L'engrenage commence en haut de l'échelle, où opèrent des responsables aveugles. Malgré Chlef, Oran, Berriane et toutes ces villes algériennes qui se sont embrasées, parfois pour des prétextes futiles, souvent pour des revendications légitimes, ces hommes à qui incombe la gestion des affaires du pays se sont montrés incapables de comprendre cette colère sourde qui traverse la société, et qui ne cherche que des prétextes pour exploser.
Ces hauts responsables sont relayés, au niveau local, par une administration aveugle, incapable elle aussi de gérer une société déchirée, déstructurée, sans perspective. Préoccupé d'abord par l'impératif d'asseoir son pouvoir, de gérer ses réseaux de clientèle et rester dans les bonnes grâces du prince, le responsable local n'a guère de temps à consacrer à ce qui préoccupe ses sujets.
Cette alliance entre un pouvoir central aveugle, et une administration locale tout aussi aveugle, débouche inévitablement sur cette violence aveugle, faite de haine et de destruction, qui explose régulièrement dans les villes algériennes et constitue un élément central dans la gestion des villes. A un point tel que, pour nombre de responsables locaux, c'est devenu une hantise : comment éviter l'émeute sans régler les problèmes des citoyens ? Ils ne cherchent ni à gérer, ni à apporter des solutions, mais simplement à faire en sorte que l'accumulation des doléances ne se règle pas dans la rue.
A Sidi Aïssa, ce terrible engrenage s'est encore déclenché. Au départ, un drame. Un homme, victime d'un accident, ou d'un acte de violence, est décédé. Les services compétents ont-ils engagé les actions nécessaires dans une telle situation ? On ne le sait pas avec précision. Toujours est-il que le jour de l'enterrement, une foule en colère s'est dirigée vers un établissement hôtelier que gère le père de la victime, pour réclamer vengeance. Des récits, nombreux, font état d'une colère d'autant plus violente qu'un puissant sentiment d'injustice domine dans la ville depuis le début de cette affaire. A tort ou à raison, les habitants de Sidi Aïssa avaient le sentiment que la justice n'a pas fait son travail, que l'auteur de l'accident bénéficie d'une sorte d'impunité qui le place au-dessus de la loi.
C'est alors que l'irréparable est commis. La foule s'attaque à un hôtel, propriété de celui qui est considéré comme responsable du drame. Celui-ci, voyant la foule s'acharner contre lui, utilise une arme pour se défendre. Il tue deux personnes, et en blesse de nombreuses autres. La tension monte encore, et, au bout du compte, l'homme est pris. C'est alors que la foule laisse exprimer ses instincts les plus primaires. L'homme est traîné dans la rue, sauvagement frappé par des dizaines de personnes qui donnent libre cours à leur haine. Même mort, les gens s'acharnent sur le cadavre : une foule hystérique, c'est un phénomène connu des psychologues.
Le drame de Sidi Aïssa révèle des défaillances en série, qui confirment cette inexorable déliquescence institutionnelle et morale qui frappe le pays. Comme pour d'autres affaires antérieures, les habitants de Sidi Aïssa ont eu le sentiment que les citoyens ne sont pas égaux devant la loi, et que certains peuvent ne pas s'y soumettre, comme ce propriétaire de l'hôtel dont le fils n'était pas sanctionné alors qu'il était mêlé à un acte ayant provoqué mort d'homme. La chronique locale, dans toutes les villes du pays, fournit de nombreux exemples de ce type, avec des barons locaux vivant et agissant à côté de la loi, quand ils ne font pas la loi.
Une situation aussi explosive aurait dû pousser à une prudence extrême dans la gestion de la situation à Sidi Aïssa. Mais là encore, de nouvelles défaillances ont été enregistrées. Les structures chargées de ce genre de travail n'ont pas pris la mesure de la colère qui agitait la ville. Les mesures nécessaires n'ont pas été prises pour protéger un homme devenu la cible potentielle d'actes de vengeance. Même quand il commet un crime, faut-il le rappeler, un accusé a des droits, dont celui d'être protégé. C'est une obligation pour l'Etat de protéger les biens et les personnes.
A Sidi Aïssa, ni la personne ni les biens n'ont été protégés. Les services de sécurité n'ont pas reçu ou exploité les informations nécessaires pour prévenir le drame. Et quand la foule hystérique s'est attaquée à l'hôtel, ils n'ont pas agi avec la célérité et l'efficacité nécessaires. Ce sont là des faits établis. Ils montrent une inaptitude inquiétante à prévenir et à gérer les crises, alors que la moindre étincelle suffit désormais à déclencher la haine.
Cela s'est encore vérifié à Chatibi, près de Annaba, où, à la suite d'un drame, la foule s'est attaquée à des campeurs pour venger un mort. Là encore, la foule a préféré se faire justice elle-même, mettant de côté la loi et les institutions. Mais la foule ne fait qu'appliquer le modèle offert par le pouvoir lui-même : la loi n'est pas, en Algérie, l'instrument central de régulation de la société.
Par Abed Charef , Le Quotidien d'Oran
Ces hauts responsables sont relayés, au niveau local, par une administration aveugle, incapable elle aussi de gérer une société déchirée, déstructurée, sans perspective. Préoccupé d'abord par l'impératif d'asseoir son pouvoir, de gérer ses réseaux de clientèle et rester dans les bonnes grâces du prince, le responsable local n'a guère de temps à consacrer à ce qui préoccupe ses sujets.
Cette alliance entre un pouvoir central aveugle, et une administration locale tout aussi aveugle, débouche inévitablement sur cette violence aveugle, faite de haine et de destruction, qui explose régulièrement dans les villes algériennes et constitue un élément central dans la gestion des villes. A un point tel que, pour nombre de responsables locaux, c'est devenu une hantise : comment éviter l'émeute sans régler les problèmes des citoyens ? Ils ne cherchent ni à gérer, ni à apporter des solutions, mais simplement à faire en sorte que l'accumulation des doléances ne se règle pas dans la rue.
A Sidi Aïssa, ce terrible engrenage s'est encore déclenché. Au départ, un drame. Un homme, victime d'un accident, ou d'un acte de violence, est décédé. Les services compétents ont-ils engagé les actions nécessaires dans une telle situation ? On ne le sait pas avec précision. Toujours est-il que le jour de l'enterrement, une foule en colère s'est dirigée vers un établissement hôtelier que gère le père de la victime, pour réclamer vengeance. Des récits, nombreux, font état d'une colère d'autant plus violente qu'un puissant sentiment d'injustice domine dans la ville depuis le début de cette affaire. A tort ou à raison, les habitants de Sidi Aïssa avaient le sentiment que la justice n'a pas fait son travail, que l'auteur de l'accident bénéficie d'une sorte d'impunité qui le place au-dessus de la loi.
C'est alors que l'irréparable est commis. La foule s'attaque à un hôtel, propriété de celui qui est considéré comme responsable du drame. Celui-ci, voyant la foule s'acharner contre lui, utilise une arme pour se défendre. Il tue deux personnes, et en blesse de nombreuses autres. La tension monte encore, et, au bout du compte, l'homme est pris. C'est alors que la foule laisse exprimer ses instincts les plus primaires. L'homme est traîné dans la rue, sauvagement frappé par des dizaines de personnes qui donnent libre cours à leur haine. Même mort, les gens s'acharnent sur le cadavre : une foule hystérique, c'est un phénomène connu des psychologues.
Le drame de Sidi Aïssa révèle des défaillances en série, qui confirment cette inexorable déliquescence institutionnelle et morale qui frappe le pays. Comme pour d'autres affaires antérieures, les habitants de Sidi Aïssa ont eu le sentiment que les citoyens ne sont pas égaux devant la loi, et que certains peuvent ne pas s'y soumettre, comme ce propriétaire de l'hôtel dont le fils n'était pas sanctionné alors qu'il était mêlé à un acte ayant provoqué mort d'homme. La chronique locale, dans toutes les villes du pays, fournit de nombreux exemples de ce type, avec des barons locaux vivant et agissant à côté de la loi, quand ils ne font pas la loi.
Une situation aussi explosive aurait dû pousser à une prudence extrême dans la gestion de la situation à Sidi Aïssa. Mais là encore, de nouvelles défaillances ont été enregistrées. Les structures chargées de ce genre de travail n'ont pas pris la mesure de la colère qui agitait la ville. Les mesures nécessaires n'ont pas été prises pour protéger un homme devenu la cible potentielle d'actes de vengeance. Même quand il commet un crime, faut-il le rappeler, un accusé a des droits, dont celui d'être protégé. C'est une obligation pour l'Etat de protéger les biens et les personnes.
A Sidi Aïssa, ni la personne ni les biens n'ont été protégés. Les services de sécurité n'ont pas reçu ou exploité les informations nécessaires pour prévenir le drame. Et quand la foule hystérique s'est attaquée à l'hôtel, ils n'ont pas agi avec la célérité et l'efficacité nécessaires. Ce sont là des faits établis. Ils montrent une inaptitude inquiétante à prévenir et à gérer les crises, alors que la moindre étincelle suffit désormais à déclencher la haine.
Cela s'est encore vérifié à Chatibi, près de Annaba, où, à la suite d'un drame, la foule s'est attaquée à des campeurs pour venger un mort. Là encore, la foule a préféré se faire justice elle-même, mettant de côté la loi et les institutions. Mais la foule ne fait qu'appliquer le modèle offert par le pouvoir lui-même : la loi n'est pas, en Algérie, l'instrument central de régulation de la société.
Par Abed Charef , Le Quotidien d'Oran
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