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Bilal, de l'autre côté des frontières

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  • Bilal, de l'autre côté des frontières

    Une chasse à l'homme. "Une chasse psychologique. Parce que l'homme, ils l'ont déjà capturé. Mais les policiers ignorent son identité. Et, dans cette poursuite mentale, il faut que je fasse très attention. Que je déchiffre tout ce qui se dit. Tous les signes de la réalité qui m'entoure." L'homme qui dit "je" s'appelle Fabrizio Gatti. Grand reporter à l'hebdomadaire italien L'Espresso, il a décidé de vivre jusqu'au bout et de l'intérieur l'aventure physique et mentale de la clandestinité. "L'existence d'un immigré se réduit à un jeu de rôle. Une fuite exténuante, aventureuse, à travers les règles du langage. De l'immense appareil de signes qui fait qu'un homme peut être déclaré bon ou mauvais. Simplement en fonction de ce qu'il donne à voir."

    Ce n'est pas tout à fait la première fois que Fabrizio Gatti se lance ainsi dans une enquête de société, en "infiltré". Mais cette fois il récidive dans un projet plus risqué encore. Il s'est forgé un faux nom, Bilal, immigré imaginaire en provenance du Kurdistan. Il a dans la poche un petit tube dans lequel sont roulés quelques dollars, de la colle pour masquer ses empreintes digitales, un gilet de sauvetage, trois boîtes de sardines et une bouteille d'eau : le bagage dérisoire du clandestin, cet "homme invisible" et qui "ne compte pas". Cet homme qui, parmi des centaines d'autres, représente cette "nouvelle classe sociale de l'Europe du XXIe siècle".

    Point de départ : Dakar. Exposé du problème : les pêcheurs sont inquiets. Il n'y a plus de poisson. "Des bateaux européens grands comme des usines raflent tout ce qu'il y a à pêcher et vous l'apportent en Europe", explique à Bilal un jeune Sénégalais. Pas de ressources, pas de travail. Et si pas de travail fixe, pas de famille, "car ici, tu peux pas toucher une fille si tu te maries pas avec elle" : "Quel avenir j'ai ici à ton avis ?" Partir ? Il faut 50 000 euros pour un visa italien, or une famille de pêcheurs gagne entre 60 et 150 euros par mois. La seule issue, c'est l'émigration clandestine...

    Suivant des centaines de clandestins avant lui, Bilal va donc prendre la route de l'émigration, de Dakar à Tripoli en passant par Bamako et Niamey. Son but : atteindre la porte de l'Europe par une île dont seul le nom fait rêver, Lampedusa.

    PASSEURS SANS SCRUPULES

    Pour cela, il remonte le Sahara accroché à des camions ressemblant à des amas de corps et de têtes ; il traverse le grand erg de Bilma et celui du Ténéré où le danger est de "tomber prisonnier des oasis" ; il rencontre des membres d'Al-Qaida qui présentent "l'islam comme une issue de secours" ; il croise des passeurs sans scrupules qui surgissent au moment précis où "le moral est mort". Car dans ce gouffre où ils s'enfoncent, les clandestins savent que s'il leur arrive quelque chose, nul ne viendra les sauver. "Aucun père, aucun frère, aucun Etat, aucune organisation humanitaire, aucun des gouvernements dont les choix corrompus les ont conduits là où ils sont, ne pleurera jamais leur mort." Ils sont devenus des "enfants de personne" ou, comme l'indique le titre du livre en italien, des marchandises sur "le marché des nouveaux esclaves".

    Ce périlleux périple, Fabrizio Gatti a le don de le rendre aussi vivant que poignant. A Lampedusa, il veut savoir tout ce qui se passe "à partir du moment où un étranger est enfermé dans "la cage"" (c'est comme ça qu'on appelle ce centre de détention). Il se fait donc passer pour kurde vu qu'il est "un peu pâle pour être africain", apprend par coeur quelques mots de kurde et d'arabe, ainsi que les plus menus détails de sa fausse biographie, se jette à la mer pour être repêché par les gardes-côtes de Lampedusa et "enfin" jeté dans ce centre où, écrit Fabrizio Gatti, "même les observateurs des Nations unies" n'ont jamais pu voir ce qui se passe. Gatti décrit des détenus galeux, des latrines puantes, des gens dormant par dizaines sur les tables de cantine (les lits à étage des chambrées sont tous occupés), la difficulté de communiquer avec les familles à cause du trafic de cartes téléphoniques, des carabiniers qui hurlent, fouillent et frappent... "le vrai fond de l'abîme". Il évoque aussi la peur de devenir cynique, le brouillage des repères au sein du camp, l'accoutumance à la violence...

    Dans plusieurs pays d'Europe, Bilal sur la route des clandestins a battu des records de vente. En Italie, Fabrizio Gatti a remporté le prestigieux prix Terzani, l'un des plus importants pour la non-fiction. Parions que le sage Tiziano Terzani, grand reporter, écrivain et baroudeur exceptionnel ("Le Monde des livres" du 18 juillet) n'aurait pas renié ce livre-enquête qui dit, mieux que toute étude théorique, l'une des plaies du XXIe siècle. Un livre où l'obsession de témoigner est aussi forte que l'espoir des clandestins : "La seule chance de salut pour nous, dit l'un d'eux, c'est que vous sachiez ce qui se passe."

    __________________________________________________ ______________
    Bilal sur la route des clandestins (Bilal. Il mio viaggio da infiltrato nel mercato dei nuovi schiavi) de Fabrizio Gatti
    Traduit de l'italien par Jean-Luc Defromont, éd. Liana Levi, 480 p., 21 €.


    Florence Noiville

    Le Monde
    A todo cerdo le llega su San Martín.

  • #2
    Interessant, j''achete le livre
    Merci pour l'information

    Commentaire


    • #3
      de rien btp50
      moi aussi en lisant quelques extraits sur le net j'ai eu l'envi de l'acheter,
      A todo cerdo le llega su San Martín.

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