cause palestinienne et une promotrice de son émancipation de toute sorte de tutelle, par nature dangereuse. Les questions moyen-orientales, qui mènent à la rupture avec les États-Unis en juin 1967, constituent un des facteurs indirects du rétablissement des relations entre les deux pays. En effet, suite à la guerre israélo-arabe d’octobre 1973, le secrétaire d’État américain Henry Kissinger estime pour sa part nécessaire, vu le poids et l’influence de l’Algérie dans la région, notamment vis-à-vis de la Syrie, de s’arrêter à Alger en décembre 1973 et en avril 1974, pour exposer au président H. Boumediène la politique américaine au Moyen-Orient, et obtenir ainsi l’assentiment algérien pour ses initiatives. Si celui-ci n’est pas refusé, il n’est donné qu’avec circonspection et réserve. Le président H. Boumediène est alors un des rares chefs d’État arabes à être tenu régulièrement au courant des progrès de la diplomatie américaine dans la région. Ainsi, les relations diplomatiques sont rétablies fin 1974.

      L’Algérie développe également une politique de soutien aux mouvements de libération nationale, particulièrement en Afrique. Dans cette optique, à partir de 1975, la question du Sahara occidental est, dans les dernières années de la présidence H. Boumediène, un dossier particulièrement épineux. Il faut également signaler qu’Alger était vue, au début des années 1970, comme la « capitale des mouvements de libération ». On y trouve aussi, à l’époque, de nombreux réfugiés politiques latino-américains, notamment en provenance du Chili.

      à suivre ...
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      Commentaire


      • #4
        Pour analyser la politique étrangère algérienne durant cette période, il est nécessaire de souligner une caractéristique importante de la politique de développement algérienne. Sous H. Boumediène, cette dernière est en partie axée, sous la houlette du ministre de l’Industrie et de l’Énergie, Belaïd Abdesselam, sur un programme d’industrialisation lourde, nécessitant des apports en capitaux et en matériels importants. À part quelques cas spécifiques où l’URSS peut être considérée comme un partenaire intéressant, ces apports ont principalement pour origine les pays occidentaux. Or l’Algérie souhaite également remodeler ses relations avec la France.

        Dès lors, l’optique algérienne consiste, autant que faire se peut, à diversifier ses partenaires commerciaux et ses fournisseurs de technologies avancées. Ainsi, les relations s’intensifient avec les États-Unis et les pays européens, principalement l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne. De prime abord, il peut sembler surprenant qu’il existe un tel degré de coopération avec des pays avec lesquels les oppositions politiques sont importantes, en particulier avec la superpuissance américaine. La remarque est d’ailleurs formulée en Algérie même et dans certains pays « frères » arabes.

        Dès lors, l’hypothèse d’une forme de « découplage » entre, d’une part, la sphère politico-stratégique et, d’autre part, la sphère technico-commerciale peut être formulée. En effet, il apparaît de façon assez nette que, pour ses relations commerciales et techniques avec les États-Unis et les pays occidentaux, les orientations et choix idéologiques de l’Algérie n’ont pas eu d’impact décisif. De plus, on peut parler d’une réelle « autonomie » entre les sphères politico-stratégiques et technico-commerciales [8]. À cet égard, le président H. Boumediène se charge de répondre, en 1971, aux différents détracteurs de la démarche algérienne. Au sujet d’un important contrat gazier avec une société américaine, il déclare : « Vous avez conscience que c’est là un accord purement commercial. [...] Il n’y a rien d’étrange dans un tel accord entre un pays socialiste en voie de développement et le plus grand État capitaliste du monde. [...] La position de l’Algérie en ce qui concerne les causes justes ne souffre aucune équivoque et notre pays n’a de leçons à recevoir de quiconque sur ce point, qu’il s’agisse de notre attitude vis-à-vis de la Palestine, de Cuba, des mouvements de libération en Amérique latine ou en Afrique ou, enfin, de la cause du peuple vietnamien. » [9]

        1979-1992 : vers plus de pragmatisme


        La politique étrangère de l’Algérie sous C. Bendjedid [10] est marquée par le contexte international ainsi que par sa situation interne en évolution rapide, notamment à partir de la fin 1988. Certains grands dossiers de l’époque précédente perdent de leur importance. Ainsi, la problématique du dialogue Nord/Sud et celle du non-alignement ne sont plus des thèmes porteurs sur la scène internationale. L’échec de la conférence sur la coopération économique internationale, se concluant en juin 1977 sur un constat de désaccord, marque le déclin de cette question. La dernière manifestation importante de ce dossier est le sommet de Cancun (Mexique), en octobre 1981, regroupant les leaders de 22 États développés et en développement, auquel participe le président algérien. Le mouvement des non-alignés perd de sa cohérence, et des événements comme la guerre Iran-Irak l’affaiblissent encore plus.

        En ce qui concerne le Moyen-Orient, à partir de novembre 1977 (visite de Sadate à Jérusalem), le monde arabe est déstabilisé et n’arrive pas à trouver d’équilibre. Le mois de juin 1982 est marqué par l’invasion israélienne du Liban et le départ, quelques mois plus tard, des combattants palestiniens. L’Algérie continue à marquer son engagement par rapport à la cause palestinienne, en accueillant, à Alger, de nombreux Conseils nationaux palestiniens (CNP) [11], dont celui du 15 novembre 1988, par lequel est proclamé l’État indépendant de Palestine. L’Algérie est, ainsi, le premier pays à reconnaître celui-ci.

        Le problème du Sahara occidental [12] garde une certaine importance dans les premières années de la nouvelle présidence, mais, progressivement, l’intérêt porté à celui-ci décline jusqu’à finalement le faire passer au second plan, la dynamique maghrébine étant vue par le président algérien comme, d’une part, prioritaire, et d’autre part, par effet de synergie, susceptible d’apporter une solution à ce dossier délicat. Ce point de vue prévaut avec le rétablissement de relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc, en mai 1988, et l’organisation du premier sommet maghrébin de Zéralda (Algérie), en juin 1988 [13]. La concrétisation de cette dynamique sera par la suite affirmée, avec la création de l’Union du Maghreb arabe (UMA), en février 1989 à Marrakech, réunissant l’Algérie, la Libye, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie. Cette optique était celle du président algérien, et non celle de certains responsables algériens importants, notamment au niveau des Affaires étrangères. Ces derniers estimaient que le règlement de la question sahraouie était le préalable nécessaire au processus de construction maghrébine. L’enlisement actuel de la question sahraouie et, par conséquent, de l’UMA paraît leur donner raison.

        La politique étrangère algérienne de cette période est souvent qualifiée de « pragmatique », de moins idéologique, et ce malgré l’attachement officiellement proclamé à certains principes de base. L’Algérie a progressivement adopté un profil discret, nettement moins incisif et plus intégré dans le circuit international.

        La période 1979-1991 est marquée par une certaine « normalisation » de la politique étrangère de l’Algérie. Il apparaît que les évolutions internes de l’Algérie influent sur sa politique étrangère. Ainsi, les sérieux problèmes économiques et sociaux auxquels elle est confrontée, accentués au milieu des années 1980 par la baisse du prix des hydrocarbures et la dépréciation du dollar, se répercutent négativement sur sa politique extérieure. De plus, le ministère des Affaires étrangères perd certains de ses membres les plus expérimentés, soit lors d’événements tragiques (l’avion du ministre Benyahia et de ses collaborateurs est abattu au Moyen-Orient, en 1982), soit suite à des mises à l’écart à connotation politique. L’arrivée de nombreuses personnes non familières avec la fonction diplomatique, notamment comme ambassadeurs, fait perdre une part importante de sa cohésion et de sa cohérence à la diplomatie algérienne. En outre, des restrictions budgétaires, parfois importantes, sont appliquées, qui réduisent la capacité d’action des ambassades.

        Plusieurs évolutions marquent le nouveau positionnement international de l’Algérie et sa volonté affichée de pragmatisme. Ainsi, par exemple, trois événements témoignent d’un nouveau climat dans les relations entre l’Algérie et les États-Unis. Au début de la décennie 1980, l’Algérie joue le rôle principal dans la négociation, entre les autorités américaines et iraniennes, qui conduisit à la libération des otages américains à Téhéran.
        En septembre 1983, dans le cadre d’une tournée dans la région, le vice-président George Bush effectue une visite à Alger et établit un nouveau contact. Cette visite, bien que ne débouchant pas sur des résultats concrets immédiats, permet une meilleure connaissance mutuelle ainsi que la création d’affinités personnelles.

        Finalement, en avril 1985, le président algérien effectue une visite officielle aux États-Unis, la première d’un chef d’État algérien [14]. Cette visite est décrite de part et d’autre comme un succès, et l’un de ses premiers résultats concrets est l’inscription de l’Algérie sur la liste des pays susceptibles d’acquérir du matériel militaire américain. Le contexte régional maghrébin recèle certaines indications sur cette évolution. En effet, en août 1984, le roi du Maroc, Hassan II, traditionnel allié des États-Unis dans la région, a signé un traité d’union, qualifié par de nombreux observateurs de « contre nature », avec le leader libyen, « bête noire » des autorités américaines, et ce, au grand mécontentement de ces dernières. Les motivations de ce curieux traité conjoncturel entre deux dirigeants que presque tout oppose se trouvent dans le conflit du Sahara occidental. Dès lors, les États-Unis souhaitent quelque peu (ré)équilibrer certains aspects de leur politique dans la région. De son côté, l’Algérie souhaite progressivement diversifier ses fournisseurs en termes d’équipement de défense. Ainsi, les évolutions des uns et des autres militaient en faveur d’un relatif rapprochement.

        Par conséquent, la qualification de l’Algérie dans les milieux officiels américains se modifie sensiblement. De pays qualifié de « radical » une décennie auparavant, l’Algérie devient un pays « ami », certains parlant même parfois de « complémentarité » entre les politiques étrangères des deux pays. Ainsi, le changement par rapport aux décennies 1960 et 1970 est net.

        Les rapports s’accentuent avec les pays européens en général, les éléments de convergence prévalant sur ceux de divergence. Avec la France, notamment mitterrandienne, les rapports sont, comme à l’accoutumée, cycliques, avec des alternances de phases de réchauffement et de refroidissement. Les dernières années du mandat de Valéry Giscard d’Estaing sont marquées par une relative amélioration des relations bilatérales avec la volonté, de part et d’autre, de dépasser les problèmes récurrents et d’évoluer vers des rapports plus sereins.

        à suivre...
        “La vérité est rarement enterrée, elle est juste embusquée derrière des voiles de pudeur, de douleur, ou d’indifférence; encore faut-il que l’on désire passionnément écarter ces voiles” Amin Maalouf

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        • #5
          En mai 1981, l’arrivée au pouvoir, en France, d’une nouvelle majorité initialement assez proche des préoccupations des pays en développement, notamment avec Claude Cheysson comme ministre des Relations extérieures, se traduit dans un premier temps par une embellie des relations entre les deux pays. Celle-ci se concrétise, quelques mois après son élection, par la visite officielle du président F. Mitterrand à Alger, au mois de décembre 1981, suivie par la visite officielle à Paris de C. Bendjedid, en novembre 1983 – la première d’un chef d’État algérien en France.

          Au niveau économique, ces relations nouvelles prennent la forme d’un accord politique sur le prix du gaz algérien, en 1982. Cependant, un contentieux oppose assez rapidement les deux partenaires que sont la Sonatrach et Gaz de France (GDF), qui entraîne des répercussions négatives sur les rapports politiques. De plus, certaines évolutions au Maghreb, comme le traité maroco-libyen d’Oujda de 1984, et le soutien implicite que semble apporter F. Mitterrand au roi Hassan II, affectent également les relations bilatérales entre la France et l’Algérie.

          Le contentieux gazier est progressivement réglé, mais d’autres difficultés apparaissent. En France, la période de cohabitation (qui s’étend de mars 1986 à mai 1988) connaît un relatif réchauffement des relations bilatérales et une intensification des contacts dans le domaine de la politique extérieure, avec en particulier l’intervention des autorités algériennes auprès des factions au Liban pour obtenir la libération des otages français dans ce pays. Néanmoins, à la même période, les autorités françaises décident d’instaurer une politique de visas pour les citoyens maghrébins. Jusqu’au début de l’année 1992, qui marque la démission de C. Bendjedid, les relations entre les deux pays se poursuivent au rythme des fluctuations faisant se succéder phases d’amélioration et phases de dégradation.

          De façon générale, suite aux émeutes d’octobre 1988, les dirigeants algériens, y compris le ministère des Affaires étrangères, ont comme principale préoccupation d’assurer la stabilité de l’État et la relance d’une économie très déstabilisée. Les dossiers plus classiques de politique étrangère deviennent secondaires dans un tel contexte. La période de la crise et de la guerre du Golfe (d’août 1990 à février 1991) marque cependant un relatif retour de la diplomatie algérienne sur l’avant-scène, sans pour autant se traduire par des effets durables.

          1992 à nos jours: la diplomatie algérienne rattrapée de l’intérieur.

          Pour la société algérienne, la période qui commence en 1992 se caractérise par de graves tourments. Les années 1990 sont marquées par des événements d’une grande violence qui touchent l’ensemble de la population. Ils se déroulent notamment dans le contexte d’une confrontation entre le pouvoir en place et une nébuleuse de groupes armés. L’Algérie voit se succéder, à partir de la démission de C. Bendjedid, en janvier 1992, quatre chefs d’État : M. Boudiaf (de janvier à juin 1992), A. Kafi (de juin 1992 à janvier 1994), L. Zeroual (de janvier 1994 à avril 1999) et A. Bouteflika (depuis avril 1999).

          Durant cette période d’instabilité, d’insécurité et de violence, la diplomatie algérienne ne peut développer une activité substantielle sur la scène internationale. En effet, la gestion externe de sa grave crise interne l’accapare. L’action diplomatique se structure alors en vue de préserver les relations de l’Algérie avec ses partenaires étrangers, notamment maintenir la crédibilité des équipes en place à Alger auprès des gouvernements occidentaux.

          De manière schématique, on peut distinguer trois grandes phases dans l’attitude occidentale vis-à-vis de la crise algérienne.
          • De 1992 à 1994, on constate une réelle expectative face au régime, à sa solidité et à sa capacité à faire face à la situation ; la prudence est de rigueur, et des contacts discrets sont mis en œuvre avec certains membres de l’ex-Front islamique du salut (FIS), installés à l’étranger.
          • De 1995 à 1997, on note un progressif changement d’attitude par rapport au pouvoir algérien, avec une inclination plus favorable à son endroit, notamment à partir de l’élection de L. Zeroual en novembre 1995.
          • Depuis 1998, on relève une appréciation significativement plus avantageuse à l’égard des autorités d’Alger et de leur capacité à gérer la situation.


          L’élection de A. Bouteflika, en avril 1999, et ses premiers actes sur la scène internationale (sommet de l’OUA d’Alger à la mi-juillet ; déplacement aux obsèques du roi Hassan II, fin juillet ; participation à l’Assemblée générale des Nations unies en septembre ; présence dans les médias internationaux), ainsi que l’évolution de la situation politique interne (approbation par référendum populaire de la loi sur la concorde civile, le 16 septembre 1999) contribuent à réinsérer l’Algérie sur la scène internationale.

          Cette réinsertion se traduit, notamment, par l’intégration de l’Algérie dans le dialogue méditerranéen de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), en 2000, et par la signature d’un accord d’association avec l’Union européenne, en 2001. Au niveau bilatéral, elle se concrétise également par de nombreuses visites officielles à l’étranger, dont une visite d’État en France, au mois de juin 2000, et deux rencontres avec le président George W. Bush, à la Maison-Blanche, en 2001. Cependant, cette intense activité internationale est parfois critiquée en Algérie, comme se déployant au détriment des enjeux prioritaires de politique intérieure.

          Conclusion.


          Durant ces quarante dernières années, la politique étrangère de l’Algérie se révèle être d’une densité notable et se traduit dans des contextes variés. La période qui s’étend de 1962 à 1978 (A. Ben Bella et H. Boumediène) s’avère dynamique et militante. Le début de la présidence suivante (C. Bendjedid, 1979-1992) bénéficie de la « force d’inertie » des années antérieures. Ainsi, la diplomatie algérienne, mettant à profit les expériences et les réseaux de la période Boumediène, joue un rôle déterminant dans plusieurs dossiers de médiation internationale.

          Mais les transformations internes de l’Algérie et les évolutions internationales se conjuguent pour amoindrir son action extérieure. À partir de 1985-1986, les contraintes économiques intérieures et mondiales renforcent cette tendance. La phase qui suit les émeutes d’octobre 1988 révèle un effacement graduel de l’Algérie sur la scène internationale, ses dirigeants se focalisant sur la gestion des difficultés internes.

          À partir de 1992, l’Algérie s’enlise dans une crise politique, économique et sociale d’une extrême gravité, dont elle n’est pas encore sortie. Son action internationale s’en ressent nettement. Après une phase de quasi-absence, l’Algérie se réinsère progressivement sur la scène internationale, à partir du milieu des années 1990. Cela étant, au niveau interne, elle demeure aux prises avec des difficultés structurelles majeures. Sans le règlement de celles-ci, l’Algérie ne sera pas en mesure d’avoir une action internationale significative.

          Fin
          “La vérité est rarement enterrée, elle est juste embusquée derrière des voiles de pudeur, de douleur, ou d’indifférence; encore faut-il que l’on désire passionnément écarter ces voiles” Amin Maalouf

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          • #6
            Notes et source.

            Notes.

            • [1] Les données statistiques sont extraites de différents numéros des annuaires L’Année stratégique (IRIS) et L’état du monde (La Découverte).
            • [2] Voir William B. Quandt, Revolution and Political Leadership : Algeria, 1954-1968, Cambridge, MIT, 1969.
            • [3] Lire notamment, à ce sujet : John Entelis et Phillip Naylor (eds), State and Society in Algeria, Boulder, Westview, 1992 ; Patrick Éveno (sous la dir.), L’Algérie, Paris, Le Monde / Marabout, 1995 ; Mohammed Harbi, L’Algérie et son destin, Paris, Arcantère, 1992 ; Gérard Ignasse et Emmanuel Wallon (sous la dir.), Demain l’Algérie, Paris, Syros, 1995 ; Camille et Yves Lacoste (sous la dir.), L’état du Maghreb, Paris, La Découverte, 1991 ; William B. Quandt, Between Ballots and Bullets. Algeria’s Transition from Authoritarianism, Washington, Brookings Institution, 1998 ; Benjamin Stora, Histoire de l’Algérie depuis l’indépendance, Paris, La Découverte, 1994 ; William Zartman et William Habeeb (eds), Polity and Society in Contemporary North Africa, Boulder, Westview, 1993.
            • [4] Bruno Étienne établit, dans son ouvrage L’Algérie, cultures et révolution (Paris, Le Seuil, 1977), une liste des membres du Conseil de la Révolution encore en exercice en 1975 ; concernant C. Bendjedid, il indique la mention suivant : « Ne joue aucun rôle » (p. 36).
            • [5] Voir Paul Balta et Claudine Rulleau, L’Algérie des Algériens, Paris, Éditions Ouvrières, 1981 ; Nicole Grimaud, La politique extérieure de l’Algérie (1962-1978), Paris, Karthala, 1984 ; Robert Parker, North Africa. Regional Tensions and Strategic Concerns, New York, Praeger, 1987 ; Benjamin Stora, La gangrène et l’oubli, Paris, La Découverte, 1991.
            • [6] Paul Balta et Claudine Rulleau (sous la dir.), La stratégie de Boumediène, Paris, Sindbad, 1978, p. 229.
            • [7] Voir, notamment, Ania Francos et Jean-Pierre Sereni, Un Algérien nommé Boumediène, Paris, Stock, 1976.
            • [8] Voir Amine Ait-Chaalal, L’Algérie, les États-Unis et la France : des discours à l’action, Paris, Publisud, 2000, p. 15-19 et 264-266.
            • [9] Voir Paul Balta et Claudine Rulleau (sous la dir.), La stratégie de Boumediène, op. cit., p. 255.
            • [10] Voir Nicole Grimaud, « La diplomatie sous Chadli ou la politique du possible », in Annuaire de l’Afrique du Nord 1991, Aix-en-Provence, CNRS, 1993, p. 401-435 ; Bahgat Korany, « From revolution to domestication : The foreign policy of Algeria », in Bahgat Korany et Ali Dessouky (eds), The Foreign Policies of Arab States, Boulder, Westview, 1991, p. 103-155 ; Robert Mortimer, « Algerian foreign policy in transition », in John Entelis et Phillip Naylor (eds), op. cit., p. 241-266.
            • [11] Parlement palestinien en exil.
            • [12] Voir Maurice Barbier, Le conflit du Sahara occidental, Paris, L’Harmattan, 1982 ; John Damis, Conflict in Northwest Africa : The Western Sahara Dispute, Stanford, Hoover Institution, 1983 ; Martine de Froberville, Sahara occidental. La confiance perdue, Paris, L’Harmattan, 1996 ; Tony Hodges, Sahara occidental. Origines et enjeux d’une guerre du désert, Paris, L’Harmattan, 1987 ; Khadija Mohsen-Finan, Sahara occidental. Les enjeux d’un conflit régional, Paris, CNRS, 1997 ; Claude Roosens, Le conflit du Sahara occidental. Bibliographie, documents, chronologie, Louvain-la-Neuve, Cahiers n° 72-73, CERMAC, 1990 ; Anthony Pazzanita et Tony Hodges, Historical Dictionary of Western Sahara, Metuchen et Londres, Scarecrow, 1994 ; Yahya Zoubir et Daniel Volman (eds), International Dimensions of the Western Sahara Conflict, New York, Praeger, 1993.
            • [13] À la suite du sommet arabe d’Alger du même mois.
            • [14] Les rencontres précédentes, en 1962, A. Ben Bella / J. F. Kennedy, et, en 1974, H. Boumediène / R. Nixon, n’étaient pas des visites officielles : la première s’est déroulée juste après l’admission de l’Algérie à l’ONU, la seconde dans le contexte de la session extraordinaire de l’Assemblée générale de l’ONU sur les matières premières et le développement.


            Source. Revue internationale et stratégique.
            “La vérité est rarement enterrée, elle est juste embusquée derrière des voiles de pudeur, de douleur, ou d’indifférence; encore faut-il que l’on désire passionnément écarter ces voiles” Amin Maalouf

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            • #7
              Pour une fois j'ai lu un article long sur FA
              Plutôt élogieux je dirai à l'égard des dirigeants algériens.
              Ainsi va le monde

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              • #8
                Plutôt élogieux je dirai à l'égard des dirigeants algériens.
                C'est ce que j'ai remarqué !


                Mais où sont passés les Mammouth ?

                Je plaisante !
                La politique extérieure de l'Algérie a été et est encore remarquable et n'a pas changé ! sauf durant les année 90 où l'Algérie avait des pb intérieurs.

                Merci l'imprévisible pour l'article !!
                Dernière modification par zaki17, 06 août 2008, 22h53.

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                • #9
                  Bonjour

                  D'abord merci pour cet article, très interessant. J'ai pas fini d le lire(par manque d tps, j'en lirai pas d'un trait si j puis dire!!)

                  Juste deux ptites questions :
                  l’Algérie a connu sept chefs d’État (aux statuts juridiques divers)
                  Quels sont ces statuts juridiques ?

                  Mais l’élément d’évaluation plus significatif que constitue le taux du service de la dette par rapport aux exportations augmente,
                  Pourquoi faire ce rapport là précisement ?


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                  • #10
                    j'ai oublié d'ajouter le titre d'un livre qui est aussi une rétrospective de l'histoire de l'Algérie et que j'aimerais bien me procurer mais qui, malheureusement n'est pas disponible ici (j'ai vu la promotion qu'en a fait son auteur sur brtv), j'aimerais avoir l'avis de ceux /celles qui l'ont lu. il s'agit de :
                    L'Algérie racontée à mon fils.
                    de : Rabah Mahiout

                    http://www.algerie-dz.com/article2363.html

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                    • #11
                      Bonjour à tous

                      @Zaki

                      C'est en partie pour comprendre l'enracinement des mammouths que j'ai mis cet article en ligne, lire entre les lignes est fort intéressant. Avoir un son de cloche qui s'aligne sur les mélodies des mammouths, peut s'avérer important pour mieux comprendre la léthargie chronique.

                      @Houmaïz.

                      La mélodie peut sonnée à la gloire des locataires d'El Mouradia, mais il n'en est rien, il faut être impartial (ce que je m'efforce de faire de temps à autres avec mon caractère de "volcan").

                      @*Tafsut*

                      En effet dans l'histoire de la république algérienne les statuts juridique des 1èrs magistrats du pays n'a pas été le même, à titre d'exemple Feu; Mohamed Boudiaf (Paix à son âme), ou encore Ali Kafi n'ont pas été des présidents de la république algérienne à proprement parler, mais Des présidents d'une instance extraordinaire, un organe de période de crise, instituée dans l'état d'urgence, il est question du Haut Comité d'Etat, HCE.

                      Même si je ne suis pas une adepte de wikipédia mais ce tableau résume très bien la genèse des locataire d'El Mouradia

                      Pour le Livre de Monsieur Mahiout, il est interressant en effet, personnellement je n'ai pris connaissance du contenu de son ouvrage, des lecteurs (connaissances à moi) m'ont donné l'envie de le lire, nous verrons selon les disponibilités et la répartition du temps.



                      .../...
                      Dernière modification par l'imprevisible, 07 août 2008, 10h05.
                      “La vérité est rarement enterrée, elle est juste embusquée derrière des voiles de pudeur, de douleur, ou d’indifférence; encore faut-il que l’on désire passionnément écarter ces voiles” Amin Maalouf

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