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Le MNA et les tabous de l'histoire d'Algérie

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  • Le MNA et les tabous de l'histoire d'Algérie

    Il y a quelques semaines, j'ai reçu un message d'un fidèle et très lointain lecteur de la présente chronique à propos de l'histoire d'Algérie et de ses thèmes interdits. Evoquant les nombreuses interrogations concernant la période 1945-1963, il se demandait si un appel d'intellectuels pourrait convaincre des acteurs ayant vécu cette époque de s'exprimer pour dire toute la vérité. « La génération concernée nous quitte progressivement, m'a-t-il écrit. Nous sommes à l'extrême limite temporelle où nous pourrions enfin savoir de la bouche des derniers protagonistes tout ce qui s'est réellement passé y compris sur les questions taboues : la crise berbériste, la trahison du MNA, la mort d'Abane Ramdane, le massacre de Melouza, les vraies raisons qui ont débouché sur les événements sanglants du 8 mai 1945, l'asphyxie organisée des maquis, les motivations réelles des officiers musulmans qui ont déserté l'armée française pour rejoindre le FLN (les daf), la paranoïa d'Amirouche, sa mort avec celle de Si Haoues, l'ampleur réelle du massacre des harkis, le rôle des « marsiens » (ceux qui ont pris le maquis après le cessez-le-feu de mars 1962),_ » Et de citer le cas de l'Indonésie ou de l'Afrique du Sud où des commissions ont su surmonter l'obstacle du nationalisme pour faire la lumière sur des événements douloureux pour ne pas dire honteux.

    Ma réponse était empreinte de scepticisme. Faire parler les acteurs qui sont encore en vie ? Pourquoi pas mais à condition qu'un déclic majeur puisse délier les langues et faire en sorte que l'on sorte des discours convenus. Pour étayer mon propos, j'ai cité le cas de Lakhdar Belaïd, un camarade journaliste dont j'attendais depuis des années le livre sur le Mouvement national algérien (MNA) de Messali Hadj. Un projet qui butait sur une grande difficulté : la réticence des anciens militants de ce parti à se raconter et à revenir sur un épisode de l'Histoire dont on parle peu et toujours avec grande prudence en Algérie comme en France. Hasard, coïncidence ou signe encourageant, quelques jours après cet échange épistolaire, j'ai reçu les épreuves du livre de Lakhdar Belaïd (*).

    Cet ouvrage est une enquête sur le père de l'auteur. Un père, aujourd'hui disparu qui n'a jamais accepté de raconter son passé de militant du MNA fidèle jusqu'au bout à Messali Hadj. Un père qui fut acteur, comme tant d'autres membres de son parti, de la bataille fratricide qui opposa, surtout en France, le FLN et le MNA. Une véritable guerre civile dont les générations nées après l'indépendance ne savent pas grand-chose puisque cet épisode sanglant a toujours été enveloppé dans un voile de confusion et de désinformation. C'est bien simple, une majorité d'Algériens qui n'ont pas connu la Guerre de libération sont convaincus que le MNA et les Harkis, c'est Hadj-Moussa et Moussa-Hadj. Quant à Messali Hadj, réhabilité a minima en 1999, nombreux sont ceux qui lui contestent encore le rôle de père du nationalisme algérien et qui persistent à le qualifier de traître à la cause de l'indépendance.

    Le livre de Lakhdar Belaïd n'est donc pas une enquête sur le MNA. C'est avant tout l'histoire d'un père qui fut emprisonné et condamné durant la Guerre d'Algérie, la justice française l'ayant accusé d'avoir commandité l'assassinat d'un militant du FLN dans la région lilloise. Au fil des pages, on découvre le parcours d'un travailleur immigré en provenance de Kabylie auquel la fédération de France du PPA-MTLD donna, comme à tant d'autres Algériens, une conscience nationaliste et une éducation politique. Restitué non sans mal du fait du mutisme des survivants interrogés par l'auteur, cet itinéraire a pour toile de fond la férocité de la guerre entre le FLN et le MNA, les attentats, les représailles, le jeu trouble de la police française, en somme, tous ces actes sanglants que la presse de l'époque qualifiait souvent de « règlements de compte entre Nord-Africains ».

    On réalise en lisant cet ouvrage que nombre de militants du MNA ont été jusqu'au bout de farouches nationalistes et qu'ils ont été partie prenante du combat pour l'indépendance de l'Algérie en organisant notamment des manifestations en France dont certaines furent dispersées dans le sang par les forces de l'ordre. Après 1962, le père de Lakhdar Belaïd s'est par exemple toujours opposé à ce que ses enfants prennent la nationalité française et c'est en Algérie que cet homme a terminé sa vie. On apprend aussi que le MNA s'est attaqué aux harkis comme l'explique un témoin messaliste interrogés par l'auteur.

    Alors, pourquoi la guerre entre le FLN et le MNA ? L'intérêt du livre de Belaïd est qu'il met en exergue le point de vue du second camp, celui qui malgré son implantation forte en France a finalement été broyé par les commandos de choc du FLN à l'image de la liquidation de la direction de l'USTA (Union syndicale des travailleurs algériens, syndicat messaliste). Et les justifications des messalistes tournent souvent autour de l'attachement obsessionnel à Messali Hadj tandis que le FLN se voit dénié toute légitimité à conduire la Révolution qu'il a pourtant déclenchée.

    Cinquante ans après cette période, on ne peut s'empêcher de penser que cette guerre entre le FLN et le MNA n'a été qu'un immense gâchis. A qui la faute ? Aux acteurs encore vivant de nous le dire. Pourquoi une telle violence, une telle haine (4.000 morts et 12.000 blessés uniquement en France) ? Le MNA représentait-il vraiment une menace pour l'indépendance ? Le statut de représentant unique, pour ne pas dire absolu, du peuple algérien était-il à ce point indispensable pour le FLN pour qu'il le conduise à liquider d'autres tendances politiques favorables à l'indépendance (messalistes mais aussi communistes) ?

    La faiblesse politique du MNA ne résidait-elle pas dans le culte, archaïque et d'un autre âge, de Messali Hadj ? Ce dernier avait-il vraiment planifié le début de la guerre d'indépendance pour 1954, se faisant prendre de vitesse par ceux qui allaient créer le FLN ? Ces questions sont posées depuis longtemps. Nous attendons encore les réponses et, finalement, cette idée d'appel d'intellectuels pour que s'expriment enfin les acteurs de cette période est une urgence.

    Par Akram Belkaïd Le Quotidien d'Oran

    * Mon père, ce terroriste, Lakhdar Belaïd.
    Préface de Benjamin Stora, Editions du Seuil Parution le 18 septembre 2008.
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