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Mahmoud Darwich, la tribu et le citoyen

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  • Mahmoud Darwich, la tribu et le citoyen

    «Nous serons un peuple lorsque nous insulterons le sultan et le chambellan du sultan, sans être jugés» ; «Nous serons un peuple lorsque le poète pourra faire une description érotique du ventre de la danseuse » ; «Nous serons un peuple lorsque nous oublierons ce que nous dit la tribu…, que l’individu s’attachera aux petits détails… Nous serons un peuple lorsque le chanteur sera autorisé à psalmodier un verset de la sourate du Rahman dans un mariage mixte», clamait le regretté Mahmoud Darwich, inhumé mardi à Ramallah. Cela fait plusieurs jours que le grand poète palestinien est parti loin des oliviers de sa Galilée natale. Mais ces vers, tirés de son poème «Si nous voulons», n’interpellaient pas uniquement les Palestiniens. Mais plus généralement les peuples des pays arabes et ceux non arabes de culture islamique.

    A l’heure où le religieux et le nationalisme dans son sens étroit et archaïque effectuent un retour en force et servent de justificatif pour empêcher tout progrès de la pensée, toute liberté d’expression, toute liberté de création, en bref tout progrès, celui qui proclamait face à l’occupation israélienne dans son recueil «Identités», paru en 1964, «Inscrit : je suis arabe/ sans nom de famille/ je suis mon prénom », ne se faisait guère d’illusion sur le monde dans lequel il vivait, particulièrement en ce qui concerne l’évolution des sociétés arabes.

    «Qui exprime des divergences politiques peut être pris pour un traître. Qui n’est pas d’accord avec les pratiquants peut être le pire des mécréants. Qui n’est pas d’accord avec certains intellectuels, peut passer pour un adorateur de l’absurde», déclarait-il dans un entretien au journal italien Il Manifesto en mai 2007. De nos jours, en effet, un écrivain, un poète n’a droit de cité et d’exister que s’il accepte de chanter les louanges du prince.

    Ceux qui, à l’instar de l’Egyptien Sonalah Ibrahim, osent défier la cour, sont sommés de se taire quand ils ne sont pas victimes de la censure, voire jetés en prison. Dans nos sociétés arabomusulmanes, il ne fait pas bon d’exprimer ce que l’on pense. Faute d’être publiés et lus dans leurs propres pays, certains écrivains arabes et maghrébins sont contraints de le faire en Europe. Et quand ils sont publiés en France — en ce qui concerne les Maghrébins — ou en Grande-Bretagne pour les écrivains originaires du Proche-Orient, ils sont aussitôt mis à l’index, stigmatisés et lynchés médiatiquement, par des plumitifs au service des princes et de l’ordre établi, plumitifs qui ne prennent même pas la peine de juger l’œuvre. Parce qu’ils ne prennent même pas la peine de la lire. Le fait que ces écrivains déplaisent aux régimes en place leur tient lieu de critique.

    Que valent dès lors ces condoléances «attristées » exprimées par ces régimes arabes qui pratiquent la censure comme jamais contre leurs propres poètes et écrivains, condamnent des syndicalistes, des journalistes à la prison ou à de fortes amendes parce que leurs écrits ne se meuvent pas et ne s’intègrent pas dans le cadre conformiste réactionnaire et conservateur qui tient lieu d’idéologie patriotique ?

    Que valent ces condoléances quand on sait, par ailleurs, que l’œuvre de Mahmoud Darwich ne figure presque pas dans les programmes éducatifs de beaucoup de pays arabes ? Un poète ne meurt jamais. Son œuvre traverse le temps, se défait des interdits tressés par les dictatures et les conservateurs. Elle le rend éternel. Mahmoud Darwich en fait partie. Il s’inscrit dans la lignée de ces grands poètes arabes de l’âge d’or de la civilisation islamique comme Abou Ala al-Maari, né en 937 en Syrie et mort en 1057, dont l’œuvre est interdite dans de nombreux pays arabes, y compris l’Algérie, qui écrivait ceci : «Les habitants de la terre se divisent en deux», «ceux qui ont un cerveau mais pas de religion», «et ceux qui ont une religion mais pas de cerveau».

    Par Hassane Zerrouky, Le soir
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