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Lettre de sous Cmdt Marcos aout 1997

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  • Lettre de sous Cmdt Marcos aout 1997

    Marcos est un des leaders de l'Armée zapatiste de libération nationale (EZLN en espagnol). Ces communications tranchent avec ceux des autres armées révolutionnaires, passées ou présentes, c'est une organisation armée mais sa violence limitée n'a rien à voir par exemple avec les FARC en Colombie (puisqu'on en a un peu parlé ...) ou les exactions algériennes des années 90. Ces propos sont mêmes souvent drôles (voir en fin du fil une réponse marrante faite à l'ETA basque en 2003)

    Juger de la qualité et de la pertinence de cet article qui date de 11 ans ...

    article publié ici : http://www.monde-diplomatique.fr/1997/08/MARCOS/8976

    commité de soutien ici : http://cspcl.ouvaton.org/

    Le néolibéralisme, comme système mondial, est une nouvelle guerre de conquête de territoires. La fin de la troisième guerre mondiale, ou guerre froide, ne signifie nullement que le monde ait surmonté la bipolarité et retrouvé la stabilité sous l’hégémonie du vainqueur. Car, s’il y a eu un vaincu (le camp socialiste), il est difficile de nommer le vainqueur. Les Etats-Unis ? L’Union européenne ? Le Japon ? Tous trois ? La défaite de l’« Empire du mal » ouvre de nouveaux marchés, dont la conquête provoque une nouvelle guerre mondiale, la quatrième.

    Comme tous les conflits, celui-ci contraint les Etats nationaux à redéfinir leur identité. L’ordre mondial est revenu aux vieilles époques des conquêtes de l’Amérique, de l’Afrique et de l’Océanie. Etrange modernité qui avance à reculons. Le crépuscule du XXe siècle ressemble davantage aux siècles barbares précédents qu’au futur rationnel décrit par tant de romans de science-fiction.

    De vastes territoires, des richesses et, surtout, une immense force de travail disponible attendent leur nouveau seigneur. Unique est la fonction de maître du monde, mais nombreux sont les candidats. D’où la nouvelle guerre entre ceux qui prétendent faire partie de l’« Empire du bien ».

    Si la troisième guerre mondiale a vu l’affrontement du capitalisme et du socialisme sur divers terrains et avec des degrés d’intensité variables, la quatrième se livre entre grands centres financiers, sur des théâtres mondiaux et avec une formidable et constante intensité.

    La « guerre froide », la mal nommée, atteignit de très hautes températures : des catacombes de l’espionnage international jusqu’à l’espace sidéral de la fameuse « guerre des étoiles » de Ronald Reagan ; des sables de la baie des Cochons, à Cuba, jusqu’au delta du Mékong, au Vietnam ; de la course effrénée aux armes nucléaires jusqu’aux coups d’Etat sauvages en Amérique latine ; des coupables manoeuvres des armées de l’OTAN aux menées des agents de la CIA en Bolivie, où fut assassiné Che Guevara. Tous ces événements ont fini par faire fondre le camp socialiste comme système mondial, et par le dissoudre comme alternative sociale.

    La troisième guerre mondiale a montré les bienfaits de la « guerre totale » pour le vainqueur : le capitalisme. L’après-guerre laisse entrevoir un nouveau dispositif planétaire dont les principaux éléments conflictuels sont l’accroissement important des no man’s land (du fait de la débâcle de l’Est), le développement de quelques puissances (les Etats-Unis, l’Union européenne et le Japon), la crise économique mondiale et la nouvelle révolution informatique.

    Grâce aux ordinateurs, les marchés financiers, depuis les salles de change et selon leur bon plaisir, imposent leurs lois et leurs préceptes à la planète. La « mondialisation » n’est rien de plus que l’extension totalitaire de leurs logiques à tous les aspects de la vie. Naguère maîtres de l’économie, les Etats-Unis sont désormais dirigés, télédirigés, par la dynamique même du pouvoir financier : le libre-échange commercial. Et cette logique a profité de la porosité provoquée par le développement des télécommunications pour s’approprier tous les aspects de l’activité du spectre social. Enfin une guerre mondiale totalement totale ! Une de ses premières victimes est le marché national. A la manière d’une balle tirée à l’intérieur d’une pièce blindée, la guerre déclenchée par le néolibéralisme ricoche et finit par blesser le tireur. Une des bases fondamentales du pouvoir de l’Etat capitaliste moderne, le marché national, est liquidée par la canonnade de l’économie financière globale. Le nouveau capitalisme international rend les capitalismes nationaux caducs, et en affame jusqu’à l’inanition les pouvoirs publics. Le coup a été si brutal que les Etats nationaux n’ont pas la force de défendre les intérêts des citoyens.

    La belle vitrine héritée de la guerre froide - le nouvel ordre mondial - a été brisée en mille morceaux par l’explosion néolibérale. Quelques minutes suffisent pour que les entreprises et les Etats s’effondrent ; non pas à cause du souffle des révolutions prolétariennes, mais en raison de la violence des ouragans financiers.

    Le fils (le néolibéralisme) dévore le père (le capital national) et, au passage, détruit les mensonges de l’idéologie capitaliste : dans le nouvel ordre mondial, il n’y a ni démocratie, ni liberté, ni égalité, ni fraternité. La scène planétaire est transformée en nouveau champ de bataille où règne le chaos.

    Vers la fin de la guerre froide, le capitalisme a créé une horreur militaire : la bombe à neutrons, arme qui détruit la vie tout en respectant les bâtiments. Mais une nouvelle merveille a été découverte à l’occasion de la quatrième guerre mondiale : la bombe financière. A la différence de celles d’Hiroshima et de Nagasaki, cette nouvelle bombe non seulement détruit la polis (ici, la nation) et impose la mort, la terreur et la misère à ceux qui y habitent, mais elle transforme sa cible en simple pièce dans le puzzle de la mondialisation économique. Le résultat de l’explosion n’est pas un tas de ruines fumantes ou des milliers de corps inertes, mais un quartier qui s’ajoute à une mégalopole commerciale du nouvel hypermarché planétaire et une force de travail reprofilée pour le nouveau marché de l’emploi planétaire.

    L’Union européenne vit dans sa chair les effets de la quatrième guerre mondiale. La mondialisation a réussi à y effacer les frontières entre des Etats rivaux, ennemis depuis des siècles, et les a obligés à converger vers l’union politique. Des Etats-nations jusqu’à la fédération européenne, le chemin sera pavé de destructions et de ruines, à commencer par celles de la civilisation européenne.

    Les mégapoles se reproduisent sur toute la planète. Les zones d’intégration commerciale constituent leur terrain de prédilection. En Amérique du Nord, l’Accord de libre échange nord-américain (Alena) entre le Canada, les Etats-Unis et le Mexique précède l’accomplissement d’un vieux rêve de conquête : « L’Amérique aux Américains ». Les mégapoles remplacent-elles les nations ? Non, ou plutôt pas seulement. Elles leur attribuent de nouvelles fonctions, de nouvelles limites et de nouvelles perspectives. Des pays entiers deviennent des départements de la méga-entreprise néolibérale, qui produit ainsi, d’un côté, la destruction/dépeuplement, et, de l’autre, la reconstruction/réorganisation de régions et de nations.

    Si les bombes nucléaires avaient un caractère dissuasif, comminatoire et coercitif lors de la troisième guerre mondiale, les hyperbombes financières, au cours de la quatrième, sont d’une autre nature. Elles servent à attaquer les territoires (Etats-nations) en détruisant les bases matérielles de leur souveraineté et en produisant leur dépeuplement qualitatif, l’exclusion de tous les inaptes à la nouvelle économie (par exemple, les indigènes). Mais, simultanément, les centres financiers opèrent une reconstruction des Etats-nations et les réorganisent selon la nouvelle logique : l’économique l’emporte sur le social.

    Le monde indigène est plein d’exemples illustrant cette stratégie : M. Ian Chambers, directeur du Bureau pour l’Amérique centrale de l’Organisation internationale du travail (OIT), a déclaré que la population indigène mondiale (300 millions de personnes) vit dans des zones qui recèlent 60 % des ressources naturelles de la planète. « Il n’est donc pas surprenant que de multiples conflits éclatent pour s’emparer de leurs terres (...). L’exploitation des ressources naturelles (pétrole et mines) et le tourisme sont les principales industries qui menacent les territoires indigènes en Amérique (1). » Après viennent la pollution, la prostitution et les drogues.

    Dans cette nouvelle guerre, la politique, en tant que moteur de l’Etat-nation, n’existe plus. Elle sert seulement à gérer l’économie, et les hommes politiques ne sont plus que des gestionnaires d’entreprise. Les nouveaux maîtres du monde n’ont pas besoin de gouverner directement. Les gouvernements nationaux se chargent d’administrer les affaires pour leur compte. Le nouvel ordre, c’est l’unification du monde en un unique marché. Les Etats ne sont que des entreprises avec des gérants en guise de gouvernements, et les nouvelles alliances régionales ressemblent davantage à une fusion commerciale qu’à une fédération politique. L’unification que produit le néolibéralisme est économique ; dans le gigantesque hypermarché planétaire ne circulent librement que les marchandises, pas les personnes.
    ...
    Dernière modification par Alain, 10 août 2008, 15h13.

  • #2
    ............

    Cette mondialisation répand aussi un modèle général de pensée. L’American way of life, qui avait suivi les troupes américaines en Europe lors de la deuxième guerre mondiale, puis au Vietnam et, plus récemment, dans le Golfe, s’étend maintenant à la planète par le biais des ordinateurs. Il s’agit d’une destruction des bases matérielles des Etats-nations, mais également d’une destruction historique et culturelle. Toutes les cultures que les nations ont forgées - le noble passé indigène de l’Amérique, la brillante civilisation européenne, la sage histoire des nations asiatiques et la richesse ancestrale de l’Afrique et de l’Océanie - sont corrodées par le mode de vie américain. Le néolibéralisme impose ainsi la destruction de nations et de groupes de nations pour les fondre dans un seul modèle. Il s’agit donc bien d’une guerre planétaire, la pire et la plus cruelle, que le néolibéralisme livre contre l’humanité.Nous voici face à un puzzle. Pour le reconstituer, pour comprendre le monde d’aujourd’hui, beaucoup de pièces manquent. On peut néanmoins en retrouver sept afin de pouvoir espérer que ce conflit ne s’achèvera pas par la destruction de l’humanité. Sept pièces pour dessiner, colorier, découper et tenter de reconstituer, en les assemblant à d’autres, le casse-tête mondial.

    La première de ces pièces est la double accumulation de richesse et de pauvreté aux deux pôles de la société planétaire. La deuxième est l’entière exploitation du monde. La troisième est le cauchemar d’une partie désoeuvrée de l’humanité. La quatrième est la relation nauséabonde entre le pouvoir et le crime. La cinquième est la violence de l’Etat. La sixième est le mystère de la mégapolitique. La septième, ce sont les formes multiples de résistance que déploie l’humanité contre le néolibéralisme.


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    PIÈCE NUMÉRO 1

    CONCENTRATION DE LA RICHESSE
    ET RÉPARTITION DE LA PAUVRETÉ
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    La figure 1 se construit en dessinant un signe monétaire.

    Dans l’histoire de l’humanité, divers modèles se sont disputé pour proposer l’absurde comme marque de l’ordre mondial. Le néolibéralisme occupera une place privilégiée lors de la remise des médailles. Sa conception du « partage » de la richesse est doublement absurde : accumulation des richesses pour quelques-uns, et de besoins pour des millions d’autres. L’injustice et l’inégalité sont les signes distinctifs du monde actuel. La Terre compte 5 milliards d’êtres humains : 500 millions vivent confortablement, 4,5 milliards souffrent de pauvreté. Les riches compensent leur minorité numérique grâce à leurs milliards de dollars. A elle seule, la fortune des 358 personnes les plus riches du monde, milliardaires en dollars, est supérieure au revenu annuel de la moitié des habitants les plus pauvres de la planète, soit environ 2,6 milliards de personnes.

    Le progrès des grandes entreprises transnationales ne suppose pas l’avancée des nations développées. Au contraire, plus ces géants s’enrichissent, et plus s’aggrave la pauvreté dans les pays dits riches. L’écart entre riches et pauvres est énorme ; loin de s’atténuer, les inégalités sociales se creusent.

    Ce signe monétaire que vous avez dessiné représente le symbole du pouvoir économique mondial. Maintenant, donnez-lui la couleur vert dollar. Négligez l’odeur nauséabonde ; cet arôme de fumier, de fange et de sang est d’origine.


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    PIÈCE NUMÉRO 2

    GLOBALISATION
    DE L’EXPLOITATION
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    La figure 2 se construit en dessinant un triangle

    L’un des mensonges néolibéraux consiste à dire que la croissance économique des entreprises produit une meilleure répartition de la richesse et de l’emploi. C’est faux. De même que l’accroissement du pouvoir d’un roi n’a pas pour effet un accroissement du pouvoir de ses sujets (c’est plutôt le contraire), l’absolutisme du capital financier n’améliore pas la répartition des richesses et ne crée pas de travail.

    Pauvreté, chômage et précarité sont ses conséquences structurelles.

    Dans les années 60 et 70, le nombre de pauvres (définis par la Banque mondiale comme disposant de moins de 1 dollar par jour) s’élevait à quelque 200 millions. Au début des années 90, leur nombre était de 2 milliards.

    Davantage d’êtres humains pauvres et appauvris. Moins de personnes riches et enrichies, telles sont les leçons de la pièce 1 du puzzle. Pour obtenir ce résultat absurde, le système capitaliste mondial « modernise » la production, la circulation et la consommation de marchandises. La nouvelle révolution technologique (l’informatique) et la nouvelle révolution politique (les mégapoles émergentes sur les ruines de l’Etat-nation) produisent une nouvelle « révolution » sociale, en fait une réorganisation des forces sociales, principalement de la force du travail.

    La population économiquement active (PEA) mondiale est passée de 1,38 milliard en 1960 à 2,37 milliards en 1990. Davantage d’êtres humains capables de travailler, mais le nouvel ordre mondial les circonscrit dans des espaces précis et en réaménage les fonctions (ou les non-fonctions, comme dans le cas des chômeurs et des précaires). La population mondiale employée par activité (PMEA) s’est modifiée radicalement au cours des vingt dernières années. Le secteur agricole et la pêche sont tombés de 22 % en 1970 à 12 % en 1990, le manufacturier de 25 % à 22 %, mais le tertiaire (commerce, transports, banque et services) est passé de 42 % à 56 %. Dans les pays en voie de développement, le tertiaire a crû de 40 % en 1970 à 57 % en 1990, l’agriculture et la pêche chutant de 30 % à 15 % (2).

    De plus en plus de travailleurs sont orientés vers des activités de haute productivité. Le système agit ainsi comme une sorte de mégapatron pour lequel le marché planétaire ne serait qu’une entreprise unique, gérée de manière « moderne ». Mais la « modernité » néolibérale semble plus proche de la bestiale naissance du capitalisme que de la « rationalité » utopique. Car la production capitaliste continue de faire appel au travail des enfants. Sur 1,15 milliard d’enfants dans le monde, au moins 100 millions vivent dans la rue et 200 millions travaillent - ils seront, d’après les prévisions, 400 millions en l’an 2000. Rien qu’en Asie, on en compterait 146 millions dans les manufactures. Et, dans le Nord aussi, des centaines de milliers d’enfants travaillent pour compléter le revenu familial ou pour survivre. On emploie également beaucoup d’enfants dans les industries du plaisir : selon les Nations unies, chaque année, un million d’enfants sont jetés dans le commerce sexuel.

    Le chômage et la précarité de millions de travailleurs dans le monde, voilà une réalité qui ne semble pas à la veille de disparaître. Dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le chômage est passé de 3,8 % en 1966 à 6,3 % en 1990 ; en Europe, il est passé de 2,2 % à 6,4 %. Le marché mondialisé détruit les petites et moyennes entreprises. Avec la disparition de marchés locaux et régionaux, celles-ci, privées de protection, ne peuvent supporter la concurrence des géants transnationaux. Des millions de travailleurs se retrouvent ainsi au chômage. Absurdité néolibérale : loin de créer des emplois, la croissance de la production en détruit - l’ONU parle de « croissance sans emploi ».

    Mais le cauchemar ne s’arrête pas là. Les travailleurs doivent accepter des conditions précaires. Une plus grande instabilité, des journées de travail plus longues et des salaires plus bas. Telles sont les conséquences de la mondialisation et de l’explosion du secteur des services.

    Tout cela produit un excédent spécifique : des êtres humains en trop, inutiles au nouvel ordre mondial parce qu’ils ne produisent plus, ne consomment plus et n’empruntent plus aux banques. Bref, ils sont jetables. Chaque jour, les marchés financiers imposent leurs lois aux Etats et aux groupes d’Etats. Ils redistribuent les habitants. Et, à la fin, ils constatent qu’il y a encore des gens en trop.

    Voilà donc une figure qui ressemble à un triangle, la représentation de la pyramide de l’exploitation mondiale.

    Commentaire


    • #3
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      PIÈCE NUMÉRO 3

      MIGRATION,
      LE CAUCHEMAR ERRANT
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      La figure 3 se construit en dessinant un cercle.

      Nous avons déjà parlé de l’existence, à la fin de la troisième guerre mondiale, de nouveaux territoires (les anciens pays socialistes) à conquérir, et d’autres à reconquérir. D’où la triple stratégie des marchés : les « guerres régionales » et les « conflits internes » prolifèrent ; le capital poursuit un objectif d’accumulation atypique ; et de grandes masses de travailleurs sont mobilisées. Résultat : une grande roue de millions de migrants à travers la planète. « Etrangers » dans un monde « sans frontières », selon la promesse des vainqueurs de la guerre froide, ils souffrent de persécutions xénophobes, de la précarité de l’emploi, de la perte de leur identité culturelle, de la répression policière et de la faim, quand on ne les jette pas en prison ou qu’on ne les assassine. Le cauchemar de l’émigration, quelle qu’en soit la cause, continue de croître. Le nombre de ceux qui relèvent du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a littéralement explosé, passant de 2 millions en 1975 à plus de 27 millions en 1995.

      La politique migratoire du néolibéralisme a davantage pour but de déstabiliser le marché mondial du travail que de freiner l’immigration. La quatrième guerre mondiale - avec ses mécanismes de destruction-dépeuplement, reconstruction-réorganisation - entraîne le déplacement de millions de personnes. Leur destinée est d’errer, leur cauchemar sur le dos, afin de constituer une menace pour les travailleurs disposant d’un emploi, un épouvantail de nature à faire oublier le patron et un prétexte pour le racisme.


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      PIÈCE NUMÉRO 4

      MONDIALISATION FINANCIÈRE
      ET GÉNÉRALISATION DU CRIME
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      La figure 4 se construit en dessinant un rectangle.

      Si vous pensez que le monde de la délinquance est synonyme d’outre-tombe et d’obscurité, vous vous trompez. Durant la période dite de guerre froide, le crime organisé a acquis une image plus respectable. Non seulement il a commencé à fonctionner comme une entreprise moderne, mais il a aussi pénétré profondément les systèmes politiques et économiques des Etats-nations.

      Avec le début de la quatrième guerre mondiale, le crime organisé a globalisé ses propres activités. Les organisations criminelles des cinq continents se sont approprié l’« esprit de coopération mondial » et, associées, participent à la conquête des nouveaux marchés. Elles investissent dans des affaires légales, non seulement pour blanchir l’argent sale, mais pour acquérir du capital destiné à leurs affaires illégales. Activités préférées : l’immobilier de luxe, les loisirs, les médias, et... la banque.

      Ali Baba et les 40 banquiers ? Pis. Les banques commerciales utilisent l’argent sale pour leurs activités légales. Selon un rapport des Nations unies, « le développement des syndicats du crime a été facilité par les programmes d’ajustement structurel que les pays endettés ont été contraints d’accepter pour avoir accès aux prêts du Fonds monétaire international (3) ».

      Le crime organisé compte aussi sur les paradis fiscaux. Il y en a quelque 55 - l’un d’eux, les »les Ca man, occupe la cinquième place comme centre bancaire et possède plus de banques et de sociétés enregistrées que d’habitants. Outre le blanchiment de l’argent sale, les paradis fiscaux servent à échapper aux impôts. Ce sont des lieux de contact entre gouvernants, hommes d’affaires et chefs mafieux.

      Voici donc le miroir rectangulaire dans lequel légalité et illégalité échangent leurs reflets. De quel côté du miroir se trouve le criminel ? De quel côté celui qui le poursuit ?


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      PIÈCE NUMÉRO 5

      LÉGITIME VIOLENCE
      D’UN POUVOIR ILLÉGITIME ?
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      La figure 5 se construit en dessinant un pentagone.

      Dans le cabaret de la globalisation, l’Etat se livre à un strip-tease au terme duquel il ne conserve que le minimum indispensable : sa force de répression. Sa base matérielle détruite, sa souveraineté et son indépendance annulées, sa classe politique effacée, l’Etat-nation devient un simple appareil de sécurité au service des méga-entreprises. Au lieu d’orienter l’investissement public vers la dépense sociale, il préfère améliorer les équipements qui lui permettent de contrôler plus efficacement la société.

      Que faire quand la violence découle des lois du marché ? Où est la violence légitime ? Où l’illégitime ? Quel monopole de la violence peuvent revendiquer les malheureux Etats-nations quand le libre jeu de l’offre et la demande défie un tel monopole ? N’avons-nous pas montré, dans la pièce no 4, que le crime organisé, le gouvernement et les centres financiers sont tous intimement liés ? N’est-il pas évident que le crime organisé compte de véritables armées ? Le monopole de la violence n’appartient plus aux Etats-nations : le marché l’a mis à l’encan... Si la contestation du monopole de la violence invoque, non les lois du marché, mais les intérêts de « ceux d’en bas », alors le pouvoir mondial y verra une agression. C’est l’un des aspects les moins étudiés (et les plus condamnés) du défi lancé par les indigènes en armes et en rébellion de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) contre le néolibéralisme et pour l’humanité.

      Le symbole du pouvoir militaire américain est le Pentagone. La nouvelle police mondiale veut que les armées et les polices nationales soient un simple corps de sécurité garantissant l’ordre et le progrès dans les mégapoles néolibérales.


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      PIÈCE NUMÉRO 6

      LA MÉGAPOLITIQUE
      ET LES NAINS
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      La figure 6 se construit en faisant un gribouillage.

      Nous avons dit que les Etats-nations sont attaqués par les marchés financiers et contraints de se dissoudre au sein de mégapoles. Mais le néolibéralisme ne mène pas seulement sa guerre en « unissant » des nations et des régions. Sa stratégie de destruction-dépeuplement et de reconstruction-réorganisation produit, de surcroît, des fractures dans les Etats-nations. C’est l’un des paradoxes de cette quatrième guerre : destinée à éliminer les frontières et à unir des nations, elle provoque une multiplication des frontières et une pulvérisation des nations.

      Si quelqu’un doute encore que cette globalisation soit une guerre mondiale, qu’il prenne en compte les conflits qui ont provoqué l’éclatement de l’URSS, de la Tchécoslovaquie et de la Yougoslavie, victimes de ces crises qui brisent les fondements économiques des Etats-nations et leur cohésion.

      La construction des mégapoles et la fragmentation des Etats sont une conséquence de la destruction des Etats-nations. S’agit-il d’événements séparés ? Sont-ce des symptômes d’une mégacrise à venir ? Des faits isolés ? La suppression des frontières commerciales, l’explosion des télécommunications, les autoroutes de l’information, la puissance des marchés financiers, les accords internationaux de libre-échange, tout cela contribue à détruire les Etats-nations. Paradoxalement, la mondialisation produit un monde fragmenté, fait de compartiments étanches à peine reliés par des passerelles économiques. Un monde de miroirs brisés qui reflètent l’inutile unité mondiale du puzzle néolibéral.

      Mais le néolibéralisme ne fragmente pas seulement le monde qu’il voudrait unifier, il produit également le centre politico-économique qui dirige cette guerre. Il est urgent de parler de la mégapolitique. La mégapolitique englobe les politiques nationales et les relie à un centre qui a des intérêts mondiaux, avec, pour logique, celle du marché. C’est au nom de celle-ci que sont décidés les guerres, les crédits, l’achat et la vente de marchandises, les reconnaissances diplomatiques, les blocus commerciaux, les soutiens politiques, les lois sur les immigrés, les ruptures internationales, les investissements. Bref, la survie de nations entières.

      Les marchés financiers n’ont que faire de la couleur politique des dirigeants des pays : ce qui compte, à leurs yeux, c’est le respect du programme économique. Les critères financiers s’imposent à tous. Les maîtres du monde peuvent tolérer l’existence d’un gouvernement de gauche, à condition que celui-ci n’adopte aucune mesure pouvant nuire aux intérêts des marchés. Ils n’accepteront jamais une politique de rupture avec le modèle dominant.

      Aux yeux de la mégapolitique, les politiques nationales sont conduites par des nains qui doivent se plier aux diktats du géant financier. Il en sera toujours ainsi... jusqu’à ce que les nains se révoltent.

      Voici donc la figure qui représente la mégapolitique. Impossible de lui trouver la moindre rationalité.

      Commentaire


      • #4
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        PIÈCE NUMÉRO 7

        LES POCHES
        DE RÉSISTANCE
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        La figure 7 se construit en dessinant une poche.

        « Pour commencer, je te prie de ne point confondre la Résistance avec l’opposition politique. L’opposition ne s’oppose pas au pouvoir, et sa forme la plus aboutie est celle d’un parti d’opposition ; tandis que la Résistance, par définition, ne peut être un parti : elle n’est pas faite pour gouverner, mais... pour résister. » (Tomás Segovia, Alegatorio, Mexico, 1996.)

        L’apparente infaillibilité de la mondialisation se heurte à l’obstinée désobéissance de la réalité. Tandis que le néolibéralisme poursuit sa guerre, des groupes de protestataires, des noyaux de rebelles se forment à travers la planète. L’empire des financiers aux poches pleines affronte la rébellion des poches de résistance. Oui, des poches. De toutes tailles, de différentes couleurs, de formes variées. Leur seul point commun : une volonté de résistance au « nouvel ordre mondial » et au crime contre l’humanité que représente cette quatrième guerre.

        Le néolibéralisme tente de soumettre des millions d’êtres, et veut se défaire de tous ceux qui seraient « de trop ». Mais ces « jetables » se révoltent. Femmes, enfants, vieillards, jeunes, indigènes, écologistes, homosexuels, lesbiennes, séropositifs, travailleurs, et tous ceux qui dérangent l’ordre nouveau, qui s’organisent et qui luttent. Les exclus de la « modernité » tissent les résistances.

        Au Mexique, par exemple, au nom du Programme de développement intégral de l’isthme des Tehuantepec, les autorités voudraient construire une grande zone industrielle. Cette zone comprendra des « usines-tournevis », une raffinerie pour traiter le tiers du brut mexicain et pour élaborer des produits de la pétrochimie. Des voies de transit interocéaniques seront construites : des routes, un canal et une ligne ferroviaire transisthmique. Deux millions de paysans deviendraient ouvriers de ces usines. De même, dans le sud-est du Mexique, dans la forêt Lacandone, on met sur pied un Programme de développement régional durable, avec l’objectif de mettre à la disposition du capital des terres indigènes riches en dignité et en histoire, mais aussi en pétrole et en uranium.

        Ces projets aboutiraient à fragmenter le Mexique, en séparant le Sud-Est du reste du pays. Ils s’inscrivent, en fait, dans une stratégie de contre-insurrection, telle une tenaille cherchant à envelopper la rébellion anti-néolibérale née en 1994 : au centre, se trouvent les indigènes rebelles de l’Armée zapatiste de libération nationale.

        Sur la question des indigènes rebelles, une parenthèse s’impose : les zapatistes estiment que, au Mexique, la reconquête et la défense de la souveraineté nationale font partie de la révolution antilibérale. Paradoxalement, on accuse l’EZLN de vouloir la fragmentation du pays. La réalité, c’est que les seuls à évoquer le séparatisme sont les entrepreneurs de l’Etat de Tabasco, riche en pétrole, et les députés fédéraux originaires du Chiapas et membres du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI). Les zapatistes, eux, pensent que la défense de l’Etat national est nécessaire face à la mondialisation, et que les tentatives pour briser le Mexique en morceaux viennent du groupe qui gouverne et non des justes demandes d’autonomie des peuples indiens.

        L’EZLN et l’ensemble du mouvement indigène national ne veulent pas que les peuples indiens se séparent du Mexique : ils entendent être reconnus comme partie intégrante du pays, mais avec leurs spécificités. Ils aspirent à un Mexique rimant avec démocratie, liberté et justice. Si l’EZLN défend la souveraineté nationale, l’armée fédérale mexicaine, elle, protège un gouvernement qui en a détruit les bases matérielles et qui a offert le pays au grand capital étranger comme aux narcotrafiquants.

        Il n’y a pas que dans les montagnes du Sud-Est mexicain que l’on résiste au néolibéralisme. Dans d’autres régions du Mexique, en Amérique latine,

        aux Etats-Unis et au Canada, dans l’Europe du traité de Maastricht, en Afrique, en Asie et en Océanie, les poches de résistance se multiplient. Chacune a sa propre histoire, ses spécificités, ses similitudes, ses revendications, ses luttes, ses succès. Si l’humanité veut survivre et s’améliorer, son seul espoir réside dans ces poches que forment les exclus, les laissés-pour-compte, les « jetables ».

        Cela est un exemple de poche de résistance, mais je n’y attache pas beaucoup d’importance. Les exemples sont aussi nombreux que les résistances et aussi divers que les mondes de ce monde. Dessinez donc l’exemple qui vous plaira. Dans cette affaire des poches, comme dans celle des résistances, la diversité est une richesse.


        ************

        Après avoir dessiné, colorié et découpé ces sept pièces, vous vous apercevrez qu’il est impossible de les assembler. Tel est le problème : la mondialisation a voulu assembler des pièces qui ne s’emboîtent pas. Pour cette raison, et pour d’autres que je ne peux développer dans ce texte, il est nécessaire de bâtir un monde nouveau. Un monde pouvant contenir beaucoup de mondes, pouvant contenir tous les mondes.

        Post-scriptum qui raconte des rêves nichés dans l’amour. La mer repose à mes côtés. Elle partage depuis longtemps des angoisses, incertitudes, et de nombreux rêves, mais maintenant, elle dort avec moi dans la nuit chaude de la forêt. Je la regarde onduler comme les blés dans mes rêves et m’émerveille à nouveau de la retrouver inchangée : tiède, fraîche, à mes côtés. L’étouffement me tire du lit et prend ma main et ma plume pour ramener le vieil Antoine, aujourd’hui comme il y a des années... J’ai demandé au vieil Antoine de m’accompagner dans une exploration en aval du fleuve. Nous n’emportons qu’un peu de nourriture. Durant des heures, nous poursuivons le cours capricieux, et la faim et la chaleur nous saisissent. Nous passons l’après-midi à poursuivre une harde de sangliers. Il fait presque nuit lorsque nous les rejoignons, mais un énorme porc sauvage se détache du groupe et nous attaque. Je fais appel à tout mon savoir militaire : je jette mon arme, et je grimpe à l’arbre le plus proche. Le vieil Antoine reste impassible devant l’attaque et, au lieu de courir, il se place derrière un taillis. Le gigantesque sanglier, de toutes ses forces, fonce droit sur lui, et s’encastre dans les branchages et les épines. Avant qu’il ne parvienne à se libérer, le vieil Antoine lève sa vieille carabine, et, d’un coup, fournit le repas du soir. A l’aube, lorsque j’ai fini de nettoyer mon moderne fusil automatique (M-16, calibre 5,56 mm avec sélecteur de cadence et une portée réelle de 460 mètres, une mire télescopique, et un chargeur de 90 balles), je rédige mon Journal de campagne. Omettant ce qui est arrivé, je note seulement : « Avons rencontré sanglier et A. a tué une pièce. Hauteur 350 mètres. Il n’a pas plu. »

        Pendant que nous attendons que la viande grille, je raconte au vieil Antoine que ma part servira pour les fêtes qu’on prépare au campement. « Des fêtes ? », me demande-t-il, pendant qu’il attise le feu. « Oui, lui dis-je. Quel que soit le mois, il y a toujours quelque chose à fêter. » Et je poursuis par une brillante dissertation sur le calendrier historique et les célébrations zapatistes. Le vieil Antoine m’écoute en silence ; imaginant que cela ne l’intéresse pas, je m’installe pour dormir. Plongé dans mes rêves, je vois le vieil Antoine saisir mon cahier et y écrire quelque chose. Le lendemain, après le petit déjeuner, nous partageons la viande, et chacun s’en va de son côté. Une fois au campement, je fais mon rapport et je montre le cahier pour qu’on sache ce qui s’est passé. « Ce n’est pas ton écriture », me dit-on en me montrant la feuille du cahier. Là, après ce que j’avais noté moi-même, le vieil Antoine a écrit en grosses lettres : « Si tu ne peux pas avoir, et la raison, et la force, choisis toujours la raison et abandonne à l’ennemi la force. Dans de nombreuses batailles, la force permet d’obtenir la victoire, mais une guerre ne se gagne que grâce à la raison. Le puissant ne pourra jamais tirer de la raison de sa force, tandis que nous pourrons toujours tirer force de notre raison. »

        Et plus bas, en petits caractères : « Joyeuses fêtes. »

        Evidemment, je n’avais plus faim. Les fêtes zapatistes, comme d’habitude, furent effectivement joyeuses.

        le sous-commandant Marcos

        Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), Chiapas, Mexique.

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        • #5
          http://cspcl.ouvaton.org/article.php3?id_article=54

          Lettre à ETA
          Communiqué du CCRI-CG de l’EZLN

          Du 9 au 12 janvier 2003.

          À l’organisation politico-militaire basque Euskadi Ta Askatasuna (ETA, Pays basque).

          De l’Armée zapatiste de libération nationale. Mexique.

          Mesdames et Messieurs,

          Nous avons reçu la lettre datée du 1er janvier 2003 que vous nous avez envoyée à travers les agences de presse, les journaux, les sites Internet et cetera. Nous avons appris l’existence de ce courrier le 6 janvier, mais ce n’est que lors de sa publication dans le journal mexicain La Jornada que nous avons pu en lire le texte intégral. C’est à cette dernière version que nous nous référons.

          Cette nouvelle nous est parvenue comme nous parviennent les nouvelles par ici. Je me trouvais présentement aux toilettes, pensant à ce qui se passerait si ETA était d’accord et exauçaient mes vœux juste à l’instant précis où je satisferais ces besoins que l’on appelle physiologiques. Je voyais déjà les manchettes des journaux le jour suivant : "Le Sup meurt victime de sa crotte !" * Et après, le coup de grâce (c’est un terme journalistique, ce n’est pas ce que vous croyez) : "C’est devenu une vraie ***** !" (enfin, les journaux, qui se soucient des bonnes manières et protègent les bons usages, diraient plutôt : "Il en est resté réduit en purée.") Et tous les journaux publieraient un supplément dépliant signé par les esprits les plus lucides et les plus élégants du Mexique et d’Espagne, qui titrerait : "Dès le début, nous vous avons dit que ce mec était une vraie *****." Bref, j’en étais là de mes réflexions (qu’apprécient tellement Savater and Co) et je m’en revenais au Commandement, quand sont venus me chercher les commandants Tacho, Mister et Brus Li (et non "Bruce Lee", comme disent les journaux), qui m’ont dit :

          "- On a entendu aux infos qu’ETA a déjà répondu.

          * - Ah ouais ? Et qu’est-ce qu’ils disent ?

          * - Ils te font des reproches.

          * - Bah, ça c’est un sport national. Minute ! Comment ça, "ils te font des reproches" ? Vous voulez dire : "Ils nous font des reproches." Ou est-ce que par ma voix ne parle plus l’ézétaèlène ?

          * - Non, non. Ils te font des reproches à toi. C’est notre accord : à toi les reproches, à nous les félicitations", me dit Mister.

          Et d’ajouter :

          "- Peut-être que quelqu’un nous enverra la lettre en entier."

          Ce qui a pris "un certain temps", surtout quand on sait que nous sommes censés être une guérilla "postmoderne" disposant des dernières innovations technologiques et que nous "surfons" dans le cyberespace.

          La lettre entière enfin dans les mains, ils la lirent, puis me l’ont passée, avec un "Ouhhh !" sarcastique.

          Tacho a demandé : "Qu’est-ce qu’ils veulent dire quand ils écrivent "Nous savons que vous n’avez pas toujours vu juste ?"

          À quoi Omar répondit avec un sourire : "Ils doivent vouloir dire qu’on s’est gourés quand on a nommé le Sup porte-parole."

          On a dû entendre les éclats de rire jusqu’au Pays basque !

          Le commandant David s’est approché de moi pour me dire, en guise de consolation : "Ne t’en fais pas, ils doivent plaisanter."

          La commandante Esther a essayé de dire quelque chose, mais le fou-rire l’étouffait. En revanche, la commandante Fidelia s’est offerte pour me préparer un thé et m’a dit : "Il faut leur répondre, surtout à cette histoire de petits garçons et de petites filles de l’EZLN."

          "Et à ça aussi", ajoute Tacho en entourant sur le papier certains passages de votre lettre avec un crayon qui avait appartenu au général Absalón Castellanos (général de l’armée fédérale mexicaine, célèbre pour assassiner les indigènes et pour pourchasser, torturer, emprisonner et tuer les voix dissidentes ; il fut capturé par les forces zapatistes en 1994, puis jugé et condamné à une peine consistant à passer le reste de ses jours dans la honte d’avoir été pardonné par ceux qui furent ses victimes).

          Alors :

          PREMIÈREMENT. Je vous fais savoir que les petits garçons et les petites filles de l’EZLN ne comprennent pas tout sans qu’un mot soit prononcé, comme vous le supposez par erreur dans votre lettre.

          Nous, nous les traitons en principe comme des enfants. C’est le puissant, dans sa guerre, qui les traite comme des adultes. Nous, nous leur parlons. Nous leur apprenons que la parole, alliée à l’amour et à la dignité, est ce qui fait de nous des êtres humains. Nous ne leur apprenons pas à se battre. Ou plutôt si, mais avec les mots. Eux, ils apprennent. Ils savent que si nous en sommes là, c’est pour qu’eux n’aient pas à faire la même chose. Et ils parlent et écoutent aussi.

          Nous leur apprenons que les mots ne tuent pas, contrairement à ce que vous dites, mais qu’il est possible de tuer les mots et, avec eux, l’être humain.

          Nous leur apprenons qu’il y a autant de mots que de couleurs et qu’il y a autant de pensées parce que le monde est fait pour qu’y naissent des mots. Qu’il y a des pensées différentes et que nous devons les respecter.

          Qu’il y a des gens qui prétendent que leur pensée doit être la seule et qui pourchassent, emprisonnent et tuent les pensées qui sont différentes des leurs (toujours en se cachant derrière la raison d’État, des lois illégitimes ou des "justes causes").

          Et nous leur apprenons à parler avec la vérité, c’est-à-dire avec le cœur. Parce que le mensonge est une des façons de tuer la parole.

          Dans la langue des hommes chauves-souris, ceux qui en parlant guident leurs pas, les Tzotziles, parler avec la vérité se dit : "YALEL TA MELEI".

          Nous leur apprenons à parler et aussi à écouter. Parce que celui qui ne fait que parler sans écouter finit par croire que ce qu’il dit est la seule chose valable.

          Dans la langue des Tzotziles, ceux qui en écoutant guident leurs pas, écouter avec le cœur se dit : "YATEL TAJLOK ’EL COONTIC".

          C’est en parlant et en écoutant que nous savons qui nous sommes, d’où nous venons et où mènent nos pas. C’est aussi comme cela que nous savons quelque chose des autres, de leur pas et de leur monde. C’est en parlant et en écoutant des mots que nous entendons la vie.

          DEUXIÈMEMENT. Je vois que vous avez le sens de l’humour et que vous nous avez découverts : nous, les zapatistes, qui n’avons jamais accaparé l’attention de la presse nationale et internationale, nous avons voulu "utiliser" le conflit basque, un conflit qui, de toute évidence, jouit d’une bonne presse à ne plus savoir qu’en faire. Qui plus est, depuis le jour où nous avons évoqué publiquement la lutte politique en Euskal Herria, les commentaires favorables aux zapatistes, dans la rue et dans la presse nationale et internationale, n’ont cessé de croître.

          À propos du fait que vous ne souhaitez participer à aucune sorte de "pantomime" ou d’"opérette", je le comprends. Vous, vous préférez les tragédies.

          En ce qui concerne le fait que vous refusiez "de faire l’objet du dernier tee-shirt à la mode sur la Gran Vía de Madrid", je dois dire que cela flanque par terre notre projet d’installer un stand de souvenirs zapatistes sur cette grande artère (c’est pourtant comme ça que nous pensions couvrir nos frais de voyage). Qui plus est, je doute que quiconque ose porter un tee-shirt avec un imprimé d’ETA (et pas parce que vous manqueriez de sympathisants, mais parce que si Batasuna est déclaré illégal sous prétexte qu’il ne condamne pas la lutte armée d’ETA, imaginez un peu ce que vaudrait à quelqu’un un tee-shirt où on puisse lire "Gora ETA"). Du reste, nous ne pensions pas vous demander d’autographes ou nous battre avec qui que ce soit pour partager l’estrade avec vous.

          Ce qui garantissait que la rencontre proposée était quelque chose de sérieux, c’est qu’elle n’aurait pas été organisée par nous (car nous ne nous spécialisons que dans les opérettes et dans le théâtre de l’absurde), mais par les forces politiques et sociales basques à qui nous avons proposé publiquement de l’organiser et de la réaliser même si le débat avec Garzón ne pouvait pas avoir lieu, que ce soit à cause d’obstacles posés par le gouvernement espagnol et le gouvernement mexicain ou à cause de son refus ou de celui d’ETA.

          TROISIÈMEMENT. "Cette façon d’annoncer publiquement, sans consultation préalable" que nous avons eue de lancer notre campagne "UNE OCCASION DONNÉE À LA PAROLE", c’est la manière dont nous procédons toujours, nous, les zapatistes. Nous ne faisons jamais d’accords préalables "en catimini" pour feindre ensuite que nous proposons quelque chose qui avait déjà été convenu auparavant.

          De plus, nous n’avons ni les moyens, ni l’envie, ni l’obligation de "consulter" l’ETA avant de parler.

          Parce que les zapatistes ont conquis le droit à la parole : le droit de dire ce qu’ils ont envie de dire, sur ce qu’ils ont envie et quand ça leur chante.

          Et pour le faire, nous n’avons ni à consulter ni à demander la permission à personne. Ni à Aznar, ni au roi Juan Carlos, ni au juge Garzón, ni à ETA.

          QUATRIÈMEMENT. Quant au fait d’avoir manqué de "respect au peuple basque", c’est quelque chose dont nous ont accusés aussi Garzón (par conséquent, il devrait s’autodéclarer illégal, puisqu’il est d’accord en cela avec l’ETA) et l’ensemble de la droite espagnole et basque.

          C’est sans doute parce que notre proposition de donner une occasion à la parole contrecarre les intérêts des gens qui, partant de positions apparemment contraires, ont fait de la mort de la parole leur négoce et leur alibi.

          C’est un fait que le gouvernement espagnol tue la parole quand il s’attaque à la langue basque l’euskera ou la lingua navarrorum, quand il harcèle et emprisonne les journalistes qui "osent" parler de la question basque en reprenant tous les points de vue et quand il torture des prisonniers pour qu’ils avouent ce qui sert la "justice" espagnole.

          Et le fait est qu’ETA tue la parole quand elle assassine ceux qui l’attaquent avec des mots et non avec des armes.
          ...

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          • #6
            ..........

            CINQUIÈMEMENT. En ce qui concerne le fait qu’ETA est disposée à "faire tout son possible pour que l’EZLN soit mieux informée sur le conflit qui oppose le Pays basque à l’État français et à l’État espagnol", nous refusons vos bonnes dispositions. Nous ne demandons à personne de nous informer. Nous sommes informés , et bien mieux que ce que beaucoup de gens pensent. Si nous n’exposons pas toujours les informations dont nous disposons, qui sont aussi des opinions, c’est parce que nous avons entre autres pour principe de considérer que les affaires des nations ne concernent que leur peuple. C’est bien pour cela que nous avons signalé que nous ne prendrions pas la parole lors de la rencontre "Une occasion donnée à la parole".

            Mais puisque vous semblez tellement disposés à informer, je pense que c’est le peuple basque que vous devriez informer.

            Nous, nous avons demandé qu’une occasion soit donnée à la parole. Pour que cela soit possible, nous avons dû nous adresser à différents acteurs du conflit basque. Nous l’avons fait parce que c’est notre devoir et non pas parce que l’idée d’écrire à Garzón ou à ETA nous passionne. D’une manière ou d’une autre, différents secteurs du spectre politique et intellectuel mexicain, espagnol et basque (vous y compris) ont saisi cette occasion et ont parlé * même si la plupart l’ont fait pour nous reprocher quelque chose. De sorte que vous êtes déjà en train de donner une occasion à la parole, même si c’est pour ronchonner et pontifier. Et c’est bien ce dont il s’agit.

            SIXIÈMEMENT. La question de la légitimité de la représentation.

            Le juge Garzón prétend représenter le peuple espagnol et le peuple basque (et inclut dans cette représentation le roi, le petit José et le petit Felipe), alors si moi, je les ai offensés, lui, il a offensé l’ensemble du peuple espagnol et du peuple basque.

            L’ETA prétend représenter le peuple basque, alors si nous l’offensons en proposant de donner une occasion à la parole, nous offensons l’ensemble du peuple basque.

            J’ignore si le peuple basque et le peuple espagnol acceptent d’être représentés par les uns et les autres. C’est à eux de le décider, pas à nous.

            Contrairement au juge Garzón et à vous, nous ne prétendons représenter personne d’autre que nous. Nous ne représentons pas l’ensemble du peuple mexicain (il y a de nombreuses organisations politiques et sociales dans ce pays). Nous ne représentons pas la gauche mexicaine (il y a d’autres organisations mexicaines de gauche conséquentes). Nous ne représentons pas la lutte armée mexicaine (il y a au moins quatorze autres organisations mexicaines politico-militaires de gauche). Nous ne représentons p as non plus l’ensemble des peuples indiens du Mexique (il y a fort heureusement de nombreuses organisations indigènes au Mexique, dont certaines mieux organisées que l’EZLN).

            De sorte que nous n’avons jamais prétendu que les sottises que Garzón et vous vous nous consacrez, insultent "le peuple du Mexique". Elles nous concernent à nous et nous ne nous abritons pas derrière de prétendues représentations, qui sont affichées la plupart du temps sans que les "représentés" n’en sachent rien.

            SEPTIÈMEMENT. Nous savons pertinemment que nous n’avons pas notre place dans l’ensemble (dé)concerté des organisations révolutionnaires et d’avant-garde du monde entier, même pas à l’arrière-garde. Ne croyez pas que cela nous désole. Au contraire, cela nous satisfait.

            Nous n’avons aucune peine à admettre que nos idées et nos propositions n’aient pas pour horizon la postérité et qu’il y ait d’autres idées et d’autres propositions meilleures que les nôtres.

            Par conséquent, nous avons renoncé à tout rôle d’avant-garde et à obliger quiconque à accepter notre pensée avec d’autre argument que la force de la raison.

            Nos armes ne servent pas à imposer des idées ou des manières de vivre, mais à défendre une pensée ainsi qu’une façon d’envisager le monde et d’entrer en relation avec lui, qui, certes, peut apprendre beaucoup d’autres pensées et d’autres vies, mais qui a également beaucoup à apprendre aux autres.

            Ce n’est pas à nous que vous devez exiger du respect. Vous voyez bien qu’en tant qu’"avant-garde révolutionnaire" nous sommes un désastre, aussi notre respect ne vous servirait-il à rien.

            Celui dont vous devez obtenir le respect, c’est de votre peuple. Or le "respect" et la "peur", ce sont deux choses bien différentes.

            Nous savons que vous êtes fâchés parce que vous pensez que nous ne vous prenons pas au sérieux, mais ce n’est pas de votre faute.

            Nous, par principe, nous ne prenons personne au sérieux, même pas nous.

            Parce que ceux qui se prennent au sérieux finissent par penser que leur vérité doit être la vérité pour tout le monde et pour toujours. Et que, tôt ou tard, ils consacrent tous leurs efforts non pas à ce que leur vérité naisse, grandisse, donne ses fruits et meure (car aucune vérité sur Terre n’est absolue et éternelle), mais à tuer tous ceux qui ne se soumettent pas à cette vérité.

            Nous ne voyons pas pourquoi nous devrions vous demander quoi faire et comment le faire. Qu’est-ce que vous pourriez nous apprendre ? À tuer des journalistes parce qu’ils parlent mal de votre lutte ? À justifier la mort d’enfants pour "la cause" ?

            Nous n’avons ni besoin ni envie de votre soutien ou de votre solidarité. Nous bénéficions déjà de la solidarité et du soutien de nombreuses personnes au Mexique et dans le monde.

            Notre lutte suit un code d’honneur, hérité de nos ancêtres guerriers. Parmi ses principes figurent les trois suivants : respecter la vie des civils (même s’ils sont membres des gouvernements qui nous oppriment) ; ne pas commettre d’actes criminels pour assurer nos besoins logistiques (nous ne volons même pas dans les épiceries), et ne pas répondre par les armes aux mots (bien qu’ils soient blessants ou mensongers).

            On pourrait penser que renoncer à ces méthodes traditionnellement "révolutionnaires" fait que nous renonçons à faire prospérer notre lutte. Pourtant, à la lumière ténue de l’histoire, il semble bien que nous ayons progressé plus que ceux qui usent de tels arguments (plus pour démontrer qu’ils sont radicaux et conséquents que pour leur efficacité pour leur cause).

            Nos ennemis (il y en a plus d’un et pas seulement au Mexique) souhaitent nous voir utiliser de telles méthodes. Rien ne les comblerait plus de satisfaction que de voir l’EZLN se transformer en la version indigène et mexicaine de l’ETA. De fait, depuis que nous avons pris la parole pour évoquer la lutte du peuple basque, c’est précisément ce dont ils nous ont accusés.

            Malheureusement pour eux, ce n’est pas le cas. Et ce ne le sera jamais.

            Au fait, dans la langue des guerriers de la nuit, "Combattre avec honneur" se dit : "PASC ’OP TA SCOTOL LEQUILAL".

            Allez. Salut, et nous ne prétendons dire à personne ce qu’il doit faire, nous demandons seulement qu’une occasion soit donnée à la parole. Si vous ne voulez pas, n’en parlons plus.


            Des montagnes du Sud-Est mexicain et,
            n’en déplaise à certains **,au nom des petits garçons, des petites filles, des hommes, des femmes, des anciens et des anciennes de l’EZLN.
            Sous-commandant insurgé Marcos.
            Quartier général de l’Armée zapatiste de libération nationale.
            Mexique, janvier 2003.

            P.-S. : Avant que j’oublie (c’est Tacho qui me l’a rappelé), au sujet de votre formule finale, "Vive le Chiapas libre !" : Nous, nous n’exigeons pas votre respect, mais des notions de géographie. Le Chiapas est un Etat du sud-est du Mexique. Aucune organisation ni aucun individu ne se propose de lutter pour libérer le Chiapas (pour être exact, si, en une occasion, le PRI chiapanèque l’a demandé, énervé parce que l’armée fédérale mexicaine se refusait à nous anéantir), et moins que personne les zapatistes. Nous ne voulons pas nous rendre indépendants du Mexique. Nous voulons en faire partie, mais sans cesser d’être ce que nous sommes : des indiens. Aussi cette formule finale, attendu que nous nous battons pour le Mexique, pour les peuples indiens du Mexique et pour tous les Mexicains et toutes les Mexicaines, indiens ou non, devrait-elle dire : "Vive le Mexique avec ses indigènes !"

            P.-S. : "ACCIDENTEL" Il a bien dû se passer quelque chose, en d’autres temps, entre la date à laquelle débute cette lettre et la date à laquelle elle prend fin.

            AUTRE P.-S. : C’était peut-être déjà évident, mais ça ne fait rien, je le souligne : je chie également sur les avant-gardes révolutionnaires de toute la planète.
            --------------------------------------------------------------------------------
            * Dans l’original : “El Sup muere victima de su bocota”, puis “Quedó hecho mierda” et “Quedó hecho popó” (NdT).
            ** L’expression espagnole * “pese a quién le pese” * se traduit généralement par “envers et contre tous”. Il s’agit ici d’un choix de traducteur, qui nous semble mieux rendre le besoin qu’a éprouvé Marcos d’effectuer cette précision (NdT).

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            • #7
              Merci Alain, j'ai trouvé cette article un peu long kamem.. Je viens de finir.. non je plaisante !

              Voilà je le remonte pour un document exclusif sur les mouvements anarchistes en relation justement avec cette révolution masquée, que l'on peu retrouver au travers de film comme V pour vendetta par exemple sur les tendances fascisantes de la société actuelle.










              Attention!! Avertissement..
              Les images de ce documentaire pourraient choquer les âmes sensibles.






              Je vous propose un petit aperçu sur les T.A.Z (Zone Autonome Temporaire) que l’on peut définir comme le moment et le lieu propice au chaos que vit une société durant sa révolution, le document a été diffusé par arte en 2004 ou il est décrit les idéaux des différents courants « anarchistes » partout dans le monde.

              Spéciale Pirates
              (54min) :







              Lien direct :

              http://video.google.com/videoplay?do...07227592&hl=fr

              Dernière modification par Jallal-a-bad, 31 août 2008, 04h28. Motif: Peut-etre celle là ?..

              Si tu as beaucoup de richesses, donne ton bien.
              Si tu possèdes peu, donne ton coeur!
              Charif Barzouk

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              • #8
                Ah ça ... le Monde Diplomatique ... T'en as pour tes euros

                Et bien merci pour le site je vais lire ça.

                PS : ton URL video est mauvaise
                Dernière modification par Alain, 29 août 2008, 23h56.

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                • #9
                  Oui je viens de voir l'espace dans l'url. Pourtant c'est bizarre la video s'affichait sur mon navigateur (mozilla) ?

                  Merci Alain.

                  Si tu as beaucoup de richesses, donne ton bien.
                  Si tu possèdes peu, donne ton coeur!
                  Charif Barzouk

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