Bonjour.
L'article qui va suivre est fort intéressant, il est long très riche, une rétrospective sur l'histoire d'un pays, notre pays, avec toutes ses contradictions, ses vérités, ses paradoxes et dans toute sa complexité.
C'est en partie ma réponse à ceux qui pensent que le peuple algérien n'existe pas, qu'il n'est pas éduqué, pour comprendre un tel négativisme il suffit de lire sa propre histoire.
Bonne lecture.
Amine Ait-Chaalal Professeur, codirecteur du Centre d’études des crises et des conflits internationaux (CECRI), Université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve).
Depuis le recouvrement de sa souveraineté, le 5 juillet 1962, l’Algérie est un protagoniste significatif de la scène internationale. Son indépendance fut un moment marquant du vaste mouvement de la décolonisation, et pendant plusieurs années l’Algérie fut considérée comme un pays en développement influent. Cette influence s’est manifestée jusque dans les années 1980. Cependant, la décennie 1980 marque le début d’une phase d’amoindrissement de sa capacité d’action internationale. Cet effacement est en partie la conséquence de troubles internes et de l’affaiblissement de la dynamique tiers-mondiste. À partir de 1988, le pays est confronté à la mise en œuvre d’un processus chaotique de démocratisation, à la suspension du processus législatif en janvier 1992 – accompagnée de la démission du président Chadli Bendjedid –, à l’assassinat du chef d’État suivant, Mohamed Boudiaf, en juin 1992, et au déclenchement d’affrontements sanglants entre le pouvoir et une nébuleuse de groupes armés. Cette dégradation de la situation politique s’accompagne d’un phénomène similaire au niveau socio-économique.
Une évolution socio-économique préoccupante. [1]
Depuis 1962, l’Algérie a connu sept chefs d’État (aux statuts juridiques divers) : Ahmed Ben Bella (1962-1965), Houari Boumediène (1965-1978), C. Bendjedid (1979-1992), M. Boudiaf (1992), Ali Kafi (1992-1994), Liamine Zeroual (1994-1999) et Abdelaziz Bouteflika (depuis 1999). Sur le plan socio-économique, l’Algérie est un pays en pleine mutation. Sa population, passée de 13,7 millions d’habitants en 1970 à 30,8 millions en 2000, connaît ainsi des évolutions notables. Or cette croissance démographique continue pose de nombreux défis tels la santé et l’hygiène, l’éducation et la formation, l’emploi, le logement et les structures sociales. Au lendemain de son indépendance, l’Algérie est un pays profondément marqué par le traumatisme de la guerre et ses nombreuses séquelles. L’idéologie à orientation socialiste des nouveaux dirigeants est empreinte d’une volonté de manifester une prise en considération des sacrifices accomplis par une population très durement éprouvée, d’où l’importance du soutien officiel à la mobilité sociale et à la promotion des classes traditionnellement défavorisées. L’origine sociale d’une partie du leadership algérien au lendemain de l’indépendance explique partiellement cette tendance [2].
Ces orientations se traduisent notamment dans le domaine de l’éducation. Ainsi, le taux de scolarisation connaît un accroissement substantiel tant dans le primaire que dans le secondaire et le supérieur. En effet, le taux de scolarisation passe, pour les 12-17 ans, de 30,8 % en 1972, à 59,3 % en 1992 ; et pour ce qui est du 3e degré, le taux augmente, pour les mêmes années, de 1,7 % à 11,8 %. Ainsi, l’analphabétisme recule de 75 % en 1970 à 39,4 % en 1992.
Des efforts substantiels sont également accomplis en matière sanitaire et médicale, que ce soit au niveau de la vaccination des enfants, de l’accès aux soins ou de la prise en charge par l’État de certaines opérations spécifiques à l’étranger. Ainsi, l’espérance de vie s’accroît de 52,4 ans en 1970 à 68,9 ans pour la période 1995-2000. Pour les mêmes années, le taux de mortalité infantile chute de 139,2 ‰ à 45 ‰ ; et le nombre de médecins pour 1 000 habitants passe de 0,13 en 1970 à 0,9 en 1990.
L’intensité et l’importance de ces efforts ont néanmoins leur revers. Au niveau de l’éducation primaire et secondaire, la massification de l’enseignement ne s’est pas accompagnée de résultats probants en ce qui concerne la qualité des enseignements dispensés. De plus, les déperditions scolaires sont particulièrement significatives et laissent de nombreux jeunes, qui constituent la majorité de la population, sur le bord de la route, sans formation ni diplôme, exclus du marché du travail et de ses réseaux classiques. Ainsi, le taux de chômage est estimé à plus de 26 % de la population active. La plupart du temps, la seule issue possible se trouve dans le secteur informel et ses ramifications opaques.
En termes de logement, d’infrastructures culturelles et d’installations hydrauliques, de sérieux manques se font sentir et cela de manière croissante, atteignant parfois des situations catastrophiques. Ces éléments ébranlent progressivement la structure sociale et portent atteinte à sa stabilité. Les années 1980 font apparaître de manière criante ces graves déficiences. L’urbanisation, souvent sauvage et désordonnée, l’abandon des zones agricoles pour le « miroir aux alouettes » des concentrations urbaines, la déstructuration du monde paysan par une réforme agraire de type collectiviste dans les années 1970 et l’absence d’une réelle politique de planning familial conduisent à une augmentation de la densité urbaine dans des villes qui n’y étaient pas préparées, menant à des situations ingérables et explosives.
En découlent une exaspération socio-économique considérable, un manque de perspectives pour une jeunesse délaissée et le discrédit d’un pouvoir usé. Les émeutes d’octobre 1988 sont une première traduction particulièrement tragique de ces graves défaillances, tout comme le sont les événements qui se déroulent depuis le début des années 1990.
Sur le plan économique, il est possible de distinguer une phase de croissance suivie d’une phase de récession puis de crise. Le produit intérieur brut (PIB) par habitant augmente de 360 dollars à 1 940 dollars, entre 1970 et 1980, puis baisse à 1 839 dollars en 1991, et à 1 550 dollars en 1998. Par ailleurs, la dette passe de 0,9 milliard de dollars en 1970 à 19,4 milliards de dollars en 1980, puis à 26,3 milliards de dollars en 1991 et à 30,6 milliards de dollars en 1998. Mais l’élément d’évaluation plus significatif que constitue le taux du service de la dette par rapport aux exportations augmente, pour sa part, de 27,2 % en 1980 à 71,2 % en 1991, puis passe à 32,3 % en 1998. Ainsi, la dégradation est nette durant les années 1980.
La structure des exportations et des importations est aussi révélatrice d’une évolution préoccupante. Pour ce qui est des exportations, en quelques années les hydrocarbures ont vu leur part augmenter, passant de 70,5 % des exportations en 1970 à 95,5 % en 1991, avec tous les risques que comporte une telle concentration mono-exportatrice. Au niveau des importations, les faiblesses du tissu économique algérien et de son modèle de développement apparaissent.
Ces importations se composent d’aliments, de produits manufacturés ainsi que de biens d’équipement. Ce contraste entre la structure des exportations et celle des importations met en lumière les défaillances structurelles de l’économie algérienne et sa dépendance à l’égard du marché mondial. Une telle évolution porte atteinte aux capacités d’action internationale de l’Algérie. En effet, dans une phase de croissance et d’expansion, un pays se présente comme un partenaire important et crédible dans les arènes internationales, tandis qu’une dégradation socio-économique et un recours de plus en plus fréquent à l’endettement obèrent ses capacités d’action extérieure.
à suivre
L'article qui va suivre est fort intéressant, il est long très riche, une rétrospective sur l'histoire d'un pays, notre pays, avec toutes ses contradictions, ses vérités, ses paradoxes et dans toute sa complexité.
C'est en partie ma réponse à ceux qui pensent que le peuple algérien n'existe pas, qu'il n'est pas éduqué, pour comprendre un tel négativisme il suffit de lire sa propre histoire.
Bonne lecture.
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Amine Ait-Chaalal Professeur, codirecteur du Centre d’études des crises et des conflits internationaux (CECRI), Université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve).
Depuis le recouvrement de sa souveraineté, le 5 juillet 1962, l’Algérie est un protagoniste significatif de la scène internationale. Son indépendance fut un moment marquant du vaste mouvement de la décolonisation, et pendant plusieurs années l’Algérie fut considérée comme un pays en développement influent. Cette influence s’est manifestée jusque dans les années 1980. Cependant, la décennie 1980 marque le début d’une phase d’amoindrissement de sa capacité d’action internationale. Cet effacement est en partie la conséquence de troubles internes et de l’affaiblissement de la dynamique tiers-mondiste. À partir de 1988, le pays est confronté à la mise en œuvre d’un processus chaotique de démocratisation, à la suspension du processus législatif en janvier 1992 – accompagnée de la démission du président Chadli Bendjedid –, à l’assassinat du chef d’État suivant, Mohamed Boudiaf, en juin 1992, et au déclenchement d’affrontements sanglants entre le pouvoir et une nébuleuse de groupes armés. Cette dégradation de la situation politique s’accompagne d’un phénomène similaire au niveau socio-économique.
Une évolution socio-économique préoccupante. [1]
Depuis 1962, l’Algérie a connu sept chefs d’État (aux statuts juridiques divers) : Ahmed Ben Bella (1962-1965), Houari Boumediène (1965-1978), C. Bendjedid (1979-1992), M. Boudiaf (1992), Ali Kafi (1992-1994), Liamine Zeroual (1994-1999) et Abdelaziz Bouteflika (depuis 1999). Sur le plan socio-économique, l’Algérie est un pays en pleine mutation. Sa population, passée de 13,7 millions d’habitants en 1970 à 30,8 millions en 2000, connaît ainsi des évolutions notables. Or cette croissance démographique continue pose de nombreux défis tels la santé et l’hygiène, l’éducation et la formation, l’emploi, le logement et les structures sociales. Au lendemain de son indépendance, l’Algérie est un pays profondément marqué par le traumatisme de la guerre et ses nombreuses séquelles. L’idéologie à orientation socialiste des nouveaux dirigeants est empreinte d’une volonté de manifester une prise en considération des sacrifices accomplis par une population très durement éprouvée, d’où l’importance du soutien officiel à la mobilité sociale et à la promotion des classes traditionnellement défavorisées. L’origine sociale d’une partie du leadership algérien au lendemain de l’indépendance explique partiellement cette tendance [2].
Ces orientations se traduisent notamment dans le domaine de l’éducation. Ainsi, le taux de scolarisation connaît un accroissement substantiel tant dans le primaire que dans le secondaire et le supérieur. En effet, le taux de scolarisation passe, pour les 12-17 ans, de 30,8 % en 1972, à 59,3 % en 1992 ; et pour ce qui est du 3e degré, le taux augmente, pour les mêmes années, de 1,7 % à 11,8 %. Ainsi, l’analphabétisme recule de 75 % en 1970 à 39,4 % en 1992.
Des efforts substantiels sont également accomplis en matière sanitaire et médicale, que ce soit au niveau de la vaccination des enfants, de l’accès aux soins ou de la prise en charge par l’État de certaines opérations spécifiques à l’étranger. Ainsi, l’espérance de vie s’accroît de 52,4 ans en 1970 à 68,9 ans pour la période 1995-2000. Pour les mêmes années, le taux de mortalité infantile chute de 139,2 ‰ à 45 ‰ ; et le nombre de médecins pour 1 000 habitants passe de 0,13 en 1970 à 0,9 en 1990.
L’intensité et l’importance de ces efforts ont néanmoins leur revers. Au niveau de l’éducation primaire et secondaire, la massification de l’enseignement ne s’est pas accompagnée de résultats probants en ce qui concerne la qualité des enseignements dispensés. De plus, les déperditions scolaires sont particulièrement significatives et laissent de nombreux jeunes, qui constituent la majorité de la population, sur le bord de la route, sans formation ni diplôme, exclus du marché du travail et de ses réseaux classiques. Ainsi, le taux de chômage est estimé à plus de 26 % de la population active. La plupart du temps, la seule issue possible se trouve dans le secteur informel et ses ramifications opaques.
En termes de logement, d’infrastructures culturelles et d’installations hydrauliques, de sérieux manques se font sentir et cela de manière croissante, atteignant parfois des situations catastrophiques. Ces éléments ébranlent progressivement la structure sociale et portent atteinte à sa stabilité. Les années 1980 font apparaître de manière criante ces graves déficiences. L’urbanisation, souvent sauvage et désordonnée, l’abandon des zones agricoles pour le « miroir aux alouettes » des concentrations urbaines, la déstructuration du monde paysan par une réforme agraire de type collectiviste dans les années 1970 et l’absence d’une réelle politique de planning familial conduisent à une augmentation de la densité urbaine dans des villes qui n’y étaient pas préparées, menant à des situations ingérables et explosives.
En découlent une exaspération socio-économique considérable, un manque de perspectives pour une jeunesse délaissée et le discrédit d’un pouvoir usé. Les émeutes d’octobre 1988 sont une première traduction particulièrement tragique de ces graves défaillances, tout comme le sont les événements qui se déroulent depuis le début des années 1990.
Sur le plan économique, il est possible de distinguer une phase de croissance suivie d’une phase de récession puis de crise. Le produit intérieur brut (PIB) par habitant augmente de 360 dollars à 1 940 dollars, entre 1970 et 1980, puis baisse à 1 839 dollars en 1991, et à 1 550 dollars en 1998. Par ailleurs, la dette passe de 0,9 milliard de dollars en 1970 à 19,4 milliards de dollars en 1980, puis à 26,3 milliards de dollars en 1991 et à 30,6 milliards de dollars en 1998. Mais l’élément d’évaluation plus significatif que constitue le taux du service de la dette par rapport aux exportations augmente, pour sa part, de 27,2 % en 1980 à 71,2 % en 1991, puis passe à 32,3 % en 1998. Ainsi, la dégradation est nette durant les années 1980.
La structure des exportations et des importations est aussi révélatrice d’une évolution préoccupante. Pour ce qui est des exportations, en quelques années les hydrocarbures ont vu leur part augmenter, passant de 70,5 % des exportations en 1970 à 95,5 % en 1991, avec tous les risques que comporte une telle concentration mono-exportatrice. Au niveau des importations, les faiblesses du tissu économique algérien et de son modèle de développement apparaissent.
Ces importations se composent d’aliments, de produits manufacturés ainsi que de biens d’équipement. Ce contraste entre la structure des exportations et celle des importations met en lumière les défaillances structurelles de l’économie algérienne et sa dépendance à l’égard du marché mondial. Une telle évolution porte atteinte aux capacités d’action internationale de l’Algérie. En effet, dans une phase de croissance et d’expansion, un pays se présente comme un partenaire important et crédible dans les arènes internationales, tandis qu’une dégradation socio-économique et un recours de plus en plus fréquent à l’endettement obèrent ses capacités d’action extérieure.
à suivre
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